ÉPOUVANTE, HORREUR, GORE, TERREUR
THE SUBSTANCE
de Coralie Fargeat, 2024, France-US, Couleurs
avec Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid…
Assumant ses références et sans fausse pudeur, Coralie Fargeat réalise un body horror féministe, amusant et férocement engagé.
S’il y a bien une réalisatrice qui ne se cache jamais derrière son petit doigt, c’est bien Coralie Fargeat. Revendiquant la légitimité des femmes derrière et devant la caméra dans un cinéma de genre encore trop masculin, elle utilise le point de vue féminin pour ramener de l’originalité et de la modernité dans des récits codifiés. Après REVENGE, avec les qualités et les défauts d’un premier film, la voilà partie faire du cinéma à l’étranger où son cinéma, très premier degré et hautement référencé, est peut-être accueilli avec plus de bienveillance qu’en France. Parce qu’elle requiert du public de décaler son regard, parce qu’elle veut raconter comment être une femme, c’est parfois un cauchemar, bref, parce qu’elle fait un cinéma militant et divertissant, elle s’est attirée les faveurs de deux stars et des producteurs d’Edgar Wright.
Et il faut beaucoup de témérité pour demander à Demi Moore, ancien sex symbol d’Hollywood, de jouer Elisabeth Sparkle, une comédienne has been, reconvertie dans une émission de fitness, poussée vers la sortie par un producteur sexiste et véreux (Dennis Quaid en roue libre). Pleine de courage, l’actrice se met à nu, pour exposer ses rides, une peau moins tonique, une paupière légèrement tombante. Ce charme fou que les femmes ne se reconnaissent jamais, affectées par les discours misogynes et une société qui les périment très vite. Sous les oripeaux de Sparkle, le regard de Demi Moore sur elle-même se brise et même si derrière toute entreprise d’humilité au cinéma se cache une entreprise de vanité, cette performance charrie une colère et une mise en accusation du spectateur. Si ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu Demi Moore, surtout à poil, c’est en partie parce qu’on n’a pas su lui dire qu’on voulait toujours d’elle. Elle se réimpose à nous de la plus forte des manières.
Après un accident de voiture, dont son corps est sorti intact, Sparkle reçoit la visite d’un infirmier qui voit en elle la candidate idéale à « The Substance », un protocole médical secret qui lui permettra d’être elle- même et la meilleure version d’elle-même tour à tour, en équilibre. Ce deuxième soi, si vous vous posiez la question, naît directement du premier. Mais la naissance se fait par le dos, comme une excroissance maléfique, comme une greffe rejetée. Si vous ne vous doutiez pas de la monstruosité à venir, maintenant vous savez. Influencée par Cronenberg, Fargeat n’y va pas de main morte sur les effets cradingues, où tous les fluides, des plus purs aux plus putrides, dégoulinent, jaillissent, explosent, dans un tintamarre de borborygmes atroces. Rien ne nous sera épargné. Du « body horror » craspec fait pour lever les foules.
La meilleure version de Demi Moore, c’est Margaret Qualley à qui on reconnaît l’audace entre un Tarantino, deux Lanthimos et un Coen de se donner corps et âme pour du cinéma d’exploitation, à qui Fargeat redonne ses lettres de noblesse. Dénué de la patine hollywoodienne qu’on pouvait attendre du premier film américain d’une jeune française, mais doté d’une mise en scène ultra ostentatoire – dont des hommages appuyés au style kubrickien, qu’elle cite sans gêne et avec beaucoup de tendresse –, THE SUBSTANCE n’est pas subtil et joue carte sur table avec une utilisation intensive d’un « male gaze » dégradant pour mieux le dénoncer. À coups de répliques sans équivoque, se dessine un propos pas révolutionnaire mais politique : le sexisme perpétué par les hommes brise le regard que les femmes se portent sur elles-mêmes – mais aussi sur les autres. Il faut voir le sourire triomphant de Qualley, en nouvelle coqueluche de l’aérobic, se déformer devant un arrêt sur image de ses fesses, reluquées par les hommes du plateau, pour comprendre la dictature du regard des autres, qu’on soit belle ou pas, qu’on ait une très grande confiance en soi ou qu’on n’en ait pas. Quand Sue, la meilleure version d’Elizabeth, va vouloir dominer Elizabeth, détournant les règles strictes du protocole « The Substance », alors la guerre que vont se mener ces deux femmes qui ne forment qu’une va prendre des atours particulièrement cruels et abominables. Mais il y a un seul leitmotiv à la démarche de Fargeat : prendre la défense des femmes face au jeunisme et à la dictature des apparences, un sujet vieux comme le monde (du
« Portrait de Dorian Gray » à LA MORT VOUS VA SI BIEN...) qu’elle se réapproprie dans une forme d’éructation rigolote.
Et s’il faut en passer par le grotesque et le ridicule, ça ne dérange pas Fargeat. Elle en fait trop : ça peut faire rire, grincer des dents ou au contraire épater. Fargeat va au bout de sa démarche, quitte à tirer à la ligne et peiner à boucler dans les dernières vingt minutes, versant du côté Troma du cinéma d’horreur et un hommage appuyé à ELEPHANT MAN. La générosité du film déborde un peu mais, décomplexée par rapport aux totems du cinéma gore, Fargeat crée de nouvelles images et assume un cinéma d’auteur et de divertissement qui éclabousse l’écran. Bravo. Emmanuelle Spadacenta.
……………………………………………………….
Quel est l’intérêt de la salle de cinéma ? On prône souvent la force du grand écran, mais j’aimerais évoquer l’expérience du collectif. C’est d’ailleurs l’une des membranes du genre horrifique, qui n’est délicieux que lorsqu’il est partagé à plusieurs. Je n’aurais certainement pas vu, entendu, ni vécu The Substance, le nouveau film de Coralie Fargeat, de la même manière si j’avais été complètement seule. Projeté dimanche 19 mai au Festival de Cannes, il se positionnait comme l’une de mes plus grosses attentes, moi qui avait d'ores et déjà été largement conquise par Revenge, le premier film de la cinéaste française. J’en suis ressortie plus bousculée que jamais, manquant de tourner de l’œil plus d’une fois, mais béate et hallucinée, notamment d’avoir traversé une telle aventure dans une salle pleine à craquer. The Substance vient de remporter le prix du meilleur scénario. Une récompensé amplement méritée, et voici pourquoi.
C'est peut-être le lien qui unit beaucoup de films de la Compétition officielle cette année. À mi-chemin du Festival de Cannes, se sont enchaînés le tempétueux Megapolis de Francis Ford Coppola, le cruel Kinds of Kindness, l'enchanteur Emilia Pérez de Jacques Audiard, et maintenant le dantesque The Substance de Coralie Fargeat. Une programmation qui traduit l'ambition de Thierry Frémaux, délégué général du Festival. “C'est si triste que la Compétition ne présente plus que des films pour le grand public et ne s'intéresse plus du tout aux vrais films d'auteur” soupire un critique suédois entre deux projections. Je crois n'avoir été que rarement autant en désaccord avec quelqu'un, tant j'imagine que la frontière est bien plus poreuse que l'on ne pense entre cinéma d'auteur et cinéma mainstream – croire le contraire m'apparaît comme une bien triste vision, salement pessimiste pour l'avenir du cinéma.
Ainsi, comme Furiosa présenté Hors Compétition le 15 mai dernier, The Substance parvient ce tour de force d'être les deux : à la fois un monstre de cinéma, taillé pour les salles pleines à craquer, et un bijou d'auteur, qui fourmille de références. Devant The Substance, je pense au Carrie de Brian de Palma (1976), mais aussi au Eraserhead de David Lynch (1977). Le premier pour ses cascades d'hémoglobine, qui viennent arroser de sublimes robes de soirées pailletées, le second pour l'exploration de ce qui fait monstrueux, dans une quête impossible d'être vue, admirée et aimée par tous. Car oui, dans ce péplum horrifique, qui n'hésite pas à passer par la comédie (et décroche ainsi une salle hilare pendant près de deux heures et demie), Fargeat réussit le tour de force de m'émouvoir, notamment grâce au personnage de Demi Moore, à la fois bouleversante et pathétique, dans une composition qui semble s'inspirer directement de sa propre vie.
Avec Revenge, son premier film sorti en 2017, Coralie Fargeat prouvait déjà qu'elle savait orchestré un excellent cinéma d'horreur féministe, à la fois pop et démesuré, dans ses couleurs, ses personnages et son récit. À cet égard, la Sue incarnée par Margaret Qualley rappelle beaucoup la Jennifer campée par Matilda Lutz dans son premier long-métrage, entre ses crop tops et ses minijupes, dans une surenchère de rose et de paillettes. Je crois que c'est ça qui me plaît, chez les personnages féminins de Fargeat : cette hyper-féminité presque outrancière, qui reprend tous les codes du regard masculin au cinéma, pour mieux les disloquer (sans mauvais jeu de mots). En résulte des œuvres nouvelles aux récits largement politiques, comme a pu l'être Revenge, et comme l'est indéniablement The Substance, porté par une Demi Moore comme on ne l'avait jamais vue.
Dans The Substance, Demi Moore est Elisabeth Sparkle, une actrice vieillissante dont le succès d'antan lui file entre les doigts, symbolisé par les altérations que subit son étoile sur le célèbre “Walk of Fame” de Los Angeles (dont un ignoble jet de ketchup, annonciateur des hectolitres de sang à venir). Dès les premiers instants, on le devine : Coralie Fargeat n'est pas là pour faire un cinéma subtil. Revenge ne l'était guère, The Substance ne le sera pas davantage. Mais c'est là l'un des éléments les plus séducteurs de son film, à la fois direct et percutant, qui attrape ses spectateurs à la gorge pour ne plus les lâcher. Dans le son comme dans l'image, The Substance est trop. Trop intense, trop violent, trop horrifique. Et on en redemande. Les seuls instants de répit que la cinéaste accorde à son public sont ceux qui se nichent au cœur de l'intimité d'Elisabeth Sparkle, rongée par une viscérale haine d'elle-même. À mesure que le film avance, et qu'elle se plonge corps et âme dans l'expérience « The Substance », Elisabeth donne naissance à une version “améliorée” d'elle-même, sous les traits de Margaret Qualley. L'actrice devient alors une ombre recluse dans les ténèbres de son luxueux appartement, un fantôme à l'allure inquiétante et au regard accablé. Lolita Mang.
……………………………………………………….
Le deuxième film de la Française Coralie Fargeat, "The Substance", reçoit le prix du scénario au 77e Festival de Cannes. Un joli prix mais qui ne reflète en rien la créativité du film et l'interprétation passionnée de son actrice, Demi Moore.
Pour son deuxième film et sa première fois en compétition à Cannes, la Française Coralie Fargeat reçoit le prix du scénario des mains du jury présidé par Greta Gerwig. Une belle récompense pour cette cinéaste qui fait tourner les têtes des festivaliers avec son trip halluciné, The Substance. Seulement, on était en droit d'espérer bien mieux tant ce long métrage, sur les injonctions faites aux corps des femmes, nous a scotché.
L'histoire suit Elizabeth Sparkle (Demi Moore), une star hollywoodienne constamment renvoyée à son image dans une industrie qui n'épargne rien aux actrices. Pour se libérer de cette violence, Elizabeth souscrit à une expérience : The Substance. Avec une simple injection, elle a la possibilité de voir naître une meilleure version d'elle-même - plus jeune, plus belle, plus forte -, (Margaret Qualley) à condition de revenir tous les sept jours dans son ancien corps.
Ce « body horror » féministe, qui ne connait aucune limite, se tient sur un concept malin et fait l'économie des mots pour mettre le paquet sur les images - toutes minutieusement travaillées et inspirées par les obsessions cinéphiles de la réalisatrice. Dans The Substance, on retrouve du Stanley Kubrick avec Shining, mais aussi du David Cronenberg (La Mouche), du Brian De Palma (Carrie) et même du Paul Verhoeven.
Si le prix du scénario n'est pas à prendre à la légère, il ne reflète pas le travail impressionnant de la cinéaste qui a su créer un univers coloré et décadent au service d'une mise en scène inspirée. Surtout, il ne salue pas l'interprétation phénoménale de son actrice principale, Demi Moore.
Star ô combien populaire - notamment dans les années quatre-vingt-dix -, l'icône hollywoodienne n'hésite pas à égratigner son image et à pousser tous les curseurs pour répondre aux exigences et à la folie de la réalisatrice. À la fois drôle, touchante et forcément terrifiante, elle se réinvente totalement à l'écran - chose rare pour une actrice qui a, derrière elle, près de quarante ans de carrière.
On aurait même pu rêver d'un double prix d'interprétation pour Margaret Qualley qui impressionne, à son tour, pour sa physicalité. Mais la vie de The Substance ne fait que commencer. Ce prix de scénario n'est que le début d'un long voyage pour ce film qui risque de renverser de nombreux festivals sur son passage jusqu'à sa sortie en salle. Thomas Desroches.
……………………………………………………….
Avec son long-métrage d'horreur jouissivement gore et maximaliste, la réalisatrice française filme le corps féminin jusqu'à l'écœurement.
Dennis Quaid, incarnant un producteur nommé Harvey, urine bruyamment en passant un coup de fil. En très gros plan, il hurle des horreurs sexistes а propos de la présentatrice de son émission, Elizabeth Sparkle, une star sur le déclin incarnée par Demi Moore. Un peu plus tard, alors qu'il déjeune avec elle et lui fait comprendre qu'il compte la remplacer par quelqu'un de plus jeune, la caméra se fixe sur sa bouche, couverte de mayonnaise, engloutissant des crevettes avec une voracité répugnante.
Le son amplifié agresse nos tympans, les couleurs vives assaillent nos rétines et les gros plans sont tellement resserrés qu'on a peur de se prendre un postillon. On est encore loin du climax sanglant et purulent prévu deux heures plus tard. Mais Coralie Fargeat annonce déjа la couleur: le film que l'on s'apprête а regarder n'est pas lа pour être subtil.
En compétition pour la Palme d'or du Festival de Cannes 2024, The Substance est un film d’horreur jouissif et outrancier, qui transgresse toutes les règles, y compris celles du bon goût et souligne au marqueur fluo le rapport complexe qu'entretiennent les femmes avec leur propre corps. Sa présentation а Cannes, un dimanche soir а 22h, a été rythmée par une ambiance survoltée, ponctuée par de très nombreux applaudissements, en faisant instantanément l’une des projections les plus mémorables de l'histoire récente du festival.
Gore, grotesque, maximaliste, le film s'affranchit volontairement de toute limite et de toute logique –comment prendre au sérieux un univers où le summum de la célébrité consiste а présenter une émission de fitness? Il nous propulse dans un univers ludique et sur-signifiant, fait de symboles et de références permanentes.
Elizabeth Sparkle est une star, ou en tout cas, elle l’était. Toujours belle а 50 ans, elle anime une émission de fitness à la télévision américaine et semble de plus en plus irritée par sa propre obsolescence. Lorsqu'on lui propose de s'administrer une mystérieuse substance, qui lui permettrait de créer une meilleure version d'elle-même avec laquelle elle partagerait son temps, elle n'hésite pas longtemps.
Mais attention, il y a des règles а respecter. La matrice Elizabeth (Demi Moore) et sa version plus jeune, Sue (Margaret Qualley), ne sont en fait que deux facettes de la même pièce. Toutes les semaines, elles doivent échanger leur place, sans exception. Sauf que le désir de jeunesse d'Elizabeth, symbolisé par Sue, prend de plus en plus de place. L'ennemie, c'est elle-même.
Le premier film de Coralie Fargeat, Revenge (sorti en 2017), était un « rape and revenge » (une jeune femme est violée, puis se venge) sanglant et très polarisant. La cinéaste y déployait un regard masculin horrifiant, illustrant le mépris violent des hommes pour la protagoniste. Dans The Substance, c'est désormais la haine des femmes pour leur propre physique qui l'intéresse. Certes, tous les hommes du film sont, lа aussi, des porcs en puissance. Et vu les décennies de clichés misogynes dont le cinéma nous a gavés, on ne boude pas notre plaisir devant ces caricatures masculines toutes moins subtiles les unes que les autres.
Le patriarcat est toujours l'antagoniste du film, mais il adopte ici une forme plus sournoise, celle que les femmes sont forcées d'internaliser dès le plus jeune âge. Celle qui fait que peu importe notre âge ou notre physique, la détestation de soi est non négociable.
Pas de doute, The Substance est un film clivant, jusqu'au-boutiste dans sa forme et dans son propos. Comme dans Revenge, la réalisatrice utilise le « male gaze » comme un énième outil d’écœurement. La première partie du film est une débauche de gros plans sur des fesses parfaitement galbées, des sourires désincarnés, des pommettes sans pores et parfaitement rosies.
Mais cela n'a rien de séduisant: la beauté est tellement plastique, artificielle, qu'elle perd rapidement tout attrait. Coralie Fargeat appuie, insiste, répète son procédé jusqu’à la nausée. Et si ça vous paraît gros, voire épuisant, bravo, vous savez désormais ce que ça fait d’être inondé d'injonctions de beauté contradictoires de la naissance jusqu’à la tombe.
Si la réalisatrice tartine son film de « male gaze », c'est pour mieux le détourner par la suite. Alors que les personnages d'Elizabeth et de Sue se transforment en monstres de moins en moins glam, Coralie Fargeat reprend les mêmes procédés (gros plans, ralentis voyeuristes, découpage du corps) et en expose toute la nature grotesque.
Avec un plaisir non dissimulé, la réalisatrice s'attarde longuement sur les varices, les taches, les protubérances difformes, la peau flasque et les dents arrachées. Ça n'a plus rien de sexy, mais c'est beaucoup plus transgressif et donc fascinant.
The Substance a beau être rentre-dedans, il ne manque pas pour autant d'intelligence. Avec un humour noir décapant et parfaitement calibré, la réalisatrice tourne notamment en dérision l’étroitesse d'esprit des hommes face au physique féminin. Dans une scène jouissive, le corps décrépit et difforme de l'héroïne agit comme un repoussoir bienvenu, qui la sauve face aux avances insistantes de son voisin. Dans la vieillesse et la laideur, Elisa-Sue peut enfin s'affranchir du regard masculin.
Et si le film est effectivement un déchaînement violent de fluides corporels et d'hémoglobine, il parvient aussi а exprimer avec une rare justesse l’horreur des complexes physiques. Dans une des scènes les plus frappantes, Elizabeth revêt une tenue sexy et se maquille pour un « date ». Mais alors qu'elle s'apprête à partir de chez elle, elle pose son regard sur l'affiche géante en face de chez elle, où la plastique parfaite de Sue est exposée. Elle commence а douter d'elle. Elle se démaquille, se remaquille, se démaquille à nouveau et finit, paralysée par la honte et le sentiment d’échec, par rester cloîtrée chez elle.
Dans une autre scène, Sue, qui débordait d'assurance cinq minutes plus tôt, enfile rapidement un peignoir pour cacher son corps, lorsque l’équipe de tournage décide de revoir en replay une vidéo de ses fesses en gros plan. Dans ces moments, sans gore en vue, le film est tout aussi brutal. Il rappelle comment même la confiance en soi la plus exubérante peut s’écrouler en quelques secondes, face aux regards inquisiteurs et aux voix intérieures qui nous répètent que la moindre imperfection nous condamnera. Anaïs Bordages.
LE MAÎTRE DES ILLUSIONS
Lord of Illusions
de Clive Barker, 1995, US, 1h49, Couleurs
avec Scott Bakula, Famke Janssen, Kevin J. O’Connor…
RÉSUMÉ : 1982, désert du Mojave : Swann et ses amis libèrent une petite fille des griffes de Nix, gourou d'une secte fanatique. Contaminé par les pouvoirs du sorcier, il parvient néanmoins à le mettre hors d'état de nuire. 1995, New York : le détective privé Harry d'Amour, au sortir d'une affaire éprouvante (un cas de possession), est chargé d'une enquête de routine à Los Angeles. Mais très vite, ses investigations bifurquent dans une autre direction. Dorothea, la belle épouse de Swann (et qui n’est autre que la petite fille sauvée autrefois), charge en effet Harry d'Amour d’élucider les meurtres et disparitions dont sont victimes les anciens amis de son mari, devenu l’illusionniste le plus célèbre de la côte Ouest. Et c’est à ce moment précis que, lors de son dernier spectacle, Swann trouve une mort atroce.
POINTS DE VUE : En France le film était demeuré inédit en salles, avant d’être exploité tardivement en vidéo. Lord of Illusions est le troisième long métrage de l’écrivain anglais Clive Barker, et le dernier à ce jour. Il succède à Hellraiser (1987) tourné en Angleterre et à Cabal (1990) qui connut de nombreux déboires d’écriture, de production et de distribution, malmené par la Twentieth Century Fox. Lord of Illusions est le premier film entièrement américain de Barker. Ce sera un nouvel échec commercial, à son tour mutilé et remanié, cette fois-ci par la MGM. Lord of Illusions a entériné les difficultés rencontrées par Barker pour transposer à l’écran les univers fantastiques de ses romans. Difficultés plus économiques qu’artistiques. Hellraiser fut un succès surprise à la fois critique et public. Les débordements pervers et sadiques de l’écrivain réalisateur s’accommodaient d’un budget très modeste, dans la tradition du cinéma d’exploitation britannique ou italien. Lord of Illusions est un film de studio qui bénéficie de moyens très confortables, sans que Barker ne songe à atténuer la violence et l’étrangeté de son projet. Les effets et maquillages spéciaux sont employés de manière plus originale que dans la plupart des films de genre américains de la même période. L’action se déroule à Los Angeles et dans le désert alentours. Le film mêle des éléments de néo noir, de magie au courant « splatterpunk » et ses excès de violence malsaine qui établirent la réputation de l’écrivain. Un détective privé new-yorkais spécialisé dans les affaires relevant de l’occultisme enquête sur un célèbre illusionniste et ses liens avec un prédicateur fou, chef d’une secte de dangereux illuminés, disparu plusieurs années auparavant. Pensé comme un croisement entre Chinatown et L’Exorciste, Lord of Illusions est loin d’égaler ses modèles mais se révèle une bonne surprise. D’abord par la liberté que Barker prend avec le scénario traditionnel, en déployant un récit ambitieux aux nombreuses circonvolutions. Ensuite par la fidélité à ses obsessions littéraires, notamment la douleur physique et les plus incroyables altérations corporelles, qui donnent lieu à des scènes gore plutôt intenses. C’est aussi un film qui propose différents niveaux de perception de la réalité, par le biais de spectacle de magie ou d’hallucinations. Enfin, Lord of Illusions offre la part belle à un imaginaire et des fantasmes homosexuels, ce qui est assez rare dans le cinéma hollywoodien, même dans le cadre d’un film d’horreur. Clive Barker confirme avec Lord of Illusions son statut singulier d’artiste pluridisciplinaire, capable de déployer un univers fantastique complexe dans les domaines variés de la littérature, des arts plastiques, du théâtre, du jeu vidéo ou des séries télévisés. Son incursion dans le cinéma, brève mais intrigante, ne démérite pas dans ce vaste ensemble. Olivier Père.
Nix (Daniel Von Bargen) est un gourou aux pouvoirs surnaturels. Voulant mener des desseins funestes via le sacrifice d'une enfant, ll se fait maitriser et enterrer vivant par son disciple Swann (Kevin J. O’Connor). Plusieurs années après, Swann devient un magicien renommé. Mais les survivants de la secte veulent à tout prix la résurrection de Nix.
Clive Barker demeure au fil des ans un artiste complet. Ecrivain, auteur de pièces de théâtre, scénariste, réalisateur. En 1995, il possède un énorme succès cinématographique à son actif : HELLRAISER, la production réussie de CANDYMAN et un semi-ratage ayant connu pas mal de déboires, CABAL. Arrive alors la production de LORD OF ILLUSIONS qui rencontra un succès d'estime, pas suffisant cependant pour le voir arriver en salles françaises.
Curieux, ce LORD OF ILLUSIONS. Une mixture ambitieuse, croisant film noir, fantastique, horreur tendance parfois gore. et triangle amoureux à multiples variations. Le film connut une distribution en salles dans quelques pays, dans une version d'1h49, puis d'une version plus fournie en dialogues et développement de personnages de plus de 2 heures. Clive Barker développe un film charnel, complexe, pénétrant la chair à la manière de Cronenberg. En tentant de donner vie à la pellicule même par instants. ce qui rappelle l'approche visuelle viscérale d'un Peter Greenaway qui tordait déjà l'image dans PROSPERO’S BOOK, par exemple.
Barker veut horrifier son monde. L'auteur souhaite de ce fait employer tous les moyens possibles pour un tel projet soutenu par une major. Donc exit les extravagances créatives et limites de l'insoutenable qu'il balance dans ses livres. Il brouille l'ensemble, élime la frontière entre réel et fiction, brasser les influences, rendre les tensions ambiguës. Ce qui pose cependant plusieurs problèmes d'écriture. Le récit amorce plusieurs pistes et présente de multiples personnages secondaires et tertiaires, pour les abandonner quasiment aussitôt. Une forte odeur de qui trop embrasse mal étreint parcourt le film de petites secousses. D'autres éléments viennent parasiter l'ensemble, comme ce ridicule baiser entre d'Amour et Dorothea, qui ressemble plus à un gage donné au distributeur pour céder au cahier des charges obligatoire de la romance à l'écran. Ceci apparait ici totalement superficiel et inutile au récit. D'autant que cela réduit Famke Janssen à un rôle de femme-trophée translucide qui doit être sauvée par le détective tous poils dehors de service.
Il existe par ailleurs une dimension éminemment « queer » dans LORD OF ILLUSIONS. Un aspect de la personnalité de Clive Barker mise en retrait par certains, mais qui transpire de son œuvre. Ici un gourou qui revient d'entre les morts-vivants car son protégé l'a trahit. Non pas parce qu'il l'a expédié « ad patres » ou autre, juste que son plan de passer le temps en sa compagnie après avoir fait table rase de l'humanité, est tombé à l'eau. Swann a changé d'avis pour, au final, épouser l'enfant qu'il sauvé d'une fin sado-maso du plus bel effet. Une dynamique qui n'est pas sans rappeler celle du psychiatre fou de CABAL jouant avec l'esprit du monstre-homme Boone. Egalement, en plus de la manière de décrire un Scott Bakula Bogarto-sexué, Swann choisit de parsemer son spectacle de danseurs à moitié nus bardés de cuir. Comme une sorte de prolongation des délires fétichistes de Mappethorpe passé à travers une grille de lecture sado-sanglante de Barker, via bien sûr le sex-symbol que Pinhead était devenu entre temps. Mais comme à son habitude, ces sous-courants homosexuels traversent des remous de violence et de marque négative. Ici un duo improbable entre un disciple « glitter » aux courts shorts moulants (Butterfield «champ de beurre» en traduction littérale. Hasard?) pétri de dévotion quasi amoureuse envers Nix et un skinhead increvable.
À défaut de maitriser sa narration, Barker excelle dans la mise en images de pièces d'ensemble. Qu'il s'agisse du numéro de Swann, perclus de couleurs gothiques et de suspense tranchant. Ou du final apocalyptique aux corps engloutis par le sol, il y a développe un sens du macabre aux teintes fortement surréalistes.
Le mélange de film noir et d'horreur avait déjà touché le très surestimé ANGEL HEART. Barker livre ici une œuvre imparfaite, parfois bancale mais tellement riche en thématiques et en volonté de nuire à la tranquillité du spectateur qu'on ne peut que le remercier. Il essaye de remodeler l'horreur pour les années 90, mais n'y arrive que très partiellement. Malgré un budget supérieur et une avalanche d'idées, LORD OF ILLUSIONS n'arrive pas à égaler l'horreur crue d'un HELLRAISER, bien plus transgressif et poisseux. Maintenant, il serait dommage de se priver de voir ce film mésestimé. Francis Barbier.
LE MORT-VIVANT
Dead of Night
de Bob Clark, 1972, Canada/GB/US, 1h25, couleurs
avec : John Marley, Lynn Carlin, Henderson Forsythe…
RÉSUMÉ : Tenu pour mort au Vietnam, un jeune soldat va pourtant revenir en pleine nuit chez ses parents, fous de joie de retrouver le fils qu'ils croyaient disparu à jamais. Le bonheur de ces retrouvailles va pourtant tourner court tant le comportement du jeune homme se montre étrange : Andy ne mange pas, ne bois pas, et n'affiche qu'une terrible froideur émotionnelle. Pendant ce temps, des meurtres sont commis dans cette paisible petite ville d'Amérique ...
POINTS DE VUE : Jouant avec brio avec la mythologie du mort-vivant, Dead of Night est une œuvre lugubre et politique qui dynamite son pitch de série B avec un ton grave et dépressif. Le script ingénieux d'Alan Ormsby et la mise en scène habitée de Bob Clark (qui nous a livré le démentiel Black Christmas) en ont fait une pièce essentielle du cinéma fantastique corrosif des années 70.
« Dans un genre zombie usé jusqu’à la moelle, les films originaux qui jouent intelligemment avec cette mythologie sont rares. Donc profitons-en ! ». François Theurel.
Contredisant l’annonce officielle de sa mort par l’armée, un jeune appelé rentre chez ses parents. Le bonheur de retrouvailles est de courte durée. Andy a bien été tué au Vietnam et s’est transformé en créature insensible et assoiffée de sang, qui a besoin de tuer pour éviter la décomposition de son enveloppe charnelle.
Le Mort-vivant (Dead of Night, 1974) délaisse la mythologie du non-mort, telle qu’elle avait pu être illustrée dans la littérature et le cinéma gothiques, ou les rêveries poétiques de Jacques Tourneur. Le film de Bob Clark s’inscrit dans la tendance critique du nouveau cinéma fantastique des années 70, amorcée dès 1968 par La Nuit des morts vivants de George A. Romero, jalon capital dans l’évolution d’un genre désormais voué à l’exploration des limites de la représentation cinématographique mais aussi à la contestation et à la satire sociale. Baignant dans une ambiance lugubre, peinture de l’ennui et des névroses provinciales, Le Mort vivant étudie la condition de zombie comme un double symptôme. Symptôme de l’hystérie de la mère du jeune défunt qui refuse la mort de son fils au combat et provoque sa résurrection sous la forme d’un monstre affamé et froid ; symptôme de la mauvaise conscience d’une nation qui envoie ses enfants se faire tuer au Vietnam et subit l’après-coup traumatique de leur retour. Le film possède la particularité de reconstituer six ans plus tard le couple formé à l’écran dans Faces de John Cassavetes. John Marley et Lynn Carlin sont en effet mari et femme dans Le Mort-vivant, et incarnent une nouvelle fois une vision malheureuse de la petite bourgeoisie pavillonnaire américaine. Ils sont tous les deux remarquables, et renforcent par leur jeu l’hyperréalisme souhaité par le réalisateur et son scénariste Alan Ormsby, loin de l’approche parodique de leur premier film en commun, Children Shouldn’t Play with Dead Things. Le Canadien Bob Clark signe une réussite incontestable, dans un registre grave et dépressif (on songe à Martin de Romero ou aux premiers Cronenberg). Ce petit classique du film d’horreur politique est plus proche du dolorisme masochiste que de la violence militante. Olivier Père.
Bob Clark est sans doute l’un des réalisateurs américains dont la redécouverte de la filmographie réserve le plus de surprises, au point où on finit par se dire qu’il n’a pas la moitié de la reconnaissance qu’il mériterait, non qu’il soit seulement victime d’une injustice ou de l’ingratitude des cinéphiles, tant il se sera largement sabordé par des choix absolument incompréhensibles après un brillant début de carrière. Celui qui découvrira New York Cowboy (1984), Les P’tits génies 1 et 2 (1999/2004) ou encore Karate Dog (2005) sera tout à fait légitime à penser que le metteur en scène derrière ces improbables nanars est aussi médiocre que le contenu de ces films. En vérité, la filmographie de Bob Clark pose une question à laquelle nous sommes souvent confrontés lorsque l’on juge une filmographie: faut-il la considérer dans son intégralité et la réduire à la note moyenne de l’ensemble de ses films ou n’est-il pas plus pertinent et plus juste, de regarder d’abord quels en sont les sommets? L’auteur de ces lignes a toujours préféré cette seconde approche. La carrière d’un réalisateur peut basculer pour des raisons qui ne dépendent pas que de son talent et il n’est par ailleurs pas infamant de considérer que certains réalisateurs n’ont peut être en eux qu’un deux ou trois grands films, sans qu’il faille ensuite les vouer aux gémonies pour avoir voulu continuer à travailler sur des projets moins personnels.
Le fait est que, quels que furent ses errements, Bob Clark a réalisé deux films qui sont des références dans leur genre et qu’il aura certainement pâti d’être dans l’ombre de deux géants qui ont préempté le genre dans lequel ils se sont révélés. S’il a crée le genre du slasher avec Black Christmas (1974), ce titre est généralement décerné à John Carpenter pour l’immense succès public et artistique d’Halloween. De même, avec Le Mort Vivant (1974), avant même George Romero (La Nuit des Morts Vivants n’ayant pas, de notre point de vue, un sous-texte politique aussi fort que ses itérations), Bob Clark se servait du film de zombie pour porter un propos résolument politique et, en l’occurrence, une critique de la guerre du Vietnam. C’est par ailleurs sur ce film que débuta le légendaire Tom Savini avant de collaborer avec George Romero sur Martin, Zombie et Le Jour des Morts Vivants. Quatre ans avant Voyage Au Bout de L’Enfer (Michael Cimino, 1978) ou encore Coming Home (Hal Ashby, 1978), Le Mort Vivant est l’un des premiers films à traiter des conséquences de la guerre du Vietnam sur ses soldats et leur famille, à montrer l’impossible retour à une vie normale de soldats revenus de l’enfer. Passée par le prisme du film de zombie, l’allégorie est particulièrement pertinente, confirmant ce que beaucoup de cinéastes actuels ont oublié: un film de genre ne perd pas de sa force, bien au contraire, en s’ancrant dans son époque et en portant un regard sur celle-ci.
Au moment de la sortie du film, en 1974, les derniers soldats américains sont rentrés au pays depuis plusieurs mois suite à la signature des accords de Paris mettant fin à l’engagement des troupes américaines. Au drame des familles qui ne verront jamais revenir leurs proches s’ajoute un drame plus silencieux, celui d’hommes à jamais changés/brisés par le conflit, dont une partie d’eux-mêmes a été perdue au Vietnam, qui reviennent étrangers à eux-mêmes et à leurs familles, prisonniers d’un syndrome post-traumatique face auquel la société se montre impuissante quand elle ne ferme pas les yeux. Le récit d’Andy et du drame vécu par sa famille, fut-il traité par le genre, est donc le récit de milliers de familles brisées par la guerre. Le scénario ancre solidement le récit dans la réalité sociologique de l’époque dans la façon dont il représente les parents d’Andy : une mère aimante et protectrice, un père patriote et autoritaire, soucieux de voir son fils ne pas se soustraire à ses obligations militaires et devenir un « vrai homme ». Si les dialogues vont à l’essentiel et que le tableau paraît, de fait, un peu caricatural, la grande chance du film de Bob Clark est de pouvoir s’appuyer sur des excellents acteurs, loin de ceux qui semblent cantonnés aux films de genre. Les parents d’Andy sont en effet interprétés par John Marley et Lynn Carlin, déjà mari et femme devant la caméra de John Cassavetes (Faces, 1968), qui incarnent un couple parfaitement crédible et donnent de l’épaisseur à des personnages dont seules les grandes lignes sont écrites.
Le film s’ouvre sur la mort d’Andy (Richard Backus), tué au combat, alors qu’il restait sans réaction après avoir vu mourir sous ses yeux l’un de ses camarades. La bascule du drame vers le fantastique va s’opérer avec la réapparition d’Andy, quelques heures après qu’un officier de l’armée ait annoncé sa mort à ses parents. Sur une trame de départ classique de drame familial, le film s’ancre solidement dans son époque et dans les enjeux de cette famille dans laquelle Andy revient alors que tout espoir s’était envolé. Richard Backus, acteur venu du théâtre, dont ce sera le seule et inoubliable apparition au cinéma, entretient parfaitement l’ambiguïté sur ce jeune homme incapable de reprendre sa place dans sa famille, étranger aux siens et à lui-même, qui s’isole de plus en plus, jusqu’à rejeter celle (sa petite amie) et ceux qui l’aimaient. Dans un rôle quasiment muet, il parvient par son regard à faire ressentir toute la rage qui gronde et qui monte derrière son état quasi neurasthénique. Le film montre aussi le fossé générationnel et l’incompréhension qui existe avec les anciens combattants de la seconde guerre mondiale. Le basculement dans le genre est progressif et subtil, laissant toute la place au propos sur la mort psychologique de ces hommes revenus d’une guerre à laquelle ils n’étaient pas préparés. Le seul point faible de cette partie demeure l’interprétation de Cathy (Anya Ormsby) enfermée dans un sur-jeu qui parasite singulièrement plusieurs scènes.
La transformation psychologique précède la lente transformation physique qui apparaît alors comme la matérialisation ultime de l’humanité qui a définitivement quitté Andy durant cette guerre. Le travail de Tom Savini dont c’était donc les grands débuts est subtil et donc totalement convaincant, laissant le malaise s’installer dans notre esprit face à la lente décomposition mentale et psychique d’Andy et les derniers doutes se lever sur ce qu’il est advenu de lui au Vietnam. Tout en basculant pour de bon dans le genre, le film ne trahit jamais sa nature et son propos et le drame familial s’invite jusqu’au bout dans le film de zombies, jusqu’à une fin inoubliable, parmi les plus marquantes que le genre n’ait jamais produit. Film précurseur et engagé, Le Mort-Vivant est un drame puissant qui invite à la réflexion, autant qu’un excellent film de genre qui comblera les amateurs les plus exigeants. Fabrice Sayag.
Le réalisateur Bob Clark et le scénariste Alan Ormsby font leur première œuvre commune avec une petite production tournée en Floride : CHILDREN SHOULDN’T PLAY WITH DEAD THINGS, inspiré par LA NUIT DES MORTS-VIVANTS. Aussitôt après, ils se remettent au travail, sur LE MORT-VIVANT, à nouveau écrit par Alan Ormsby et dirigé par Clark. En tête du casting, on trouve deux comédiens récemment nominés aux Oscars, à savoir Lynn Carlin (FACES de John Cassavetes...) et John Marley (LOVE STORY, FACES...). Pour le rôle d'Andy, on a repéré au théâtre le jeune Richard Backus, lequel ne va pas vraiment, par la suite, faire sa carrière au cinéma. Si Alan Ormsby s'est chargé de la plupart des travaux de maquillage, il n'est pas cité au générique à ce poste, auquel est crédité son jeune assistant Tom Savini, avec Romero sur MARTIN, puis ZOMBIE. On remarque encore un directeur de production nommé John Bud Carlos, appelé à devenir réalisateur par la suite (L’HORRIBLE INVASION...).
