VOYAGE AUTOUR DU MONDE ET DE SA COMPLEXITÉ

Le Festival international du film de Locarno (Suisse), dont la 76e édition a lieu du mercredi 2 au samedi 12 août, figure parmi les manifestations les plus défricheuses, jusque dans sa compétition, qui ne se contente pas d’aligner comme sur une brochette des noms de cinéastes connus. Nommé en 2020, à la suite de Lili Hinstin, son nouveau directeur artistique, Giona A. Nazzaro, entend faire rayonner ce « laboratoire » tout en continuant de célébrer un cinéma grand public lors des projections en plein air. 


Giona A. Nazzaro se souviendra de sa première fois à la tête du Locarno Film Festival. C’était en 2021, lors d’une édition qui semblait miraculeuse même si elle était encore contrariée par la pandémie, avec des jauges réduites, moins de journalistes pour parler des films et des équipes artistiques restreintes pour les défendre. Puis, l’an dernier, il a dû élaborer une programmation en combinant nouvelles propositions et films mis entre parenthèses durant la pandémie. 

Cette année, voilà que le directeur artistique doit faire face à un nouvel imprévu: la grève du syndicat hollywoodien des acteurs SAG-Aftra, démarrée le 14 juillet et qui, dans la foulée de la grève des scénaristes, a notamment pour revendication une réévaluation des salaires face aux revenus générés par le streaming. 

C’est ainsi que l’acteur Riz Ahmed, qui aurait dû recevoir lors de l’ouverture du festival ce mercredi l’Excellence Award Davide Campari, a annoncé qu’il ne serait pas présent. Stellan Skarsgard a, quant à lui, décidé de refuser le Leopard Club Award dont il devait être le récipiendaire, tout en faisant le déplacement pour la projection hors compétition de What Remains, de Ran Huang. Enfin, le festival espère toujours pouvoir accueillir pour sa soirée de clôture Cate Blanchett, annoncée non pas en tant qu’actrice mais comme productrice, du film Shayda, de Noora Niasari, sur une Iranienne trouvant refuge avec sa fille en Australie. 

Au regard de la profondeur de la sélection et ses projections en onze jours, ces désagréments restent de l’ordre de la péripétie, même si «la grève est une confirmation que tout devient plus compliqué», admet Giona A. Nazzaro. Et d’insister sur le fait qu’en matière de cinéma «il y a toujours de nouveaux enjeux et défis... Et ce n’est pas que de la rhétorique!» Face à cela, il faut, dit-il, ne pas perdre la notion de plaisir, tout en proposant «un programme qui explore et raconte le monde complexe dans lequel on vit». 

S’il avoue n’avoir pas eu plus de difficultés que l’an dernier à élaborer sa sélection, il admet par contre que pour attirer en compétition des cinéastes qui comptent dans le circuit, un effort particulier doit être fait. «J’ai beau connaître Lav Diaz et Radu Jude depuis très longtemps, ce n’est pas ce qui fait la différence, explique-t-il. L’argument décisif, c'est qu’à Locarno leurs films ne seront pas noyés dans une offre ne leur permettant pas d’être remarqués. L’année dernière, un film comme Fairytale, dAlexandre Sokourov, a par exemple été énormément discuté. Les réalisateurs ont compris qu’un festival comme le nôtre permettait de ne pas être qu’une présence dans un catalogue, mais de faire partie d’une conversation vivante.» 

Si les nouveaux films de Lav Diaz (Léopard d’or en 2014, abonné des grands festivals) et de Radu Jude (Ours d’or à la Berlinale en 2021) sont très attendus, la compétition internationale du Locarno Festival 2023 accueille également pour la première fois l’iconoclaste Quentin Dupieux, musicien et réalisateur tenant d’un cinéma flirtant avec le surréalisme et le non-sens pour proposer des comédies totalement décalées et repoussant souvent les limites de la narration. Il présentera Yannick, son dernier délire, qui sort en parallèle dans les salles françaises. Alors qu’il avait dévoilé l’an dernier Fumer fait tousser hors compétition à Cannes, cette invitation légitime en quelque sorte son statut d’auteur. 

Parmi les 17 titres en lice pour le Léopard d’or, certains sont suivis d’un gros point d’interrogation, notamment quatre premiers métrages en provenance du Portugal, d’Espagne, d’Ukraine et enfin d’Italie. Mais l’un d’eux est très attendu, pointe Giona A. Nazzaro, car son réalisateur, Simone Bozzelli, a été un élève de Gianni Amelio. «Patagonia est à notre avis le film italien le plus surprenant de ces dernières années. Il est porté par une véritable violence mais aussi une tendresse qui a quelque chose de pasolinien. Gianni Amelio m’a dit qu’à ses débuts, il aurait aimé avoir le même courage d’affirmer son identité que Simone Bozzelli, dont il admire la liberté.» 

Animal, la deuxième réalisation de Sofia Exarchou, qui a remporté de nombreux prix à travers le monde, dont une mention spéciale au festival Tous Ecrans de Genève en 2016, est un autre film que le directeur artistique met en avant. Seront aussi particulièrement scrutées les nouvelles propositions de Bob Byington, de Dani Rosenberg et de Basil Da Cunha

Sans chercher à tirer un fil rouge pour proposer une compétition au sein de laquelle émergeraient quelques grands thèmes, Giona A. Nazzaro tient donc avant tout à défendre «une vision active du cinéma, qui peut être vu comme un outil de compréhension du monde et de ses enjeux en constante évolution». Sa programmation doit être vue comme une mosaïque, patiemment construite film après film. Pour lui, «l’idée est d’accueillir la famille de cinéma la plus grande possible». Ce qui passe également par une deuxième compétition (Cinéastes du présent), une grande rétrospective, qui met le Mexique à l’honneur cette année, et l’accueil de nombreuses personnalités qui font la diversité du 7e art. Ainsi, si la grève à Hollywood privera Locarno de quelques apparitions, le festival accueillera des artistes aussi importants que Tsai Ming-liang, Harmony Korine ou encore le monteur Pietro Scalia, fidèle collaborateur de Ridley Scott. Le Monde, Le Temps.

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