Un officier de l'armée américaine apporte à la famille Frost une sinistre nouvelle : leur fils et frère Andy est mort au combat, durant la guerre. Sa mère Maria, sous le choc, refuse de croire le messager. Et elle semble avoir eu raison puisque, la nuit même, Andy revient à la maison. Toutefois, son comportement s'avère des plus étranges : il ne s'alimente pas, passe ses journées à se balancer sur un rocking chair et se montre d'une rare froideur. Qui plus est, un routier a été assassiné le soir de son retour, semble-t-il par un mystérieux soldat...
La sortie du MORT-VIVANT, en 1974, se fait peu après le désengagement officiel des troupes américaines du Vietnam. Les films dénonçant cette guerre sont alors rares, la plupart étant des œuvres politiques peu commerciales (le film collectif français LOIN DU VIETNAM) ou des critiques déguisées (MASH, dont l'action s'inscrit durant la guerre de Corée). Il faudra attendre la fin des années 1970 avec, coup sur coup VOYAGE AU BOUT DE L'ENFER et APOCALYPSE NOW, pour que le cinéma américain commence un réel travail sur cette période. Bob Clark et Alan Ormsby, même s'ils ne désignent jamais directement le conflit vietnamien, signent donc une œuvre en avance sur son époque, en traçant le portrait d'une famille détruite par la perte d'un jeune fils.
Lorsque celui-ci revient d'entre les morts, suite aux prières déchirantes de sa mère, il est devenu un être lisse, détaché, mélancolique et désabusé, un personnage que les choses de la vie ne semblent pas concerner, et qui ne se plie à la comédie des vivants que pour consoler sa famille. Andy est aussi un personnage amer, rancunier, se retrouvant dans une petite ville américaine paisible et tranquille, au milieu des hommes et des femmes pour lesquels il s'est battu et a traversé l'enfer. Son retour parmi les vivants ne résoudra rien : démoli, dans tous les sens du terme, par l'expérience inhumaine de la guerre, il ne peut plus cohabiter avec les vivants, ne peut plus partager leurs préoccupations banales, et la famille Frost, faute d'avoir accepté d'assumer son deuil, va plonger dans une crise inextricable.
Si toute cette partie liée au retour d'Andy est extrêmement réussie, notamment grâce à l'interprétation glaciale et tragique de Richard Backus, l'intrigue horrifique qui l'accompagne est déjà moins convaincante. Mêlant allègrement zombification et vampirisme, LE MORT-VIVANT tend alors à se limiter à un suspense laborieux, dont les séquences de terreur s'avèrent d'une lenteur pénible (la clinique), les rebondissements se révèlent prévisibles, et la mise en scène est peu variée.
Heureusement, LE MORT-VIVANT se conclut sur un dénouement plutôt nerveux, au cours duquel Andy, évoluant vers l'état de cadavre en pleine décomposition, sème la terreur dans la ville et devient, en fin de compte, un personnage fantastique et pathétique, qui pourrait pousser une exclamation lucide proche de celle de Boris Karloff à la fin de LA FIANCÉE DE FRANKENSTEIN : "Nous faisons partie des morts !"
S'il rappelle d'autres mélodrames mettant en scène un zombie (LE MORT QUI MARCHE de Michael Curtiz, par exemple), LE MORT-VIVANT annonce aussi d'autres drames fantastiques dans lesquels on tente de faire revenir les morts contre leur gré (ZEDER, SIMETIERRE...). De même, en filigrane, il anticipe toute la vague de films américains mettant en scène le malaise des vétérans du Vietnam (TAXI DRIVER, RAMBO...). Cette œuvre intéressante allait être présentée au quatrième Festival International de Paris du Film fantastique et de Science-Fiction (qui se tenait cette année-là au Palais des Congrès) et y recevoir le prix du « scénario le plus original », avant d'être distribué en salles dans notre pays. Emmanuel Denis.
VIERGES POUR LE BOURREAU
Il Bola Scarlatto
de Massimo Pupillo, 1966, Italie/US, 1h27, Couleurs
avec Mickey Hargitay, Walter Brandi, Alfredo Rizzo…
RÉSUMÉ : Daniel Parks organise un shooting photo dans un vieux château laissé à l'abandon. Il investit les lieux avec son équipe et des évènements inquiétants commencent à se produire. Il semblerait en effet qu'un meurtrier extrêmement cruel habitait autrefois entre ces murs...
POINT DE VUE : il nous importe d’évoquer ici ce sommet rarement égalé du cinéma idiot qu’est Vierges pour le bourreau. Si vous aimez les acteurs cabotins ou ectoplasmiques, les couleurs criardes et les noirs et blancs blafards, les maquillages granuleux et les effeuillages de starlettes, vous adorerez l’épouvante à l’italienne. À la remorque du trio gagnant du fantastique transalpin (Mario Bava, Riccardo Freda, Antonio Margheriti) proliférèrent dans les années 60 une série de films naïvement inspirés par le folklore gothique : cryptes humides, savants fou, monstres poilus et vampires lubriques sont les ingrédients réguliers de ces bandes mal famées et mal fagotées qui ignorent le juste milieu et les règles élémentaires du bon goût. Mention spéciale à L’Orgie des vampires (Il mostro dell’opera) de Renato Polselli et ses répétitions de music-hall dans un vieux théâtre lyrique hanté par un descendant lointain de Dracula si mes souvenirs sont exacts. Un autre moment fort de la série B (voire Z) italienne nous attend avec Vierges pour le bourreau (Il boia scarlatto, 1965) de Massimo Pupillo (sous le pseudonyme anglo-saxon de Max Hunter) figure au panthéon des amateurs de films bizarres et excessifs. Dans Vierges pour le bourreau, Mickey Hargitay, culturiste américain d’origine hongroise marié six ans à Jayne Mansfield et reconverti dans le cinéma de quartier (Les Amours d’Hercule, Lady Frankenstein) tourmente une équipe de photographes et de modèles en tournage dans son château pour mettre en scène des couvertures de romans d’épouvante. Une fille ligotée est tuée par une araignée géante (en mousse), sans logique aucune. C’est le regretté Carlo Rambaldi encore à ses débuts qui se chargea des effets spéciaux, assez risibles. Hargitay campe un aristocrate dégénéré qui se prend pour la réincarnation de son aïeul, un bourreau médiéval réputé pour son sadisme. Il faut le voir gonfler ses muscles, torse nu et coiffé d’une cagoule rouge et hurler à tue-tête en roulant des yeux « sono il boia scarlatto ! » pour effrayer ses victimes suppliciées. Au-delà de la surprenante mise en abîme proposée par le film, retranscription probante à l’écran de l’univers des bandes dessinées pour adultes et des romans-photos sexy, nous goûtons ici aux délices du mauvais cinéma, candide, bariolé, mais sans intentions parodiques et surtout sans complexes. Olivier Père.
MASSACRES DANS LE TRAIN FANTÔME
The Funhouse
de Tobe Hooper, 1981, US, 1h36, Couleurs
avec Elizabeth Berridge, Shawn Carson, Jeanne Austin…
RÉSUMÉ : C'est la fête ! Un parc d'attraction vient de s'installer en ville. Quatre adolescents délurés décident de passer la nuit à l'intérieur du manège le plus imposant de la fête : un mystérieux train fantôme. Alors que le parc ferme, les ennuis commencent pour nos quatre héros.
POINT DE VUE : Massacres dans le train fantôme (The Funhouse, 1981) est le premier film de Tobe Hooper réalisé pour un studio hollywoodien, en l’occurrence Universal, célèbre pour ses productions fantastiques dans les années 30. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’on considère que Hooper entend faire de ce nouveau long métrage un véritable récapitulatif de l’histoire du cinéma d’horreur, un catalogue de la monstruosité au cinéma. Hooper truffe son film de clins d’œil, de citations et de références cinéphiliques, dès la scène d’ouverture qui cite à la fois Halloween de John Carpenter et Psychose d’Alfred Hitchcock, deux titres séminaux de l’horreur moderne, avec une virtuosité technique qui n’a – presque – rien à envier à Brian De Palma. Massacres dans le train fantôme se caractérise par ses amples mouvements de caméra, une mise en scène et une photographie très sophistiquée. L’utilisation du format Panavision et du Technicolor apporte une nouvelle dimension et une certaine brillance au style de Hooper, qui ne renonce pas pour autant à son goût pour les détails malsains et sales, une violence et des allusions sexuelles bien plus explicites que dans d’autres films fantastiques américains de l’époque.
La monstruosité qui intéresse Tobe Hooper est bien sûr humaine, tapie aussi bien dans les recoins sombres de l’inconscient, symbolisée par la fête foraine, qu’au cœur de la vie quotidienne de banlieusards américains – les parents des jeunes protagonistes, brièvement présentés comme des épaves hargneuses et éthyliques, hypnotisées devant l’écran de la télévision.
Tobe Hooper a souvent décrit des familles dégénérées, soudées par les liens du sang et des pulsions meurtrières aussi incontrôlables que jouissives. The Funhouse est un prolongement de son célèbre Massacre à la tronçonneuse – comme le souligne le titre français – mais aussi du Crocodile de la mort, situé dans une fête foraine, avec une ambiance onirique très réussie. Les scènes d’introduction sont les plus réussies : la présentation du luna-park, avec ses lumières criardes et ses attractions un peu minables, ses forains vulgaires et inquiétants fascinent davantage que les personnages de méchants ou les scènes de suspense. Ces visions grotesques annoncent la suite de Massacre à la tronçonneuse, réalisée en 1986 et conçue comme un tour de grand huit sanguinolent dans un train fantôme.
The Funhouse dresse aussi le portrait original d’un être monstrueux, à la fois victime pathétique et assassin brutal, version triviale du fantôme de l’opéra et des « freaks » de Tod Browning. Sa confrontation avec la frêle et virginale héroïne est lourde de tension sexuelle.
Echec à sa sortie, Massacres dans le train fantôme a acquis au fil des années le statut mérité de grand film bizarre vénéré par les amateurs de cinéma fantastique postmoderne. Olivier Père.
COMMENTAIRE : 13 Mars 1981 : Universal lançait un nouveau film d'horreur sur le marché américain : THE FUNHOUSE. Le tout premier enregistré en Dolby Stereo à être sorti par une major hollywoodienne. Une accroche singulière : « Payez pour entrer, priez pour en sortir », un film annonce accrocheur… et des résultats en demi-teinte. La sortie française, sous le titre MASSACRES DANS LE TRAIN FANTOME, afin de titiller le spectateur via le MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE du même réalisateur même pas encore sorti mais déjà culte (il sortira au cinéma près d'un an après en France), se fera le 13 juin 1981, pour y rencontrer là aussi un succès médiocre.
Le générique annonce la couleur : le film va osciller entre le grotesque et la peur. La musique démarre avec un carrousel de foire qui dévie vers une mélodie plus puissante et insidieuse. Les vignettes des créatures du train fantôme viennent appuyer le ton qui sera pris tout au long du film. Tobe Hooper, qui vient d'être remercié sur le tournage de THE DARK (repris au pied levé par John Bud Cardos), a deux métrages à son actif. Son fameux MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE et son CROCODILE DE LA MORT. THE FUNHOUSE représente le pied à l'étrier d'une major hollywoodienne comme pour beaucoup de réalisateurs de sa génération. Comment négocier un virage plus grand public alors que ses précédents films représentaient une indépendance de créativité et une certaine liberté ?
Cela passe d'abord par le chemin du clin d'œil. La première scène s'avère un hommage au HALLOWEEN de John Carpenter (qui lança la mode du « slasher » du fait de son succès), pour se poursuivre avec la scène de douche de PSYCHOSE, dont les violons stridents appuient le concept. Tout ceci n'aboutit qu'à un jeu macabre de Joey (Shawn Carson) tentant de terroriser sa sœur Amy (Elizabeth Berridge). Amy a d'ailleurs rendez-vous avec ses amis pour une soirée dans une foire ambulante. Une foire inquiétante qui a, par le passé, fait surgir des cadavres. Mais le petit groupe décide quand même d'y entrer, voire même d'y passer la nuit.
La structure du scénario reste bien ancrée dans une typologie très années 80 du film d'horreur. À savoir un groupe d'amis poursuivis par un tueur/monstre, la volonté de conclure une relation sexuelle, de fumer des joints, de braver l'interdit. Et si possible de ne pas tenir compte des avertissements que quelques personnages peuvent donner : Tout d'abord les parents d'Amy qui, tout en regardant LA FIANCÉE DE FRANKENSTEIN, lui parlent des meurtres autour de la foire, puis la clocharde dans l'enceinte de la foire avec son « Dieu vous regarde ! » pendant qu'Amy et Liz discutent de la virginité de la première.
Le film devient beaucoup plus intéressant dans sa mise en image d'un scénario somme toute routinier. Tobe Hooper a choisi plusieurs éléments afin de créer une dimension cauchemardesque tout en essayent d'éviter le piège des personnages transparents. Tout d'abord, un choix visuel. Les scènes d'extérieur ont été tournées en lumière naturelle. Voir les scènes finales, au lever du jour, qui donnent une teinte blafarde, presque irréelle au décor de la foire. La foire en elle-même, ensuite : il s'agit de véritables manèges de province américaine, d'Akton, Ohio. Ils furent démontés et remontés dans le nord de la Floride pour les besoins du tournage. Aussi, le spectateur se prend curieusement à avoir pitié de l'enfant qui évolue du stade de monstre de foire au visage hideux en monstre quasi-mythologique, sorte de minotaure des temps modernes, traquant ses victimes dans le labyrinthe des couloirs du Train Fantôme. Hooper ne le décrit pas comme mauvais par nature, mais de par la culture qu'il reçoit. De l'humiliation, des coups, du refus de son statut de fils par son père. On l'entend péniblement murmurer « Père », mais celui-ci finit par lui faire rentrer dans la gorge ce mot qu'il ne peut/veut pas entendre. Jusqu'à ensuite se frapper sa propre tête dans un accès de démence. Hooper utilise son goût de la distorsion familiale (le berceau de MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE), du « redneck » du fin fond des états bouseux américains (voir LE CROCODILE DE LA MORT, mais aussi quelques réminiscences dans son décrié CROCODILE) pour créer son ambiance relationnelle pervertie, qui joint le mythe de FRANKENSTEIN auquel le monstre fait inévitablement penser. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard, tant tout d'abord la chambre de Joey possède une affiche avec Boris Karloff, les parents regardant la séquelle tournée par James Whale et le monstre portant un masque de la créature de Frankenstein afin de masquer son infirmité faciale. Curieux retournement de situation, d'ailleurs, de prendre le masque d'un monstre afin de ne pas dévoiler sa propre monstruosité. La notion de famille demeure extensible, aussi. Le père reprochant au fils de s'attaquer à « l'un des leurs » (ceux de la foire). Ce qui peut rappeler FREAKS, sans pour autant mettre chacun dans le même sac.
Les effets du spéciaux du film, à commencer par le masque du monstre, ont été effectués par le maître, Rick Baker (avec l'aide de Craig Reardon). Le grand challenge étant bien sûr de créer un visage monstrueux, crédible et inspirant une sorte de pitié surréaliste. Couplée à l'interprétation parfois dérangeante du mime qui incarne le monstre (Wayne Doba). Enfin, dernier élément, cette fête foraine inquiétante qui vire au cauchemar. Des éclairages travaillés à chaque plan, parsemés de couleurs gothiques allant du rouge saturé au vert glauque. Un emploi généreux du format Scope, avec un sens du détail qui étonne tant le train fantôme est sujet aux recoins gorgés de créatures, de semi ténèbres et de bruits étranges.
Comme annoncé, le film balance entre le grotesque et le macabre. Par exemple la scène du magicien (24ème minute), pathétique numéro au maquillage tiré pour magicien fatigué. Hooper installe un jeu permanent, faisant du spectateur du film et des acteurs des complices de ce qui se passe sur la scène/sur l'écran. Chacun sait le fondement surréaliste de la scène, mais chacun y assiste, de gré, à la fois pour en rire et (peut être) en avoir peur au final – peur que chacun espère au fond de lui. De cela, Tobe Hooper en tire un conte de terreur moderne, sachant escalader les frissons jusqu'au pic final.
Les personnages ressemblent à la multitude de teenagers en voie de boucherie terminale qui ont pullulé sur les écrans américains ces années-là. Quelques scènes donnent la singulière impression d'un petit plus. Quand Buzz (Cooper Huckabee) est présenté comme le beau gosse sans cerveau, Tobe Hooper le montre à plusieurs reprises comme étant moins brut de décoffrage qu'il n'y parait. La conversation entre lui et Amy dans sa voiture, juste avant d'entrer dans la foire en est un exemple. Il attire plus la sympathie que le simple fait de le voir se faire dévisser la tête ce que très peu de slashers ont offerts pendant une bonne décade. Ou encore Madame Zena (Sylvia Miles, qui passe de MACADAM COWBOY à HEAT jusqu'à Tobe Hooper !), une voyante au faux accent transylvanien, un peu prostituée, un peu trop fardée mais avec un pouvoir inattendu… le plan de la boule de cristal lui revenant dans les mains glisse le film du simple film d'horreur vers le fantastique… D'autre part, Amy offre un peu plus là aussi qu'une énième Jamie Lee Curtis. Son odyssée semble beaucoup plus s'apparenter à sa perte de virginité, du rite de passage à l'age à adulte, à son évolution au statut de femme. Lutter contre ses propres démons, ses propres monstruosités ? Pourquoi pas. Elizabeth Berridge se fond en tous les cas à merveille dans ce personnage de femme-enfant, pantin désarticulé aux hurlements qui restent coincés dans sa gorge.
En ce sens, la dernière partie du film offre des morceaux de choix tel que la superbe scène de cauchemar éveillé où l'héroïne sombre dans les tréfonds du train fantôme – et de sa propre peur. La narration suit de ce fait un chemin logique de descente aux enfers. À la fois d'un point de vue géographique et imagé. Il s'agit d'un aboutissement logique de la progression du scénario : latérale des personnages vers le train fantôme puis verticale au sein même de l'endroit clé. Pour terminer tout en bas de l'échelle à la fois sociale et de l'évolution, dans les profondeurs d'une âme noircie par la violence. Le cœur du train fantôme, ce qui génère l'effroi. Le morceau de musique composé par John Beal pour l'occasion se nomme justement « Chained Melody ». En référence aux chaînes du mécanisme qui défilent sous nos yeux pendant le final. Un final qui demeure toujours aussi tonitruant, décuplé dans son intensité grâce à une partition puissante, toute en violons et percussions déchaînés. Et c'est également au final que la coloration du film change. Finis les rouges saturés et autres teintes gothiques de circonstance, la photographie vire au bleu et au sombre. Sorte de bleu électrique fascinatoire, en écho à la garde-robe d'Amy. Là aussi, une logique de mise en scène est respectée puisque l'attraction foraine fait place à un duel tendu, violent, curieusement dépassionné. Voir la scène où Amy regarde, hagarde, le monstre suspendu à une chaîne, transporté par une mécanique en voie de devenir folle.
Finalement MASSACRES DANS LE TRAIN FANTOME (banni en Norvège jusqu'en 2003, quand même) allait inspirer nombre de rejetons plus ou moins médiocres sur le même canevas, entre DARK RIDE ou THE PARK pour les plus récents. Hormis cette patine 80's sur le scénario-formule fourre-tout, il se dégage une sorte de mythe rural qui prolonge la marque de fabrique de Tobe Hooper créée dans ses premiers films (on mettra pour se faire la mini-série LES VAMPIRES DE SALEM de côté). On pourra pardonner quelques hasards de scénario, notamment le personnage de Joey laissé en carafe au deux tiers du film pour conserver ce que le film a de mieux : une atmosphère prenante, un sens du macabre, un humour noir et un montage qui ne cédait pas à l'hystérie pour laisser voir le vrai soin apporté à l'ensemble. Un Massacre qui vit dans l'ombre de la Tronçonneuse et qui mérite bien mieux que le rang de second de la classe qu'on lui donne. C'est devenu un classique, un vrai ! Francis Barbier.
INCUBUS
de John Hough, 1981, Canada, 1h30, Couleurs
avec John Cassavetes, Kerri Keane, John Ireland…
RÉSUMÉ : Plusieurs femmes ont été violées et assasinées; l'enquête révèle qu'il s'agit du même meurtier. Tim, un adolescent atteint de troubles nerveux intrigue le docteur Sam Cordell. Laura, une jeune journaliste, qui est le double parfait de la femme du Dr Cordell, décédée il y a quelques années, enquête de son côté...
POINT DE VUE : Incubus de John Hough appartient sans l’ombre d’un doute à la catégorie de films opportunistes. Cela ne l’empêche pas de receler de nombreuses surprises, et de se révéler profondément dérangeant et original sous ses allures de produit d’exploitation à ambition réduite. Incubus est l’adaptation d’un best-seller écrit par Ray Russell. Le scénario dénature le roman original afin de franchir le barrage de la censure et respecter les règles du « slasher », qui comprennent une succession de morts violentes et une galerie de potentiels suspects. Si le cahier des charges est banal, l’histoire et son traitement le sont beaucoup moins. Une petite ville du Wisconsin est ensanglantée par une série de meurtres sexuels brutaux. Les résultats des autopsies des victimes permettent de douter de la nature humaine de l’assaillant, doté d’une force aussi exceptionnelle que la taille de son pénis. Le médecin de la bourgade participe à l’enquête de la police. Il finit par admettre que les viols sont commis par une entité maléfique, un incube.
Le livret contenu dans le DVD, écrit par Marc Toullec, nous apprend que les producteurs proposent d’abord Incubus à David Cronenberg, qui décline l’offre pour s’atteler à un projet personnel, Videodrome. Ils se replient sur John Hough, cinéaste anglais qui débuta sa carrière à la télévision en mettant en scène des épisodes de la série Chapeau melon et bottes de cuir, avant de travailler aussi bien pour la firme Hammer (Les Sévices de Dracula) que pour Walt Disney Productions aux États-Unis (La Montagne ensorcelée, Les Visiteurs d’un autre monde, Les Yeux de la forêt). Hough avait déjà signé en 1973 une vraie réussite du cinéma fantastique, La Maison des damnés, d’après Richard Matheson. Il imagine en acceptant cette commande pouvoir réaliser un thriller surnaturel dans la lignée de Rosemary’s Baby. La présence au générique des deux films de John Cassavetes encourage la comparaison, même si finalement Incubus se révèle très différent du chef-d’œuvre de Polanski. Il n’y a aucune trace d’ironie ou de scepticisme dans l’approche de Hough. Le traitement clinique, pour ne pas dire télévisuel, de sa mise en scène ne fait que renforcer le caractère trivial du film. Hough a beau suggérer davantage qu’il ne montre, les dialogues ne nous épargne rien des détails scabreux liés aux viols en série. Incubus baigne dans une ambiance sinistre, parfois sordide. Les scènes à effets sont rares mais suffisamment marquantes pour instaurer un malaise durable chez le spectateur. Selon Hough, Cassavetes serait intervenu dans la réécriture de ses dialogues, sans témoigner du moindre respect pour le travail des scénaristes. L’acteur a certainement contribué à rendre plus complexe la relation que son personnage entretient avec sa fille adolescente. Ils vivent ensemble comme un couple, et plusieurs allusions permettent d’évoquer des sentiments incestueux.
Le fantastique devient un prétexte pour dresser un tableau très noir, voire répugnant, de la sexualité, avec une accumulation de corps meurtris et détruits. Incubus pourrait être une série B aussi banale que malsaine, produit d’une époque où le gore et le sexe faisaient recette. Le refus du spectaculaire confère un statut particulier à ce récit d’anéantissement et de triomphe du Mal par la violence et la souillure. La tristesse et la douleur qui transpirent du film en font une expérience éprouvante, même pour les amateurs les plus blasés. Il est difficile d’en oublier les dernières images, traumatisantes, qui renvoient au générique du début et en dévoilent l’énigme : un très gros plan sur une pupille dilatée, figée d’effroi devant une découverte atroce. Ces ultimes secondes abolissent les carences d’un petit film d’horreur et comptent parmi les conclusions les plus glaçantes de l’histoire du cinéma fantastique. Olivier Père.
COMMENTAIRES : Une série de meurtres sexuels est commise. Une journaliste, lancée sur l'affaire, découvre des analogies avec des faits vieux de trente ans. Le démon n'est pas loin, appelé par la sorcellerie.
Après avoir commencé sa carrière derrière la caméra avec la série Chapeau Melon et Bottes de Cuir période Linda Thorson en 1968-1969, le réalisateur britannique John Hough s'est principalement spécialisé dans le cinéma fantastique et d'épouvante, avec des œuvres telles "Les Sévices de Dracula" (1971), "La Maison des Damnés" (1973), "La Montagne Ensorcelée" (1975), "Les Visiteurs d'un Autre Monde" (1978), "Les Yeux de la Forêt" (1980), "American Gothic" (1987), "Hurlements 4" (1988) ou "Bad Karma" en 2001. En 1981, il met en scène Incubus et sa sublime affiche française qui a marqué l'esprit de toute une génération de spectateurs, que ce soit lors de sa sortie au cinéma en 1982 ou lors de son exploitation en vidéo. Le film bénéficie d'une réalisation solide et inspirée, qui viendra amoindrir les défauts du scénario, qui s'aventure parfois dans des sentiers tortueux et un peu abracadabrantesques, notamment vers la fin.
Incubus est l'adaptation d'un roman de Ray Russell paru en 1976 et reste inédit en France. Une adaptation assez éloignée de l'histoire originale, le scénariste Sandor Stern (qui, mécontent des remaniements de son scénario et de ses dialogues par l'acteur John Cassavetes a demandé à être renommé au générique en George Franklin), ayant préféré miser sur l'efficacité et l'aspect surnaturel et ésotérique de l'intrigue. Une intrigue un peu fouillis parfois, qui nous présente une série de viols très brutaux qui laisse perplexe le shérif de la ville, si tranquille d'ordinaire, ainsi que le héros d'Incubus, à savoir le docteur Jack Cordell, interprété par le talentueux John Cassavetes. Ce dernier ne parvient pas à expliquer la brutalité des viols, avec des victimes qui ont l'utérus totalement déchiré, ni l'absence de sperme ou sa présence en quantité largement supérieure à la normale, ce qui laisserait à penser qu'il y a plusieurs agresseurs. Plus le film avance, plus le travail du médecin se heurte à l’irrationalité, notamment avec la découverte de sperme de couleur... rouge ! Les victimes quant à elles s’amoncellent, les viols se poursuivent et la mise en scène de John Hough est particulièrement redoutable lors de ces séquences, avec des jeunes femmes hurlant de douleur et se faisant malmener par une force surhumaine.
Comme dans "Rosemary's Baby", une référence que le réalisateur avait en tête durant le tournage, on ne verra pas l'apparence de l'agresseur avant les dernières minutes du film. Il faut dire que le costume de latex du monstre n'est pas très convaincant et que le choix de jouer sur la suggestivité est une bonne chose. Quant à savoir sous quelle forme humaine se cache l'incube, plusieurs pistes vont s'offrir au public : serait-ce Jenny, la fille du docteur Cordell, interprétée par Erin Noble qu'on reverra en 1982 dans Class 1984 ? Serait-ce son petit ami, le jeune Tim Galen (Duncan McIntosh), qui est en proie à de nombreux cauchemars et pense être l'auteur des viols et des meurtres ? Serait-ce la grand-mère de ce dernier, l'inquiétante Agatha Galen (Helen Hughes) qui possède des ouvrages de sorcellerie chez elle et semble en savoir bien plus qu'il n'y paraît sur ces méfaits qui ensanglante la petite ville ? Serait-ce les membres d'un gang, comme le croit le shérif Walden (John Ireland) ? L'enquête mené par le docteur Cordell, aidé par la nouvelle journaliste du journal local, Laura Kincaid (Kerrie Keane) va mettre à jour un cas similaire ayant eu lieu il y a trente ans, tout comme le passé de la ville, lieu réputé pour ses sorcières au temps jadis.
Incubus lorgne clairement vers le thriller fantastique durant une bonne partie de son déroulement, réserve quelques petites scènes chocs (un coup de pelle en plein visage, le meurtre bien violent d'une femme dans les toilettes d'un cinéma entre autres), fait preuve d'un brin d'érotisme (quelques seins dénudés de-ci de-là) et joue avec une certaine efficience sur une ambiance malsaine qui sied très bien au rendu voulu par le réalisateur. Si on peut trouver parfois le rythme un peu mollasson, Incubus n'ennuie jamais et se montre assez mature dans son approche, réservant la part belle au mystère et à l'angoisse, avant de nous asséner son twist final qui vient clore un film réussi et qui mérite d'être redécouvert. Stéphane Erbisti.
S’il n’a jamais réellement osé sauter le pas du cinéma fantastique en tant que cinéaste, John Cassavetes n’a en revanche jamais hésité, en tant qu’acteur, à se vautrer dans les affres surnaturelles d’un certain cinéma horrifique des années 70/80. Si l’on pense bien sûr automatiquement à ses prestations chez Polanski (dans Rosemary’s baby) ou chez De Palma (Furie), on en oublie souvent le pourtant très intéressant Incubus, film d’horreur canadien réalisé par le britannique John Hough en 1981. On connaît surtout John Hough pour Les sévices de Dracula (1971) et une poignée d’épisodes qu’il a réalisés pour la série Hammer Histoires singulières. Réalisateur accompli et souvent très intéressant, il a néanmoins mis en scène une poignée d’autres films populaires assez indispensables : le road movie Larry le dingue, Mary la garce, le très sympathique film d’horreur La maison des damnés, le western Le triomphe d’un homme appelé Cheval, ainsi que trois productions Disney : La montagne ensorcelée, sa suite Les visiteurs d’un autre monde et finalement le passionnant Les yeux de la forêt. Enfin, en 1981, il s’envolait au Canada pour se lancer dans une production aussi sanglante que singulière, Incubus. Influencé tout à la fois par le giallo italien – les outrances, le modus operandi de l’incube, « éclateur d’utérus » – et par les balbutiements du slasher US – la scène d’ouverture ne saurait mentir – Incubus surprend néanmoins dans son déroulement, tout autant que dans la représentation tout à fait singulière qu’il propose de la famille américaine, très œdipienne et dont la proximité pourra occasionnellement mettre le spectateur vaguement mal à l’aise. Le jeu de John Cassavetes en lui-même aura d’ailleurs de quoi régulièrement déstabiliser le spectateur, voire le mettre mal à l’aise, dans ses mimiques et autres grimaces dont le sens nous échappe, dans ses regards fixes et injectés de sang, dans ses sourires figés et artificiel. Voilà un acteur qui personnifie à lui-seul le concept d’inquiétante étrangeté (Das Unheimliche) cher à Freud. De fait, Incubus vaudra surtout le détour bien d’avantage pour son atmosphère et sa mise en scène que pour son intrigue et son interprétation, flirtant trop ouvertement avec le bizarre pour réellement convaincre sur la durée. Néanmoins, John Hough assure visuellement le spectacle, saupoudrant son film d’une poignée de plans et de séquences très étonnants, et développant même dans sa dernière bobine un côté « organique » dans l’horreur grand guignol qui évoquera volontiers un gothique teinté de visions presque Lovecraftiennes. Une sacrée curiosité, aussi excessive que fréquentable, d’autant que les amateurs de hard rock remarqueront sans doute la courte apparition à l’écran de Bruce Dickinson, mythique chanteur du groupe Iron Maiden. Mickaël Lanoye.
NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT
Nosferatu, Phantom der Nacht
de Werner Herzog, 1979, RFA/France, 1h45, Couleurs
avec Klaus Kinski, Isabelle Adjani, Bruno Ganz…
RÉSUMÉ : Après avoir quitté ses Carpathes ancestrales, un vampire décide de faire halte dans une petite cité allemande et répand la désolation autour de lui.
POINTS DE VUE : Les grands cinéastes aussi aiment les vampires. Dès 1922, Murnau montrait l’exemple avec un Nosferatu qui allait marquer pour toujours l’histoire du septième art. Un tel monument méritait bien d’être revisité : Werner Herzog, un compatriote, s’en chargea, avec bonheur. Toujours caché au fond de la Transylvanie, son comte Dracula est un maudit en mal d’une âme sœur. Amoureux d’une femme dont il n’a vu que le portrait, il quitte son château pour la rejoindre, répandant la peste derrière lui.
Ail, crucifix et autres grigris ne sont ici qu’accessoires. L’essentiel, ce sont les visages, qui deviennent de véritables icônes, sacralisés comme au temps du cinéma muet. Celui de Nosferatu est le plus étrange, tirant son pouvoir d’effroi de la laideur de son interprète, Klaus Kinski, qui savait se défigurer. Isabelle Adjani, elle, incarne la beauté pure, presque irréelle, capable de damner un vampire. Pâle et fantomatique, ou lumineuse comme une apparition, elle porte la dimension picturale du film, hommage aux tableaux de Füssli. « Vous pouvez tenir pour assuré que même l’inconcevable ne me désarçonnera pas », dit-elle à Dracula. Et on est comme lui : sidéré. Frédéric Strauss.
Jonathan Harker, clerc de notaire, se rend en Transylvanie profonde afin de vendre une maison en ville au comte Dracula...
Après plusieurs films courts, le réalisateur allemand Werner Herzog sort son premier long métrage SIGNE DE VIE en 1967. AGUIRRE, LA COLÈRE DE DIEU de 1972, première de ses œuvres interprétées par Klaus Kinski, lui apporte une renommée internationale. Il fait ensuite d'autres films remarqués, comme L’ÉNIGME DE KASPAR HAUSER, CŒUR DE VERRE inspiré par le folklore populaire bavarois, et LA BALLADE DE BRUNO, tourné en partie aux USA.
En 1978, il retrouve l'acteur Klaus Kinski pour ce NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT, remake du NOSFERATU LE VAMPIRE de Murnau. Il s'agit d'une assez coûteuse coproduction franco-allemande, bénéficiant d'un casting prestigieux : Isabelle Adjani (LE LOCATAIRE, POSSESSION), Bruno Ganz (L'AMI AMÉRICAIN et LES AILES DU DÉSIR de Wim Wenders)… Et même l'écrivain-illustrateur Topor (co-créateur de LA PLANÈTE SAUVAGE avec René Laloux) dans le rôle de Renfield.
Werner Herzog appartient à une génération de cinéastes allemands ayant émergé à la fin des années soixante. Ils s'inspirent des idées esthétiques des réalisateurs de la Nouvelle Vague française, tels que François Truffaut (FAHRENHEIT 451) ou Jean-Luc Godard (ALPHAVILLE, UNE ÉTRANGE AVENTURE DE LEMMY CAUTION). Rainer Werner Fassbinder domine ce cinéma allemand dans les années soixante-dix avec une production de plus de quarante longs-métrages en quinze ans, combinée à la réalisation de séries télévisés (dont LE MONDE SUR LE FIL et BERLIN ALEXANDERPLATZ) et à une activité de metteur en scène de théâtre. Sa lucidité et sa force de travail en font le pivot central de ce jeune cinéma allemand. Son décès prématuré en 1982 en annonce le déclin.
À ses côtés, Wim Wenders (LES AILES DU DÉSIR, JUSQU’AU BOUT DU MONDE) impose un cinéma plus doux et plus calme. Volker Schlöndorff aussi se fait remarquer (LE TAMBOUR, LA SERVANTE ÉCARLATE), mais sa carrière est inégale. Tous ces réalisateurs se posent le problème des rapports de l'Allemagne à son passé, et tirent un bilan amer de l'après-guerre et de son « miracle économique », insuffisant à guérir le mal-être d'une génération dont les parents ont grandi sous le Troisième Reich.
En partant de la question du rapport des jeunes Allemands à l'Histoire de leur pays, Werner Herzog invoque, en réalisant ce remake de NOSFERATU LE VAMPIRE, la grande période du cinéma allemand. C'est-à-dire l'entre-deux guerres et notamment un de ses réalisateurs les plus talentueux : Friedrich Wilhelm Murnau (NOSFERATU LE VAMPIRE, LE DERNIER DES HOMMES, L'AURORE).
Herzog choisit de refaire NOSFERATU LE VAMPIRE alors que «Dracula» de Bram Stoker, roman dont il est inspiré, ne l'intéresse pas. Il n'est pas amateur de films d'épouvante et avoue son mépris pour les autres métrages mettant en scène des vampires, à l'exclusion du poétique VAMPYR du danois Carl Dreyer.
NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT reprend fidèlement la trame de NOSFERATU LE VAMPIRE, elle-même assez fidèle au roman de Bram Stoker et donc proche de films comme DRACULA de Tod Browning ou LE CAUCHEMAR DE DRACULA de Terence Fisher.
Par ses choix plastiques, le film de Herzog reste proche du classique de Murnau. Klaus Kinski propose un vampire renouant avec l'aspect chauve et décharné de Max Schreck. Harker et sa femme habitent une ville parcourue de canaux, dont les façades évoquent les Flandres ou la Hollande du XVIIIème siècle. Des plans reprennent littéralement NOSFERATU LE VAMPIRE (l'horloge macabre, le radeau portant les cercueils, les « caisses » pleines de rats). Ce qui engendre parfois de la lassitude, voire un ridicule involontaire.
En réalisant NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT, Herzog n'explore pas seulement le cinéma fantastique allemand des années vingt. Il mêle aussi son style personnel à celui de mouvements esthétiques germaniques du XIXème siècle. Ainsi, Lucy, avec ses longs cheveux noirs, ses robes aux délicats motifs végétaux et sa pâleur intense, évoque l'Art Nouveau allemand et les tableaux de l'autrichien Gustav Klimt. Surtout, le Romantisme Allemand du XIXème siècle et son peintre Caspar David Friedrich, déjà sollicités par Murnau, sont placés au centre de NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT.
Nous savons l'importance des voyages et des paysages naturels imposants dans le cinéma de Werner Herzog. Déjà dans AGUIRRE, LA COLÈRE DE DIEU, ce réalisateur écrase ces personnages avec des montagnes et des forêts immenses, tandis qu'un fleuve inexorable les entraîne vers leur perte. Ici, il tourne à nouveau dans des sites grandioses, dans les montagnes de Bohème, sur les plages de la Mer du Nord ou dans le désert mexicain. Il en ramène des images hallucinantes, baignées de lumières bleues et pourpres.
Ses paysages sont riches, comme chez Friedrich, d'une puissante portée symbolique et spirituelle, encore mise en valeur par la splendide musique méditative du groupe Popol Vuh. À ce titre, le voyage de Jonathan Harker vers le château de Dracula est digne des meilleurs films de Werner Herzog.
NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT se singularise en explicitant le thème du vampire malheureux, être solitaire et mélancolique portant son immortalité comme une malédiction. Sa nature de prédateur monstrueux le coupe du monde des humains. Cela n'était présent qu'en filigranes dans les plus célèbres films de vampire l'ayant précédé. Kinski est impeccable dans ce rôle à la hauteur de sa démesure. Il interprète un Dracula fragile, délicat et douloureux, à l'antipode de ses performances extraverties d'AGUIRRE, LA COLÈRE DE DIEU ou COBRA VERDE de Herzog.
Face à lui, Adjani est tout aussi parfaite dans le rôle hallucinée de Lucy Harker, incarnation des idéaux romantiques, caractérisée par son amour absolu pour Jonathan et sa spiritualité toute individuelle, non institutionnalisée par une église. Trouvant son inspiration dans la contemplation de la mer infinie, elle se dresse contre le rationalisme urbain du docteur Van Helsing, ici héritier des philosophes français des Lumières.
NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT s’achève dans une ville rongée par la peste, sur un festin macabre se tenant parmi les rats apportés dans les cercueils de Dracula. Herzog, comme l'historien de cinéma Siegfried Kracauer, voit dans le vampire porteur d'épidémie de NOSFERATU LE VAMPIRE l'annonciateur de Hitler et de sa peste brune. En faisant triompher Lucy dans NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT, alors que les scientifiques sont impuissants à empêcher l'action malfaisante du comte Dracula, Herzog considère qu'un rationalisme rigoureux est impuissant à neutraliser les tyrans. La révolte romantique et ses idéaux absolus peuvent les vaincre, au moins temporairement.
Ainsi, Herzog suit la même position que, par exemple, LUDWIG, REQUIEM POUR UN ROI VIERGE de 1972, film de Hans-Jürgen Syberberg, autre réalisateur allemand, qui voyait dans le « roi fou » Louis II de Bavière le héros romantique par excellence, martyrisé par les forces sociales (industriels, bourgeoisie) qui vont amener Hitler, son antithèse, au pouvoir.
Le style de Herzog ne colle pas toujours bien à une adaptation littérale du roman «Dracula». Alors que ce livre demande une adaptation nerveuse, riche en rebondissements frappants (comme NOSFERATU LE VAMPIRE ou LE CAUCHEMAR DE DRACULA), NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT se complaît dans une lenteur contemplative et mélancolique. Si elle fonctionne à certains moments (le voyage dans les montagnes, les promenades sur la plage, le festin des pestiférés), elle provoque parfois un certain ennui. Ce film aurait gagné à prendre plus de libertés par rapport aux scénarios habituels inspirés de «Dracula», afin d'obtenir un récit mieux adapté au style de Herzog.
Néanmoins, NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT reste un film singulier, une œuvre contenant des images d'une beauté absolument stupéfiante et abordant la mythologie des vampires d'une façon plus douce et retenue que les habituelles productions horrifiques. Les performances d’Isabelle Adjani et de Klaus Kinski y sont sidérantes. Emmanuel Denis.
LA POUPÉE DIABOLIQUE
Devil Doll
de Lindsay Shonteff, 1964, GB, 1h21, Noir et Blanc
avec William Sylvester, Bryant Haliday, Yvonne Romain…
RÉSUMÉ : Un ventriloque hypnotiseur, doué de pouvoirs maléfiques, est capable de tenir prisonnière dans un pantin l’âme de ses victimes humaines.
POINTS DE VUE : La société de production Hammer Films a porté haut pendant les années 50 et 60 le flambeau du cinéma fantastique anglais mais d’autres perles du genre virent le jour hors de la célèbre firme. En témoigne Devil Doll (1964), cette « poupée diabolique » inédite en salles en France. La Poupée diabolique est un excellent film fantastique notable pour son scénario, son climat inquiétant et sa sensualité – il existe deux versions plus ou moins dénudées pour le marché européen ou américain. La Poupée diabolique s’inspire d’un des sketches de Au cœur de la nuit, long métrage collectif et incursion réussie des studio Ealing dans le fantastique, sur la relation entre un ventriloque et sa marionnette – prénommée Hugo dans les deux films, ce n’est sans doute pas un hasard. Mais les deux films développent des postulats diamétralement opposés. Le sketch de Alberto Cavalcanti montrait un artiste de cabaret persuadé que sa marionnette était vivante, développant une psychose à son sujet. La Poupée diabolique met en scène au contraire un ventriloque hypnotiseur doué de pouvoirs maléfiques, capable de tenir prisonnière dans un pantin l’âme de ses victimes humaines. Malgré son apparence inquiétante la poupée est donc moins diabolique que son propriétaire, dont les noirs desseins sont motivés par le lucre et stupre. La relation maître esclave sur laquelle sont construits plusieurs grands films anglais irrigue les ressorts dramatiques de La Poupée diabolique. Situé dans le Londres des années 60, le film fait un détour par le Berlin de l’immédiate après-guerre dans un flash-back révélateur, ce qui valide la piste d’un expressionnisme dégradé – le ventriloque Vorelli est un héritier au rabais de Caligari et Mabuse. La Poupée diabolique est le second long métrage de Lindsay Shonteff qui poursuivra une carrière sans éclat dans le cinéma d’exploitation et la série Z. Le nom du producteur Richard Gordon est associé à plusieurs petits classiques du bis britannique comme Monstres invisibles, La Griffe de Frankenstein ou La Tour du diable. On retrouve dans La Poupée diabolique une certaine trivialité – pour ne pas dire laideur – inhérente au cinéma d’horreur anglais et même des éclats scabreux telle cette scène de séduction qui dégénère en relation sexuelle contrainte – le héros du film, un journaliste américain rugueux, prend de force la jeune première dans une voiture : pas très classe. Le film surprendrait presque par son érotisme, sa misogynie et sa cruauté si ces éléments n’étaient pas caractéristiques des productions Richard Gordon, qui fera bien pire lors de la décennie suivante avec le relâchement de la censure. La Poupée diabolique n’en demeure pas moins une bande originale, correctement mise en scène et interprétée, avec un scénario riche en surprises. Olivier Père.
On réduit très souvent les années 60 et le cinéma de genre anglais à la firme Hammer. Dommage, car de nombreuses tentatives (sf, horreur, fantastique, SF…) se firent hors les murs de la firme- marteau. En l'occurence le producteur anglais Richard Gordon et cette POUPEE DIABOLIQUE. Il traversa allègrement les décennies en produisant le très fun FIEND WITHOUT A FACE d’Arthur Crabtree jusqu'à l’INSEMINOID de Norman J. Warren. A very beautiful grand écart!
Un célèbre hypnotiseur nommé Le Grand Vorelli (Bryant Haliday) fait sensation à Londres. Il possède un étrange numéro de ventriloque avec une marionnette nommée Hugo, qui semble parler mais également… marcher. Un journaliste (William Sylvester), le prenant pour un falsificateur, tente de le piéger en demandant à sa fiancée Marianne (Yvonne Romain) de devenir l'un de ses sujets. Mal lui en prend, Marianne tombe sous l'emprise de Vorelli et il s'avère également qu'Hugo (Sadie Corre) est bel et bien… vivant.
Sur le papier, les histoires introspectives et triviales de relation ventriloque/hypnotiseur/poupée à la volonté propre sentent le recyclage d'oeuvres déjà phare. Entre le récit de Carlo Collodi pour le conte moral ou le film d’Alberto Cavalcanti pour le macabre et le jeu sur le réel, LA POUPEE DIABOLIQUE arrive sur un terrain bien pratiqué. Aux manettes, le canadien Lindsay Shonteff. Relativement peu connu, ayant une filmographie s'étalant sur plus de 40 ans en 23 films. Il toucha à plusieurs reprises aux films de genre, de CURSE OF THE VOODO en passant par THE MILLION EYES OF SUMURU, le slasher NUIT APRÈS NUIT, des clones remplaçant des hommes politiques dans ADIEU CANAILLE, le post-nuke avec robots tueurs de KILLING EDGE… Mais surtout un très curieux PERMISSIVE, véritable film rock'n roll quasi underground de 1970. Un touche à tout qui tient avec LA POUPEE DIABOLIQUE son second film. Et après la vision, juste un envie : redécouvrir le reste de son œuvre!
Il s'entoure de Bryant Haliday, suant de maléfice et de dualité par tous les pores de son visage perçant. Shonteff le réutilisera pour CURSE OF THE VOODO, le producteur Richard Gordon fit encore appel à lui pour THE PROJECTED MAN. Il termina sa très courte carrière dans LA TOUR DU DIABLE de Jim O’Connolly.
On entre en territoire plus connu avec le journaliste joué par l'américain William Sylvester, une figure connue à la télévision qui obtint quelques succès avec des rôles dans GORGO et THE HAND OF NIGHT… jusqu'à 2001 ODYSSÉE DE L’ESPACE ou encore le superbe LES CRÉATURES DE L’OMBRE. On ne peut passer outre la ravissante Yvonne Romain, à peine sortie de LA NUIT DU LOUP GAROU et du CIRQUE DES HORREURS ou du FASCINANT CAPITAINE CLEGG. Quel CV! Mariée à Leslie Briscusse, scénariste et parolier d’Henry Mancini, elle pris sa retraite cinématographique en 1973 après le whodunit THE LAST OF SHEILA. Très dommage. Enfin, si trois personnes, toutes cachées derrière des pseudos, se trouvent derrière l'histoire et le scénario, seul Ronald Kinnock se trouve effectivement au générique. Là aussi une carrière très peu prolifique, mais auteur d'un authentique chef d’œuvre : LE VILLAGE DES DAMNÉS de Wolf Rilla.
Un premier quart d'heure passionnant, évacuant rapidement les références à AU CŒUR DE LA NUIT (même si la poupée porte le même prénom!) ou les éventuels séries TV du type LA QUATRIÈME DIMENSION, pour se concentrer sur la mystérieuse relation Hugo/Vorelli. Une fine ligne entre fantastique, magie et manipulation. Des contre-plongées à la fois habituelles pour des scènes de films des 60's, mais également pour rendre Vorelli encore plus menaçant. Simple, mais une idée efficace de mise en scène et de juxtaposition de plans.
Les divers moments de représentation d'Hugo en public provoquant un véritable sens du sinistre. Une bande son à base de sons graves, sourds. renforce une véritable idéologie macabre. Le côté très rigide de la poupée ajoute une couche de distorsion du réel très adroit. Shonteff réussit ici un petit tour de force à plusieurs reprises, dont la scène du bal de charité (vers la 25e minute). Concluant avec un effet technique quelque peu disparu aujourd'hui : un fondu enchaîné sur des applaudissements de l'auditoire. Idem pour la séquence où Hugo marche, vers la 47e minute : la caméra à l'épaule en plongée sur ses pieds marchant de manière raide, contrebalancé par une contre-plongée sur son visage sans expression, qui réussit à le rendre menaçant.
En fait, la réalisation masque très habilement le budget qu'on devine étriqué en tentant de créant de la profondeur de champ. de rendre riche la cadre de l'action. En plaçant de manière régulière des objets au premier plan, créant à la fois des lignes de fuite, de la perspective tout en laissant transparaitre la lumière. La cage d'Hugo en premier lieu, mais aussi au détour de scènes d'apparence banale. Comme le bureau de l'inspecteur, à 47mn52, la caméra placée en légère contre-plongée à travers les barreaux du dossier d'une chaise. Une idée là encore relativement simple mais dynamisant le plan.
À l'inverse, il créé le suspense et un léger malaise en fixant sa caméra sur le visage d'Hugo. De longs plans fixes, créant une diversion non négligeable par rapport aux cadrages bizarres des scènes d'hypnose. Cette prolongation des plans fixes rendent Hugo pratiquement vivant aux yeux du spectateur. Qui traque le moindre mouvement, sans en percevoir le fruit de ses espoirs. In fine, lorsqu'on sait que Sidney J. Furie devait initialement réaliser le film, que celui-ci était une relation de Lindsay Shonteff et que Furie l'aida lorsque le film rencontra quelques soucis techniques… c'est vraiment à se demander si l'oblique réalisation, les plans tarabiscotés ne doivent pas plus à Furie qu'à Shonteff?
La partie musicale offre également quelque chose de différent. En majeure partie orchestrale, discrète, douce, accompagnant par exemple la séquence où l'inspecteur croit voir Hugo venir lui parler dans sa chambre. Et le tout chargé en pointillé de sons électroniques inattendus. Ceci en parfait écho au ton général du film, où la réalité se décadre de manière insidieuse au profit d'un récit purement fantastique.
Nul doute que cette POUPEE DIABOLIQUE servit de matrice à JEU D’ENFANT et autres DOLLY DEAREST dans l'antre des années 80/90, voire également d'influence au MAGIC de Richard Attenborough. Et aucune réserve sur le fait que le film de Lindsay Shonteff fait figure de réussite incontestable dans le domaine de la série B. Un petit chef d’œuvre de rituel macabre, inventif malgré un sujet central quelque peu rebattu. À la mise en scène travaillé, au cadre judicieusement choisi… une excellente surprise. Francis Barbier.
HISTOIRES D’OUTRE-TOMBE
Tales from the Crypt
de Freddie Francis, 1972, GB, 1h37, Couleurs
avec Joan Collins, Peter Cushing, Roy Dotrice…
RÉSUMÉ : Pendant une visite de catacombes, cinq touristes rencontrent le gardien de la crypte qui va leur raconter leur mort.
POINTS DE VUE : Tourné et distribué la même année que Asylum, Histoires d’outre-tombe (Tales from the Crypt, 1972) de Freddie Francis est encore plus surprenant. Il possède la particularité d’adapter pour la première fois à l’écran l’univers des comic books d’horreur publié par la maison d’édition américaine EC Comics. Ces bandes dessinées d’épouvante avaient connu un grand succès dans les années 50. Elles s’adressaient à un lectorat adulte et introduisaient la violence et l’érotisme sur un support habituellement réservé aux enfants et aux adolescents. Le scénario d’Histoires d’outre-tombe reprend cinq histoires écrites par William Gaines et Al Feldstein, transposées dans la société anglaise des années 70. Il est signé par Milton Subotsky, cofondateur de la « Amicus » et producteur du film, lui-même Américain et fin connaisseur des EC Comics. Comme les films « Amicus », les Tales from the Crypt des EC Comics dépoussièrent le fantastique en racontant des histoires macabres et horribles dans un contexte quotidien. On peut les voir comme des contes moraux dans lesquels des personnages cupides et cruels sont impitoyablement châtiés et connaissent des morts atroces. Les dénominateurs communs de ces histoires sont la vengeance et la trahison. C’est souvent l’appât du gain, l’avarice qui motivent des plans machiavéliques réduits à néant par des interventions surnaturelles ou des pièges fatals. Certains contes sont très moralisateurs et rappellent que les publications EC Comics, par leur misogynie et leur traitement de l’adultère ou de l’homosexualité, n’avaient rien de progressistes. Réunis dans une crypte lors de la visite d’un site archéologique, quatre hommes et une femme comprennent que la raison de leur présence en ce lieu n’est pas due au hasard. Coupables et en attente d’être jugés, ils sont morts et se trouvent dans l’antichambre de l’enfer. Histoires d’outre-tombe constitue encore aujourd’hui un modèle d’adaptation d’une bande dessinée à l’écran, par le choix des décors, des cadres et aussi le jeu des acteurs. Le film est visuellement très excitant. Chaque sketch contient des moments inoubliables et se termine par une chute impressionnante. Histoires d’outre-tombe est l’un des meilleurs films de Freddie Francis, grand directeur de la photographie pour des productions à prestige des années 50 au années 90, dont les ambitions de metteur en scène furent beaucoup plus modestes. Cantonné dans les films de genre tout au long de sa carrière de cinéaste, pas toujours très regardant sur la qualité des projets qu’on lui proposait, Francis a quand même réussi plusieurs titres appréciés des amateurs de fantastique, pour la Hammer ou la Amicus. Olivier Père.
Ce film à sketches (LES HORREURS DE LA CRYPTE), passé totalement inaperçu à sa sortie en salle, en France, en 1974, a l’avantage d’être très ramassé (cinq histoires en une heure et demie), ce qui conduit réalisateur et scénariste à une concision du meilleur aloi. C’est un peu kitsch, parfois élégant, toujours efficace. Peut-être le fond y est-il pour beaucoup : en triturant le plus sombre de l’âme humaine, le métrage met au jour ce que cache la respectabilité apparente. À cet égard, le deuxième segment, avec Peter Cushing, est particulièrement réjouissant. François Bonini.
COMMENTAIRE : Cinq histoires horribles, racontées par un moine à un groupe de touristes égarés dans les catacombes. Un humour très anglais. Dictionnaire des films, Larousse.
LE COMMANDO DES MORTS-VIVANTS
Shock Waves
de Ken Wiederhorn, 1976, US, 1h26, Couleurs
avec Peter Cushing, Brooke Adams, John Carradine…
RÉSUMÉ : Un équipage de naufragés se retrouve sur une île perdue où un ancien commandeur nazi tente de créer une armée de zombies.
POINTS DE VUE : Le Commando des morts-vivants (Shock Waves, 1977) est une petite perle du cinéma d’horreur indépendant américain des années 70, . Cette bande fauchée mais bien photographiée, qui distille un véritable climat d’angoisse et une certaine poésie macabre fit la joie des spectateurs des salles spécialisées dans le fantastique, endroits souvent malodorants et mal famés mais à la programmation riche en surprises (à Paris on se souvient du Brady.) Aujourd’hui ce titre repose au panthéon du cinéma psychotronique, à juste titre.
Des vacanciers échouent sur une île inhospitalière de Floride, où vit dans un hôtel abandonné un ancien commandant SS (Peter Cushing, vieille gloire de la Hammer) qui les met en garde, trop tard, contre le danger qui rôde. Sous les eaux salées et douces de l’archipel sommeillent des zombies nazis, amphibies et photophobes, résidus d’expériences visant à créer des soldats indestructibles et qui vont décimer le petit groupe en commençant par le capitaine du bateau (John Carradine, vieille gloire de Hollywood). Cette intrigue farfelue rappelle les serials et séries B des années 30 et 40 avec des morts-vivants, des Nazis, des savants fous et des îles mystérieuses.
Après cette première incursion dans l’horreur Ken Wiederhorn signera un autre film d’angoisse notable, Les Yeux de l’étranger (Eyes of a Stranger, 1981), un « slasher » avec la géniale Jennifer Jason Leigh dans l’un de ses premiers rôles. Histoire de tueur psychopathe, Les Yeux de l’étranger est un hommage réussi aux thrillers hitchcockiens de Brian De Palma (Sisters en particulier), au point que De Palma, très impressionné par la mise en scène de Ken Wiederhorn lui demandera de réaliser sa production Body Double avant de décider de signer le film lui-même, avec le résultat génial que l’on connaît. Les Yeux de l’étranger est techniquement beaucoup plus convaincant que Le Commando des morts-vivants et Wiederhorn témoigne d’un remarquable sens du suspense et des effets choc subtilement dosés, mais la suite de sa carrière ne sera pas à la hauteur de ces deux coups de maître.
Le succès relatif du Commando des morts-vivants marqua les esprits des producteurs et fit des émules en Europe, où l’on vit fleurir au moins deux titres de zombies nazis directement inspirés par le film de Ken Wiederhorn et produits par la société Eurociné : L’Abîme des morts-vivants de Jess Franco (1983) et surtout le lamentable Lac des morts-vivants (1981) situé dans la campagne française et dans lequel trempa Jean Rollin sous le pseudonyme de J.A. Laser. Olivier Père.
Un petit bateau, alors en croisière au large de la Floride, percute un gigantesque cargo fantôme. Forcé d'abandonner son navire, l'équipage se réfugie sur une île hébergeant une armée de zombies ultra vindicatifs, soit des soldats allemands transformés en morts-vivants fous furieux depuis d'obscures expérimentations nazies durant la seconde guerre mondiale.
SHOCK WAVES (LE COMMANDO DES MORTS-VIVANTS chez nous) est un passable petit film de zombies, pur produit à budget minuscule de la fin des années 70. Si le métrage est aujourd'hui édité en lancement par Blue Underground, ce n'est donc pas pour réhabiliter les qualités du film (il n'en a pas beaucoup), mais tout simplement parce que ce dernier reste malgré tout un titre qui a trouvé une florissante carrière à l'époque de la VHS (grâce à sa jaquette hyper prometteuse) et qui est resté depuis totalement invisible. Le négatif du film ayant totalement disparu, il ne restait absolument aucun moyen de revoir SHOCK WAVES en dehors de vieilles cassettes vidéos vieilles de vingt ans. Contre toute attente, Blue Underground va déterrer une copie oubliée du film, la restaurer pour enfin redistribuer le métrage sous son meilleur jour. Autant d'honneurs fait peine à croire !
SHOCK WAVES est le premier film d'un certain Ken Wiederhorn qui connaîtra plus tard une confidentielle heure de gloire avec le daté et raté RETOUR DES MORTS-VIVANTS 2, pour s'effacer ensuite dans l'indifférence générale. Très inexpérimenté sur le plateau, et peu connaisseur du genre, Ken Wiederhorn ne va franchement pas transcender la poignée de dollars de son petit budget tout en s'assurant d'un résultat final très correct. En défaveur du film, on note notamment un gros, très gros problème de rythme mettant très vite en évidence l'anémie des trois lignes et demie du scénario. En effet, plus de la moitié du film est consacrée à « la montée du suspense », c'est-à-dire à une interminable enfilade de dialogues mollassons !
C'est la paupière très lourde que le spectateur attaquera enfin la dernière partie du film qui sert de survival plutôt rondement mené. L'image (abusivement) récurrente des zombies s'extirpant de l'eau fonctionne à merveille, d'autant plus qu'elle nous change du cliché du mort sortant de terre. Le sous-genre « zombie » a donc été (presque) repensé, à commencer par le look des monstres en uniformes nazis et lunettes de soudeur ! Autre bon point, les morts-vivants sont ici super nerveux ce qui donne une orientation complètement différente aux scènes de sièges et de poursuites. La lumière crue du film, associée à la musique synthétique et minimaliste de Richard Einhorn (on lui doit le score de THE PROWLER, autre série B éditée chez Blue Underground ) concourt très vite à installer lors des séquences chocs une ambiance poisseuse ultra efficace malgré une absence totale de gore (sûrement par économie d'effets spéciaux).
Outre les monstres, l'autre curiosité de cette bobine reste son casting aux forceps. Série B limite Z soucieuse d'attirer l'attention du chaland, le budget rachitique de SHOCK WAVES se paye néanmoins le luxe de deux stars histoire de mettre du nom connu sur sa jaquette. Le bénévolat ayant ses limites, les deux stars en question ne sont ici qu'un prétexte et assurent une performance à la hauteur de leur cachet, c'est-à-dire minimale. En capitaine de bateau, nous retrouvons donc cette vieille trogne de John Carradine. Torturé par l'arthrite, le bougre marmonne péniblement ses dialogues et attend que ça se passe en prenant divers calmants. À noter que sa diction est plus ou moins aléatoire selon les scènes, ce qui nous permet de reconstituer très précisément le planning de tournage en fonction des doses de plus en plus massives d'antalgique ou d'alcool qu'il pouvait ingérer. Bien entendu, sa présence ne sert pas à grand chose, et c'est dans l'indifférence générale que son personnage disparaît dans la nature.
Un peu plus digne que John Carradine, Peter Cushing interprète le scientifique allemand responsable des expériences nazis qui ont donné naissance à l'élite zombiesque. Affublé d'une balafre généreuse et d'un accent germanique laissé à l'appréciation de chacun, Cushing cachetonne ses deux scènes et demie dans la plus pure tradition des films de savants agités de la carafe. Le cliché veut que le personnage se fende d'une tirade mégalomaniaque sur son horrible création avant que le héros ne le pointe du doigt en décrétant : « Mais vous êtes fou ! ». En bon professionnel, Cushing s'exécutera avant de périr (comme de bien entendu) des mains de son abomination. À noter que les scènes avec le comédien ont visiblement été condensées en une ou deux journées isolées du planning des autres comédiens histoire de rentabiliser au maximum la présence de la star. La plupart du temps, Cushing est filmé indépendamment récitant ses dialogues, puis inséré dans la scène avec le reste des acteurs via « la magie » du montage. Une méthode qui ne berne plus grand monde de nos jours ! Heureusement, la délicieuse Brooke Adams (DEAD ZONE, L’INVASION DES PROFANATEURS...) vient sauver de son honorable présence l'interprétation inégale de ce petit film, qui n'a finalement de prétention que celle de se laisser voir. Éric Dinkian.
LA NUIT DES VERS GÉANTS
Squirm
de Jeff Lieberman, 1976, US, 1h32, Couleurs
avec Don Scardino, Patricia Pearcy, R. A. Dow…
RÉSUMÉ : Suite à une tempête aussi violente qu’inattendue, une petite ville du Sud des Etats-Unis commence progressivement à plonger dans le chaos lorsque des vers de terre devenues soudain très dangereux, sortent de terre et grouillent partout où ils peuvent. Le jeune Mick, venant d’arriver en ville, tente de repousser cette attaque et de découvrir le pourquoi du comment.
POINTS DE VUE : Si vous avez écumé les vidéoclubs du coin dans les années 80, vous n’avez certainement pas pu passer à côté de la jaquette du premier long-métrage de Jeff Lieberman qui montrait un vers de terre de la taille de King Kong en train de menacer une pauvre victime dont le visage était recouvert de spaghetti... Une illustration parfaitement mensongère puisque les lombrics du film ne sont pas plus gros que ce que vous pourrez trouver en creusant dans votre jardin. Par contre, ils sont des millions et leur appétit est insatiable ! Petite série B devenue culte avec le temps, Squirm (un titre bien moins malhonnête) s’inscrit dans la grande tradition du film d’attaque animale. Un sous-genre horrifique dont le futur réalisateur de Survivance (just before dawn) semble avoir bien étudié les mécanismes. On pourrait même l’accuser d’avoir un peu trop regardé sur la copie du voisin tant la trame est similaire aux Oiseaux de Hitchcock... Divertissant à défaut d’être original. Pierre Vedral.
La Nuit des vers géants (Squirm, 1976) premier film de Jeff Lieberman tourné dans un coin perdu de la Géorgie, avec la participation d’acteurs locaux – et d’autres qui exagèrent leur accent sudiste.
L’action du film se traîne en longueur (forcément, des vers...) et exploite le filon du bestiaire fantastique et du gigantisme, alors en vogue sur les écrans des « drive-ins » – le film est une production American International Pictures (AIP), compagnie spécialisée dans les films de genre à petit budget.
Les agressions des vers – échappés par milliers du camion d’un éleveur – inspirent le dégoût escompté, sans que la mise en scène et le scénario ne parviennent à instaurer un véritable climat d’angoisse. C’est finalement pour ses temps morts, description avachie et moite d’une communauté rurale isolée au cœur d’une nature hostile, que le film mérite d’être vu. Jeff Lieberman fera mieux par la suite en signant deux petits films d’horreur satiriques et originaux, Le Rayon bleu et Au service du diable. Il récidivera aussi dans la « hicksploitation » avec Survivance, croisement opportuniste entre le Délivrance de John Boorman et les « slashers » des années 80. Olivier Père.
LA NUIT DES VERS GÉANTS est la première réalisation du New-yorkais Jeff Lieberman, par ailleurs scénariste du film. Cette petite production, soutenue par des producteurs plutôt spécialisés dans le théâtre de Broadway, est tournée en décors naturels, à Port Wenworth, une petite localité de l'état de Géorgie. Les gros plans des vers, utilisant des techniques de macrophotographie, sont néanmoins faits, en post-production, à New York. Pour le maquilleur Rick Baker, ce film est une des premières opportunités de travailler à son compte, à une époque où il oeuvrait encore dans le domaine des petites productions (il venait de réaliser le bébé du MONSTRE EST VIVANT), avant qu'il n'aborde de grosses machines comme le remake KING KONG ou LA GUERRE DES ÉTOILES. Mick, le héros de LA NUIT DES VERS GÉANTS, est interprété par Don Scardino, qu'on a revu dans CRUISING ou NOCES SANGLANTES (titre vidéo). À ses côtés, on reconnaît quelques têtes familières, vues souvent à la télévision ou au cinéma dans des petits rôles, notamment Peter MacLean (le shérif) ou William Newman (le barman Quigley).
La petite ville de Fly Creek, dans le vieux sud des États Unis, est la proie d'une terrible tempête nocturne. Une ligne électrique « haute tension » se décroche en pleine campagne et déverse son courant dans la terre. Le lendemain, le citadin Mick arrive à Fly Creek pour passer quelques jours chez son amie Geri Sanders. Des évènements insolites éveillent leurs soupçons, particulièrement en ce qui concerne la ferme voisine, spécialisée dans l'élevage de vers pour la pêche.
À priori, LA NUIT DES VERS GÉANTS n'a rien d'un film avant-gardiste. Il s'inscrit dans un courant de l'épouvante assez classique, consistant à mettre en scène une invasion de petites bêtes destructrices. Si ce style d'intrigue a déjà été mis en scène dès les années 1950, avec QUAND LA MARABUNTA GRONDE et ses armées de fourmis, il est aussi revenu sur le devant de la scène au début des années 1970, avec le retour en force de la science-fiction et du film-catastrophe. Ainsi, on a vu se succéder, sur des sujets du même style, PHASE IV de Saul Bass et LES INSECTES DE FEU de Jeannot Szwarc. Le triomphe des DENTS DE LA MER ne va faire qu'accélérer la cadence, et, dans la seconde moitié des années 1970, les petites bêtes agressives grouillent sur les écrans fantastiques, avec, par exemple, L’INÉVITABLE CATASTROPHE, QUAND LES ABEILLES ATTAQUERONT ou L’EMPIRE DES FOURMIS GÉANTES. LA NUIT DES VERS GÉANTS paraît se contenter de s'incruster dans un sillon déjà bien tracé, sans chercher à faire preuve de beaucoup d'audace par son sujet.
Jeff Lieberman avoue que, pour ce titre, il n'était qu'un réalisateur débutant, assez peu sûr de lui. Pour se guider, il choisit de s'inspirer des OISEAUX d’Alfred Hitchcock, un classique du genre. Ainsi, l'intrigue offre une structure à peu près semblable (Patricia Percy remplaçant Rod Taylor et Don Scardino prenant la place de Tippi Hedren), tandis que Fly Creek, suite à une tempête, se retrouve aussi coupée du monde que Bodega Bay. Au départ, les apparitions des vers sont assez espacées. Les incidents paraissent plus inquiétants que réellement dangereux (une cargaison de vers disparaît mystérieusement, un squelette est découvert au fond d'un jardin...). La première moitié du métrage joue donc le jeu du mystère, tout en adoptant un ton assez proche de la comédie, en soulignant le décalage culturel entre le jeune homme urbain et l'environnement rural auquel il est confronté. Cet humour fonctionne d'ailleurs bien, notamment grâce aux comédiens, et compense, en partie, une certaine mollesse, ainsi qu'une volonté de créer du mystère là où il n'y en a guère. Le spectateur a, en effet, toujours quelques encablures d'avance sur les personnages.
LA NUIT DES VERS GÉANTS ne commence à nous montrer ses petites bêtes à l'œuvre qu'à partir de son exact milieu. Le mystère étant résolu, les manifestations des vers vont se faire de plus en plus violentes et spectaculaires. Même si il n'est pas muni d'un gros budget, Jeff Lieberman tente tout de même de jouer la carte du spectaculaire, en filmant des masses monstrueuses et grouillantes envahissant littéralement des rues et des maisons. Certes, les trucages ne sont pas toujours des plus convaincants, mais l'efficacité est là.
S'il souffre d'un léger manque d'originalité ou d'un rythme parfois hésitant, LA NUIT DES VERS GÉANTS s'avère, en fin de compte, une petite production sympathique. Aux USA, il est distribué par American International Pictures, d'abord dans sa version intégrale (classée « Restricted »), puis dans un montage légèrement raccourci pour obtenir la mention « Parental Guidance ». En France, il est d'abord montré au sixième Festival du Film Fantastique de Paris, avant d'être proposé en salles en novembre 1977. Après LA NUIT DES VERS GÉANTS, Jeff Lieberman persévère dans le fantastique avec un thriller de science-fiction : LE RAYON BLEU. Emmanuel Denis.
COMMENTAIRE : Dans une petite ville du Sud, des vers sortent de terre par milliers et dévorent plusieurs personnes. À l'aube, l'invasion monstrueuse se retire, ne laissant que trois survivants dans un arbre. Dictionnaire des films, Larousse.
NUITS DE CAUCHEMAR
Motel Hell
de Kevin Connor, 1980, US, 1h40, Couleurs
avec Rory Calhoun, Paul Linke, Nancy Parsons…
RÉSUMÉ : Les propriétaires d'un motel et d'une entreprise de charcuterie artisanale fabriquent des viandes fumées réputées pour leur saveur. En réalité ce sont les clients du motel, enterrés jusqu'à la tête et gavés comme des oies qui fournissent la matière première a la charcuterie familiale. Un jour, les proprios recueillent une jeune femme victime d'un « accident » de la route. Celle-ci bénéficie d'un traitement de faveur puisqu'elle vit en toute ignorance des agissements de ses sauveurs, étrangement acceptée comme un des membres de leur famille...
POINT DE VUE : On est surpris de retrouver le britannique Kevin Connor, qui avait signé un bon film d’épouvante à sketches pour la Amicus et plusieurs adaptations de Edgar Rice Burroughs – avec des dinosaures en plastique – dans son pays d’origine, aux commandes d’un film initialement proposé à Tobe Hooper. Il est vrai que Nuits de cauchemars (Motel Hell, 1980) rappelle par son atmosphère malsaine et ses ingrédients – fratrie dégénérée, touristes dépecés et cannibalisme – Massacre à la tronçonneuse et Le Crocodile de la mort. Kevin Connor se révèle moins baroque que Hooper, même s’il a lui aussi recours à des couleurs criardes et qu’il encourage ses comédiens à cabotiner. Nuits de cauchemars est avec Creepshow de Romero l’un des films qui s’approche le plus de l’esthétique et de l’esprit des E.C. Comics, ces bandes dessinées pour adultes aux histoires macabres, peuplées de personnages hideux au moral comme au physique.
L’argument de Nuits de cauchemars est célèbre et le film tient les promesses de son affiche. Un fermier et sa sœur, également patrons d’un motel (le fameux
« Motel Hell » du titre original), sont réputés pour la qualité de leur viande fumée, garantie sans conservateur et que s’arrachent les gourmets. L’origine de cette viande est inhabituelle, car il s’agit en fait de viande humaine que le fermier se procure en kidnappant puis tuant des clients de son motel ou des voyageurs imprudents. Le fermier psychopathe est interprété par Rory Calhoun, ancien second couteau du western apparu en vedette du Colosse de Rhodes de Sergio Leone. Méconnaissable, il s’est glissé dans la salopette de ce dingue avec une conviction inquiétante. L’actrice qui joue sa sœur, Nancy Parsons, au physique très particulier, est moins connue mais sa performance n’est pas piquée des hannetons non plus.
On trouve dans Nuits de cauchemars deux séquences atroces. Les victimes du fermier engraissées comme des oies, enterrées vivantes jusqu’au cou au fond d’un jardin, les cordes vocales tranchées, et un assaillant armé d’une tronçonneuse avec une tête de cochon en guise de masque, clin d’œil charcutier à Leatherface. Olivier Père.
COMMENTAIRE : Dans un motel de Californie, des hôteliers un peu détraqués engraissent des êtres humains dont ils fabriquent une excellente viande fumée ! Un curieux mélange d'humour et d'horreur. Dictionnaire des films, Larousse.
L’HORRIBLE INVASION
Kingdom of the Spiders
de John Bud Cardos, 1977, US, 1h34, Couleurs
avec William Shatner, Tiffany Bolling, Woody Store…
RÉSUMÉ : Enquêtant sur les morts mystérieuses d'un certain nombre d'animaux de ferme, le vétérinaire Rack Hansen découvre que la ville se trouve sur un nid de tarentules migratrices. Avant même qu'il ait pu agir, la ville se retrouve infestée par ces araignées meurtrières, qui finissent par assaillir un hôtel dans lequel des habitants se sont réfugiés...
POINT DE VUE : Après L’Invasion des araignées géantes, L’Horrible Invasion, réalisé deux ans plus tard, passerait pour un modèle de sérieux et de classicisme, et pour une superproduction hollywoodienne, ce qu’il n’est pas. C’est une petite production indépendante qui a marqué les esprits et figure parmi les titres les plus populaires du filon du film d’horreur animale, comme La Nuit des vers géants ou Soudain... les monstres. Nous passons du Wisconsin au Texas, mais restons dans la campagne américaine, avec l’histoire de mygales anormalement venimeuses s’attaquant d’abord au bétail de la région, puis aux humains jusqu’à un final apocalyptique. Les raisons de cette invasion sont d’ordre écologique, et la responsabilité de pulvérisations insecticides rendant les araignées plus résistantes est évoquée à plusieurs reprises.
Le film de John « Bud » Cardos est un remake à peine déguisé des Oiseaux de Alfred Hitchcock, chef-d’œuvre séminal du film catastrophe moderne dont il reproduit in extenso la conclusion, avec aussi la reprise de l’idée de la jeune femme blonde, sophistiquée et citadine dont l’arrivée dans une petite communauté rurale coïncide avec une vague de violence et de destruction. Le film possède l’avantage de ne pas souffrir d’effets spéciaux ringards, au contraire de nombreuses bandes fantastiques à petit budget, car les mygales à l’écran sont toutes – ou presque – de vraies bestioles mises en contact avec des acteurs particulièrement courageux, ce qui génère des scènes très réalistes et véritablement angoissantes. La mise en scène est fonctionnelle mais le film bénéficie de la présence de William Shatner (Star Trek) dans le rôle du héros vétérinaire et surtout de Woody Strode, superbe acteur noir vu chez John Ford et bien d’autres grands réalisateurs, en éleveur victime des premières attaques des mygales.
John « Bud » Cardos est une figure du cinéma d’exploitation américain. Réalisateur, cascadeur, acteur et producteur, ce Texan pure souche a signé une dizaine de films. Les plus connus sont L’Horrible Invasion et ses araignées poilues (de loin son meilleur long métrage), La Nuit des extra-terrestres et ses aliens en pâte à modeler, Gor, une piteuse « Heroic Fantasy » produite par la Cannon. Il a co-produit Le Mort-vivant de Bob Clark et collaboré en tant qu’acteur ou cascadeur à de nombreuses séries Z de son ami Al Adamson. On se souviendra aussi de lui pour avoir remplacé un autre célèbre cinéaste texan, Tobe Hooper, débarqué du tournage de The Dark en 1979 pour « différends artistiques » avec la production. The Dark est un film d’horreur au climat malsain dont l’élément fantastique du scénario – le tueur en série qui sème la terreur dans Los Angeles en décapitant et en brûlant ses victimes est un extra-terrestre – ait été intégré au scénario très tardivement, voire après le début des prises de vues. Olivier Père.
FANTASME
Phantasm
de Don Coscarelli, 1979, US, 1h30, Couleurs
avec Michael Baldwin, Kathy Lester, Bill Thornbury…
RÉSUMÉ : Le jeune Mike, treize ans, assiste en cachette à l'enterrement d'un ami. Après la cérémonie, il voit un colosse s'emparer du cercueil, qu'il soulève comme une plume. Le soir venu, Mike s'introduit dans le grand bâtiment au centre du cimetière et y découvre des activités déconcertantes. Il fait part de ses soupçons à son grand frère Jody, qui retourne avec lui au mausolée. Les deux frères acquièrent la conviction que des forces inconnues s'emparent des défunts dans un but innommable.
POINT DE VUE : Don Coscarelli fut en 1979 le réalisateur, scénariste, directeur de la photographie et monteur d’un extraordinaire Phantasm, bizarrerie cauchemardesque, bricolée et mal élevée qui préfigurait The Evil Dead et Donnie Darko, nichée au cœur d’un nouvel âge d’or du fantastique américain, investi par la folie et l’audace de jeunes réalisateurs indépendants. Coscarelli alors âgé de 25 ans et déjà auteur complet de deux longs métrages créait avec des moyens de fortune (un petit budget de 300 000 dollars, un tournage échelonné sur plusieurs mois, des effets spéciaux artisanaux mais efficaces) une atmosphère onirique à la fois effrayante et poétique. Phantasm explore les frayeurs de l’enfance avec une imagerie qui permet d’évoquer La Nuit du chasseur, version « E.C. Comics ». Le film adopte principalement le point de vue d’un jeune adolescent orphelin en admiration devant son frère aîné. Phantasm aborde des états émotionnels extrêmes: la peur, le deuil et l’expérience de la mort tels qu’un enfant angoissé par son entrée dans le monde des adultes pourrait les ressentir. Souvent proche de l’écriture automatique le film obéit à la logique des rêves, avec des visions terrifiantes et symboliques, dont une au moins – un doigt coupé au fond d’une boîte qui se transforme en insecte géant – permet d’évoquer Buñuel. Le film est entré dans la légende pour sa sphère d’acier volante dont les lames viennent perforer le crâne d’un malheureux égaré dans les dédales d’un mausolée aux murs de marbre blanc, tandis que « The Tall Man » incarné par Angus Scrimm figure au panthéon des croquemitaines du cinéma d’épouvante moderne. Cinéphile boulimique, Don Coscarelli revendique tout un réseau d’influences et de citations : Poe, Lovecraft, La Foire des ténèbres de Ray Bradbury, Invaders from Mars de William Cameron Menzies... Mais le film a surtout inventé sa propre mythologie, capable de nourrir quatre suites.
La dimension ésotérique de Phantasm, ses mondes parallèles et ses monstres tapis sous un paisible décor de bourgade américaine anticipent – en plus potache – l’univers de David Lynch et plus particulièrement sa série Twin Peaks. Olivier Père.
COMMENTAIRE : Un adolescent, orphelin depuis peu, découvre que des faits étranges se déroulent dans le cimetière Morningside. Le croque mort, surnommé le Tall Man, semble doué d'une force surhumaine et de petites créatures humanoïdes hantent les lieux. Entraîné par sa curiosité, il décide d'enquêter.
PHANTASM, petit film d'horreur sans prétention, sort en 1979 et contre toute attente remporte un joli succès dans de nombreux pays. Difficile d'expliquer cet engouement autour du film de Don Coscarelli. L'œuvre provoque rarement la peur voire jamais, alors que c'est l'un des objectifs principaux du réalisateur. PHANTASM souffre par moment d'une grande maladresse, toutes les scènes de la vie courante engourdissent le spectateur qui s'enfonce doucement dans une torpeur baignée d'ennui. Plus grave certaines séquences d'horreur prêtent à sourire. Quand Mike (le héros) et son grand frère combattent une mouche virulente, l'hilarité n'est pas loin. Difficile de résister en voyant ce pauvre effet spécial franchement raté, surtout quand les acteurs font semblant d'être entraînés par la force de l'insecte alors coincé dans un veston. Mais, si ce film comporte de grosses faiblesses, il n'en demeure pas moins réussi.
Don Coscarelli filme par moments avec une incroyable virtuosité. Quasiment toutes les scènes se déroulant dans le mausolée ainsi qu'au cimetière font preuve d'un talent évident. D'un plan à l'autre, PHANTASM, prend une dimension supérieure. On sent le metteur en scène véritablement motivé par ces deux décors. Le film ne fait toujours pas peur mais distille un climat lourd et inquiétant, surtout que le scénario alambiqué ne nous permet pas de véritablement comprendre les motivations du Tall Man (Angus Scrimm). L'agencement de certaines scènes finit de rendre le spectacle surréaliste. Les actions s'emboîtent parfois de façon légèrement incohérente. Mais cela ne nuit nullement au film, car l'étrangeté des moments se déroulant au cimetière et au mausolée contamine la banalité du reste. Grâce à cela PHANTASM devient une œuvre unique et envoûtante oscillant constamment entre cette banalité et une virtuosité certaine.
Une grande partie de ces fameuses scènes, appartenant au domaine de l'horreur, sont devenues cultes. L'attaque de la sphère métallique (gardienne de l'antre du Tall Man) reste, même encore aujourd'hui, d'une grande originalité. Cette « arme » vole dans les couloirs du mausolée à la recherche d'un intrus. Dès qu'elle le visualise, elle se plante dans le front du malheureux, et grâce à un ingénieux foret lui perce le crâne créant un esthétique geyser de sang. Magnifique. Cet effet spécial simple frappe par son efficacité et son ingéniosité, contrairement à l'attaque ridicule de la mouche. Précisons d'ailleurs que le geyser ne devait pas être aussi important. La réussite de l'effet est le fruit d'une bourde du responsable des effets spéciaux.
Don Coscarelli peaufine chaque apparition de son grand méchant qui se manifeste toujours au bon moment pour relancer le scénario. Angus Scrimm cabotine comme un fou mais ne se ridiculise jamais. Il grimace exagérément, utilise une voix d'outre tombe tout en restant crédible. Cela est dû en partie à sa taille gigantesque et à son physique particulier. Mesurant deux têtes de plus que tous les acteurs et incarnant un être dénué de toute humanité, les tics de l'acteur - il reprend les mêmes grimaces et la même voix à chaque interview depuis plus de vingt ans - renforcent la non-appartenance de son personnage à l'Humanité. La participation au casting de Angus Scrimm est l'une des grandes réussites du film et a sûrement participé à son succès.
L'un des autres points forts de PHANTASM est sa musique au thème entêtant. Plusieurs jours après la vision, ce morceau simple et efficace vous hante véritablement. Il distille une certaine mélancolie sur l'œuvre de Don Coscarelli. Après tout son film décrit la perte de l'innocence due à l'apparition de la puberté (le héros a treize ans). C'est à cet âge que la mort est comprise comme l'anéantissement du Moi, de l'être. Mike a tout simplement peur de mourir et essaie de combattre sa peur. PHANTASM peut être perçu comme une métaphore sur l'acceptation de l'horreur de la mort. Mais justement aucun des personnages n'accepte cet état de fait. Là, se situe sûrement la cause principale du succès de PHANTASM, car qui n'a pas rêvé de gagner face à la Grande Faucheuse ? Mais seulement rêvé, car après tout le Tall Man poursuit sa besogne à travers les différentes séquelles du film, d'ailleurs même la fin du premier est loin du happy-end. Damien Dupont.
FLAGELLATIONS
House of Whipcord
de Pete Walker, 1974, GB, 1h42, Couleurs
avec Barbara Markham, Ray Brooks, Patrick Barr…
RÉSUMÉ : Un vieil homme, résidant dans une vieille maison, conduit un institut correctionnel pour filles. Complètement déconnecté de la réalité et de son époque, assisté par une matrone qui aime faire souffrir les jeunes filles. Mais le fils de cette dernière tombe amoureux de l'une des filles et compte bien faire cesser toute cette ignoble mascarade.
POINT DE VUE : Mortelles confessions (House of Mortal Sin, 1976) et Flagellations (House of Whipcord, 1974). Les deux titres s’adressent en priorité aux amateurs de films crapoteux réalisés dans la perfide Albion dans les années 70 (ils sont légions). Mais le cinéma de Pete Walker possède des caractéristiques qui le rendent beaucoup plus intrigant que les films d’exploitations anglais standards.
Flagellations débute par un carton dont l’ironie apparente pourrait se révéler une fausse piste : « Ce film est dédié à tous ceux que le relâchement actuel des mœurs inquiètent et qui attendent avec impatience le rétablissement des châtiments corporels et de la peine de mort. »
Si les grands films d’horreur américain des années 70 et 80 ont souvent été perçus – à juste titre – comme politiquement subversifs, les films de Pete Walker ont coutume de mettre en scène la punition mortelle d’une jeunesse dévoyée ou de personnages jugés immoraux (tendances anarchistes et réactionnaires de Pete Walker, hostile à toute forme d’engagement ou de pensée humaniste). Ses films apparaissent ainsi comme la satisfactions de pulsions inavouables, davantage que des brûlots condamnant les institutions judiciaires, le système carcéral ou la religion. Flagellations est un catalogue de châtiments corporels dans lequel des femmes aux mœurs légères sont enlevées, séquestrées et jugées dans un bâtiment lugubre en rase campagne, soumise à un simulacre de justice.
Cette commission privée qui punit les femmes dépravées est constituée d’une galerie de monstres à peine humains, affligés de tares physiques et mentales. Flagellations est-il sadien, comme son sujet le laisse clairement supposer ?
Le dandy corrupteur qui tend un piège cauchemardesque à la naïve et gironde jeune Française installée à Londres s’appelle Mark Dessart, clin d’œil au marquis de Sade. Mais Flagellations est sans doute plus sadique que sadien. Walker manifeste davantage d’empathie avec les bourreaux, juges et gardiennes aux physiques atroces et aux délires pervers qu’à leurs victimes, pauvres filles écervelées dont il se délecte des souffrances et des infortunes. Walker cultive une esthétique de la laideur et de la folie d’une intensité peu commune dans le cinéma d’exploitation. Ses films, et en particulier celui-ci, sidèrent par leur cruauté, leur humour noir et leur vision lugubre de l’humanité. Olivier Père.
2000 MANIAQUES
Two Thousand Maniacs
d’Herschell Gordon Lewis, 1964, US, 1h27, Couleurs
avec Connie Mason, William Kerwin, Jeffrey Allen…
RÉSUMÉ : Six touristes s'égarent dans une région perdue de Floride, et se retrouvent dans un petit village, célébrant son centenaire. Malgré l'accueil chaleureux qui leur est réservé, les nouveaux venus ne tardent pas à s'apercevoir qu'il se passe quelque chose d'inquiétant et de mystérieux.
POINT DE VUE : À la fin des années cinquante, les cinémas gothiques américain, anglais et italien initient un renouveau considérable du film d'horreur. L'épouvante sur grand écran s'éclate ensuite dans des directions variées, parfois inattendues, mais néanmoins significatives. Ainsi, l'Américain Herschell Gordon Lewis y trouve une occasion de renchérir dans l'horreur explicite et de lancer la vague du cinéma Gore.
La britannique Hammer amorce déjà la tendance dès 1957, en particulier avec FRANKENSTEIN S’EST ÉCHAPPÉ ! et LA REVANCHE DE FRANKENSTEIN. Ces deux titres de Terence Fisher prétextent les expériences du savant prométhéen pour se permettre des éclats d'horreur sanglants jamais vus jusqu'alors sur grand écran. D'autant plus que l'emploi de la couleur apporte une crudité nouvelle.
Cinéaste œuvrant bien en marge d'Hollywood, Herschell Gordon Lewis commence à tourner des publicités dans les années cinquante, puis réalise des films érotiques au début des années soixante, Distribués hors des puissants circuits d'exploitants hollywoodiens traditionnels, ces titres échappent à la censure appliquée par la MPAA, organisme interprofessionnel régissant la production cinématographique. Cette indépendance permet des audaces impossibles dans le cinéma de Major d'alors.
La mode de ces «nudies» tend à s'essouffler et Lewis tourne pour un budget dérisoire BLOOD FEAST en 1963, film d'horreur en couleurs contenant des séquences très sanglantes. Cette œuvre est généralement considérée comme le premier film gore de l'histoire du cinéma, bien que la réalité historique soit plus complexe.
Lewis revient à l'effeuillage avec BELL, BARE AND BEAUTIFUL. Mais BLOOD FEAST provoque un scandale et connaît un certain succès. Lewis et son producteur-complice David F. Friedman décident de faire encore un film d'horreur gore pour un budget trois fois plus élevé, mais encore modeste, de 65 000 dollars. Il s'agit de DEUX MILLE MANIAQUES, tourné dans la petite ville de St-Cloud (en Floride !). Les habitants aident gratuitement Lewis et son équipe, font de la figuration et prêtent du matériel. Ainsi, le film paraît relativement riche. Nous retrouvons des acteurs déjà vus dans d'autres œuvres de Lewis, et en particulier dans BLOOD FEAST, comme William Kerwin et Connie Mason.
DEUX MILLE MANIAQUES raconte comment, dans les années 1960, les habitants de Pleasant Valley, des Sudistes ruraux, massacrent avec sadisme des voyageurs venus du nord des États-Unis - c'est à dire des "Yankees". Il dépeint une vision dérangeante et cruelle de l'hospitalité de l'Amérique profonde à l'égard des citadins, sur fond de rancœurs historiques liées à la Guerre de Sécession.
Cette confrontation entre deux Amériques annonce de nombreuses œuvres des années soixante-dix et quatre-vingts. Nous pensons aux touristes hippies égarés sur la propriété du Texan Leatherface dans MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE de Tobe Hooper ; ou bien la famille citadine traquée par les arriérés de LA COLLINE A DES YEUX de Wes Craven. Hors du domaine de l'horreur, plus proche du thriller, citons encore deux films semblables, se déroulant dans le bayou peuplé par des Cajuns peu amènes : DÉLIVRANCE de John Boorman (quatre citadins partis canoter sur une rivière sont persécutés par des indigènes sadiques) ; et SANS RETOUR de Walter Hill (des soldats de la Garde Nationale manœuvrant dans les marécages sont attaqués par les Cajuns). DEUX MILLE MANIAQUES précède à sa façon la vague du genre Survival qui arrivera dans les années soixante-dix.
Herschell Gordon Lewis peint d'une manière exacerbée les incompréhensions entre deux mondes complètement différents, mais censés partager des valeurs semblables au sein des États dits « Unis ». Une thématique qui encore tout récemment a éclaté de manière flagrante dans la vie publique et politique américaine, sous le mandat de Donald Trump !
Ce n'est pourtant pas pour son sous-texte socio-politique que DEUX MILLE MANIAQUES devient célèbre, mais pour ses fameux meurtres gore en couleurs, en avance sur leur époque (LA NUIT DES MORTS-VIVANTS et ses scènes de cannibalisme très crues n'arrive que quatre ans plus tard).
Ces crimes sont au nombre de quatre. Si le premier assassinat, avec un démembrement à coup de hache, est saisissant, c'est par la façon très inattendue dont il est amené, la qualité de ses effets spéciaux restant peu convaincante. Nous assistons ensuite à un écartèlement, là aussi bien amené, mais aux trucages décevants.
Nous passons ensuite au supplice dit "du tonneau" : un personnage est placé dans un baril dont l'intérieur est hérissé de clous ; puis le tonneau est lancé sur une pente, la victime se retrouvant déchiquetée au gré des cahots de la descente. Le résultat est très original et efficace, constituant le «clou» du métrage justement ! Enfin, le dernier meurtre, par écrasement, est long à se mettre en place, mais s'avère correctement réalisé.
Ces scènes frappent d'autant plus qu'elles se déroulent dans le contexte d'une aimable fête de village à laquelle tous les habitants participent. Y compris les vieillards et les enfants ! Cela crée un décalage teinté d'humour extrêmement noir. Cet humour grinçant se ressent encore à travers la réalisation bariolée de Lewis, usant et abusant de couleurs criardes et de zooms tremblotants. Il est aussi perceptible dans l'interprétation excessive de certains comédiens, comme les ignobles Lester et Rufe.
Hélas, entre les quatre fameuses séquences violentes (Lewis aurait voulu en faire d'autres, mais n'a pas pu faute de moyens financiers), DEUX MILLE MANIAQUES manque d'entrain. Les moments bavards et fastidieux, mal interprétés et filmés paresseusement, se multiplient.
Le dénouement de DEUX MILLE MANIAQUES bascule astucieusement dans le fantastique. Nous apprenons que le village de Pleasant Valley a été rasé par des pillards yankees durant la Guerre de Sécession. Depuis, le village et ses habitants apparaissent tous les cent ans pour se venger des Nordistes. Le producteur David F. Friedman a soufflé cette idée du village-fantôme à Lewis après avoir vu à Broadway une adaptation pour la scène de la comédie musicale BRIGADOON de Vicente Minelli (deux touristes américains se perdent dans la campagne écossaise et découvrent un village qui n'apparaît qu'une fois tous les cent ans).
Lewis transpose cette trouvaille dans l'Amérique profonde, en troquant l'intrigue sucrée et les chansons hollywoodiennes pour un récit plein d'humour noir et de meurtres sanguinolents. Cette dimension fantastique, violente et burlesque se voit soulignée par la séquence finale, tout à fait surréaliste : un spectre sort du marécage où il est resté englouti pendant des heures, et rejoint nonchalamment ses compères.
Lewis a souvent déclaré que DEUX MILLE MANIAQUES était, avec A TASTE OF BLOOD, le film dont il était le plus fier. Effectivement, grâce à son sujet fantastique intéressant et ses scènes de meurtres plutôt réussies, cette œuvre dépasse le simple statut de curiosité historique. Malheureusement, son script manque de rebondissements et de rythme, et nous pouvons le trouver ennuyeux par moment.
Des titres comme BLOOD FEAST ou DEUX MILLE MANIAQUES mettent en valeur un cinéma rustique et marginal qui, pouvant se permettre des audaces impossibles dans un Hollywood traditionnel, participe à l'emboutissage du code de censure régissant ce système. Trois ans après DEUX MILLE MANIAQUES, Arthur Penn signe BONNIE AND CLYDE pour la major Warner, mettant en scène des fusillades d'un niveau de violence sanglante inédit à Hollywood. Le ver du gore est rentré dans la grosse pomme du cinéma américain et est promis à un bel avenir ! Emmanuel Denis.
LES INSECTES DE FEU
BUG
de Jeannot Szwarc, 1975, US, 1h40, Couleurs
avec Bradford Dillman, Joanna Miles, Richard Gilliland…
RÉSUMÉ : Un tremblement de terre libère des insectes mutants qui ont la capacité d'allumer des feux et causent de terribles dégâts dans une petite ville des États-Unis.
POINT DE VUE : Après un séisme, d'étranges insectes sont localisés aux alentours d'une petite bourgade américaine. Le professeur James Parmiter va enquêter sur ces bestioles manifestement venues des profondeurs et dont les facultés sont des plus surprenantes…
Ayant rencontré un très gros succès, ROSEMARY’S BABY va resserrer les liens qui existaient déjà auparavant entre William Castle et la Paramount. Ainsi, durant les années suivantes, les films produits pour le cinéma par le cinéaste seront financés et distribués par la Paramount. Toutefois, seulement trois films, plutôt modestes, seront produits avant que le producteur ne décède et aucun n'aura l'envergure de ROSEMARY’S BABY. Néanmoins, LES INSECTES DE FEU, le dernier film de la filmographie de William Castle, sera le plus notable. Il sera ainsi nominé dans plusieurs festivals à travers le monde et remportera des prix à Sitges et au Festival du Film Fantastique de Paris où il obtiendra la Licorne d'Or ainsi que le Prix du Public.
À l'origine du sobrement intitulé BUG, qui deviendra donc LES INSECTES DE FEU en France, il y a un livre de science-fiction de Thomas Page. Publié en 1973 sous le titre «The Hephaestus Plague». L'adaptation pour le grand écran sera condensée par son auteur en collaboration avec William Castle. Toutefois, le cinéaste décide de ne pas réaliser le film qui sera confié à un réalisateur qui s'est surtout fait un nom à la télévision américaine jusque là. Pourtant, Jeannot Szwarc n'est pas Américain puisqu'il est originaire de la France. Après être passé par HEC et l'IDHEC, il commence à travailler sur des publicités et des documentaires. Il fait alors le pari de partir pour les Etats-Unis où il entend devenir réalisateur. Par l'entremise de la télévision, il se fait donc un nom en travaillant sur divers téléfilms et séries télévisées (L’ENVERS DU TABLEAU, L'HOMME DE FER, LE VIRGINIEN, COLUMBO…). Après EXTREME CLOSE-UP, sur un scénario de Michael Crichton, son deuxième film pour le cinéma, LES INSECTES DE FEU, va connaître une véritable distribution internationale et il ne tardera pas, ensuite, à mettre en scène LES DENTS DE LA MER : DEUXIÈME PARTIE suivi de l'excellent QUELQUE PART DANS LE TEMPS plutôt éloigné, du coup, des insectes qui nous intéressent ici…
LES INSECTES DE FEU est un film assez surprenant dans son déroulement. Le film débute comme tout film de menace animale mais change quelque peu de directions arrivé à la moitié du métrage. Dans cette seconde partie, l'histoire se resserre sur son personnage principal et ses observations de curieux insectes. À partir de cet instant, LES INSECTES DE FEU se rapproche plus du PHASE IV de Saul Bass que d'un métrage où l'humanité doit faire face à des nuées de bestioles. Présent dans le livre original et certainement très arrangeant pour le budget du film, ce traitement carrément intimiste donne un ton très particulier au film de Jeannot Szwarc. Ainsi, les conventions du genre sont quelque peu chamboulées en suivant un scientifique dont l'obsession n'en font pas un personnage sympathique. Bien au contraire, suite à un événement tragique, l'homme de science sombre dans une sortie de folie qui l'écarte de sa vie normale pour se concentrer exclusivement sur les insectes au détriment des êtres humains. L'acteur Bradford Dillman trouve d'ailleurs ici l'un de ses meilleurs rôles. En tout cas, le comédien aura maille à partir avec les animaux à plusieurs reprises tout au long de sa carrière : chauves-souris (CHOSEN SURVIVORS), abeilles (L’INÉVITABLE CATASTROPHE) ou piranha (PIRANHAS).
Plutôt ambitieux, LES INSECTES DE FEU a tout de même quelques défauts qui se mêlent souvent à ses qualités. Par exemple, il fait partie des films qui réussissent à provoquer dans une même séquence de la tension, voire de la répulsion, et une situation ridicule. C'est le cas lors de la mort d'un personnage où le dégoût des insectes est assez bien exploité. Des insectes se déplacent sur les vêtements de la victime à son insu ce qui met le spectateur dans une position angoissante. L'issue de la séquence casse un peu l'effet en mettant littéralement le feu à sa perruque… Le traitement paraît souvent bien étrange car naviguant entre le film de terreur et le comique involontaire. Reste que LES INSECTES DE FEU traite son sujet avec assez de sérieux et de rigueur pour que l'on excuse ses embardées surréalistes. Enfin, le final du film va, lui aussi, à contre courant des œuvres du genre nous offrant un épilogue assez radical où le personnage principal rejoint accidentellement les insectes avant que la menace ne s'estompe. Une fin assez sombre qui pourrait être vu comme une allégorie des scientifiques jouant avec le feu. Le professeur provoque sa propre perte après avoir manipulé les espèces sans s'interroger au préalable sur les conséquences de ses actes.
Si LES INSECTES DE FEU fait penser à PHASE IV en raison du traitement de son sujet, un autre point commun rapproche les deux films. En effet, Ken Middleham assure ici les prises de vues mettant en scène les insectes comme il avait pu le faire auparavant sur le film réalisé par Saul Bass. Le technicien avait d'ailleurs déjà travaillé sur un autre film, orienté vers le documentaire, que l'on peut facilement voir comme l'ancêtre de PHASE IV et, dans une moindre mesure, LES INSECTES DE FEU. Spécialiste d'images macrographiques, Ken Middleham s'occupera aussi des effets spéciaux mettant en scène des plantes dans MUTATIONS de Jack Cardiff ou participera à plusieurs séquences des SURVIVANTS DE LA FIN DU MONDE de Jack Smight.
Il est aussi important de noter que le film mis en scène par Jeannot Szwarc poursuit son approche atypique en utilisant un habillage «musical» synthétique à la limite de l'expérimental. Charles Fox ne compose pas vraiment une musique traditionnelle pour ce qui s'apparente, à l'arrivée, à des ambiances sonores plutôt qu'à des thèmes ou motifs mélodiques. Enfin, en plus de Bradford Dillman, LES INSECTES DE FEU met à l'écran Joanna Miles mais aussi Patricia McCormack qui incarnait une vingtaine d'années auparavant l'inquiétante petite fille de LA MAUVAISE GRAINE réalisé par Mervyn LeRoy. Elle est, avouons le, bien moins marquante, en tant qu'actrice, dans LES INSECTES DE FEU. Mais, l'ensemble du casting fait honnêtement son travail de façon à donner vie à cette étrange histoire d'insectes venus des entrailles de la terre mais aussi issus des expériences d'un scientifique dévoré par ses obsessions. Antoine Rigaud.
BABY BLOOD
de Alain Robak, 1989, France, 1h24, Couleurs
avec Emanuelle Escourrou, Christian Sinniger…
RÉSUMÉ : Yanka, 23 ans, est la jeune maîtresse du directeur d'un cirque itinérant, un homme colérique et brutal. Un jour, un léopard en provenance d'Afrique est accueilli comme nouveau pensionnaire au sein de la ménagerie. La nuit même, l'animal est retrouvé dans sa cage en un tas informe de chair sanguinolente. Alors qu'une battue s'organise pour retrouver le responsable du forfait, une mystérieuse forme de vie qui habitait les entrailles du fauve s'introduit dans le corps de Yanka au cours de la nuit. Le lendemain, la jeune femme se trouve enceinte d'un être sanguinaire qui la pousse au meurtre pour assouvir son insatiable soif de sang humain...
POINTS DE VUE : Baby blood avait en soi quelque chose d’assez stimulant. La jeune maîtresse d’un directeur de cirque itinérant s’ennuie et attend qu’il lui arrive quelque chose dans la vie. Cela ne tarde guère car une drôle de chose se propage dans son ventre. Oui mais quoi ? Bah, un petit être qui parle, qui a faim et soif de sang... Avec Baby blood, Robak passe, en quelque sorte, pour notre Hershell Gordon Lewis à nous. Le film, lui, est extrêmement sympathique mais ne pousse pas suffisamment loin son argument de base et aurait peut-être mérité un traitement plus original. Mais les intentions louables, le cameo rigolo d’Alain Chabat et quelques sympathiques excès saignants sauvent le résultat final, pas si déshonorant. Depuis, on a vu son dernier film La taule, et on pleure. Romain Le Vern.
Une panthère expédiée d'Afrique arrive dans un cirque où Yanka est l'assistante du dompteur. Dès la nuit suivante, la panthère est retrouvée déchiquetée alors que Yanka est devenue l'hôte d'une créature qui entend se développer dans son ventre…
BABY BLOOD est souvent cité comme le premier film gore du cinéma français. En réalité, d'autres avaient déjà commencé à défricher le terrain auparavant. On trouve ainsi divers métrages français parés d'éléments franchement gore, que ce soit dans le cinéma de Jean Rollin (LES RAISINS DE LA MORT, LA MORTE-VIVANTE…), les films de Raphael Delpard (LA NUIT DE LA MORT et CLASH) ou même des œuvres plus isolées comme LES PRÉDATEURS DE LA NUIT de Jesus Franco, lui-même un remake des YEUX SANS VISAGE, qui devait être considéré comme particulièrement sanglant dans les années 60. Il faut pourtant reconnaître qu'aucun n'avait poussé la formule du gore pour le gore aussi loin que BABY BLOOD.
Avant de se lancer dans l'aventure du gore, on propose à Alain Robak de tourner un court-métrage pour une série nommée ADRENALINE à destination de Canal+. Le réalisateur français est partant, surtout qu'il voit là une façon d'évaluer les soucis d'un tournage de film gore avant de passer à un long métrage. CORRIDOR avait été diffusé dans les salles de cinéma en 1990 dans ADRENALINE LE FILM, une compilation de courts-métrages français, distribuée comme un film traditionnel. On peut d'ailleurs déjà y retrouver Jean-François Gallotte, qui interprète le rôle principal de cet amusante histoire immobilière, avant qu'il n'aide Alain Robak pour BABY BLOOD où il joue, en plus, l'un des rôles.
Une quinzaine d'années après sa sortie, le film n'a pas pris une ride et les effets spéciaux de Benoit Lestang et Jean-Marc Toussaint ont gardé toute leur efficacité sanglante. Le scénario est quant à lui des plus simplistes et n'a sûrement pas besoin d'une grande analyse puisqu'il se résume au parcours d'une jeune femme enceinte d'une créature qui a besoin de sang humain pour se développer. À partir de là, l'histoire raconte son voyage au gré des rencontres et des victimes qu'elle laisse sur le bas-côté de sa route. Etrangement, quasiment tous les hommes qu'elles croisent sont dépeint comme des machos ou des personnages très négatifs : le gérant du cirque, Jean-Yves Lafesse en camionneur, un looser (Jean-François Gallotte) et même une équipe sportive prête à la violer dans un car. Ce qui n'est pas sans rappeler vaguement un passage d’ELLE S’APPELAIT SCORPION, autre film où la gente masculine n'est pas dépeinte sous son meilleur jour.
Les péripéties de cette femme enceinte en quête d'hémoglobine constituent donc une comédie très noire où l'actrice Emmanuelle Escourrou, alors débutante, se livre totalement à la caméra. Le sexe étant rarement éloigné du cinéma gore, les deux étant à même de délivrer des images «osées» ou «choquantes». À partir de là, il apparaît évident que BABY BLOOD ne sera pas au goût de tout le monde surtout que certains passages sont parfois assez glauques et d'une grande noirceur. Christophe Lemonnier.
À sa sortie en 1990, BABY BLOOD d’Alain Robak ne fit pas grand bruit. Enfin, si. Auprès d’un public d’initiés, amateur de genre. L’improbable long-métrage obtint, en effet, le prix du jury au Festival international du film fantastique d’Avoriaz. Et ce, alors qu’il y était présenté hors compétition – une situation jusqu’alors inédite et demeurée unique. L’anecdote derrière ce prix se révèle en tout point croustillante. Et pour cause. Alors même qu’il était déçu de voir son œuvre écartée de la compétition, le jeune Alain Robak croise Wes Craven, maître incontesté de l’horreur, père de Freddy Krueger et de la saga Scream. Ce dernier lui avoue avoir été sidéré par BABY BLOOD et ne conçoit pas qu’il ne puisse pas concourir pour recevoir un prix. Ainsi donc, Craven partit en croisade auprès du jury et obtint gain de cause. Incroyable.
D’autant plus incroyable qu’une proposition telle que BABY BLOOD paraît désormais remplir parfaitement le cahier des charges du film de festival. Dans une époque qui sacre TITANE Palme d’Or, on peine à comprendre comment le film d’Alain Robak a pu être écarté de la compétition en son temps. Un film de genre francophone. Avec tout ce que ce bagage implique. Notamment le soutien inéluctable de la niche française, représentée précédemment par Avoriaz, de nos jours par Gérardmer. Or, à l’époque, même sur le lieu où le film d’horreur doit logiquement être célébré, BABY BLOOD est jugé « trop sanglant ». Dès lors, on comprend mieux pourquoi la Palme de Ducournau, décernée par un festival prestigieux et pluraliste – bien loin de ces niches de genre, relève presque du miracle.
S’il n’avait pas été remarqué par Wes Craven, qu’aurait-on gardé de BABY BLOOD ? Sûrement peu de choses, hormis les apparitions surréalistes de certaines éminences du paysage audiovisuel francophone. Car oui, sous les coups de Yanka, jeune circassienne condamnée à boire du sang pour nourrir le démon dans son ventre, tombent notamment Alain Chabat et Jacques Audiard. Et ils meurent la gorge tranchée dans un râle iconique pour l’un, décapité par un cric de voiture pour l’autre. On croise aussi le regretté Jean-Yves Lafesse, ignoble en chauffeur routier satyre, bizarre et dérangeant. Tous sont venus sur ce tournage pour s’amuser, exaltés par la perspective d’un film gore à la française. Les Evil Dead de Sam Raimi ne sont pas loin. Désormais, les amateurs veulent du sang, mais aussi et surtout du fun.
Or, du fun, BABY BLOOD en répand des litres, comme autant d’hémoglobine. Le film fourmille d’une créativité manifeste, ainsi que d’une candeur attachante. On remarque effectivement un amour bien distinct pour le film sanglant à l’américaine. On y perçoit quelque chose du Maniac de William Lustig, dans ses décors cradingues et son ambiance poisseuse. Aussi, un sens de l’auto-dérision et une drôlerie grinçante chez ce démon, que l’on entend s’adresser directement à Yanka d’une petite voix fluette. La touche française se distingue certainement au travers de ce personnage d’ailleurs. Yanka, cette femme qui, au cours du récit, prend réellement possession de sa sexualité. Une sexualité, dont elle était de prime abord la victime passive : Emmanuelle Escourrou incarne d’abord une ingénue, puis une prédatrice vorace et captivante.
Car oui, BABY BLOOD se révèle à ce point intéressant qu’il ose une inversion des codes. Des années avant The Devil’s Reject, la caméra choisit de suivre non pas la victime, mais l’agresseur. Aussi, de rendre cet agresseur sympathique. Dix ans avant Buffy contre les vampires, celle que l’on imagine être la victime devient même une furie dangereuse, capable de retourner une arme contre son oppresseur. Précurseur, pionnier, BABY BLOOD souffre cependant du poids des années et pourra paraître risible au spectateur non-initié. Nonobstant, l’amateur de genre éclairé s’émerveillera de ce bijou de l’horreur française, peut-être un peu tombé en désuétude, certes – mais certainement pas négligeable. Car pour un TITANE palmé, n’oublions jamais qu’il aura fallu plusieurs dizaines de BABY BLOOD pour s’hasarder, se risquer et tâtonner dans le noir. Lily Nelson
LA MALÉDICTION D’ARKHAM
The Haunted Palace
de Roger Corman, 1963, US, 1h26, Couleurs
avec Debra Paget, Vincent Price, Lon Chaney…
RÉSUMÉ : En Nouvelle-Angleterre, Joseph Curwen, un sorcier, est brûlé vif par des villageois. En mourant, il leur promet sa vengeance. 110 ans plus tard son descendant, Charles Dexter Ward, hérite du château de son arrière-arrière-grand-père et part s'y établir. Sur place, les villageois, dont certains souffrent de malformations congénitales, lui réservent un accueil hostile, persuadés que la venue de Ward signifie le retour de Curwen. Et effectivement, une fois au château, Ward va être envoûté par le portrait de son aïeul, à tel point qu'il va sembler être littéralement possédé par l'esprit du sorcier...
POINTS DE VUE : Un magicien brûlé au XVIIIe siècle revient, cent ans plus tard, habiter le corps et l'esprit de son descendant pour tirer vengeance de ses bourreaux. Une réussite dans un genre que Corman a beaucoup illustré, et le climat des œuvres de Lovecraft. Dictionnaire des films, Larousse.
Surtout connu pour ses productions de série B ou Z, Roger Corman est cependant un grand nom du cinéma américain. Premièrement, car il est un découvreur de talent qui a marqué le septième art : c’est chez lui que Scorsese, Cameron et Coppola ont fait leurs débuts. Et deuxièmement, car il fut un temps où Corman était un réalisateur de films horrifiques soignés et à l’atmosphère gothique qui rivalisait facilement avec le meilleur des productions Hammer. Auteur d’une très bonne série d’adaptations d’Edgar Allan Poe dans les années 60 dont l’excellent Le Masque de la Mort Rouge, La Malédiction d’Arkham s’inscrit dans cette mouvance de manière fort étrange. Vaguement inspiré d’un poème de Poe qui donne son titre américain au film : The Haunted Palace, le titre français, est pour une fois plus proche de la réalité car il fait directement référence à l’inspiration littéraire de ce film : H.P. Lovecraft. Car il s’agit en effet d’une adaptation de « L’Affaire Charles Dexter Ward », une des meilleures nouvelles de l’auteur. Et Corman n’hésite d’ailleurs pas à référencer de très nombreux aspects du mythe lovecraftien : la ville d’Arkham, le dieu Cthulhu, le livre maudit Necronomicon, tout est là... Ainsi, de façon paradoxe, La Malédiction d’Arkham est l’une des plus fidèles adaptations de Lovecraft, auteur régulièrement trahi au cinéma, quand bien même le film se prétend inspiré de Poe.
Mais ce qui fait de ce film une adaptation réussie c’est avant tout le mythique Vincent Price qui livre ici une performance mémorable. Dans le double rôle de Charles Dexter Ward et de son ancêtre maléfique Joseph Curwen, il est tantôt plaisant et charismatique, tantôt merveilleusement maléfique. Roger Corman a d’ailleurs fait fort au niveau du casting qui regorge de seconds couteaux légendaires du cinéma d’horreur américain dont notamment le génial Lon Chaney Jr, le fameux Wolf Man de la Universal dans les années 40, ici plus inquiétant que jamais. Il est accompagné par un ensemble génial : de la superbe Debra Paget en passant par les charismatiques Frank Maxwell et Leo Gordon.
Roger Corman est également au top de sa forme dans La Malédiction d’Arkham qui brille par son ambiance typique du cinéma horrifique d’antan qui a toujours autant de charme et procure encore quelques frissons. La ville éternellement brumeuse d’Arkham, tout comme son cimetière surréaliste, ont probablement marqué l’imaginaire d’un jeune Tim Burton. Le visuel du film est resplendissant, accentué par la photographie de Floyd Crosby. Tout est là pour nous offrir un cocktail d’épouvante sixties parfaitement réalisé : un soupçon d’érotisme, une bande-son dramatique aux leitmotivs répétés régulièrement et quelques superbes « matte paintings » qui compensent les décors trop peu nombreux. Car malheureusement le film souffre très visiblement d’un manque de moyens que la bonne volonté de Corman et de son équipe n’arrivent jamais à véritablement compenser. Il en résulte quelques maquillages grotesques et une créature finale sensée effrayer mais qui procure surtout l’hilarité. Il est bien regrettable que le réalisateur insiste à nous monter ce monstre inanimé à plusieurs reprises quand bien même tous les récit de Lovecraft insistent sur le fait que les inquiétants dieux anciens qu’il dépeint sont impossibles à interpréter par l’œil humain. Un petit bémol lors d’une conclusion qui s’éternise malgré la courte durée du film. Malgré ces défauts, La Malédiction d’Arkham reste parfaitement recommandable pour les amateurs de séries B à l’ancienne qui trouveront là une solide adaptation des cauchemars éveillés du grand H.P. Lovecraft. Jean Demblant.
CÉRÉMONIE SANGLANTE
Ceremonia sangrienta
de Jorge Grau, 1973, Espagne/Italie, 1h28, Couleurs
avec Lucia Bosè, Ewa Aulin, Ana Farra…
RÉSUMÉ : Hongrie, au début du XIXème siècle, la comtesse Erzebeth Bathory se morfond dans son château, tiraillée entre le sentiment d’abandon de son époux le marquis et sa peur de vieillir. Découvrant par hasard que quelques gouttes de sang sur sa peau l’ont rajeunie, elle va faire assassiner des jeunes vierges et se baigner dans leur sang.
POINTS DE VUE : Au début des années 70, alors que le cinéma gothique est progressivement sur le déclin, une vague de films s’empare de la légende de la comtesse Bathory afin d’exploiter son capital sulfureux. Pour mémoire, cette représentante de l’aristocratie hongroise du 17e siècle a fait l’objet d’un retentissant procès où elle fut accusée d’avoir assassinée des dizaines de jeunes femmes afin de se servir de leur sang de vierge pour conserver sa jeunesse. Bien évidemment, cette histoire tient davantage de la légende populaire que de la véracité historique. Cela importe peu à la Hammer qui livre en 1971 une Comtesse Dracula (Peter Sasdy) de piètre envergure. On lui préfère largement le magnifique Lèvres rouges d’Harry Kumel qui déplace l’intrigue à l’époque contemporaine. Toutefois, le métrage le plus intéressant, mêlant à la fois approche horrifique et historique, est sans aucun doute ce Cérémonie sanglante.
Ce long-métrage espagnol a été tourné par Jorge Grau, que les amateurs de fantastique connaissent bien pour avoir été l’auteur l’année suivante du formidable Massacre des morts-vivants (1974), sorte de chaînon manquant entre Le Jour des Morts-vivants et Zombie. Ici, le réalisateur prend le parti de n’aborder le thème fantastique que sous l’angle le plus réaliste possible. Accusée de vampirisme, la Bathory n’est rien d’autre qu’une aristocrate désirant plaire à son époux déviant. Dès lors, le couple pervers exploite les peurs ancestrales du petit peuple afin de servir leurs intérêts. Puisque les paysans craignent les vampires, il suffit d’un petit tour de passe-passe pour mettre tous leurs crimes sur le dos d’une entité maléfique. Cette approche plus réaliste n’empêche nullement le cinéaste de plonger tête la première dans la folie criminelle de ce couple maudit.
Conscient de livrer un produit d’exploitation, le réalisateur ose faire couler le sang de manière abondante, tout en insistant sur la perversité du couple. Une certaine nudité se retrouve également dans les copies internationales du film, malheureusement la copie restaurée vient d’un master espagnol bien plus prude. Il faudra donc se contenter des scènes alternatives pour goûter pleinement la déviance des personnages principaux. Mais Cérémonie sanglante ne peut aucunement se résumer à un film d’exploitation qui surferait avec complaisance sur le thème à la mode du vampirisme et de l’Inquisition. L’approche du réalisateur s’avère plus fine et quelques notations dans les dialogues tendent à établir un comparatif entre cette classe sociale aristocratique qui vampirise les plus pauvres et le régime franquiste en place.
Le film peut dès lors se lire à l’aune de la situation de l’Espagne des années 70, un peu comme dans le cas de La résidence, chef d’œuvre du gothique espagnol datant de 1969. Le couple assassin serait à l’image des dirigeants nationalistes du pays, dissimulant leurs crimes aux yeux d’une population exsangue et incapable de réagir. Cette interprétation rend le métrage encore plus intéressant par son sous-texte audacieux. Toutefois, l’amateur de cinéma bis et déviant doit impérativement visionner ce long-métrage très rare par la beauté de ses images, la classe de sa réalisation, ainsi que l’interprétation sans faille de l’impériale Lucia Bosé. On adore son mépris hautain envers son entourage et son absence totale de remords. Son duo avec l’inquiétant Espartaco Santoni est assurément un grand moment de cinéma. Enfin signalons la présence de la starlette suédoise Ewa Aulin qui assure plutôt bien en proie désirable.
Marqué par une sexualité très présente, mais comme réprimée par la censure de l’époque, Cérémonie sanglante est une vraie découverte qui prouve la richesse du cinéma de genre européen, dont tout un pan reste encore à exhumer, pour notre plus grand bonheur. Virgile Dumez.
Inédit en France, hormis le passage au Festival du Film Fantastique et de SF de Paris en 1974, Cérémonie sanglante arrive en France dans un combo BluRay/DVD/Livre chez Artus Films. Dans sa version espagnole (donc version « habillée ») pour cette co-production iberico-italienne. Les plus alertes auront tôt fait de pointer que Jorge Grau n’est autre que le fameux auteur catalan du Massacre des morts-vivants, demeurant l’un des plus grands films sur le sujet des morts-vivants. Il s’attaque ici à une ré-interprétation du mythe de la Comtesse Bathory, suivant un chemin diamétralement opposé.
À noter que la présence de crucifix n’est notable que dans le cadre de la représentation de la loi - totalement absente du récit au coeur du village et des croyances de vampires qui y sévissent. Une loi qui cède aux sirènes de ragots et superstitions, virant aux tortures et autres applications quasi inquisitrices, comme la découpe de la langue. Un critique à peine voilée de la religion et d’une loi inique. Ce que tente de retranscrire visuellement la mise en images: une réussite.
Un gout très sûr des couleurs, de leur signification à l’écran - une volonté certes de gothique prononcé, de couleurs baroques - mais très différent de l’expérimentation italienne, plus sur des clichés de candélabres éclairant des couloirs sombres ou de gouvernante maléfique. Grau participe ainsi à une volonté d’authenticité du sujet, sans céder aux sirènes des chausses-trappes du gothique italien des années 60. Le film reste ainsi très éloigné des représentations du vampirisme éthéré de Jean Rollin, de l’érotisme urbain prononcé de Jesus Franco - à comparer avec La Fille de Dracula, il y a un univers ! - Hors de question de refaire un style qui a connu son heure de gloire, mais bien d’emprunter un chemin plus abscons, cédant assez peu aux facilités du genre. Une linéarité qui fait presque office de retour aux sources du récit de fascination pour le sang - avec une certaine dépravation aristocratique en toile de fond. Une manière très fine d’induire des éléments sociologiques inattendus. En fait, un thème très proche de celui de Traitement de choc d’Alain Jessua, avec les riches de ce monde tentant de perpétuer leur emprise sur le petit peuple, en se nourrissant de leur vitalité-même.
Une rationalisation du surnaturel, à l’inverse de qu’il fit en embrassant le thème central dans Le Massacre des morts-vivants. Tout en gardant un ton excessivement sérieux, peu amène, avec un rythme lent mais imparable - cédant assez peu à la mode de l’épouvante et des moments-chocs. Une célébration du macabre autour du mythe finalement assez peu caressé de la Comtesse Bathory. Plus traité comme un fait historique (certes romancé) qu’un récit d’épouvante ou d’horreur. Même si thématiquement, les deux films se répondent en miroir, comme cette scène où la Comtesse hallucine de voir les corps pourrissant de ses victimes l’assaillant, élément qu’on retrouvera avec les zombies se réunissant pour attaquer les survivants dans son film suivant. C’est cependant peut-être cette absence de surnaturel et d’horreur qui dérouta plus d’un fan du Massacre des morts-vivants…
Le surnaturel pur ne s’installera pas en creux du récit. Si l’on note bien quelques chauves-souris torturées par des enfants (une scène d’ailleurs de torture animale bien inutile, tellement propre aux élans des années 70…), les accusations de vampirisme restent le fruit de simulacres ou de croyances profondes. Mais en aucun cas d’actuel vampire !
Jorge Grau réussit à damer le pion à des productions britanniques (type Hammer) qui avaient grandement du mal à se renouveler. Peinant à trouver source d’inspirations novatrices, et sombrant dans une certaine redondance. Cérémonie sanglante réinvente le conte vampirique en prenant le contre-pied de ce qui fit son succès. Les cimetières sont remplis de gens vivants , le château n’y est pas lugubre, les fantômes sont ceux du passé - et célébrés avec des masques et les vampires n’existent pas. Et il possède de plus une certaine ingéniosité à entrelacer les différentes sous-intrigues qui parsèment le film, comme celui du charme intemporel de Marina (Ewa Aulin), cherchant à charmer le Comte.
Une efficacité non seulement visuelle, narrative, mais également dans la direction d’acteur. Lucia Bosé demeure la clé de voute du film. Impressionnante, altière, : elle met littéralement chacun et chacune au pas de ses désirs. Grau lui adjoint le très charismatique Espartaco Santoni, lui aussi possédant un regard et une présence magnétiques qui donnent beaucoup à la crédibilité de l’ensemble. La fragile mais charmeuse Ewa Aulin aux curieux relents SM, complète un tableau vénéneux, en plus d’une galerie de seconds rôles parfaitement dessinés… et aux présences énigmatiques, voire inquiétantes dans certains visages apparement sans expression - mais d’une puissance insoupçonnée. On louera également l'interprétation de la gouvernante au destin funeste (Ana Farra), dont la fascination pour la Comtesse rappelle quelque peu le personnage de Mrs Danvers dans le Rebecca d’Alfred Hitchcock.
Cérémonie sanglante s’avère une très belle découverte, dotée d’une splendide copie qui est un véritable ravissement pour l’œil et rend grâce à la somptuosité gothique qui habite le long-métrage. Francis Barbier.
Cérémonie Sanglante est un film espagnol qui se penche de manière relativement libre sur le personnage de la Comtesse Bathory. On est ici aussi loin du Countess Dracula (1971) de Peter Sasdy que de l’approche de films plus récents comme le Bathory (2008) de Juraj Jakubisko ou de La Comtesse (2008) de Julie Delpy. L’héroïne n’est pas l’aristocrate bien connue, mais une de ses descendantes. Pour autant, son obsession pour la jeunesse éternelle va la voir passer par les mêmes obsessions, et l’histoire va se répéter. Le film convoque une ambiance gothique qui en appelle à la Hammer, mais ne montre finalement aucun élément fantastique à l’écran, laissant au spectateur le soin de trancher.
Cérémonie Sanglante est une variation très originale sur l’histoire de la comtesse, qui convoque au passage des éléments issus d’un folklore vampirique beaucoup plus large. Pour autant, le film n’est aucunement de bric et de broc, et le récit est mené sans temps morts ni retournements de situations peu convaincants. L’ensemble est bien réalisé et filmé, structuré autour de deux trames qui ne cessent de se recouper (le procès initial du vampire, les obsessions d’Erszebeth). Les habitués du genre retrouveront des éléments déjà vus à l’écran (que ce soit à cette époque, ou dans les longs-métrages sortis depuis), mais Jorge Grau tire son épingle du jeu. A noter que s’impose rapidement le couple Erszebeth/Karl, tous deux atteints de perversions et d’obsessions qui les mèneront à leur perte.
Malgré l’absence de scènes surnaturelles, la totalité du film baigne dans le folklore vampirique. Les premières images montrent ainsi les villageois à la recherche du vampire qui sévit à Caltice. Pour identifier la tombe du concerné, ils font parcourir le cimetière à un jeune homme nubile monté sur un cheval n’ayant jamais sailli, lequel finit par se cabrer sur ce qui est considéré comme « la » tombe abritant le buveur de sang. L’un des villageois brandit alors un pieu et un maillet, qui servent à empêcher la créature de revenir, et on disposera du corps du vampire dans les flammes, après l’avoir décapité. Le métrage fait une référence évidente à Carmilla par l’entremise d’un personnage de ce nom, sorte de sorcière qui conseille la fille de l’aubergiste. Même chose pour le magistrat Helsing, qui siège lors du procès. Et que dire du supposé vampire sur lequel s’ouvre le film, Plojovitz ? Une allusion à peine voilée à l’un des plus fameux cas de vampirisme, dont le Marquis d’Argens a été un des premiers à faire état, dans ses « Lettres Juives ». À noter enfin la mise en scène d’un procès pour vampirisme, au cours duquel les personnes considérées comme harcelées par ce dernier viennent justifier de l’importance de se débarrasser de leur tortionnaire en respectant la tradition.
Un film aussi inédit par chez nous qu’assez innovant dans son genre, en cela qui mêle à la fois références littéraires et aspects folkloriques (le rituel du cheval et du jeune garçon étant très peu utilisé au cinéma). L’ensemble n’est certes pas vraiment fantastique, mais l’ambiance dans laquelle évoluent les personnages, les acteurs convaincants et une image aussi gothique que réussie achèvent d’en faire une œuvre à considérer. Vladkergan.
LA MALÉDICTION DES PHARAONS
The Mummy
de Terence Fisher, 1959, GB, 1h28, Couleurs
avec Peter Cushing, Christopher Lee, Yvonne Furneaux…
RÉSUMÉ : Trois archéologues anglais (John Banning, son père Stephen Banning, ainsi que son oncle Joseph Whemple) découvrent le tombeau de la princesse Ananka, la grande prêtresse égyptienne du temple de Karnak, morte il y a quatre mille ans. Ils sont victimes d'une malédiction pour avoir réveillé le garde sacré du tombeau, la momie Kharis.
POINT DE VUE : En 1895, trois archéologues britanniques explorent la sépulture inviolée de la princesse égyptienne Anaka. Trois ans plus tard, ils affrontent la vengeance de Kharis, la Momie vivante gardienne de ce tombeau.
En 1959, après les succès de Frankenstein s’est échappé ! et Le Cauchemar de Dracula, la compagnie Hammer et son réalisateur Terence Fisher ont le vent bien en poupe. Ils imposent leur esthétique gothique au public international et rendent leur popularité aux mythologies de l'épouvante. Pour La Malédiction des pharaons, ils réunissent leur équipe habituelle (les comédiens Peter Cushing et Christopher Lee, le décorateur Bernard Robinson, le chef-opérateur Jack Asher...) pour la première version « made in Hammer » de La Momie, réalisée en son temps par Karl Freund pour Universal.
Un petit récapitulatif s'impose en effet. Aux USA, la compagnie Universal a produit en tout cinq œuvres sérieuses consacrées à cette mythologie. Nous avons d'abord en 1932 La Momie, grand classique interprété par Boris Karloff et réalisé par Karl Freund, inspiré par la malédiction de Toutankhamon et mettant en scène la vengeance de la momie Imhotep, ramenée à la vie par l'imprudente lecture d'une formule magique ancienne.
Universal lance plus tard un cycle de quatre films de momie, moins ambitieux, racontant les aventures de la momie Kharis, ressuscitée cette fois-ci par les vapeurs de l'herbe de Tana. Le cycle commence en 1940 par le sympathique La Main de la momie de Christy Cabanne se déroulant en Egypte, dans lequel Kharis est incarnée par Tom Tyler. Puis arrive le passable La Tombe de la momie de Harold Young dans lequel Kharis se voit interprétée pour la première fois par Lon Chaney Jr. Celui-ci reprend le rôle dans les deux titres suivants du cycle.
Le Fantôme de la momie de Reginald Le Borg, plus intéressant, remonte la pente ; mais La Malédiction de la momie de Leslie Goodwins, dernier volet, reflète un net épuisement de toute inspiration. Tardivement, Universal organise une parodie autour de ses deux comiques Abbott et Costello dans Deux nigauds chez les pharaons : c'est la dernière fois qu'ils affrontent un monstre du panthéon Universal. Leur carrière cinématographique s'interrompt quatre ans après avec le décès de Lou Costello. C'est donc en 1959 que la Hammer, après avoir relancé le professeur Frankenstein (avec Frankenstein s’est échappé !) et le comte Dracula (avec Le Cauchemar de Dracula), rend vie à la terrible momie.
Terence Fisher ne s'intéresse pas vraiment au film originel interprété par Boris Karloff : il se contente de piocher dans La Main de la momie et La Tombe de la momie, en restituant ces intrigues dans le cadre historique et géographique favori de la Hammer. En effet, la vengeance de Kharis ne se déroule ni dans l'Egypte exotique des années 20, ni aux USA, mais dans une lande britannique brumeuse et inquiétante, à la toute fin du XIXème siècle. Nous retrouvons donc une atmosphère gothique et british, ainsi que les superbes éclairages colorés signant le travail du directeur de la photographie Jack Asher.
Malheureusement, La Malédiction des pharaons souffre d'un scénario fastidieux. La première heure désespère par sa lenteur et ses bavardages explicatifs lourds. Le scénariste Jimmy Sangster nous a habitué à mieux ! Dans les flash-back historiques, la reconstitution de l'Egypte antique ne convainc pas. L'étroitesse des décors (la tombe, le temple funéraire...) et l'anonymat du morceau de jungle bâti en studio ne correspondent en rien à l'image grandiose que nous nous faisons du temps des pharaons. La poésie expressionniste qu'a su convoquer Karl Freund en son temps pour ces scènes historiques paraît bien loin.
La momie elle-même fascine bien peu dans cette première partie du métrage. Son interprète, Christopher Lee, agite les bras en avançant d'un pas lourd, comme il le fait déjà dans Frankenstein s’est échappé !. Cet automate maladroit n'est guère attachant, surtout comparé à l'extraordinaire interprétation de Boris Karloff dans La Momie.
Heureusement, la dernière demi-heure trouve un certain rythme. L'affrontement verbal entre l'archéologue John Banning (interprété par un Peter Cushing irréprochable) et le prêtre Mehemet Bey, filmé avec virtuosité par Fisher, atteint une vraie densité dramatique. Kharis devient attachant, à partir du moment où il croit reconnaître en Isobel Banning son antique maîtresse. De même, sa fin pathétique dans un marais fumant et nocturne, très inspirée par le dénouement du Fantôme de la momie, est un morceau de cinéma fantastique réussi, un moment devenu classique dans le catalogue Hammer.
Cette fin ne parvient pas à rattraper le sentiment mitigé laissé par la longue première heure de cette œuvre trop inégale pour être une vraie réussite. Si Fisher et ses collègues ont su porter un regard nouveau sur la narration et les mythes de Dracula et Frankenstein peu avant, ils se montrent peu inspirés pour La Malédiction des pharaons, se contentant d'assembler quelques idées déjà vues dans des titres Universal antérieurs, sans réellement apporter une cohérence et une âme à leur métrage. Emmanuel Denis.
LA MOMIE AZTÈQUE
La Momia azteca
de Rafael Portillo, Mexique, 1957, 1h05, Noir et Blanc
avec Ramon Gay, Rosa et Rosita Arenas…
RÉSUMÉ : Le scientifique Almada soutient que l'hypnose donne accès à des vies antérieures. Face à l'incrédulité de son auditoire, il renvoie sa fiancée au temps des Aztèques mais une vieille malédiction se réveille...
COMMENTAIRE : Joyau du cinéma d’épouvante mexicain, dont le succès fut à l’origine d’une trilogie, ce film aux décors somptueux mêle expériences scientifiques, cérémonies occultes et romance autour d’une des figures emblématiques du fantastique : la momie.
LA MALÉDICTION DE LA MOMIE AZTÈQUE
La Maldición de la momia azteca
de Rafael Portillo, Mexique, 1957, 1h05, Noir et Blanc
avec Ramon Gay, Rosa et Rosita Arenas…
RÉSUMÉ : Le docteur Eduardo Almada s'apprête à épouser la belle Flor quand il apprend que le docteur Krupp a réussi, avec l'aide de ses hommes de main, à s'évader de prison et qu'il vient d'enlever sa fiancée. La jeune femme est en effet la réincarnation d'une Aztèque du XVe siècle et l'infâme Krupp espère qu'en la plaçant sous hypnose, elle pourra lui révéler l'emplacement d'une pyramide enfouie qui renferme un trésor. Le docteur Almada reçoit alors la visite d'un étrange catcheur-vengeur, Angel, qui lui propose de l'aider. Mais Angel se révèle être un super-héros de seconde zone...
POINT DE VUE : Le film est la suite de La Momie aztèque produit la même année ( et précède « La Momie aztèque contre le robot humain » (1958), tous trois réalisés par Rafael Portillo, qu’on est en droit d’appeler un prolifique faiseur du cinéma populaire mexicain. Cette trilogie appartient à un riche – quantitativement – corpus de séries B et Z fantastiques produites au Mexique entre les années 50 et 80, mêlant folklore traditionnel et imitation des serials américains, avec aussi tout le cheptel des monstres de la Universal mis à la sauce locale. Savants fous, vampires et génies du crime essaient de mettre leurs noirs desseins à exécution, sans cesse contrecarrés par des preux justiciers masqués – Santo et Blue Demon restant les plus célèbres. On retrouve dans les meilleures de ces bandes – surtout quand elles sont signées Fernando Mendez – des beaux moments atmosphériques de baroquisme latin. Le reste du temps, on reste confondu par tant de maladresse et de naïveté. C’est ce qui survient avec cette Malédiction de la momie aztèque où la momie en question est très avare de ses apparitions. La grande majorité du métrage met en scène un super vilain surnommé la chauve-souris mais dont la véritable identité est le docteur Krupp et ses sbires cherchant par tous les moyens à s’emparer d’un trésor aztèque. L’acteur ventripotent et barbichu qui joue Krupp cabotine comme un malade. Le plus drôle concerne le héros masqué, Angel, malchanceux et pathétique Santo du pauvre. Loin de triompher des méchants à la force de ses muscles il est humilié et roué de coups par les adjoints de Krupp, capturé et ligoté à une chaise à plusieurs reprises. Pris au piège dans une fosse à serpents, c’est un enfant de huit ans qui lui sauve la vie. La honte. La témérité du petit garçon et la bêtise des adultes, sans compter la simplicité des péripéties encouragent l’hypothèse selon laquelle le film de Portillo, avant d’amuser les cinéphiles pervers, était destiné au jeune public. Olivier Père.
COMMENTAIRE : Monteur et scénariste, Rafael Portillo réalise son premier long métrage en 1953 "El Fantasme se Enamora". Il interviendra "dans l'ombre" dans la réalisation de plusieurs films hollywoodiens tournés au Mexique comme "De la Terre à la Lune" (1958) ou "La Pluie du Diable" (1975).
Il reste surtout connu pour avoir tourné la trilogie des momies aztèques : "La Momie Aztèque" (1957), "La Malédiction de la Momie Aztèque" (1957), et "La Momie Aztèque contre le Robot" (1958).
LA MOMIE AZTÈQUE CONTRE LE ROBOT
La Momia azteca contra el robot humano
de Rafael Portillo, 1958, Mexique, 1h05, Noir et Blanc
avec Ramon Gay, Rosa et Rosita Arenas…
RÉSUMÉ : Le docteur Krupp, un scientifique fou, devenu un malfaiteur sous le nom de « la chauve-souris » veut s’emparer du pectoral et d’un bracelet que porte une momie. Sur ces objets sont en effet gravés des hiéroglyphes indiquant l’emplacement du trésor des Aztèques, richesse qui doit permettre à Krupp de devenir maitre du monde. Mais Pococa, la momie aztèque, gardienne de ces ornements sacrés, reprend vie pour châtier les individus qui tentent de les lui dérober. Les précédentes tentatives du Dr Krupp et de ses sbires ont d’ailleurs échoué. Mais après avoir disparu pendant cinq ans la chauve-souris réapparaît : il a mis au point un robot humain qui doit combattre et vaincre la momie aztèque...
POINT DE VUE : La Momie aztèque contre le robot (La momia azteca contra el robot humano, 1959), dernière partie de la trilogie de la momie aztèque commise par le multirécidiviste Rafael Portillo, tâcheron du cinéma populaire mexicain.
Nous retrouvons le Dr. Krupp, génie du crime surnommé « la chauve-souris » et interprété par un acteur rondouillard et barbichu qui cabotine éhontément, une nouvelle fois opposé à ses ennemis jurés le Dr. Sepulveda et Pinacate débarrassé de sa double identité de catcheur masqué El Angel – les combats de catch sont un élément qui manque cruellement à ce film mexicain. « La chauve-souris », jamais à cours d’idée démentes, a inventé un robot afin de dérober les bijoux de la fameuse momie aztèque. Le film est essentiellement constitué de joutes oratoires absurdes et de bagarres mollassonnes dans des décors miteux de laboratoires ou de repaires de gangsters. Il faut attendre le dernier quart d’heure pour assister enfin à l’affrontement sans merci entre la momie et le robot radioactif, mais pas très actif. Le film date de 1959 mais le caractère infantile de son récit – on n’ose pas évoquer l’aspect extrêmement rudimentaire de sa mise en scène – ferait passer les serials américains des années 30 pour des modèles de sophistication et de profondeur psychologique. Entre spectacle de patronage et cour de récréation, La Momie aztèque contre le robot constitue le bas du panier de la pléthorique production mexicaine bis, qui possède ses perles et ses trésors cachés. Mais c’est un nanar qui satisfera les « complétistes » les plus persévérants, capables de patienter jusqu’à l’apparition amusante de ce robot humain, guère gâté par son créateur. Olivier Père.
DELLAMORTE DELLAMORE
Cemetery Man
de Michele Soavi, 1993, Allemagne/Italie/France, 1h43, Couleurs
avec Rupert Everett, Anna Falchi, François Hadji-Lazaro…
RÉSUMÉ : Dellamorte, le mélancolique gardien du cimetière de Buffalora, et son fidèle assistant, Gnaghi, un lutin aussi rond que muet, constatent avec quelque étonnement que les morts ont tendance à revenir à la vie. Une intéressante évolution qui donne aux deux compagnons une distraction qui les change de la lecture de l'annuaire. C'est qu'il s'agit d'enterrer à nouveau tous ces morts, avant que le désordre ne s'installe entre les tombes. Les autorités ne bronchent pas, estimant que l'affaire n'est point de leur ressort. Dellamorte, lui, y puise une énergie nouvelle, une raison de vivre et d'affronter les trois deuils successifs qui le privent des femmes qu'il se met à aimer. Enfin la Mort elle-même lui adresse la parole...
POINTS DE VUE : Dellamorte Dellamore (1994), est une pépite méconnue. Sous ce titre et son allitération mystérieuse se cache l’un des derniers soubresauts du cinéma d’horreur italien, un spécimen égaré dans les années 1990 d’un genre tari au cours de la décennie précédente. Son maître d’œuvre Michele Soavi, qui fit ses classes aux côtés de Joe D’Amato, Lamberto Bava et, surtout, Dario Argento, fut l’héritier trop tardif de formes et de mythologies forgées par un modèle d’exploitation, alors rendu obsolète par le marché de la vidéo. Son quatrième long-métrage n’en trouvait pas moins à les recycler en une somptueuse rêverie gothique, d’une grande richesse d’inspiration.
Basé sur un roman de Tiziano Sclavi, connu pour avoir créé la bande dessinée horrifique Dylan Dog (une institution en Italie), Dellamorte Dellamore frappe d’emblée par ses mélanges improbables. À commencer par le duo bigarré qu’y forment le Britannique Rupert Everett et un François Hadji-Lazaro échappé du groupe Les Garçons bouchers, pour renvoyer ad patres des hordes de morts-vivants recrachés par leurs tombes. Le premier incarne Francesco Dellamore, gardien de cimetière mélancolique se morfondant dans la petite municipalité de Buffalora, le second son assistant attardé, Gnaghi, qui ne s’exprime qu’à l’aide d’une seule onomatopée (« Gna ! »).
Tous deux font face à une étrange épidémie parmi les morts qui, au bout de sept nuits, s’échappent de leurs tombes en zombies avides. Chacun, en même temps, s’éprend d’une femme condamnée – qui une jeune veuve éplorée, qui la fille chérie de l’édile local – et sera tenté de prolonger son amour post-mortem, grâce aux propriétés du cimetière.
Un tel résumé ne donne qu’une idée forcément réduite d’un film qui fonctionne sur une prolifération de péripéties délirantes et d’inventions formelles, où chaque plan abrite une nouvelle trouvaille. On y croise, dans un fatras poétique invraisemblable, la tête autonome d’une jeune mariée logée dans un téléviseur, un couple faisant l’amour sur une tombe parmi des feux follets, une troupe de scouts zombifiés, une injection pénienne virant à la catastrophe. Soavi joue à fabriquer des images qui sortent de leurs gonds, des angles de prise de vue improbables, des perspectives chavirées, des travellings ébouriffants, sans jamais que le film ne vire au bric-à-brac étouffant. Mathieu Macheret.
Objet inclassable poussé comme une fleur étrange sur les ruines du cinéma bis italien en 1994, inspiré de l’univers du fumetto (bande dessinée italienne) Dylan Dog de Tiziano Sclavi (auteur du roman à l’origine du scénario), le film narre le quotidien d’un gardien de cimetière (Rupert Everett) vivant à l’écart du monde et débottant les zombies qui surgissent quotidiennement à la fenêtre de son gourbi. Dellamorte Demllamore passe sans crier gare de la chronique au « conte de la crypte », du mélo nécrophile à la farce gore et d’un post-romantisme aux accents baudelairiens à la plus grisante fantaisie pop. C’est avant tout un grand film orphelin réalisé à contretemps par un cinéaste lui-même à contretemps, Michele Soavi, compère de Dario Argento et figure du cinéma bis italien surgi au moment même où celui-ci disparaissait, au début des années 80. Avec le génial Bloody Bird (1987), Dellamorte Dellamore est le chef-d’œuvre d’un impossible après du cinéma d’horreur italien si florissant des seventies. C’est dans sa manière de se décliner en tableaux somptueux, de faire s’entrechoquer les imaginaires contrastés d’une pop culture typiquement italienne - quelque part entre les rêves macabres de Lucio Fulci et les planches érotiques de Milo Manara - que le film trouve son souffle si singulier et déploie son parfum à la fois retors et capiteux. Et s’il voisine par instants avec l’imagerie de capharnaüm des premiers Caro & Jeunet, notamment dans les scènes de l’ossuaire illuminé et via la présence de François Hadji-Lazaro, Dellamorte Dellamore apparaît aussi comme le plus malicieux des antidotes à ces morbides vieillotteries que sont Delicatessen (1991) ou la Cité des enfants perdus (1995) : son esprit d’outre-tombe ouvert aux cieux étoilés, son cimetière en forme de jungle verdoyante et son érotisme irradiant en font aujourd’hui encore un film parfaitement neuf. Vincent Malausa.
LE MIROIR DE LA SORCIÈRE
El espejo de la bruja
de Chano Urueta, 1960, Mexique, 1h15, Noir et Blanc
avec Rosita Arenas, Armando Calvo, Isabela Corona…
RÉSUMÉ : Grâce à son mystérieux miroir magique, la sorcière Sara apprend que sa nièce, Elena, va mourir empoisonnée par son époux, épris d’une autre femme. Incapable d’empêcher le drame, elle élabore une vengeance cruelle où le fantôme d’Elena viendra hanter le nouveau couple... Véritable conte de fées noir, ce film est une réussite du genre : les décors gothiques, la photo soignée et le scénario enlevé en font un divertissement effrayant et fascinant.
COMMENTAIRES : Un des chefs-d'œuvre de l'âge d'or du fantastique gothique mexicain. Réalisé en 1960, Le Miroir de la sorcière frappe tout à la fois par la profusion presque délirante de figures et de situations, nourrissant le genre de l'épouvante mexicaine, et par la manière dont il en exprime l'essence même. Signé du prolifique Chano Urueta (plus de 115 films au compteur depuis 1928), le film semble, en effet, courir plusieurs lièvres à la fois. Le motif de la sorcière, celui du fantôme, puis dans une deuxième partie, s'entrelaçant avec les précédents, celui du défi « frankensteinien ». De fait, ce dernier thème s'impose exemplairement avec la quête du médecin criminel incarné par Armando Calvo, décidé à redonner, à coups de greffes prélevées sur des cadavres de jeunes filles puis sur des vivantes, un visage à sa femme défigurée (motif très présent dans de nombreuses fictions de l'époque depuis Les Yeux sans visage de Georges Franju). Dans un cinéma fantastique fortement déterminé par le catholicisme comme ordre du monde et de ses reflets, le médium est aussi l'objet de la foi. Le miroir, c'est la machine à produire les images qui vivront d'une vie concrète et sans contrôle. La mise en scène de Chano Urueta organise, avec une élégance rare, une chorégraphie macabre de la culpabilité, additionnant des plans d'une rare puissance visuelle, dépassant sa source primitive, l'expressionnisme cinématographique. Jean-François Rauger.
XIXème siècle. Dans une sombre demeure, face à un miroir magique, la sorcière Sara met en garde Elena, sa nièce, contre son époux le docteur Eduardo. Mais il est trop tard et Elena meurt empoisonnée, laissant la place à Déborah la nouvelle femme d'Eduardo. Malheureusement le bonheur de cette dernière est de courte durée. Voulant faire disparaître le fantôme dElena, Eduardo lance une lampe à pétrole et les flammes brûlent Deborah. Pour redonner un visage humain à sa femme, Eduardo vole des cadavres pour effectuer des greffes. Mais Sara, la vindicative sorcière, en profite et remplace une des mains de Deborah par celle d'Elena. La vengeance de sa nièce peut enfin s'accomplir…
Ce thriller effrayant enferme le spectateur dans un huis-clos oppressant au cœur d'une hacienda isolée. De par son sujet, le film rappelle par moment deux classiques du cinéma fantastique : "Les yeux sans visage" et "Les mains d'Orlac". Prenant du début à la fin, et mieux que juste sympathique à regarder, il ne verse jamais dans la facilité de l'horreur graphique.
UNE NUIT EN ENFER
From Dusk till Dawn
de Roberto Rodriguez, 1996, US, 1h40, Couleurs
avec George Clooney, Harvey Keitel, Juliette Lewis…
RÉSUMÉ : Deux criminels prennent une famille en otage près de la frontière mexicaine, après une cavale particulièrement sanglante durant laquelle ils ont tué un policier et kidnappé l'employée d'un magasin. Ils se rendent tous ensemble dans un bar pour routier au-delà de la frontière mexicaine, appelé le "Titty Twister", établissement qui leur réserve pas mal de surprises une fois la nuit tombée...
POINTS DE VUE : Première collaboration entre Quentin Tarantino et Robert Rodriguez, plus de 10 ans avant le diptyque Grindhouse rassemblant Boulevard de la mort et Planète Terreur, Une nuit en enfer est à l’image de l’esprit de ses deux géniteurs (Rodriguez à la réalisation et Tarantino au scénario) : un brin tordu. Tout commence par la cavale sanglante des frères Gecko : Richie (Tarantino himself), du genre weirdo un peu nerveux, et Seth (George Clooney), malfrat charmeur qui vient tout juste de s’échapper de prison. Cherchant à gagner le Mexique, les deux gangsters prennent en otage un pasteur en pleine crise de foi (Harvey Keitel) et ses deux enfants (Juliette Lewis et Ernest Liu). On s’embarque alors dans ce polar aride et tendu, dont on pressent que les charges minutieusement disposées en amont vont finir par exploser dans un déluge de poudre. On était loin du compte. À son mitan, le film bifurque en tout autre chose. On aurait pu être alerté, c’est vrai, par le nom du bar dans lequel nos cinq protagonistes trouvent refuge à peine la frontière mexicaine traversée, et qui donne un indice de la direction joyeusement débile (et pleinement assumée) que prend le film. Car le Titty Twister (la tornade de tétons en langue de Molière), n’est pas un strip club comme les autres. Sa particularité ? À la tombée de la nuit, ses danseuses (à commencer par Salma Hayek) et tout son personnel se transforment en vampires assoiffés de sang.
Passant de la série B à la série Z avec une tendresse infinie pour les genres qu’il investit – et avec lesquels il jongle sans soucis de cohérence (c’est sa force) – Une nuit en enfer est une sucrerie gore délectable, et la face B du film de vampires des années 1990, qui, avec le Dracula de Coppola ou Entretien avec un vampire, cultivaient alors un premier degré souverain, voire un sérieux papal. Le film de Rodriguez en est la version goguenarde et irrévérencieuse, régénérant l’esprit frondeur et profondément alternatif qui a toujours irrigué le cinéma de genre. Les Inrocks.
Une nuit en enfer est avec True Romance et Tueurs nés l’un des trois scénarii écrits par Tarantino à l’orée de sa carrière et dont la mise en scène fut confiée à d’autres réalisateurs. Si le résultat final de Tueurs nés échappa au contrôle du jeune scénariste, dépassé par des considérations « artistiques et politiques » d’Oliver Stone divergentes des siennes, True Romance et Une nuit en enfer, fleurons de la culture vidéo club du début des années 90, vus par les adolescents du monde entier, obéissent à la même vision du cinéma, superficielle, ludique et décomplexée, qu’un projet comme Kill Bill, sans en avoir les travers cyniques et mégalomanes. Une nuit en enfer du sympathique cancre Robert(o) Rodriguez, écrit, produit et interprété (il se réserve le rôle d’un tueur psychopathe) par Tarantino est un hommage aux films d’horreur italiens des années 80 (en particulier les deux Démons de Lamberto Bava produits par Dario Argento), une blague de potache très divertissante qui possède la qualité de ne pas se prendre au sérieux. Dans le commentaire audio proposé par le Blu-ray, Tarantino confirme que son scénario fut conçu comme un hommage au cinéma d’exploitation des années 70 et 80, quand personne ne s’y intéressait vraiment hormis les fans de séries B et Z, tandis que Rodriguez évoque un folklore vampirique typiquement mexicain. Le film est plus curieux qu’il n’y paraît en raison de sa construction. Scindé en deux parties presque égales, il commence comme un film noir à la Peckinpah, avec la cavalcade sanglante de deux frères braqueurs qui kidnappent une famille et s’enfuient vers le Mexique, et se conclut comme un huis clos gore où nos antihéros débarquent dans un bouge infesté de vampires latinos et se livrent à un massacre en règle dans la grande tradition des films de démons et zombies, prétexte à un déluge de maquillages spéciaux, d’hémoglobine et de fluides visqueux. Cette coupure aussi violente qu’inattendue, inexplicable et très surprenante dans le contexte d’un pastiche de film de drive-in, annonce la coupure qui interviendra au milieu de Boulevard de la mort, le plus beau film – et le plus expérimental – de Tarantino. Mais il y eut quelques précédents comme Course contre l’enfer de Jack Starrett en 1975, sorte de road movie d’action qui se terminait en thriller d’épouvante. Véritable fantasme de « geek » cinéphile, Une nuit en enfer démontre que le système Tarantino fonctionnait déjà à plein régime en 1994 et que ce film souvent considéré comme un navet est plus symptomatique de son approche du cinéma qu’il n’y paraît, même s’il n’osa pas le réaliser à l’époque, le jugeant sans doute trop régressif pour figurer sur son CV de cinéaste. Rien n’y manque, y compris une scène de fétichisme du pied. Comme plus tard dans Kill Bill, la distribution mêle acteurs à la mode (c’est le premier rôle conséquent sur le grand écran de George Clooney, à l’époque vedette de la série « Urgence ») et icônes historiques du cinéma d’exploitation figurant dans le panthéon personnel de Tarantino : Fred Williamson, John Saxon, Michael Parks, le maquilleur Tom Savini. Olivier Père.
Freaks
de Tod Browning, 1932, US, 1h04, Noir et Blanc
avec Harry Earles, Daisy Earles, Olga Baclanova…
RÉSUMÉ : Au cirque Tetrallini, le lilliputien Hans, fasciné par la beauté de l'acrobate Cléopâtre, délaisse sa fiancée, la minuscule écuyère Frieda. Apprenant que Hans vient d'hériter, Cléopâtre l'épouse pour l'empoisonner avec la complicité d'Hercule. Insultés et provoqués par Cléopâtre au cours du banquet, les phénomènes du cirque découvrent le poison et décident de venger horriblement Hans et Frieda...
POINTS DE VUE : Impressionné par le succès des films d'épouvante de la Universal, Irving Thalberg voulut en produire un « encore plus terrifiant ». Réalisateur prolifique (il venait de signer Dracula), Tod Browning fut chargé de ce Freaks et en fit un film hors du commun, puisque les monstres de cette histoire atroce sont incarnés par de véritables phénomènes du cirque Barnum ! Le résultat est si dérangeant que, malgré une amputation qui l'avait ramené de 90 à 64 minutes, il choqua le public et fut rapidement retiré du catalogue M.G.M. En France, il fut l'objet d'un culte de la part des surréalistes. Aujourd'hui, il fait figure de chef-d'œuvre consacré du cinéma fantastique. Gérard Lenne, 1995.
Plus horrible que Dracula. C’est ce qu’exige de ses scénaristes Irving Thalberg, le puissant producteur de la MGM. Le succès de Tod Browning (un ancien de la maison où il a tourné de nombreux films muets) chez Universal l’a rendu fou de jalousie. Il l’engage pour ce Freaks dont le tournage ne va pas sans provoquer de remous au sujet des "monstres" comédiens, phénomènes de foire venus tout droit de chez Barnum et d’autres cirques américains. Les pétitions circulent afin qu’on leur interdise l’accès à la cantine du studio. Tolérance, tolérance...
À peine le montage terminé, Thalberg recule. L’horreur dépasse les limites concevables. Il fait amputer le film de trente minutes (d’où l’histoire un peu décousue). À sa sortie, le scandale est total. MGM le retire rapidement du circuit de distribution. Pour autant, la carrière de Freaks ne s’est jamais arrêtée et il est considéré aujourd’hui comme l’un des chefs-d’œuvre du cinéma fantastique.
Il faut dire que ce qui a tant choqué le public est justement ce qui fait la force du film. Les rôles sont incarnés par d’authentiques "monstres", femme à barbe, nains, homme-tronc, femme à tête d’épingle, hermaphrodite ou sœurs siamoises, qui sont aussi de merveilleux comédiens. Et dans ce sens, Freaks constitue un bel hommage à la différence. Qui de la part de Browning est tout sauf involontaire. De même, le rapprochement que l’on peut faire entre les mœurs du cirque Tartellini et celles du microcosme hollywoodien, permet une double lecture de Freaks parfaitement incorrecte. Le détournement par l’horreur et ceci sans le moindre voyeurisme... Du grand art ! Marianne Spozio, 2016.
COMMENTAIRE : Assise sur son trapèze, Cléopâtre se balance légèrement, et regarde, en souriant, sur le côté et vers le bas, en direction du hors champ, manifestement vers les spectateurs puis finalement vers l’endroit où se tiennent, au plan suivant, Hans et Frieda. Cléopâtre est d’ores et déjà présentée comme une créature des airs et comme une séductrice, caractéristiques que le film ne va pas cesser de développer. Il faut dire qu’elle ne passe pas inaperçue au milieu des membres du cirque. En effet, elle est quasiment la seule à être "normale", physiquement parlant, le cirque Tetrallini se composant principalement de ceux que l’on appelle communément des monstres de foire. Mais là n’est pas l’intérêt du film. Tod Browning ne cherche pas à faire une galerie de monstres, au contraire, le film se déroule dans leur univers, celui où les gens normaux, ce sont eux.
Film maudit réalisé par un cinéaste mythique, Freaks, la Monstrueuse Parade de Tod Browning date de 1932. Browning est un réalisateur plutôt apprécié des studios, il est efficace, termine ses films en temps et en heure, faisant même parfois faire quelques économies aux producteurs. Comme en plus ses films marchent plutôt bien, il est considéré comme un bon élément. Et pourtant, il ne cesse de signer des bizarreries, des films souvent dérangeants, pervers même, bien loin des canons établis des studios.
Irving Thalberg veut surfer sur la vague du genre fantastique et produire rapidement un film d'horreur maison. Il jette son dévolu sur le roman « Spurs » de Tod Robbins et en confie l'adaptation à Willis Goldbeck en lui demandant simplement de lui rendre un scénario effrayant. Thalberg est renversé par ce qu'il lit, écœuré... mais aux anges : il a son film d'horreur. Il en propose la mise en scène à Browning. Celui-ci est l'homme de la situation : son goût pour le morbide s’accommode parfaitement au script et, pour couronner le tout, il connaît parfaitement le monde du cirque.
Pour incarner les « freaks », Browning fait venir de partout ses acteurs : des sœurs siamoises, un homme-tronc, une femme à barbe, des microcéphales, des nains, une femme sans bras, un hermaphrodite... et cette monstrueuse parade déferle sur le studio. Louis B. Mayer est proprement terrifié en les voyant parcourir les plateaux et il décide de stopper net la production du film pour couper court aux plaintes. Thalberg sait heureusement se montrer persuasif et le film parvient in extremis à se faire. Le studio impose toutefois à Browning de parquer ses « freaks » dans des logements spéciaux et une tente est montée pour qu'ils ne se rendent pas à la cantine du studio.
Une fois le montage terminé, les premiers retours des spectateurs sont très mauvais et le producteur se retrouve contraint de remonter le film. Il fait couper des scènes et surtout modifie la fin, faisant passer le métrage de 90 à 64 minutes. Mais ce nouveau montage n'est pas prêt pour la première au Fox Theatre de San Francisco et c'est l'unique fois que la version d'origine de Freaks aura été montrée. C’est un succès phénoménal ! La salle étant au courant du nouveau montage, elle annonce que ce sera la seule possibilité de voir le film non censuré et le public se rue à la séance, la file d'attente faisant le tour du pâté de maisons ! Malgré ce succès ponctuel, la sortie va s'avérer très difficile. La critique se fait si virulente que le film n'est pas programmé dans plusieurs grandes villes américaines, et disparaît de l'affiche trois mois après sa sortie. Les choses sont tout aussi compliquées à l'export et Freaks ne passera la censure britannique qu'en 1963 !
Freaks peut être vu comme l'aboutissement de la carrière du cinéaste, comme un concentré de son cinéma. Un cinéma toujours profondément lié à l'idée du corps. Chez lui c'est le corps qui compte, qui parle, qui raconte. Corps immortel, corps changeant, corps miniaturisés, les corps mutilés sont également légion dans son cinéma. Les personnages de Browning sont toujours amputés de quelque chose : absence de sens moral, d'empathie, amour perdu ou refusé, abandon, mort d'un être proche... Et cela se traduit le plus souvent par un handicap physique.
Parfois, c'est le corps qui influe sur l'âme des personnages et les transforme. Cette incarnation peut aussi être fausse, mensongère, et une âme noire peut revêtir une apparence d'ange. Un corps juvénile et désirable peut cacher une monstruosité intérieure. C'est bien sûr le cas dans Freaks où les monstres ne sont pas les "bêtes de cirque" mais bien la belle Cléopâtre, la blonde sans cœur, et son amant musculeux.
De même, la monstruosité ne fait pas forcément ange. Les personnages difformes, mutilés de ses films se laissent souvent portés par leurs pulsions, leur libido, leur appétit de revanche, leur désir de vengeance. La vengeance atteint une forme paroxystique dans Freaks. La belle et désirable Cléopâtre, poursuivie sous la pluie par les monstres du cirque, traînée dans la boue et transformée en gallinacée grimaçante, donne l'une des séquences les plus traumatiques du cinéma d'avant guerre. Cette vengeance, c'est celle des « freaks », frustrés et humiliés par la sournoise trapéziste. Pour amener la tension, Browning joue à la fois sur ses personnages, dont la forme dans la pénombre devient plutôt inquiétante, et sur les alentours, les décors. Alors qu’auparavant nous étions dans le cirque, cette scène se déroule lors d’un déplacement, le mouvement introduisant la notion d’instabilité, source potentielle de danger. De plus, le temps est de plus en plus menaçant, et l‘orage éclate à la nuit tombée, tels les enfers se déchaînant sur les deux amants maléfiques.
Freaks, malgré le fait qu'il se déroule dans un cirque, ne joue pas sur l'illusion et la représentation. Browning propose quelque chose de bien plus ambigu, et c'est ce qui confère au film sa richesse et même une bonne dose de perversité. Pendant toute la première partie, Browning dépeint la vie quotidienne du cirque, par de petites histoires secondaires. Il décrit ses pensionnaires comme des gens ordinaires, avec les mêmes soucis que n’importe qui. Il montre un monde réaliste, réalisme qu’il pousse jusqu’à engager non pas des acteurs, mais de véritables "freaks" appartenant au cirque Barnum. Tout est donc bien réel, et cela contribue à créer le malaise ambiant.
Browning ne cesse de travailler sur les faux-semblants et s'applique à mettre du sable dans cette belle mécanique moralisatrice. Déjà, le cinéaste a un rapport ambigu à ses acteurs. On peut se dire que c'est parce que lui-même est dénué de toute compassion à leur égard qu'il les filme aussi naturellement. Il ne les regarde pas avec bienveillance mais simplement comme des hommes. Ils peuvent être violents, colériques, lubriques, animés par un désir de vengeance... Ce ne sont pas des créatures souffrantes de Dieu, mais des êtres humains avec leurs défauts. Mais il y a quelque chose d'autre. La façon dont les « freaks » sont mis en scène par Browning provoque un malaise, une gêne, parce que le cinéaste ne cesse en fait d'en faire des objets de spectacle. On ne s'habitue jamais vraiment à ce défilé tératologique. On est fasciné, dérangé, jamais neutre par rapport à ce que l'on voit à l'écran.
On ne fait pas partie de leur monde, ni eux du nôtre. C'est aussi la spécificité de l'univers du cirque, de cette population nomade, sans attaches, qui vit à l'écart et est toujours en représentation. Browning n'abolit jamais la frontière qui nous sépare d'eux. C'est ainsi que l'on ne peut se reposer tranquillement sur notre bonne conscience en voyant le film. Le cinéaste ne nous ménage pas cette place, il nous laisse dans celle du spectateur. Dans celle de celui qui vient au spectacle.
Ainsi, au début du film, un présentateur annonce le clou de son spectacle. On ne voit pas alors le monstre décrit par le bonimenteur de foire, juste une femme qui hurle et s'enfuit. Le monstre, on le verra à la toute fin et c'est bien là la perversité de Browning : faire malgré tout de la monstruosité un enjeu du film, un générateur de suspense. Alors qu'en surface il défend un discours qui serait que les vrais monstres sont les humains, il fabrique du spectacle avec eux. Il a promis à Thalberg un film d'horreur, et c'est ce qu'il lui offre. Freaks est un mélodrame, un conte moral... mais aussi une fable horrifique. Plus de 80 ans après sa réalisation, Freaks n'a rien perdu de sa force et se révèle toujours aussi dérangeant et perturbant. Nous sommes tous des monstres potentiels, voilà ce que nous dit le film. Un message universel, qui se vérifiera dès l’année suivante avec la montée du nazisme, et un film qui restera comme le chef-d’œuvre de son réalisateur, inspirant plusieurs cinéastes, notamment le magnifique Elephant Man de David Lynch.
PIRANHAS
de Joe Dante, 1978, US, 1h35, Couleurs
avec Bradford Dillman, Heather Menzies, Kevin McCarthy…
RÉSUMÉ : Au cours d’une promenade nocturne, un jeune couple tombe sur la clôture d’une base militaire qui semble abandonnée. Leur curiosité les amène à y pénétrer et à se baigner dans un bassin à l’eau étonnamment chaude, où ils se font dévorer. Un chômeur, Paul Grogan, retiré en pleine forêt, et une jeune détective enquêtant sur des disparitions inexpliquées, Maggie McKeown, découvrent la base et son terrible secret d’expériences clandestines de l’armée : une nouvelle race de poissons carnivores ultra-résistants et féroces, que Maggie libère accidentellement dans un fleuve durant l’été…
POINT DE VUE : Piranhas (Piranha, 1978) de Joe Dante, est un excellent petit film d’horreur qui révéla un cinéaste amoureux des monstres (loups garous, gremlins, toons et extra-terrestres) et enclin à la satire. Ce jeune cinéphile fit ses classes à la New World, compagnie de Roger Corman pour laquelle il conçut des bandes-annonces et remonta des films étrangers.
Pour le récompenser de ces missions peu glorieuses, Corman produira les deux premiers longs métrages de Dante : Hollywood Boulevard, une comédie sur le monde impitoyable du cinéma d’exploitation (autant dire un essai autobiographique) et Piranhas, un petit film d’horreur aquatique conçu dans le dessein de profiter du succès des Dents de la mer de Spielberg. Dante améliore un banal plagiat, avec la complicité de son scénariste, le futur cinéaste John Sayles, en apportant à cette commande ingrate des touches d’ironie qui enclenchent un double mouvement de distanciation : politique (le film brocarde l’armée et se teinte d’un message écologiste inattendu) et cinéphilique (Dante s’éloigne du modèle spielbergien pour rendre un hommage stylistique et économique aux films de monstres des années 50.) Si l’on ajoute les effets spéciaux mécaniques du jeune prodige Rob Bottin et une distribution qui mêle vieilles gloires de la série B et nouvelle génération du cinéma d’exploitation (Barbara Steele, Dick Miller, Paul Bartel, Bradford Dillman...) Piranhas est une vraie réussite qui ne manque pas de mordant.
Une suite sera réalisée sans que Roger Corman ni Joe Dante ne soient impliqués. Piranha 2 – les tueurs volants (1981) est un nanar hallucinant frisant l’amateurisme (le film connut de nombreux déboires) produit par un mogul italien de la série Z (Ovidio G. Assonitis) et « mis en scène » par un jeune assistant décorateur canadien de la New World cormanienne qui sera viré en cours de tournage et gardera un cuisant souvenir de sa première expérience de réalisateur : James Cameron. Heureusement les choses s’arrangeront pour lui dès son deuxième long métrage, Terminator. À noter que Piranha 2 – les tueurs volants débute par la visite d’une épave de bateau par des plongeurs, ce qui confirme que Cameron a de la suite dans les idées. Olivier Père, 2013.
COMMENTAIRE : L’enfance de Joe Dante a été bercée par les films de monstres des années 50, et c’est de ce genre dont se réclame avant tout Piranhas. Les poissons carnivores qui vont semer la terreur dans toute la région sont des mutants capables de vivre en eau douce et en eau salée, et dont les capacités de reproduction ont été accélérées.
Joe Dante et son scénariste John Sayles (qui s’est emparé du scénario initial en l’expurgeant des situations ridicules qui l’émaillent) brocardent l’armée pétrie de certitudes mais incapable de détruire les monstres qu’elle a engendrée. Le colonel Waxman qui se charge du problème, est d’ailleurs prompt à étouffer l’affaire. Ce haut gradé a injecté des fonds personnels dans la création d’un parc aquatique dont l’inauguration est imminente et il n’est donc pas question pour lui que la presse y mette son nez. Joe Dante reprend à son compte ce stupide aveuglement déjà à l’œuvre dans Les Dents de la mer. Sayles se garde cependant de faire un scénario à thèse : il sait pour qui il travaille et le film est avant tout un excellent film, plaisant à suivre grâce à une bonne dose d’humour. Un humour très second degré qui ne tombe que rarement dans le graveleux. Dante et Corman engagent pour donner vie aux fameux poissons, une équipe menée par deux talentueux techniciens : Phil Tippett et Rob Bottin. Ils ne se sont pas encore fait la réputation qu’on leur connaît, mais ils ont déjà les idées et le talent. Le challenge est de donner vie à une meute aquatique carnivore ; et l’équipe ne ménage pas ses efforts, investissant une piscine olympique pour y faire essai sur essai. Toutes les techniques y passent : poissons mécaniques, marionnettes, câbles... Et ils envisagent même l’animation image par image avant de trouver la solution : les attaques de poissons seront filmées à 8 images par secondes avec des piranhas en caoutchouc.
Les monstres ne sont plus forcément les piranhas, mais plus simplement les autorités, non seulement instigatrices du projet mais de plus complices consentantes du massacre à venir. Joe Dante n’y va pas de main morte en enchaînant l’attaque d’un camp de vacances pour gamins et celle du parc aquatique, toutes deux faisant des victimes innocentes. Si le scientifique à l’origine des piranhas mutants aura droit à sa rédemption et le colonel à une mort empreinte de lâcheté, les héros du film n’en sortent pas magnifiés. Ce carnage n’aurait pas eu lieu sans l’empressement de Maggie à vider le bassin, faisant fi de la mise en garde du docteur Hoak.
Avec Piranhas, Joe Dante nous produit un amour de série B, débordante d’énergie, à bien des égards, irrévérencieuse. Et cet esprit iconoclaste et gentiment rentre-dedans fait tout le sel de son cinéma. Deuxième long métrage de fiction de Joe Dante produit par Roger Corman, Piranhas ne se résume pourtant pas à un avatar des Dents de la mer. Le piranha apparait rétrospectivement comme l’ancêtre quasi préhistorique du Gremlin. Le carnage final et la vision de ces corps de vacanciers gisant sur les bords du plan d’eau, fait référence à ces images des expéditions punitives des soldats américains qui ensanglantèrent les rizières vietnamiennes – le film imagine ouvertement qu’à l’origine des militaires ont fait muter ces poissons mangeurs d’homme pour en faire des machines de guerre. Considéré par Spielberg comme la meilleure déclinaison de son film, Piranhas n’est pas un chef-d’œuvre dans l’absolu mais une œuvre sincère, faite par des passionnés qui y ont visiblement pris du plaisir.
MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE
The Texas Chainsaw Massacre
de Tobe Hooper, 1974, US, 1h23, Couleurs
avec Marilyn Burns, Allen Danziger, Paul A. Partain…
RÉSUMÉ : Des tombes viennent d'être profanées dans le cimetière d'un village texan. C'est le moment que choisissent cinq jeunes gens pour se rendre dans la région, afin de passer leurs vacances dans une vieille maison. Décidément très inspirés, ils prennent, à bord de leur mini-bus, un auto-stoppeur qui passe son temps à se taillader la main avec un canif... Des fous dangereux, maniaques de la tronçonneuse, rôdent dans les environs. La joyeuse bande du départ ne compte bientôt plus qu’une seule rescapée.
POINTS DE VUE : Réalisé en 1974, Massacre... n’est finalement sorti en France que le 5 mai 1982. Huit ans de purgatoire pour apprivoiser un film qui, selon l’administration giscardienne, dégage « un vertige de meurtre gratuit et voluptueux où s’exprime de surcroît, à travers la torture puis la mise à mort des victimes, une volonté de puissance à la fois démente et sadique ». Face à la déferlante du porno, les censeurs avaient inventé le classement X. Réduire le chef-d’œuvre de Tobe Hooper aux pulsions primales qu’il purge révèle la méconnaissance d’un genre, le gore, encore méprisé par la critique. Plus tard, on comprendra que ce cinéma du cauchemar est le verso d’un american dream survendu à longueur de pellicule par un Hollywood par trop recto. En racontant le calvaire d’une bande d’ados victimes d’une famille d’anciens bouchers texans réduits au chômage, Tobe Hooper a aussi signé un film politique. Moins burlesque que Chaplin, il dénonce aussi les ravages de ces temps modernes propres à déshumaniser l’ouvrier. Par ailleurs, le film est plastiquement splendide, presque expérimental dans l’utilisation de la musique, de la lumière. Et il ravive, avec son ancrage sudiste et son folklore dévoyé, le passé coupable de l’Amérique des origines... Jérémie Couston, 2021.
À ceux qui l’avaient oublié, c’est à la Quinzaine des Réalisateurs qu’éclata la réputation internationale du film de Tobe Hooper et on peut facilement imaginer le vent de folie qu’il sema sur la Croisette il y a 39 ans.
Massacre à la tronçonneuse fut en effet projeté à la Quinzaine des Réalisateurs en 1975, huit mois après sa distribution aux Etats-Unis. 1975 fut une année faste pour la manifestation indépendante cannoise puisqu’y furent également présentés Le Droit du plus fort de Rainer Werner Fassbinder, Le Voyage des comédiens de Theo Angelopoulos, Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce – 1080 Bruxelles de Chantal Akerman, Milestones de Robert Kramer et John Douglas et Allonsanfan de Paolo et Vittorio Taviani en film d’ouverture, en présence du secrétaire d’état à la culture de l’époque, Michel Guy. Ce politicien proche des arts et des artistes restera dans l’histoire comme le responsable de la suppression de la censure cinématographique en France, en instaurant une taxe de 33 % pour les films violents ou pornographiques. Suppression toute relative puisque Massacre à la tronçonneuse sera totalement interdit par la commission de classement des films en France après une petite semaine d’exploitation en salle en 1974. On reproche au film son extrême violence, alors que les meurtres sont filmés hors-champs mais la bande son et la mise en scène de Tobe Hooper instaurent une atmosphère si impressionnante que de l’avis général on n’a encore jamais vu ça. Cette interdiction perdurera sous cinq ministres de la culture successifs et ce n’est qu’en mai 1982 que l’interdiction d’une sortie en salles fut levée, permettant au film d’être distribué dans sa version intégrale huit ans après sa réalisation avec une interdiction aux moins de 18 ans, accompagnée d’un avertissement.
Il faudrait enquêter sérieusement sur les raisons qui poussèrent l’équipe de la Quinzaine de l’époque, alors dirigée par son délégué général historique et cofondateur Pierre-Henri Deleau, à sélectionner un film d’horreur fauché faisant reculer les limites du supportable, entre deux chefs-d’œuvre de Fassbinder et d’Akerman. Goût de la provocation sans doute – et la critique bienpensante ne manqua pas de se déchaîner contre le film de Hooper, hurlant au fascisme et à la pornographie – mais aussi énorme flair cinéphilique, guère surprenant de la part des mêmes personnes qui avaient invités quelques années auparavant des petits films indépendants comme THX 1138 de George Lucas ou Mean Streets de Martin Scorsese. Sorti de nulle part (il né à Austin en 1943), Tobe Hooper est en effet un illustre inconnu lorsqu’il tourne son premier film officiel avec une équipe semi-professionnelle et des capitaux privés. Massacre à la tronçonneuse est devenu un classique instantané du cinéma d’horreur des années 70, et continue de traumatiser chaque nouvelle génération de cinéphiles. Même si l’histoire d’un groupe de jeunes vacanciers idiots qui tombent dans le piège d’une famille de ploucs psychopathes a été filmée un millier de fois avant et après Massacre à la tronçonneuse, jamais aucun cinéaste n’est parvenu à montrer l’Amérique profonde, transformée en décharge humaine par la crise économique, sous un jour aussi terrifiant. Tobe Hooper s’inspire de plusieurs histoires vraies et notamment du même fait-divers macabre qui donna naissance à Psychose de Robert Bloch et d’Alfred Hitchcock, soit le cas gratiné de Ed Gein, péquenot assassin cannibale empailleur et nécrophile. La description hyperréaliste et quasi documentaire de charniers et d’abattoirs débouche sur une atmosphère surréaliste de folie, d’hystérie et de cauchemar, où Tobe Hooper se permet toutes les folies, osant des cadavres exquis et des calembours visuels du plus mauvais goût. Comme La Nuit des masques (Halloween) de John Carpenter, autre titre séminal du fantastique contemporain, Massacre à la tronçonneuse s’intéresse à la figure (ou plutôt son absence angoissante, cachée sous un masque de peau humaine) du tueur en série, cernant la terreur moderne de la répétition et du vide par l’assimilation de formes anciennes de superstition (le croque-mitaine.) Un film à la postérité immense, couvert de suites, plagiats et remakes rarement à la hauteur de l’original, devenu aussi un objet d’études universitaires, mais qui n’a rien perdu de son efficacité et de sa violence malsaine. Olivier Père, 2014.
Sorti en 1974 aux États-Unis, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en 1975 et primé au Festival d’Avoriaz en 1976, Massacre à la tronçonneuse a été interdit d’exploitation en France jusqu’en 1982, date à laquelle le visa de censure exigea une interdiction aux moins de 18 ans. Seule une sortie vidéo de 1979 avait permis à l’œuvre de se constituer un premier réseau de fans. Ce second long métrage de Tobe Hooper est l’un des films d’horreur les plus célèbres de l’histoire du cinéma. C’est aussi un étalon fondateur du slasher, et le troisième volet d’une trilogie de cinéphile qui aurait commencé avec Psychose (1960) d’Alfred Hitchcock et La Nuit des morts vivants (1968) de George A. Romero. Le premier point commun avec Psychose est l’inspiration portée par la vie du meurtrier Ed Gein, connu pour avoir profané de nombreuses sépultures et collectionné des restes humains. Ensuite, Tobe Hooper a retenu une leçon hitchcockienne de base : l’horreur ne doit surgir qu’en milieu de récit, la première moitié servant à familiariser le spectateur avec les protagonistes et à distiller une angoisse progressive permettant de créer une ambiance d’étrangeté dans un cadre réaliste. Nous suivons ici l’escapade en week-end d’un petit groupe d’amis traversant le Texas en minibus. Il y a là deux couples de jeunes gens, ainsi que Franklin, le frère de Sally (Marilyn Burns), qui est handicapé physique. La rencontre avec un mystérieux auto-stoppeur (Edwin Neal) et la découverte d’un cimetière profané seront le début d’une journée qui s’avérera cauchemardesque. Tournée avec un petit budget et une équipe légère, cette série B est un incroyable chef-d’œuvre d’épouvante, déployant un décor d’anthologie (une maison décorée d’ossements animaux et humains) et alimentant un rythme sans failles ni plans inutiles.
Nous restons toujours pétrifiés par un suspense haletant et un paroxysme de la violence gore, encore que de nombreuses scènes aient été coupées au montage par le réalisateur, pour créer une narration elliptique davantage effrayante. On citera à cet égard la séquence qui voit Leatherface poursuivre Sally dans la nuit, avant que la jeune femme ne se réfugie dans une station-service qu’elle croit être un lieu sûr... Le film est implicitement une dénonciation féroce de la société américaine, avec ses illusions de rêve et son « capitalisme cannibale » ; Tobe Hooper a déclaré avoir été heurté par les mensonges du gouvernement américain face à la débâcle de la guerre du Vietnam et devant le scandale du Watergate. Cette prise de conscience politique l’a amené à réaliser un récit « incroyable » et à présenter l’histoire comme une reconstitution de faits réels, alors que les images horrifiques qui défilent sous nos yeux sont essentiellement issues de son imagination. De nombreux cinéastes ont été marqués par le film. « Je l’ai vu un certain nombre de fois mais, de mon point de vue, il reste toujours génial et indémodable », a déclaré John Landis. Beaucoup partagent ce point de vue, et l’on gardera notamment en mémoire les gros plans sur des yeux clairs dilatés par l’effroi ainsi que le sourire machiavélique de Jim Siedow, l’un des seconds couteaux (de cuisinier) les plus marquants du genre. Le film fut l’objet de plusieurs suites (dont une réalisée par Hooper), remakes, prequels, et d’un reboot, mais aucune de ces productions, purement commerciales, ne valurent l’original, objet d’un culte depuis sa sortie. Gérard Crespo, 2021.
MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE 2
The Texas Chainsaw Massacre 2
de Tobe Hooper, 1986, US, 1h40, Couleurs
avec Elizabeth Berridge, Shawn Carson, Jeanne Austin…
RÉSUMÉ : Au Texas, deux jeunes gens sont retrouvés morts dans leur voiture, massacrés à coups de tronçonneuse. La police tente de faire passer cette a"aire pour un banal accident d’automobile. Mais, les victimes étant en contact téléphonique avec une animatrice de radio au moment du crime, celle-ci a pu en enregistrer la "bande-son"...
POINTS DE VUE : Massacre à la tronçonneuse 2 (The Texas Chainsaw Massacre 2, 1986) est la suite du film le plus célèbre de Tobe Hooper, titre emblématique du cinéma d’horreur moderne. Il fut produit lorsque le cinéaste texan était sous contrat avec la Cannon, compagnie indépendante qui connut son heure de gloire dans les années 80, fournissant à tour de bras des films en haute teneur en excentricité.
Massacre à la tronçonneuse 2 souffrit des habituels problèmes de budget des productions Cannon et Tobe Hooper, malgré sa carte blanche, fut obligé de réduire ses ambitions. Le film fut préparé dans la précipitation et largement réécrit sur le tournage, avec la complicité inattendue de L.M. Kit Carson, scénariste de Paris, Texas. Hooper saisit l’opportunité offerte par cette suite pour expliciter la dimension comique du premier film, occultée par le scandale provoqué par sa violence. Hooper et Carson s’engagent sur une voie satirique, et brocardent le libéralisme et le triomphalisme des années Reagan. L’un des tueurs fous est un vétéran du Vietnam, avec un énorme trou dans le crâne comblé par une plaque de métal. Les deux premières victimes de la famille de dégénérés sont des « yuppies » débiles en virée, tandis que Drayton le cuisinier, spécialiste du chili con carne à la viande humaine, peste contre la grande distribution et prend la défense de la gastronomie artisanale. Malgré ses aspects rigolards, cette suite reste terrifiante et dérangeante. Le film ne lésine pas sur les scènes sanguinolentes, parfois d’un sadisme inouï et lourdement sexuées. Il offre une plongée extrêmement malsaine dans un sous-monde cauchemardesque, avec une galerie de personnages monstrueux, moralement et physiquement hideux. En Texas Ranger à la poursuite de la tribu cannibale, Dennis Hopper y trouve un de ses rôles les plus déments. Il déclara hors promotion que Massacre à la tronçonneuse 2 était le pire film de sa carrière. A sa décharge, c’était avant son apparition dans Palermo Shooting de Wim Wenders. Diversement accueilli au moment de sa sortie, car plus parodique que le premier opus et baignant dans un mauvais goût écœurant, le film a été depuis réhabilité par les admirateurs de Tobe Hooper et contient de purs moments de folie et d’horreur dignes du Crocodile de la mort et de Massacres dans le train fantôme. Avec son décor Luna Park souterrain rempli de guirlandes électriques et de constructions macabres, ses éclairages rougeoyants et ses acteurs hystériques, c’est d’ailleurs à ces deux films que se rattache ce carnavalesque Massacre à la tronçonneuse 2, davantage que le « classique » de 1974. Olivier Père, 2019.
Douze années après son chef d’œuvre traumatique considéré encore aujourd’hui comme l’un des films d’horreur les plus influents et importants de tous les temps, Tobe Hooper, poussé par les nababs de la société de production Cannon Films, se lançait dans une suite qui tient plus de la farce gore grand-guignolesque que d’un nouveau choc asséné par le cinéaste issu de la vague contestataire des 70’s (l’affiche qui vient parodier sans scrupule celle du teen movie The Breakfast Club donne déjà un aperçu du virage entrepris).
Pris à contre pied, le public ne suivra pas. Le revers est sans appel aux USA
avec seulement 8M$ de recettes pour un budget estimé à 4.7M$ alors que
le premier avait rapporté 30M$ sur son sol pour une mise de départ environ dix fois inférieure. La critique est assassine et le film passe même relativement inaperçu lors de sa présentation hors compétition au festival d’Avoriaz de 1987, là même où le premier Massacre à la tronçonneuse s’était vu décerné le Prix de la critique en 1976.
À peine remis de l’échec de Lifeforce (1985), Hooper ralliait les freaks dégénérés de l’Amérique profonde en compagnie du scénariste L.M. Kit Carson. À l’inverse du premier volet qui abattait la carte de la suggestion sans grand dépeçage sanglant à l’écran, ce second effort se vautre sans subtilité aucune dans l’explicite le plus outrancier possible. Dès son improbable séquence d’ouverture sous forme de course poursuite automobile entre deux jeunes hommes bien nigauds et une bande de psychopathes armée de tronçonneuses vrombissantes, le film s’étale sur un terrain plus embarrassant que réellement effroyable.
Les effets gores, nombreux, œuvre du maquilleurs Tom Savini, sont néanmoins d’une efficacité salvatrice à l’instar de ce crâne sectionné par la chaîne de l’objet de malheur d’où le sang jailli à foison. La suite n’est qu’un défilé de comédiens cabotins qui bêtifient dans la plus pure tradition des productions Cannon de l’époque. Dennis Hopper endosse l’uniforme de sheriff intrépide vengeur un brin allumé (on le retrouvera pour un final où il croise le fer armé de trois machines-outils !), Caroline Williams celui de la scream queen aux cris hystériques interminables et donc agaçants, enfin mention spéciale aux membres de cette famille de barjots texans nullement indisposée à en faire des caisses dans un registre d’humour noir stupide et graveleux.
Certaines séquences virent même gratuitement au salace pénible, avec pour en témoigner la première rencontre entre Stretch (Caroline Williams) et "tronche de cuir" dans la station de radio. La tronçonneuse y adopte comme un air de substitut phallique plus grotesque que perturbateur. Sans succès, Hooper va même jusqu’à réitérer sa scène de la victime attablée puis brutalisée par le grand-père au marteau. Mais par dessus tout, et c’est bien là où le bât blesse, sans jamais retrouver le regard cinématographique bienveillant qui avait fait la réussite de cette séquence marquante du premier Massacre à la tronçonneuse.
Ce qui apporte une plus-value au film va concerner les décors, notamment celui du parc d’attractions désaffecté, lieu de retranchement de la "Leatherface family". Un garde-manger insalubre et poisseux tapissé d’ossements et recouvert de membres humains pourris pendus dans tous les coins (Comme dans Massacre dans le train fantôme du même Tobe Hooper, ces ornements et atmosphères ont par ailleurs grandement inspiré le réalisateur et chanteur Rob Zombie pour sa fameuse Maison des 1000 morts). Les rares survivants se quittent malheureusement sur un final bâclé où l’on tronçonne à tout va.
Écrit à l’emporte-pièce, Massacre à la tronçonneuse 2 est donc bien loin de rééditer l’exploit du premier volet. Pris comme une comédie gore ramollie du bulbe, le film peut toutefois engranger quelques partisans très portés sur le second degré. Pierre Vedral, 2015.
SIMETIERRE
Pet Sematary
de Mary Lambert, 1989, US, 1h43, Couleurs
avec Dale Midkiff, Denise Crosby, Fred Gwynne, Miko Hugues…
RÉSUMÉ : La famille Creed quitte Chicago et vient s'installer dans les environs de Ludlow, une paisible bourgade du Maine. Leur maison jouxte un cimetière d'animaux familiers situé sur les anciennes terres sacrées des indiens Micmacs. Le seul voisin des Creed est un vieil ermite. Une série d'accidents sanglants va rapidement transformer la vie des Creed en véritable cauchemar.
POINT DE VUE : C’est la première fois que King adapte lui-même un de ses romans à l’écran. Alors qu’on aurait pu espérer un cinéaste de la trempe de George A. Romero derrière la caméra, le projet est confié à la néophyte Mary Lambert, qui n’avait réalisé qu’un premier long métrage confidentiel et raté (Siesta) et des vidéos musicales pour Madonna avant Simetierre. Mary Lambert a pourtant signé avec Simetierre l’un des meilleurs films d’horreur américains modernes, l’un des plus terrifiants et surtout l’un des plus dérangeants. On peut considérer que la réussite de Simetierre incombe principalement à Stephen King, auteur de l’histoire originale et de son adaptation cinématographique, mais il ne faut pas négliger les qualités de la mise en scène de Lambert, dont la sobriété ne fait que renforcer le caractère glaçant du scénario, de même que le choix d’acteurs inconnus rend le film beaucoup plus réaliste et permet une implication émotionnelle du spectateur plus intense. Loin des déchainements baroques ou de l’hyper stylisation des grands films d’horreur de la décennie précédente, Simetierre adopte au contraire le parti-pris audacieux de la banalité, pour raconter l’histoire bouleversante d’une famille ravagée par le chagrin et la douleur. Simetierre s’attaque au tabou de la mort et au scandale ontologique que représente la mort accidentelle d’un enfant en bas âge, sous les yeux de ses parents. Le film convoque un imaginaire propre à King et déjà présent dans ses romans précédents, notamment The Shining, avec un cimetière indien capable de ressusciter les morts et une petite fille douée d’un pouvoir médiumnique. Simetierre terrifie dans son exploration de nos peurs les plus intimes : la maladie, la mort, la perte d’un enfant. Le film ose aller très loin dans la représentation de traumas destinés à rester enfouis ou cachés, impossibles à regarder en face. Corps suppliciés par la maladie ou des accidents, agressions humaines et animales, morts atroces, enfant zombie... Simetierre distille des visions de cauchemar, sur un mode clinique. Seules quelques reliquats d’un esthétisme expressionniste – le décor de la forêt qui dissimule le cimetière maudit, des espaces clos oppressants – renvoient à une tradition fantastique et au mythe prométhéen de Frankenstein. Mais Simetierre se cantonne la plupart du temps dans le registre des névroses familiales, de la culpabilité et du deuil. Il est d’ailleurs étonnant qu’un film d’horreur aussi triste et sombre ait été un important succès commercial au moment de sa sortie, adoubé à juste titre par les fans du genre et de Stephen King. La Paramount a fait un bon calcul en validant un projet aussi dérangeant, sans doute rassuré par la caution publicitaire de Stephen King et la modestie du budget. Mary Lambert n’a jamais renouvelé le miracle malsain de Simetierre et après une suite inférieure – sans la participation de King – sa carrière s’est poursuivie essentiellement à la télévision et le marché de la vidéo, avec des productions de seconde zone.
Il n’empêche que Simetierre demeure vingt-sept ans après sa réalisation une expérience de spectateur dont on ne ressort pas indemne. Vous êtes prévenus. Olivier Père, 2016.
LE MASSACRE DES MORTS VIVANTS
Non si deve profanare il sonno dei morti
de Jorge Grau, 1974, Italie/Espagne, 1h35, Couleurs
avec Arthur Kennedy, Cristina Galbo, Ray Lovelock…
RÉSUMÉ : Au cœur de la campagne anglaise, George (Ray Lovelock) et Edna (Christina Galbo), deux compagnons de route, se retrouvent happés par une attaque de morts ressuscités par les radiations ultra-soniques d'une machine agricole, destinée à anéantir les insectes.
POINT DE VUE : Parent pauvre et mal aimé de la production fantastique européenne, le cinéma espagnol n’a jamais engendré une compagnie de production aussi novatrice et inspirée que la Hammer en Grande-Bretagne ou des artistes aussi doués que Riccardo Freda et Mario Bava en Italie. L’Espagne peut se targuer en revanche d’avoir développé une industrie prolifique, principalement destinée à l’exportation, guère inquiétée par la dictature franquiste qui tolérait ces films naïvement sanguinolents, violents et dépourvus de contexte social à condition que leur action se déroulât hors du pays et n’offense ni la religion ni le régime en place. C’est bien le cas du Massacre de morts-vivants qui se déroule en Angleterre et dont la production est majoritairement italienne.
À distinguer des honnêtes artisans et des tâcherons de la production populaire, les francs-tireurs du cinéma espagnol sont à l’origine des plus belles réussites du genre : ils se nomment Jess Franco, Jorge Grau, Narciso ibañez Serrador ou Vicente Aranda et l’originalité de leurs intentions alliée à leur style agressif légitime la flatteuse réputation qu’ont acquis ce coup de projecteur sur un filon longtemps méprisé.
Né en 1930, le Catalan Jorge (qui a repris depuis son vrai prénom Jordi confisqué par les lois franquistes) Grau est loin d’être un cinéaste spécialisé dans le fantastique. Auteur d’une œuvre foisonnante, ce jeune homme en colère du cinéma espagnol n’a cessé depuis les années 60 de jeter un regard incisif sur l’Espagne. Abordant des registres divers, ses films sont presque tous des critiques sociales et politiques. Il n’aurait cependant pas laissé une grande trace dans l’histoire du cinéma s’il n’avait signé deux petits classiques du cinéma bis européen. Grau est en effet connu et apprécié hors de son pays pour ses deux films les plus commerciaux, dans lesquels il ne sacrifie en rien ni de son ambition ni de sa virulence pamphlétaire.
Cérémonie sanglante (1972) est une biographie romancée de la comtesse Bathory interprétée par la sublime Lucia Bosé (Chronique d’un amour) et la gironde Ewa Aulin (La mort a pondu un œuf), avatar tardif des mélodrames fantastiques à costumes tandis que Le Massacre des morts-vivants est une excellente imitation latine (malgré sa localisation dans la campagne anglaise) du chef-d’œuvre de George A. Romero, La Nuit des morts-vivants. Le film de Grau appartient au filon « gore » apparu dans les années 70 en Italie sous l’égide de Lucio Fulci, spécialiste de ce sous-genre qui connaîtra de nombreuses contrefaçons. Grau soutient la comparaison avec les meilleurs films de zombies, par sa violence sanguinolente, son climat d’angoisse et son propos subversif et pessimiste. Grau respecte le cahier des charges du cinéma d’exploitation de l’époque et assène plusieurs scènes chocs servies par des effets spéciaux répulsifs. Cauchemar hypnotique aux multiples rebondissements, Le Massacre des morts-vivants est aussi un manifeste écologiste et libertaire, qui dénonce la pollution dans les campagnes et les méthodes de la police, via le portrait d’un flic fasciste et borné interprété par Arthur Kennedy qui acceptera de tourner en Italie dans les années 70 à l’instar d’autres acteurs américains de sa génération.
On dénote l’influence dans Le Massacre des morts-vivants de Blow Up. Cela permet de vérifier une nouvelle fois l’importance du film de Antonioni cité par de nombreux « gialli » ou thrillers horrifiques. La séquence pré générique débute dans une échoppe d’antiquaire à Londres tenue par le personnage central George (Ray Lovelock), un hippie qui s’apprête à écouler quelques objets d’art à un client dans la campagne anglaise. La caméra s’attarde sur un tableau au sujet macabre, annonciateur des événements horribles à venir. Durant le générique des prises de vues de la capitale anglaise soulignent la pollution et le climat anxiogène et déshumanisé des grandes villes modernes, avec l’irruption d’une femme nue dans une sorte de « happening » qui rappelle l’arrivée des mimes dans Blow Up.
Pourtant c’est dans un paysage tranquille et verdoyant que va se dérouler l’intrigue du Massacre des morts-vivants, celui d’un petit village et de ses environ bientôt troublé par l’apparition menaçante d’un étrange vagabond – clin d’œil à la première apparition d’un zombie dans un cimetière dans le film de Romero – qui s’était suicidé par noyade quelques jours auparavant. Une autre scène évoque Blow Up : celle où un photographe amateur installe son appareil près d’une paisible rivière pour une séance nocturne et voit l’horreur surgir dans l’objectif. Au-delà des scènes macabres et redoutablement efficaces dans un caveau et une morgue d’hôpital, propices à des expositions de cadavres réanimés et de corps mutilés, Le Massacre des morts-vivants aborde les thèmes de la drogue et de la répression policière, mais surtout de l’écologie. La catastrophe du retour à la vie des morts est provoquée par le progrès scientifique qui dérègle l’ordre naturel. Une machine agricole censée protéger les récoltes diffuse des ultrasons qui agissent sur le système nerveux des insectes et déclenchent une agressivité autodestructrice. Ces ultrasons vont également agir sur le système nerveux des nourrissons – une infirmière aura l’œil arraché par un bébé – et des personnes récemment décédées, avec des conséquences terrifiantes.
Le Massacre des morts-vivants, réalisé en 1974, ne sortira en France qu’en 1980, profitant ainsi de la vague des films de zombies italiens qu’il avait pourtant précédée. Les Raisins de la mort (1978) série Z horrifique du réalisateur français Jean Rollin, plagiera avec beaucoup de maladresse l’argument écolo du film de Grau. Olivier Père, 2015.
PLANÈTE TERREUR
Planet terror
de Roberto Rodriguez, 2007, US, 1h45, Couleurs
avec Rose McGowan, Freddy Rodriguez, Michael Biehn…
RÉSUMÉ : Dans une petite bourgade du Texas, une mystérieuse transaction a lieu entre un lieutenant de police et un contrebandier spécialisé dans les armes chimiques. Malheureusement, la confrontation tourne au carnage et un gaz hautement toxique s'échappe, contaminant les personnes présentes sur le site. Peu de temps après, Cherry Darling, danseuse nue dans un bar mal famé, retrouve par hasard El Wray, son ancien petit ami, avec lequel elle renoue. C'est alors que des hommes infectés par le gaz se mettent à attaquer la population de la ville, propageant le virus. La résistance s'organise...
POINT DE VUE : La pellicule semble épuisée. Ratissée par des milliers de passages. Il y a même une bobine qui manque, égarée par un projectionniste brouillon. Imperfections volontaires, puisque, comme Boulevard de la mort, de Tarantino, Planète terreur se veut un hommage aux grindhouses, ces cinémas qui diffusaient à la pelle, et dans des conditions épouvantables, les nanars dont se repaissaient, jadis, les deux potes.
Intrigue minimale (des zombies cernent successivement un hôpital, un resto, un labo), parsemée de silhouettes parodiques. Le héros, lui, se chamaille avec l'héroïne, comme dans une comédie de Howard Hawks, sauf que, vu les circonstances, il est amené à lui demander : « Comment va ton moignon ? », question que Cary Grant n'aurait jamais posée à Katharine Hepburn.
Dans le monde apocalyptique qu'annonce le cinéaste — celui du mâle en déroute —, les parties génitales d'un violeur (interprété par Tarantino, of course !) fondent en un amas gluant parfaitement dégueulasse. Et la justicière au moignon finit par remplacer sa jambe de bois par une mitraillette, qui arrose les « méchants » de jets de balles qui les font éclater. Pas gai... — Pierre Murat, 2012.
TRAIN EXPRESS POUR L’ENFER
Night Train to Terror
de John Carr, Phillip Marshak, Tom McGowan, Jay Schlossberg-Cohen et Gregg C. Tallas, 1985, US, 1h38, Couleurs
avec Richard Moll, Tony Giorgio, Ferdy Mayne…
RÉSUMÉ : Dans un train à destination de Las Vegas garni d’un groupe de chanteurs/danseurs en folie, Dieu et Satan discutent de trois cas spéciaux en se demandant bien qui va pouvoir récupérer les âmes en jeu. Ceci sous l’oeil goguenard du contrôleur.
POINT DE VUE : Hallucinant Train Express pour l’enfer : un film à conseiller à ceux qui pensent tout connaître et avoir tout vu dans le domaine de la série Z et des aberrations cinématographiques, le grand n’importe quoi des tréfonds du cinéma d’horreur et d’épouvante, car il devrait sidérer les plus blasés d’entre nous. Ce fut en tous les cas mon cas, qui ne savais pas trop à quoi m’attendre en décidant de visionner cette bande très obscure qui connut une exploitation en VHS en France et semblait pourtant déjà bénéficier d’une certaine réputation auprès des amateurs de sous-produits déviants.
Train express pour l’enfer, inédit en salles en France et titre vidéo de Night Train to Terror, datant de 1985, est un film à sketches constitué de trois histoires macabres introduites par Dieu et le Diable en plein débat philosophique et se disputant l’âme des protagonistes dans un train filant à vive allure dans la nuit. Des intermèdes atroces de mauvais goût nous montrent un groupe de rock et des danseurs, eux aussi dans le train, chantant à tue-tête la même chanson débile entre les différents sketches.
Ce résumé laisse deviner un résultat déjà très excentrique mais ce serait oublier la facture même du film. Le déroulement des trois segments et le filmage – mise en scène serait un bien grand mot – de ce qui se passe dans le train (par exemple les séquences musicales sont de toute évidence réalisées dans un appartement maladroitement décoré en compartiment) nous indiquent que nous ne sommes pas devant un film comme les autres, mais devant un rapiéçage d’éléments cinématographique hétérogènes, réalisés à plusieurs années d’intervalle par différentes personnes – ceci entraînant moult faux raccords et incohérences visuelles.
Nous sommes confrontés à une telle pagaille qu’il est vivement conseillé, une fois n’est pas coutume, de visionner le supplément proposé sur le DVD avant le film, car un éminent spécialiste du cinéma d’exploitation américain – Eric Peretti – y explique en détail la genèse et la fabrication de Train Express pour l’enfer, en identifiant un par un les différents morceaux du film, extraits d’autres films, environ 80% du métrage provenant d’un matériau préexistant. Tâche d’autant plus ardue que ces films en question, Cataclysm, Death Wish Club et Scream Your Head Off sont totalement inconnus, voire inachevé dans le cas du troisième et n’ont bénéficié que de distributions très limitées au cinéma ou en vidéo sous différents titres. Tout ceci explique le nombre important de réalisateurs au générique, et tous ne sont pas crédités. Sans compter des scènes additionnelles rajoutées pour corser le contenu de certains sketches – des créatures animées image par image... pour obtenir une des plus belles tambouilles de l’histoire de la série Z, qui ferait passer Ed Wood pour Robert Bresson et les films de ninjas
« deux en un » de Godfrey Ho pour des modèles d’harmonie narrative et esthétique. Un vrai travail d’archéologue donc, et encore bravo à Eric Peretti pour son exposé de 29 minutes. Pourtant on se surprend à suivre sans ennui – une fois averti – ce film à sketches pas comme les autres, loin des productions britanniques Amicus modèles du genre, mais peu avare en idées tordues et en scènes gore ahurissantes, comme dans l’histoire de cette secte fascinée par la mort.
Le plus étonnant dans ce cadavre exquis cinématographique, ce monstre de Frankenstein de pellicule demeure l’identité de son créateur, scénariste de surcroît, car une seule et unique personne assume la responsabilité du scénario de ce film, malgré sa provenance éparse. Il s’agit de Philip Yordan, scénariste hollywoodien détenteur d’un Oscar pour La Lance brisée de Dmytryk, célèbre pour ses collaborations sur des chefs-d’œuvre signés William Wyler, Anthony Mann, Joseph L. Mankiewicz et surtout Nicholas Ray (Johnny Guitare et La Chute de l’empire romain, entre autres). En fin de carrière, Yordan a donc trempé dans des affaires très louches dans le monde parallèle du cinéma indépendant américain, très loin de Hollywood, devenant producteur et/ou scénariste de séries Z abracadabrantes jusqu’en 1994 (il est mort en 2003 à l’âge de 88 ans).
On croit rêver. Là encore Eric Peretti nous en apprend des belles dans le bonus sur le parcours et la personnalité de Philip Yordan, « prête-nom » durant le maccarthysme en plus de sa légendaire prolificité, soulignant sa mauvaise réputation – et sa santé mentale ? Olivier Père, 2014.
FREAKS
de Zach Lipovsky, Adam B., 2018, US, 1h45, Couleurs
avec Emile Hircsh, Bruce Dern, Grace Park…
RÉSUMÉ : Le père de Chloé, fillette de 7 ans, vit avec sa fille dans une maison totalement fermée et hermétique au monde extérieur, comme si dehors c'était l'apocalypse. Son père lui apprend à mentir, au cas où elle tomberait sur des adultes, un jour, et il ne cesse de lui répéter qu'elle est spéciale. Mais tandis qu'elle est isolée, Chloé est attirée par la lumière extérieure, qu'elle voit à travers les fissures de la maison et aussi, par le marchand de glace. Au-delà de tout, Chloé aimerait comprendre de quoi son père la protège réellement, pourquoi elle est enfermée, et surtout de quoi son père a peur...
POINT DE VUE : Écrit et réalisé par un duo canado-américain, ce fim fantastique a le mérite de rompre avec la grosse artillerie Marvel ou DC, comme pouvait le faire, en son temps, Chronicle (Josh Trank, 2012). Version intimiste des X-Men — les mutants aux superpouvoirs —, il raconte une histoire de claustration : une petite fille de 7 ans, manifestement hors norme, est assignée à résidence par son père (Emile Hirsch). Leur maison en bois suinte la paranoïa, avec ses placards secrets, ses dessins obsessionnels sur les murs, ses fenêtres occultées qui évoquent le taudis recouvert d’aluminium de Bug (William Friedkin, 2006). Délire paternel ou réel danger extérieur ?
L’erreur des auteurs consiste, sans doute, à vouloir ménager la surprise à tout prix, quitte à excessivement étirer la première moitié. Heureusement, la seconde gagne en intensité lorsque chacun révèle ses dons, pour les combiner de façon spectaculaire — soit une jolie forme de recomposition familiale. L’invisibilité du grand-père (touchant Bruce Dern, en marchand de glaces ambulant) et la capacité du père à dilater le temps renforcent le pouvoir de la fillette : prendre à distance le contrôle de l’esprit et donc du corps de ses ennemis, projetés tels des hologrammes chez elle. C’est là, quand il emprunte autant à la réalité virtuelle qu’à la théorie de la relativité, que le film s’avère le plus réussi. Nicolas Didier, 2020.
STREET TRASH
de Jim Muro, 1986, US, 1h40, Couleurs
avec Bill Chepil, Vic Noto, Mike Lackey…
RÉSUMÉ : Fred et Kevin sont deux adolescents paumés qui vivent dans une décharge, au royaume des clochards. Par misère ou méchanceté, tous ceux qui gravitent autour du bidonville leur en veulent et essaient d’avoir leur peau, sans compter un alcool frelaté qui transforme les buveurs en une flaque de bouillie jaunâtre.
POINT DE VUE : Une grande réussite du cinéma d’horreur américain des années 80 : Street Trash de Jim Muro. Mais l’étiquette film d’horreur est sans doute restrictive pour désigner ce drôle de truc, difficile à identifier. On peut quand même tenter d’apporter quelques éclairages. Vu plusieurs fois en salle lors de sa sortie, revu 31 ans plus tard avec la même jubilation, Street Trash a au moins la double valeur de document : celle de nous renseigner sur l’état d’un certain cinéma de genre, encore marginal à l’époque (1987), et sur l’état d’une ville, New York. Street Trash offre en effet une vision cauchemardesque du New York d’avant Giuliani. Dans les années 80 New York est une ville en crise, très endettée, l’une des plus dangereuses du monde. En 1993 Rudolph Giuliani est élu maire de New York. Son programme est axé sur la lutte contre la criminalité, le chômage et le contrôle du budget. Il met en place une politique urbaine de grand nettoyage et une « tolérance zéro » en matière de délinquance, de corruption, de drogue et d’insécurité. Harlem au nord de Manhattan et plusieurs quartiers de Brooklyn sont réhabilités. C’est la renaissance économique de New York, qui va peu à peu devenir la ville que nous connaissons aujourd’hui. C’est justement dans un secteur de Brooklyn que se déroule Street Trash. Le paysage urbain se partage entre décharges, cimetières de voitures, terrains vagues, blocs d’immeubles en ruine et abandonnés. Les personnages du film sont des clochards loqueteux et alcooliques, des boutiquiers peu scrupuleux, des vétérans du Vietnam psychopathes, des flics pourris et ultraviolents, des maffieux débiles. Street Trash met en scène une cour des miracles moderne, avec une exagération caricaturale qui n’occulte pas sa dimension documentaire. Le film montre sous un angle grotesque et effrayant les risques de s’arrêter au feu rouge dans certains quartiers, et l’existence d’une communauté en marge de la Grande Pomme, survivant d’expédients, de trafic et de combines.
Street Trash prend ses racines dans une réalité sordide, qui fut d’ailleurs montrée dans d’autres films. Les ruines de Brooklyn ou du Bronx servirent de décors à de nombreux films new-yorkais tournés dans les années 70 et 80. Mais Street Trash est une queue de comète et aborde l’horreur et le fantastique, et même le commentaire social, avec un humour bête et méchant digne du magazine Hara-kiri. Street Trash se distingue des productions de William Lustig ou James Glickenhaus par son exagération cartoonesque, sa volonté de choquer le spectateur par des gags ou des images d’une vulgarité monumentale. L’argument de scénario qui fit la réputation du film – un alcool frelaté découvert dans une vieille caisse de bouteilles fait littéralement exploser ou fondre les clochards qui l’ingurgitent, dans un concert de glouglous et des geysers de fluides multicolores – est finalement moins offensante que d’autres scènes qui parsèment le récit : un flic se fait vomir sur le gangster qu’il vient de tabasser, un clochard tente de récupérer son pénis coupé avec lequel s’amusent d’autres sans abri, une femme ivre est violée à mort par une horde de mendiants... Finalement, les morts violentes par ingestion du liquide empoisonné, avec leur festival d’effets spéciaux surréalistes et bariolés, apparaissent comme des pauses récréatives dans un film dont le premier son humain est un pet en pleine figure et qui prend un malin plaisir à provoquer le dégoût. Parfait représentant du « gore rigolard » qui éclaboussait les écrans au milieu des années 80, Street Trash se hisse largement à un niveau supérieur que The Toxic Avenger (1984) grâce à un budget correct – de provenance douteuse, paraît-il – et une maestria visuelle impressionnante. Street Trash est l’unique long métrage de Jim Muro, qui devint par la suite un spécialiste de la steadicam sur des tournages hollywoodiens, notamment le cameraman attitré des films de James Cameron. Les mouvements de caméra de Street Trash sont déjà extrêmement fluides et mobiles, et démontrent une certaine virtuosité technique de la part de Muro, loin des approximations artisanales des séries Z. Street Trash est un film affreux, sale et méchant, mais sa mise en scène et sa photographie ne sont pas celles d’un sous-produit d’exploitation. Il serait néanmoins hasardeux de voir dans le film une critique sociale ou un pamphlet contre la pauvreté et la violence qui s’emparaient des rues de New York. Street Trash suinte un profond nihilisme qui met bourreaux et victimes, flics et voyous, exploiteurs et exploités à la même enseigne de la folie, de la bêtise et de la laideur morale. Passé des bas-fonds du cinéma aux blockbusters de luxe, Jim Muro aurait d’ailleurs renié son unique long métrage, pour des raisons encore mystérieuses. Mais ceux qui le découvrirent et l’aimèrent en 1987 ont raison de lui garder une place à part dans leurs souvenirs de cinéphiles déviants. Olivier Père, 2018.
TROUBLE EVERY DAY
de Claire Denis, 2000, France, 1h41, Couleurs
avec Vincent Gallo, Béatrice Dalle, Tricia Vessey…
RÉSUMÉ : Non loin de Paris, une femme habillée et maquillée comme une prostituée monte à bord d'un camion. Son visage est couvert de sang et de larmes. Parallèlement, deux jeunes Américains, Shane et June Brown, débarquent à Paris pour y passer leur lune de miel. Contrairement à son épouse, visiblement aux anges, Shane semble soucieux, préoccupé. En fait, il est venu à Paris pour rencontrer Léo, un chercheur en botanique qui, pense-t-il, saura le soulager du mal atroce qui le ronge. Shane, en effet, est hanté par de terribles pulsions anthropophages, qui le poussent à tuer pour survivre. Coré, la femme de Léo, souffre de la même pathologie...
POINTS DE VUE : Sans abdiquer ses ambitions esthétiques ni ses obsessions, Claire Denis s’approprie le genre horrifique sans détour. Avec elle, les vampires ne sont pas des créatures évanescentes ou chimériques, mais des êtres sexués, sexuels, malades de leurs désirs, taraudés par la conscience de leur barbarie. Et la terreur n’est pas le seul registre du film. Il baigne dans une décoction grisante de sensualité et de mystère, de mélancolie et de fatalité. Non que l’intrigue de thriller scientifique soit négligée, mais, comme toujours avec l’autrice, ce sont d’abord les images, les sons et leur agencement qui mènent la danse.
On se souvient de la formule clé de Truffaut à propos de Hitchcock : « Toutes les scènes de meurtre sont filmées comme des scènes d’amour, et vice versa. » La
réalisatrice applique cela littéralement. Plein cadre, les baisers de Béatrice Dalle (hallucinante) se font morsures profondes, et son étreinte devient mortelle. Y a-t-il un message ? Sans doute des considérations inavouables sur l’arrière-monde du désir. Mais nul besoin d’y souscrire pour goûter les plaisirs de cette envoûtante série B, divinement mise en musique par les Tindersticks, et nourrie à la source des grands frères nord-américains, Lynch, Ferrara et Cronenberg. Louis Guichard, 2022.
Attention : viande fraîche. Lorsque Claire Denis nous propose sa version du mariage entre Éros et Thanatos, le résultat est à la fois macabre et bouillonnant. Sur le papier, cette histoire d’expériences médicales qui tournent mal, d’attirances vampiriques et de cannibalisme pulsionnel peut laisser perplexe, fleurant la série B au rabais. À l’écran, elle se dote d’une force véritablement dévastatrice. Toute la puissance si dérangeante du film vient précisément de ce que son exploration de l’extrême vient se loger dans les interstices du quotidien (“every day”), les espaces lacunaires et troublants entre les gestes les plus banals du travail, du couple... Sans prévenir, l’horreur est susceptible de survenir dans des lieux certes glauques, mais ordinaires, comme si la cinéaste maintenait le plus longtemps possible le brouillage des pistes quant au genre et au ton adoptés : grelottant sous sa parka trop large, sur le bord bétonné d’une nationale que sillonnent des routiers en mission, Béatrice Dalle pourrait être une oubliée de la société réduite à vendre son corps... si des traces de sang dans l’herbe et au coin de sa bouche, à la scène suivante, ne révélaient pas sa nature de nymphomane anthropophage. En passant ainsi du trivial à l’abracadabrantesque, du style documentaire au récit fantasmatique, de l’ellipse à l’ostentation de l’image “coup de poing”, Claire Denis prouve que les frontières sont poreuses, et que des réalités de niveau différent peuvent se répondre plus facilement que ne le laissent penser les apparences.
Dans cette danse macabre, la réalisatrice filme ses personnages au plus près de leur malaise, augmentant le malaise du spectateur en les rapprochant encore davantage de lui. Shane, l’inquiétant jeune marié incarné par Vincent Gallo, évoque le rôle interprété par Tom Cruise dans Eyes Wide Shut, un homme se dérobant à son couple, se refusant à ses fantasmes qui ne cessent de lui imposer leur vigueur pathologique. Symétriquement, Béatrice Dalle réussit à prendre à cœur et au corps un rôle presque muet, vibrant de vie, toujours sur le seuil entre naïveté et monstruosité. De part et d’autre de ce couple démoniaque - dont la rencontre ne durera finalement qu’un instant -, une série de rôles secondaires (dont l’excellent Alex Descas, habitué des films de Claire Denis) ponctue la folie des deux personnages centraux. C’est aussi du fait de ce caractère profondément humain et, somme toute, “réaliste”, que Trouble Every Day est un film éprouvant, duquel on n’émerge qu’avec difficulté. Les scènes de cannibalisme, si elles n’atteignent pas le gore gratuit de Cannibal Holocaust, restent toutefois d’une violence physique et graphique extrême, doublée d’une indécision à la limite du supportable : est-on dans le plaisir ? La douleur ? On peut si on le souhaite interpréter le film à un niveau moins littéral, sur le mode de la vision pessimiste du couple, comme entraînant inévitablement la “dévoration” du désir de l’un par celui de l’autre. Mais c’est aussi un étrange tableau de la force de nos pulsions élémentaires, dans une optique peut-être involontairement sadienne : de la jouissance à la cruauté, il n’y a qu’un pas. Camille Lugan, 2022.
SOUDAIN… LES MONSTRES !
The Food of the Gods
de Bert I. Gordon, 1976, US, 1h28, Couleurs
avec Marjoe Gortner, Pamela Franklin, Ralph Meeker…
RÉSUMÉ : Morgan, un joueur de football professionnel et son ami Davis ont décidé de passer quelques jours de détente sur une île canadienne quasiment déserte. Rapidement, Davis disparaît mystérieusement. Morgan décide alors d’examiner les alentours et se fait attaquer par un poulet géant. S’étant sorti difficilement des ergots acérés du gigantesque volatile, notre héros fait la connaissance d’une fermière des environs qui lui fait une bien étrange révélation. En effet, la terre de l’île recèle une étrange matière oléagineuse ("la nourriture des dieux") qui, mélangée aux aliments, a la particularité de faire grandir tout animal qui l’absorbe. Morgan, comprenant vite que l’île est infestée de bêtes aux proportions inimaginables va tenter, en compagnie des autochtones, touristes et autres financiers peu scrupuleux désirant exploiter la substance extraite du sol, de survivre aux assauts des bestioles affamées devenues très agressives.
POINT DE VUE : Au fil de son histoire, le cinéma fantastique s’est enrichi d’un bestiaire monstrueux, né de peurs ancestrales ou plus modernes.
Bert I. Gordon (B.I.G. pour les intimes) fut un auteur mineur du fantastique américain, sorte de Jack Arnold du pauvre ou de George Pal « trash ». Davantage préoccupé par la conception de trucages rudimentaires que par la mise en scène ou la direction d’acteurs, souvent approximatives, Bert I. Gordon consacra la plus grande partie de son œuvre à l’exploration du gigantisme sous toutes ses formes, animale – lézard dans King Dinosaur (1955), sauterelles dans Beginning of the End (1957), guêpes, vers, poulets et rats dans Soudain... les monstres! (1976), fourmis dans L’Empire des fourmis géantes (1977), ces deux derniers titres vaguement adaptés de H.G. Wells – et humaine – The Cyclops (1957), Le Fantastique Homme Colosse (1957), War of the Colossal Beast (1958), Village of the Giants (1965).
Loin d’être sectaire, le cinéaste s’est également intéressé au nanisme dans Attack of the Puppet People (1958) et The Boy and the Pirates (1960).
Ancien assistant de Hal Roach (Tumak, fils de la jungle), Bert I. Gordon débute comme réalisateur de films publicitaires et invente avec sa femme une technique artisanale d’effets spéciaux. Il travaille pour la télévision en réalisant et produisant des épisodes de séries avant d’entreprendre une carrière cinématographique placée sous le signe de l’indépendance (Gordon est souvent producteur, scénariste, responsable des trucages de ses films) et des petits budgets. De 1954 (Serpent Island, truffé de stock-shots) à 1980 (The Coming, un film d’horreur), sa filmographie est dédiée à la science-fiction et au fantastique, avec une prédilection évidente pour les trucages optiques et les histoires de métamorphoses. De film en film, dinosaure, colosse, cyclope, araignée géante, rats mutants, hommes miniatures et dragon de conte de fées constituent le bestiaire merveilleux de Bert I. Gordon.
Dans les années 70, Bert I. Gordon signe deux adaptations très libres du romancier Herbert G. Wells : L’Empire des fourmis géantes et Soudain... les monstres ! (The Food of the Gods, 1976), produits par AIP (American International Pictures). Ces films anachroniques illustrent une conception désuète de la science-fiction, vouée à l’extinction. Maladroits et de mauvais goût, les testaments artistiques de Gordon ne manquent pourtant pas d’attraits et sont devenus des petits classiques du bis américain. Dans Soudain... les monstres !, le plus soigné et le plus ambitieux des deux, les animaux de la ferme (mais aussi les rats et les guêpes) atteignent une taille gigantesque après avoir ingurgité une mystérieuse bouillie surgie de la terre et attaquent deux vieilles gloires de Hollywood en fin de carrière (Ida Lupino, Ralph Meeker) ainsi que l’étrange Marjoe Gortner, enfant prédicateur reconverti dans le cinéma psychotronique (Tremblement de terre, Star Crash, Les Guerriers de la jungle et autres incontournables). Le film distille un message écologiste et montre la nature qui prend sa revanche sur les agressions humaines, intentions soulignées par un dialogue introductif. Les catastrophes naturelles et les messages alarmistes sur la destruction de la planète par la pollution étaient des sujets souvent abordés par le cinéma fantastique dans les années 70. La mise en garde de Gordon n’est pas la plus subtile mais elle réserve de bons moments d’horreur. La horde de rats est constituée de rongeurs grandeur nature propulsés sur des maquettes de voiture ou de maison, ou alors des figurants déguisés en muridés pour les plans rapprochés avec des acteurs. Les guêpes géantes sont soit en plastique (posée sur un Ralph Meeker grimaçant) soit directement dessinées sur la pellicule. Tout ça nous change des trucages numériques. Le morceau de bravoure final – rescapés retranchés dans une ferme luttant contre les tentatives d’intrusion des rats – s’inspire de celui des Oiseaux et de La Nuit des morts-vivants, modèles indépassables et si souvent copiés de « home invasion ».
Soudain... les monstres ! fit le bonheur des spectateurs du Festival du Grand Rex en 1977 avant de hanter durablement les salles spécialisées comme Le Brady et les vidéoclubs. Il est désormais disponible en DVD et blu-ray dans une nouvelle collection « trésors du fantastique » éditée par Movinside qui propose aussi d’autres titres recommandables comme La Nuits des vers géants ou Nuits de cauchemar. Olivier Père, 2017.
TERRIFIED
Aterrados
de Demián Rugna, 2017, Argentine, 1h27, Couleurs
avec Maximiliano Ghione, Noberto Gonzalo, Elvira Onetto…
RÉSUMÉ : Un enquêteur spécialisé dans le paranormal et un ancien flic tentent d'élucider une affaire glauque survenue dans un quartier de Buenos Aires.
POINT DE VUE : Ce film d'horreur argentin (qu'il faut chercher sur Netflix sous son titre original, Aterrados) a fait sensation outre-Atlantique au point qu'un remake anglophone soit déjà programmé : même réalisateur, Guillermo Del Toro à la production – utilité discutable, j'en conviens... Mais, de fait, son sens du morbide a de quoi frapper l'amateur, souvent lassé de la reproduction ad nauseam des mêmes formules. Ici, la nausée, justement, est de premier choix.
L'action se réduit quasiment à quelques mètres carrés d'une banlieue pavillonnaire, petites maisons adjacentes au sein desquelles le bruit circule trop bien : mais quand vous croyez que votre voisin fait des travaux, eh bien non, c'est un peu plus compliqué que ça. Il y a des esprits frappeurs, peut-être des monstres de l'au-delà, on ne sait pas très bien qui (et c'est tant mieux), et ils ne nous aiment pas.
Il faut passer outre la première scène, certes spectaculaire, mais qui conduit bizarrement à un flash-back, artifice de construction qui n'était pas nécessaire. Quand on se retrouve quelques jours plus tôt, alors là, le spectacle, l'angoisse, montent d'un coup. Il y a d'abord un enfant renversé par un bus, puis le même enfant, corps en décomposition, doigts à demi-arrachés d'avoir gratté la terre pour quitter sa sépulture, qu'on retrouve attablé devant un goûter. On pense à ce passage de La Classe de neige, d'Emmanuel Carrère où un père prie pour le retour de son fils, accidentellement hâché menu par une machine lors d'une visite d'usine. Le père est entendu, l'enfant sonne à la porte – mais il est toujours en petits morceaux...
Le phénomène laisse perplexe un flic plutôt bon gars et fatigué et convoque un trio de docteurs en exorcisme : leur inspection des maisons mitoyennes démarre bien, ces gens- là savent ce qu'ils font, et puis... Ce petit thriller horrifique se passe d'explications oiseuses, il invente juste quelques figures d'effroi bien flippantes, des créatures qui attaquent peut-être, tout simplement, parce qu'elles sont attaquées. Ses personnages un peu découragés, presqu'ordinaires, tranchent avec le gibier habituel du genre. On va suivre la carrière de Demián Rugna – il s'agit de son troisième film – en espérant qu'Hollywood ne le mange pas... Aurélien Ferenczi, 2021.
MIMIC
de Guillermo del Toro, 1996, US, 1h45, Couleurs
avec Mira Sorvino, Jeremy Northam, Giancarlo Giannini…
RÉSUMÉ : À New York, une terrible épidémie, propagée par les cafards, décime la population. Pour endiguer le fléau, le docteur Susan Tyler a mis au point des insectes mutants des plus efficaces, les judas. Mais, quelques années plus tard, l'antidote se révèle encore plus meurtrier que le mal originel. Les énormes cafards réussissent désormais à se reproduire, grossissent et s'attaquent à l'être humain, qui constitue une pitance de choix. Régulièrement, des New-Yorkais sont enlevés dans les profondeurs souterraines pour garnir le garde-manger des hostiles mutants. Pour mettre fin à l'hécatombe, il n'y a qu'une solution : affronter cette population d'affreux insectes dans son propre royaume...
POINT DE VUE : Les cafards ont répandu dans New York une terrible maladie qui touche les enfants. Une scientifique crée une espèce mutante, capable de faire mourir toutes les bestioles et de s’éteindre dans la foulée...
C’est le deuxième film du réalisateur mexicain qui allait faire sensation à Cannes avec Le Labyrinthe de Pan (2006) et, tout récemment, remporter le Lion d’or du festival de Venise avec La Forme de l’eau. Désormais reconnu comme un artiste visionnaire, Guillermo del Toro n’était pas si respecté quand Hollywood l’embaucha pour tourner Mimic et en faire une sorte de nouvel Alien. Le conflit était inévitable : le réalisateur renia le montage final, qui lui avait été imposé. Si on voit clairement la simplification et la standardisation de cette histoire fantastique, l’ambition artistique n’y a pas été entièrement gommée. Certains décors en témoignent par leur étrangeté baroque. Surtout, la présence des enfants tire le film vers un conte noir envoûtant, qui en appelle à des peurs primitives, dans une nuit où l’innocence est en danger. De beaux frissons. Télérama, 2017.
DERNIER TRAIN POUR BUSAN
Train to Busan / Busanhaeng
de Yeon Sang-ho, 2016, Corée du Sud, 1h58, Couleurs
avec Gong Yoo, Yu-mi Jung, Ma Dong-seok…
RÉSUMÉ : Seok Woo, cadre toujours débordé, a peu de temps à consacrer à sa fille, Soo-an. C'est pourquoi il accepte d'accompagner l'enfant, qui veut rendre visite à sa mère, dont Seok Woo a divorcé. Le père et la fille se retrouvent dans le train TX qui doit les conduire à Busan. Mais une épidémie frappe le pays, transformant ses victimes en zombies affamés. Une jeune femme contaminée est entrée dans le train et commence à répandre le virus parmi les passagers. C'est bientôt la panique à bord...
POINTS DE VUE : On croyait tout connaître des morts-vivants, jusqu’à ce que l’on découvre leurs homologues sud-coréens. S’ils ont autant la « niaque » que leurs homologues occidentaux, ils ont pourtant subi une mutation assez préoccupante : ce sont des zombies « à grande vitesse »... contrairement aux choses lentes et hébétées qui traînent leurs pantalons déchirés chez George Romero. Ils sont d’autant plus effrayants qu’ils opèrent à l’intérieur d’un train bourré d’innocents voyageurs. Là aussi, c’est une première. Couloirs, portes coulissantes, toilettes, étagères porte-bagages, le réalisateur déniche dans chaque recoin de cet espace étroit, tout en longueur, des occasions de suspense. Pourquoi ne pas simplement arrêter le train ? Parce que dehors c’est pire. Le pays est à feu et à sang. Lancés à pleine vitesse vers la seule ville (peut-être) épargnée, les passagers doivent tenir.
Le film se concentre sur un petit groupe de survivants, une micro-société où se combattent lâcheté et courage, solidarité et individualisme, héros et salauds. Car, ici comme chez Romero, le réjouissant jeu de massacre se fait conte politique. Et le film démontre, à sa manière ludique et ultra violente, que la seule chance de survie passe par l’entraide. Cécile Mury, 2021.
Le long métrage de Yeon Sang-ho n’est rien d’autre qu’une réponse coréenne à la mode des films « d’infectés », avatars postmodernes des films de zombies inventés par George A. Romero en 1968 (La Nuit des morts-vivants) et déclinés depuis sous toutes les formes inimaginables. En 2002 le pourtant peu inspiré – il a d’ailleurs tout pompé sur une série B italienne des années 80, Démons – Danny Boyle a revivifié avec 28 Jours plus tard le sous-genre zombiesque avec la figure de l’infecté monté sur ressort et galopant comme un dératé, généralement en horde, pour grignoter ses victimes avec moult grognement, à la différence des macchabés léthargiques auxquels nous avaient habitués Romero, Fulci et compagnie. Formule survoltée que reprendra Zack Snyder dans L’Aube des morts. L’infecté est beaucoup plus dangereux que le zombie à l’ancienne car il court vite et vous contamine en quelques minutes. Fort heureusement il est souvent bête comme ses pieds, à l’instar des créatures de Train to Busan incapables d’actionner la poignée d’une porte vitrée ou de s’intéresser à une proie potentielle si elle se trouve hors de leur champ de vision.
Train to Busan raconte la propagation monstrueuse d’un virus zombie sur un train à haute vitesse en direction de Busan. Avant que les choses sérieuses ne commencent la présentation du groupe de passagers comprenant des caractères bien typés – deux vieilles dames, un grand patron irascible, une équipe de base-ball, un clochard nous renvoie au bon souvenir de la série Airport ou de tout autre film catastrophe des années 70 se déroulant dans un moyen de transport – Le Pont de Cassandra par exemple, avec son train – déjà – transportant le virus de la peste. La suite relève de l’action non stop, avec l’élimination progressive des passagers et la lutte pour la survie d’un petit groupe de rescapés, réfugiés dans un wagon puis dans un autre train. Le cinéaste connaît ses classiques et réussit à nous surprendre malgré les nombreuses citations d’autres films, de Runaway Train à World War Z. Train to Busan permet de savourer la différence entre un blockbuster coréen et un blockbuster hollywoodien. Le pays du matin calme sait confectionner des superproductions qui sauvent leur âme, conservent les qualités dynamiques des séries B, avec des acteurs formidables et une attention constante aux personnages, sans parler des annotations socio-politiques qui mettent souvent ces films en prise directe avec la réalité du pays. C’est le cas de Train to Busan, dont le héros est un « trader » qui néglige sa fille à cause de son travail et va enfin pouvoir lui exprimer son amour dans des conditions dramatiques.
Avant Train to Busan, Yeon Sang-ho était connu pour avoir réalisé plusieurs longs métrages d’animation pour adultes à caractère social et satirique. Son passage au cinéma traditionnel porte la marque de sa formation d’animateur. Au lieu du sur découpage frénétique et informe de la plupart des blockbusters actuels Train du Busan se signale par la précision de ses cadres et la lisibilité de sa mise en scène, qui évoquent la bande dessinée et l’animation.
Train to Busan est d’ailleurs le prolongement du précédent film d’animation de Yeon Sang-ho, tourné juste avant, Seoul Station, sur une invasion de zombies dans le métro de la capitale coréenne, qui devrait finalement sortir après Train to Busan : un excellent double programme en perspective ! Olivier Père, 2016.
TOXIC
The Toxic Avenger
de Michael Herz et Lloyd Kaufman, 1985, US, 1h27, Couleurs
avec Mitch Cohen, Mark Torgl, Andree Maranda…
RÉSUMÉ : Aux États-Unis, dans le New Jersey, Tromaville est la ville qui détient tous les records en matière de pollution par les déchets toxiques. Le jeune Melvin travaille dans le club de remise en forme de la ville. Homme à tout faire, Melvin est également le souffre-douleur de tous.
POINT DE VUE : Estampillé « premier film gore 100% comique » (ou l’inverse ?) lors de sa sortie dans les salles françaises en mai 1985, Toxic (The Toxic Avenger) a lancé la mode de l’horreur parodique, devenue la marque de fabrique de la société de production Troma Entertainment, qui a développé tout un merchandising autour du concept hautement répréhensible mais très lucratif de « nanar volontaire », avec des films ressemblant déjà à des produits dérivés pour fédérer une communauté de fans. Si on peut négliger sans regret la suite des productions Troma, ce premier opus demeure fidèle à sa réputation, et a conservé intact ses valeurs négatives. Humour bête et méchant, excès d’ultra-violence et de vulgarité, irresponsabilité, ... Les amateurs du mensuel « Hara-Kiri » et de bandes dessinées « trash » apprécieront sans doute cette avalanche de mauvais goût filmée en dépit du bon sens, avec des acteurs qui grimacent comme des fous, et des dialogues orduriers. On reste scié par les scènes gore qui dépassent les limites, comme cet enfant écrasé par des chauffards qui prennent des Polaroids des corps ensanglantés de leurs victimes, utilisés ensuite à des fins sexuelles, ou des combats de rue qui ne lésinent pas sur les démembrements, étripages et autres jets d’hémoglobine. Toxic est une parodie des films de super-héros matinée de brûlot anarchisant et de pamphlet écologiste. Nous sommes à Tromaville, la ville la plus polluée et corrompue des Etats-Unis située dans la banlieue de New York. Un gringalet employé à passer la serpillère dans un club de gymnastique fréquenté par une bande de voyous décérébrés est victime d’une plaisanterie cruelle. Déguisé en tutu, il se jette par la fenêtre de désespoir et atterrit dans une cuve de déchets toxiques. Il se métamorphose en colosse difforme au visage à moitié fondu, bien décidé à nettoyer la ville des criminels, mafieux et politiciens véreux qui y règnent en maîtres. Ultime avatar des films de violence urbaine crasseux tournés à New York et ses environs, exploitant la vague d’insécurité essentiellement liée à la drogue qui perdura dans la cité jusqu’au début des années 90, Toxic égrène et tourne en dérision toutes les situations d’agressions décrites par ces films. Les gangs de punks et de junkies qu’affronte le vengeur toxique semblent sortis d’un film de la série « Death Wish » avec Charles Bronson. La voix virile et chaleureuse de Toxic, en totale contradiction avec son apparence physique, est celle d’un justicier masqué d’un sérial des années 40 (c’est sans doute le meilleur gag du film). Michael Herz (à ne pas confondre avec Mikhaël Hers) et Lloyd Kaufman rudoient la grammaire cinématographique et semblent parfois hésiter devant le style du film – le burlesque assumé y côtoie des scènes de violence pas drôles du tout. Moins soigné formellement que Street Trash (euphémisme), moins personnel que les films de Frank Henelotter, Toxic demeure l’un des dignes représentants de « l’horreur trash » new-yorkaise des années 80, qui allait s’éteindre en même temps que l’assainissement de la ville. Olivier Père, 2019.
PENINSULA
de Sang-ho Yeon, 2020, Corée du Sud, 1h56, Couleurs
avec Dong-won Gang, Lee Jung-hyun, Re Lee…
RÉSUMÉ : Une violente épidémie a transformé une grande partie de la population coréenne en zombies. Comme la propagation du virus est incontrôlable, la péninsule est abandonnée aux morts- vivants. Quelques années plus tard, Jung-seok, o"icier dont une partie de la famille a été tuée lors de la catastrophe, est contacté par des gangsters pour une mission risquée : retourner en Corée pour mettre la main sur 20 millions de dollars, entreposés dans un camion. Sur place, Jung-seok découvre qu'il reste des survivants humains qui ont échappé aux zombies.
POINT DE VUE : Attention, ceci n’est pas une suite. Situé quatre ans après Dernier Train pour Busan, qui avait enthousiasmé Cannes en 2016, Peninsula, du même talentueux Sang-ho Yeon, n’en retrouve ni les personnages, ni la mordante charge sociale. En s’affranchissant des contraintes du film précédent, quasi confiné dans un train en marche et donc « condamné » à la virtuosité, cette variation zombie perd en originalité et en émotion. Au croisement de New York 1997, World War Z et l’univers de Mad Max, Peninsula tente une greffe intrigante mais s’étiole vite dans son orgie d’effets spéciaux numériques. Reste d’étourdissantes séquences de poursuites en voiture, pour les spectateurs en manque de bruit et de fureur. Marie Sauvion, 2020.
EVIL DEAD
de Samuel M. Raimi, 1982, US, 1h30, Couleurs
avec Bruce Campbell, Ellen Sandweiss, Betsy Baker…
RÉSUMÉ : Deux jeunes couples s’installent dans une maison prêtée pour le week-end : elle est hantée!
POINTS DE VUE : Film culte pour les amateurs de gore, supplice insoutenable pour les « profanes », Evil Dead est un sommet absolu du « grand guignol » réalisé sans vrais moyens mais avec beaucoup d’idées. Dictionnaire des films, 1995.
Cinq amis partent passer le week-end dans une mystérieuse maison perdue dans les bois, repaire des forces du Mal… Amateur d’émotions fortes, que la vue d’un risotto gluant ou d’une bouillabaisse de chairs à vif n’effraie pas, bienvenue dans le délire visuel de Sam Raimi. C’est en fan de cinéma fantastique, avec trois francs six sous et des effets spéciaux bricolés (mais spectaculaires) que le jeune homme a réalisé cette épopée « gore » (comprenez sanglantissime), devenue film culte. Evil Dead souffre de ne pas avoir d’autre ambition que de surenchérir dans l’horreur : mais sa liberté visuelle et son humour, drôle quoique potache, donnèrent au film d’horreur une dimension ludique… rafraîchissante. Aurélien Ferenczi, 2021.
Evil Dead (The Evil Dead, 1982), ce petit film d’horreur tourné en 16mm par le futur réalisateur de Spider-Man est vite devenu un objet de culte pour les amateurs de fantastique et aussi une entreprise extrêmement rentable, lançant la carrière d’un bon cinéaste (un peu perdu de vue ces dernières années) et générant deux suites intéressantes tournées dans les années 80, avec plus de moyens mais le même esprit. L’histoire est simple : des vacanciers libèrent une force maléfique qui va posséder les corps et les âmes des jeunes gens, tour à tour transformés en monstres. Le dernier survivant n’aura d’autre solution que de démembrer ses anciens amis. Sam Raimi a 22 ans lorsqu’il réalise Evil Dead avec une équipe technique et artistique entièrement composée de non professionnels ou de débutants. Comme la plupart des films amateurs, le tournage se déroule sur trois ans, dans des conditions épuisantes, en raison de l’étroitesse du budget et du décor unique, une bicoque sans confort perdue au milieu d’une forêt du Tennessee. Même s’il profite de la mode des films gore à l’orée des années 80, capables avec peu de moyens et beaucoup d’effets d’impressionner le public, Evil Dead marque un tournant dans l’histoire du cinéma fantastique. Il procède à une forme de surenchère dans la cadence des scènes de terreur, accélérant l’intensité et la violence de films comme Massacre à la tronçonneuse ou La colline a des yeux qui fonctionnaient avant tout sur l’attente et le hors champ. Evil Dead, par son rythme infernal, sa caméra virevoltante et son déluge de sang, ressemble davantage à une attraction foraine ou un tour de grand huit. L’humour potache et mal élevé qui traverse le film, loin d’édulcorer sa violence, participe à l’hystérie de l’ensemble. Cette rage destructrice fait penser à Tex Avery, génie du gag sadique et surtout aux Trois Stooges, comiques experts en méchanceté dont Sam Raimi revendique l’influence. Olivier Père, 2012.
INFERNO
de Dario Argento, 1978, Italie, 1h50, Couleurs
avec Leigh Mac Closkey, Irene Miracle, Sacha Pitoëff…
RÉSUMÉ : Un vieillard paralytique et son infirmière font peser une terrible malédiction sur une maison de New York.
POINT DE VUE : Prolongement de Suspiria (1977) dont il ne reprend aucun personnage tout en poursuivant l’idée de demeures hantées par trois redoutables sorcières, Inferno (1980) est un véritable opéra psychédélique sur le thème de l’alchimie, écrit par Dario Argento et Daria Nicolodi sous diverses influences occultes, notamment les essais de Thomas de Quincey. Quelques scènes se déroulent à Rome mais l’essentiel du film a pour cadre un vaste immeuble new-yorkais – réinventé en studio – chargé de secrets mortels. C’est sans doute le chef-d’œuvre le plus cruel et démentiel de Dario Argento, esthétiquement somptueux et obéissant à la logique des cauchemars, mais aussi à une appréhension profondément singulière, voire ésotérique, de la narration. Argento procède par rimes visuelles, fétichistes et musicales (rock progressif de Keith Emerson, le Nabucco de Verdi) pour faire avancer un film construit comme un jeu de l’oie, où se télescopent plusieurs lieux et destinées funestes.
Il y a davantage de divergences que de points communs entre Suspiria et Inferno. Certes on retrouve dans le deuxième film un incendie final, des animaux féroces, de frêles jeunes femmes assassinées à l’arme blanche, un assemblage maniériste de citations cinéphiles et picturales... Mais Argento refuse de se répéter et choisit dans Inferno le murmure contre le vacarme, une atmosphère de torpeur onirique contre les stridences hystériques de Suspiria. Cette douceur se retrouve dans la musique de Keith Emerson, moins pesante que celle de Goblin. Quant aux acteurs de Inferno, ils adoptent un style de jeu somnambule quasiment bressionien, irréaliste mais aussi atténué et presque neutre, comme sous hypnose. Argento prend à contre-pied les bandes-son des films d’horreur et leur cortège de hurlements et d’effets sonores et signe une œuvre chuchotée, souvent silencieuse, traversé par des scènes ultraviolentes mais dont l’atmosphère générale renvoie au cinéma muet expressionniste.
Contrairement à Suspiria, Argento abandonne totalement dans Inferno le scénario traditionnel, la progression dramatique classique et la notion même de personnage. Chaque scène est raccordée à la suivante par une association d’idée, un détail, un objet transitionnel (une lettre, une clé...) tandis que des jeunes femmes entraînées malgré elles dans une enquête surnaturelle se succèdent à l’image sans jamais se croiser, victimes programmées d’une force sanguinaire. Inferno est le film d’Argento où l’architecture occupe la place la plus importante. Des demeures grandioses et inquiétantes sont le théâtre de meurtres barbares, et dissimulent. L’énigme centrale est cachée dans les plans de l’immeuble où vivent cloitrés d’étranges locataires, dans les interstices des murs et des planchers qu’Argento utilise comme des espaces communicants, nécessaires à des révélations inattendues.
On ne peut qu’admirer la mise en scène d’Argento et son utilisation si spectaculaire de la couleur. C’est particulièrement vrai pour Inferno dont les variations de rose et d’orange sont inspirées par la peinture préraphaélite et constituent des créations chromatiques extraordinaires du directeur de la photographie Romano Albani, à l’opposé des couleurs agressives de Suspiria, dont la photo était signée Luciano Tovoli. Inferno est une invitation à l’hallucination et à la rêverie, un film à nul autre pareil, dont la beauté transcende le genre horrifique. Olivier Père, 2018.
HELLRAISER : LE PACTE
de Clive Barker, 1987, GB, 1h34, Couleurs
avec Sean Chapman, Andrew Robinson, Clare Higgins…
RÉSUMÉ : Durant un voyage, Frank Cotton entre en possession d'une boîte maléfique qui le transporte dans un monde imaginaire, mais arrivé sur place, des monstrueuses créatures le dévorent. Quelques années plus tard, son frère Larry et son épouse Julia emménagent dans la maison de Frank, sans se douter que l'esprit de ce dernier y rôde encore. Alors qu'une goutte de sang accidentelle tombe sur le sol, le monstre se réveille, et part en quête de chair fraîche.
POINT DE VUE : Hellraiser : le pacte (Hellraiser) marque les débuts de l’écrivain anglais Clive Barker sur la scène cinématographique, en tant que réalisateur et auteur complet. Barker a acquis assez tôt une excellente réputation chez les amateurs de littérature fantastique, qui le comparent à Lovecraft ou Stephen King. Déçu par les précédentes adaptations de ses scénarios à l’écran, Transmutations et Rawhead Rex, Barker (qui avait auparavant mis en scène des courts métrages underground) décide de passer derrière la caméra en 1987 avec Hellraiser, malgré son manque d’expérience et des moyens financiers très limités. Dans le marasme du cinéma britannique des années 80, loin de l’âge d’or du fantastique, Hellraiser apparait comme une entreprise marginale, soutenue par des capitaux américains (la compagnie New World de Roger Corman) et qui ne souhaite pas vraiment afficher ses origines londoniennes. Dans une grande économie narrative et esthétique, Hellraiser se limite essentiellement à un huis-clos situé dans une maison anonyme. Derrière les murs de la maison, ce qui débute comme un psychodrame familial et une histoire d’adultère va bientôt basculer dans l’horreur. Clive Barker se pose en apôtre d’un cinéma gore, organique, viscéral et sexuel. Son univers est sadomasochiste, fétichiste et marqué par l’érotisme gay. L’écrivain réalisateur ne cache pas que ses visions infernales lui furent inspirées par les donjons des boîtes SM de New York, avec leur attirail de chaînes, de lames et de corps masculins ensanglantés. Les personnages torturés de Hellraiser découvrent la jouissance dans la souffrance, dépossédés de leur enveloppe charnelle et soumis aux supplices des crochets, dans des caves ou des greniers poisseux. Malgré son goût pour l’hémoglobine et les images répugnantes Barker ne cède pas au Grand-Guignol parodique et préserve tout au long de son récit un ton sérieux, gothique et malsain. Il invente de nouvelles icônes de l’horreur moderne, les Cénobites, monstrueux prêtres de la douleur surgis d’une dimension parallèle. Cette communication entre des espaces déconnectés qui libèrent dans leurs interstices des forces maléfiques qui défient la raison n’est pas sans évoquer certains films de Lucio Fulci comme L’Au-delà ou La Maison près du cimetière, précurseurs d’un fantastique libéré du moindre carcan rationnel.
Hellraiser fut un succès surprise qui engendra neuf suites. Ce qui aurait pu devenir à l’écran l’équivalent des cycles romanesques de Barker s’enlisa vite dans l’opportunisme commercial et la médiocrité. Le deuxième film tourné dans la foulée, Les Ecorchés, est un prolongement direct du premier opus dont il respecte l’univers sadomaso et surnaturel, avec des effets spéciaux encore plus délirants. Les producteurs auront d’ailleurs des ennuis avec la censure et devront atténuer la violence de plusieurs scènes. Barker prendra rapidement ses distances avec la saga Hellraiser qui transforme le Cénobite Pinhead et ses associés en croquemitaines de carnaval, pour vaquer à d’autres projets personnels dans différentes disciplines artistiques. Nous n’avons pas revu Hellraiser 3 depuis sa projection au Festival du Grand Rex en 1992 mais le résultat nous avait laissé circonspect. De ce brouet informe on retiendra quand même une séquence où des Cénobites sèment la pagaille dans une boite de nuit en se servant de CD comme des étoiles de ninja pour tuer les fêtards. Olivier Père, 2018.
FRISSONS
Shivers
de David Cronenberg, 1974, Canada, 1h30, Couleurs
avec Paul Hampton, Joe Silver, Lynn Lowry…
RÉSUMÉ : Victime de mystérieux parasites, un savant tue sa maîtresse et se suicide. La contagion sera épouvantable.
POINT DE VUE : Frissons (Shivers, 1975) est le premier film d’horreur de David Cronenberg à avoir été produit dans un système commercial. Il a connu une distribution internationale, intégré dans la mouvance du « cinéma d’exploitation » qui offrait aux spectateurs avides de sensations fortes un programme composé de sexe, de sang et de violence. Auparavant, Cronenberg avait réalisé plusieurs courts et moyens métrages underground (Stereo, Crimes of the Future) qui avaient attiré l’attention d’une autre forme de public spécialisé.
David Cronenberg réalise Frissons dans le giron d’une industrie cinématographique canadienne encore embryonnaire. Premier film, et premier scandale. Les journaux et les politiciens locaux se liguent pour dénoncer une production jugée pornographique et financée avec des deniers publics. Frissons essuie le mépris ou l’indifférence de la critique dite sérieuse. Cela n’empêche pas le film de connaître une carrière durable dans les salles de cinéma puis les vidéoclubs. Frissons, revu à l’aune de la filmographie de Cronenberg, est un point de départ parfait qui pose les bases d’une œuvre extrêmement cohérente. Le film prend à rebours tous les codes et lieux communs du fantastique traditionnel, hérités de la littérature gothique, pour établir l’acte de naissance de l’horreur moderne. De manière encore plus radicale que George A. Romero et sa Nuit des morts vivants en 1968, Cronenberg charge une horrible histoire de contamination d’une valeur politique et libertaire inédite. Des parasites entre la limace et le phallus, créés par un savant fou, s’infiltrent dans les corps des habitants d’une résidence de luxe ultra-moderne, et les transforment en maniaques sexuels. Un tel scénario, avec les images répugnantes qu’il engendre, représente une attaque frontale contre le puritanisme anglo-saxon, et le mode de vie américain. Le film du jeune cinéaste canadien ne choque pas seulement en raison de son contenu « gore », mais surtout de sa signification profonde, clairement compréhensible par tous. Cronenberg ne se désole pas de cette apocalypse virale prompte à détruire les fondements de notre société, mais s’en réjouit. Frissons prône l’orgie et le chaos généralisés, destinés à se propager dans toute la ville comme le laisse entendre les dernières images. Une conclusion que Cronenberg, non sans humour, semble accueillir avec la satisfaction que procure les fins heureuses. Il n’y a pas dans Frissons le jugement moralisateur et péremptoire des films fantastiques ou catastrophes qui comptabilisent destructions, fléaux et morts violentes comme autant de punitions accablant une humanité déréglée. Cronenberg balaie d’un geste rageur une société confinée, aussi rassurante que navrante avec son confort hygiéniste, ses richesses et privilèges, pour nous laisser entrevoir un monde insoupçonné, dangereux, qui inverse toutes les règles pour peut-être en inventer d’autres. Les frissons (« shivers ») promis par les titres français et canadien ne seraient donc pas seulement la conséquence de l’effroi, mais aussi de l’excitation. Olivier Père, 2020.
FRISSONS D’OUTRE-TOMBE
From Beyond the Grave
de Kevin Connor, 1973, GB, 1h38, Couleurs
avec Peter Cushing, Donald Pleasence, David Warner…
RÉSUMÉ : Un antiquaire de l'East-End à Londres place ses clients dans d'effroyables situations. Le vieil antiquaire semble être le Diable incarné, offrant à ses clients des objets maléfiques qu'ils sont incapables de refuser.
POINT DE VUE : Passé l’âge d’or des classiques de la Hammer, le cinéma anglais a continué de produire, via les sociétés Amicus ou Tygon, de nombreux films d’épouvante, en particulier une série de longs métrages à sketches parmi lesquels Frissons d’outre-tombe (From Beyond the Grave, 1974), sans doute l’un des meilleurs du lot, qui réunit une pléiade d’acteurs talentueux, vedettes du fantastique comme Peter Cushing ou Donald Pleasence ou nouveaux venus comme David Warner. Le film est constitué de quatre segments (« The Door », « An Act of Kindness », « The Elemental », « The Gate Crasher ») reliés entre eux par un inquiétant personnage d’antiquaire interprété par Cushing. Chaque histoire prend la forme d’un petit conte moral où sont stigmatisés la cupidité, la vanité ou l’immoralité des infortunés protagonistes punis par des forces surnaturelles ou l’esprit des morts. Le sketch le plus marquant est le premier, dans lequel un homme achète un vieux miroir hanté par un personnage maléfique qui demande à son nouveau propriétaire de le nourrir de sang afin de revenir à la vie. Le film s’inspire vraisemblablement du comic book « Tales from the Crypt » publié par E.C. comics et du magazine américain « Creepy » qui proposaient aussi des courts récits d’humour noir ou angoissants avec une chute terrible. Freddie Francis avait déjà adapté au cinéma en 1972 ces bandes dessinées pour adultes avec Histoires d’outre-tombe (Tales from the Crypt), autre bon film d’horreur anglais produit par la Amicus. Dans Frissons d’outre-tombe les composantes habituelles du genre (humour noir, macabre, cruauté et grotesque) sont servies par une direction artistique au-dessus de la moyenne. Il s’agit du premier long métrage de Kevin Connor, prolifique faiseur réputé pour son usage déraisonnable du grand angle qui s’illustrera ensuite dans des adaptations cinématographiques assez carnavalesques des romans d’aventures de Edgar Rice Burroughs et des téléfilms très impersonnels. Olivier Père, 2015.
POSSESSION
d’Andrzej Zulawski, 1981, France/RFA, 2h02, Couleurs
avec Isabelle Adjani, Sam Neill, Heinz Bennent…
RÉSUMÉ : Marc rentre à Berlin après avoir été mêlé à de mystérieuses affaires de drogue. Il promet à sa femme Anna d'arrêter ses activités et de rester avec elle et leur fils Bob. Mais Anna, constamment absente, n'est plus la même, au point d'intriguer son mari, qui découvre bientôt qu'elle a une liaison avec un certain Heinrich. De disputes en querelles, le couple se désagrège peu à peu. La séparation devient inévitable. Mais Anna revient souvent au domicile pour préparer les repas, suscitant de nouveaux conflits à chacun de ses passages. Un matin qu'il mène son fils à l'école, Marc découvre que l'institutrice est le parfait sosie d'Anna, mais en plus douce et plus attentionnée. Il noue une brève liaison avec elle...
POINTS DE VUE : Dans la famille des films chocs, Possession a une place de choix. L'hystérie électrique chère à Zulawski et le dolorisme qui domine sa vision des relations amoureuses trouvent ici une violente étrangeté. Isabelle Adjani en est l'incarnation, possédée par son personnage de jeune épouse et mère, écartelée entre un mari, un amant et une chose sans nom, mi-homme, mi-bête, à laquelle elle est enchaînée par toutes sortes de pulsions, démoniaques et sexuelles. Le film se révèle ainsi une sorte de croisement monstrueux entre des scènes de la vie conjugale la plus furieuse et un cinéma du grand frisson digne d'Alien.
Avec ces ingrédients explosifs, Zulawski concocte un menu assez copieux : mystique de l'amour, emprise du Mal et pouvoir du sacrifice, Dieu miséricordieux ou vengeur... De grands thèmes traités de façon parfois superficielle, mais qui soutiennent un spectacle fascinant. Plastiquement, Possession est une réussite majeure. Le décor de Berlin à l'époque du Mur, la superbe lumière de Bruno Nuytten et la « plastique » des comédiens, unis dans une sorte de pâleur fantomatique, tout compose un univers parfaitement cohérent, et très marquant aujourd'hui encore. — Frédéric Strauss, 2013.
Après son premier film français L’important c’est d’aimer (1975) et son retour en Pologne pour Le Globe d’argent long métrage de science-fiction au tournage interrompu, Zulawski réalise ce qui reste sans doute son film le plus impressionnant et le plus réussi, objet d’un culte amplement mérité. Dans un Berlin lugubre coupé en deux par le Mur, Mark un homme aux activités mystérieuses (un espion ?) retrouve sa femme Anna et son fils Bobby après une longue absence. Mais le couple se meurt, et le mari découvre que son épouse a un amant qu’elle rejoint dans un vieil immeuble en face du Mur, négligeant leur petit garçon. Cet amant invisible est une créature monstrueuse qui échappe à l’entendement, la raison et tous les systèmes. Ce pourrait être le diable, mais dans le film le monstre est clairement désigné comme un dieu, ou plutôt Dieu, et par la femme comme la foi qui est née en elle, au sens figuré comme au sens « propre » (hallucinante scène de transe d’Isabelle Adjani dans les couloirs du métro berlinois qui se termine par une fausse couche sanguinolente : cette scène survient après une prière au pied du Christ en croix dans une église de la ville.) Elle va commettre plusieurs meurtres pour protéger la créature qui vit tapie dans une chambre et prend progressivement une forme humaine, se nourrissant des victimes de sa maîtresse. L’agonie de cette histoire d’amour correspond à celle d’une Europe en crise, à quelques années de l’effondrement du communisme. Les fantômes des guerres et des totalitarismes du XXème siècle hantent Berlin et l’histoire du film, dont la conclusion prophétise de nouvelles guerres et destructions.
Possession est un film monstre dans tous les sens du terme. Il est impossible de le définir comme un film d’horreur, même s’il emprunte les images saisissantes et l’atmosphère du cinéma gore européen, et baigne dans un climat angoissant, chargé de visions hyperréalistes et fascinantes, à l’instar des films de Polanski, Argento et quelques autres. Les effets spéciaux de Carlo Rambaldi, plus proches de ses bricolages artisanaux du Cinecittà des années 70 que de ses travaux pour Spielberg, ajoutent une dimension grand guignolesque qui n’était sans doute pas voulue par Zulawski et ses intentions mystiques, politiques et métaphysiques. Mais cela permet quand même au film de dialoguer avec un autre titre important du début des années 80, The Thing de John Carpenter, et cela ajoute à la confusion, au chaos et à l’excès d’une œuvre unique en son genre, qui transcende les films antérieurs de Zulawski et ceux qu’il réalisera par la suite, peu convaincants à quelques exceptions près. Possession est aussi un psychodrame de larmes, de cris et de sang qu’on ne peut pas appréhender rationnellement, une expérience aussi viscérale que mentale. Le thème du double apparaît avec le personnage de la douce institutrice de Berlin Est, également interprétée par Adjani, tandis que le monstre dans la dernière phase de sa métamorphose emprunte l’apparence physique de Mark (Sam Neill, excellent.) Les enveloppes charnelles sont interchangeables, le Mal est diffus et se propage jusqu’à l’apocalypse finale. Dans Possession, l’hystérie, la folie ne sont ni frelatées ni caricaturales et la violence vraiment paroxystique. La mise en scène nerveuse de Zulawski, la photographie clinique et sans ombre de Bruno Nyutten et la musique d’Andrzej Korzynski sont extraordinaires, sans parler de l’interprétation intense et démente d’Isabelle Adjani. Possession est le chef-d’œuvre de Zulawski qui donne ici le meilleur de lui-même, son extraordinaire maîtrise du medium cinématographique et son approche doloriste des relations humaines, son pessimisme radical et très slave, avant un irréversible dérapage dans le grotesque gesticulatoire et éructant, avec des films qui se perdent en route malgré des introductions toujours fulgurantes. Olivier Père, 2013.
THE ADDICTION
d’Abel Ferrara, 1995, US, 1h22, Noir et Blanc
avec Lili Taylor, Christopher Walken…
RÉSUMÉ : Etudiante en philosophie à New York, Kathleen se nourrit de Kant, Nietzsche ou Kierkegaard tout en s'interrogeant sur le monde qui l'entoure. Un soir, en rentrant chez elle, elle est entraînée dans un coin sombre par une jeune femme étrange, Casanova, qui lui laisse sur le cou deux traces de morsure...
POINT DE VUE : En 1995, Abel Ferrara, dans la force de l’âge, vit en toute extravagance son rôle d’enfant terrible du cinéma américain. La vogue des films indépendants affole les compteurs à Hollywood, la fièvre ne l’atteint guère. Au festival de Sundance, trois ans après le succès de Bad Lieutenant, il présente The Addiction à l’écart de la ruée médiatique, loin de tout, dans l’étroite salle de conférences d’un hôtel ordinaire. À New York, il vit la nuit, sans repères et sans horloges, comme les vampires de son film — qu’il a tourné sans un sou. Il donne des interviews suicidaires à la télévision, désaxé par la drogue et l’alcool. Un présentateur vedette racontera qu’il a tenté de fuir le plateau et qu’il fallait presque l’attacher à son siège. Le cinéaste du Bronx vit dans un monde où aucune règle ne lui est dictée, il carbure à l’instinct et n’a peur de rien. Alors que Francis Ford Coppola, pour Dracula, et Neil Jordan, pour Entretien avec un vampire, viennent de donner un nouveau souffle de classicisme à un genre légèrement désuet, il aborde l’épouvante en laissant libre cours à son goût immodéré pour l’outrance, l’excès et le désordre, rassemblant dans un même récit les fantômes de Murnau, les SDF de Manhattan, la Bible, la philosophie de Heidegger, les images du Vietnam, la vibration du hip-hop et celle d’une ville légendaire, pourrie jusqu’à l’os, qui s’évanouira bientôt sous le vernis d’un nouvel âge.
Après avoir laissé longtemps dormir le scénario de son éternel complice Nicholas St. John, Abel Ferrara dit avoir réalisé The Addiction pour « la rencontre avec une femme exceptionnelle ». Lili Taylor incarne de manière fulgurante, dans ces années-là, les promesses d’un nouveau cinéma d’auteur américain. Magnifiquement filmée dans un noir et blanc cendré, elle interprète avec grâce des variations inédites et singulières sur le thème du vampire. Dans les âpres quartiers du sud de Manhattan, elle est une étudiante en philosophie qu’une morsure fait basculer dans un univers cauchemardesque. La quête éperdue du sang y évoque celle d’une drogue dure. Les vampires de rencontre (comme Christopher Walken, en apesanteur) citent Friedrich Nietzsche. Ni l’emphase ni les clichés ne font reculer Abel Ferrara. Le cinéaste pousse les aiguilles dans le rouge, pulvérise les limites de la série B et célèbre, comme dans une messe noire, la splendeur mortifère de sa ville. Ses images de Manhattan happé par une nuit mystérieuse, peuplé de sons feutrés et anxiogènes, donnent le frisson. Laurent Rigoulet, 2021.
LE SANG DU VAMPIRE
The Blood of the Vampire
de Henry Cass, 1958, GB, 1h25, Couleurs
avec Donald Wolfit, Barbara Shelley, Vincent Ball…
RÉSUMÉ : À la fin du siècle dernier, en Transylvanie, un vampire est exécuté. Quelques années plus tard, il réapparaît sous les traits de l’horrible directeur d’un asile d’aliénés criminels.
POINT DE VUE : Malgré son titre Le Sang du vampire (Blood of the Vampire, 1958) n’est pas à proprement parler un film de vampire, mais le sang y joue un rôle essentiel. Un savant fou le docteur Callistratus a été exécuté. Il est ressuscité par son fidèle serviteur bossu et défiguré grâce à une greffe du cœur. Il peut ainsi poursuivre ses recherches scientifiques malpropres sur les déficiences sanguines en toute impunité dans un asile psychiatrique dont il a la charge, seul maître d’un univers concentrationnaire infernal, dont les infortunés prisonniers lui servent de cobayes.
Il s’agit d’un petit bijou vénéré par les amateurs comme un sommet de cinéma sadique et sadien. Le film est cruel et malsain, traversé d’images choquantes (un homme dévoré par les chiens, un autre ligoté et fouetté, un laboratoire sordide encombré de cadavres et d’organes) et on imagine sans peine les nausées et évanouissements provoqués à l’époque de sa sortie par un spectacle choc dépassant les bornes de la bienséance à la fin des puritaines années 50. Il faut dire que les productions anglaises étaient bien plus dévergondées que les films français pour lesquels les sommets de l’audace consistaient à montrer à la sauvette des bouts de sein de nos starlettes nationales.
Il y a aussi dans Le Sang du vampire des scènes plus coquines et sadomasochistes (des figurantes peu farouches à moitié dépoitraillées, enchaînées et martyrisées par un bossu libidineux) qui n’échappèrent pas aux ciseaux de la censure avant d’être miraculeusement réintégrées au montage après avoir fait fantasmer deux ou trois générations de cinéphiles pervers.
Le Sang du vampire de Henry Cass et Le Cauchemar de Dracula de Terence Fisher ont été tournés presque simultanément et les deux films sont sortis en Grande Bretagne à deux mois d’intervalle, au cours de l’été de la même année. Ils partagent le même scénariste Jimmy Sangster déjà responsable des deux premiers Frankenstein de la Hammer et qui deviendra un stakhanoviste du fantastique et du thriller au cours des décennies suivantes. Ce sont donc les deux bornes opposées d’une période passionnante. Comme l’a remarqué Jean-Marie Sabatier dans son livre de référence « Les Classiques du cinéma fantastique » (Balland, 1973), l’un est un ultime récapitulatif de l’âge d’or du serial avec ses péripéties sadiques et feuilletonnesques (Le Sang du vampire), l’autre une ouverture vers une approche moderne et foncièrement novatrice du genre fantastique. « Démesuré et génial, le film d’Henry Cass résonne comme un dernier adieu aux chers ingrédients du film américain. La même année, en tournant Revenge of Frankenstein et Horror of Dracula, Fisher fondera un ordre nouveau. » (Jean-Marie Sabatier)
Qui était Henry Cass? Un tâcheron sans doute, dont le reste de la filmographie est tombé dans les oubliettes. « Quand le génie souffle sur une époque, il trouve certes de grands créateurs pour en exprimer la continuité, mais il ne manque pas d’honnêtes artisans pour le sentir passer et pour en adopter l’esprit. » (JMS)
La réussite du Sang du vampire incombe sans doute aussi à ses producteurs, Robert S. Baker et Monty Berman, également réalisateurs d’un excellent Jack l’éventreur et qui se distingueront de leur concurrent Hammer en allant encore plus loin dans le sadisme et la trivialité, s’hésitant pas à rajouter des détails sadiques et érotiques à des films aux arguments scabreux, mais souvent de grande qualité (L’Impasse aux violences de John Gilling.) Olivier Père, 2017.
LES YEUX SANS VISAGE
de Georges Franju, 1960, France, 1h28, Noir et Blanc
avec Pierre Brasseur, Alida Valli, Edith Scob…
RÉSUMÉ : Un chirurgien célèbre, afin de sauver sa fille défigurée dans un accident, développe des expérience de greffes de visage en les découpant sur des jeunes filles en parfaite santé. Il est secondé par une inquiétante secrétaire toute à son dévouement. Les greffes échouent. Sa fille libère les chiens qui lui ont servi de cobayes et qui lui dévoreront le visage.
POINTS DE VUE : Une des rares réussites du cinéma fantastique français par un admirateur de Louis Feuillade et de Fritz Lang. À partir du thème convenu du médecin fou, Franju mêle des images de terreur médicale (les opérations cliniquement filmées) à un climat d’onirisme surréalisant, en filmant la nuit une 2CV dans la région parisienne déserte, grâce aux images somptueuses et glaciales d’Eugène Schufftan et aux thèmes musicaux aussi envoûtants qu’obsessionnels de Maurice Jarre. Michel Marie, 1995.
Une nuit, une femme jette dans la Seine le cadavre d’une jeune fille affreusement défigurée. Plus tard, on découvre qu’il s’agit de Christiane Génessier, que le docteur Génessier, son père, reconnaît formellement. Mais ce mystérieux chirurgien ment...
Franju, formidable alchimiste du réel et du fantastique, a façonné au scalpel un pur film d’épouvante, d’une poésie folle. Pas de monstres sanguinolents, mais des objets scintillants, des outils tranchants, des paysages inquiétants. Une réalité ordinaire transfigurée, avec la précieuse collaboration du chef opérateur Eugène Schüfftan. On glisse dans un climat étrange où la netteté des traits, le noir et blanc soyeux et les gestes minutieux des personnages impassibles concourent à créer l’angoisse. Ce qui fait peur, c’est la lenteur, le silence clinique, la sensation tactile du corps. Dans cet univers obsessionnel et macabre, l’amour est atroce, la pureté inhumaine, la folie extrêmement calme. Cauchemar sans cri, presque muet mais très sonore, Les Yeux sans visage opère à vif, en laissant de magnifiques cicatrices. Jacques Morice, 2019.
Auteur d’une série de remarquables courts métrages au début des années 50 (Le Sang des bêtes, impressionnant poème visuel sur les abattoirs de la Villette et Hôtel des Invalides sont des classiques du genre), Georges Franju passa au long métrage avec le très beau La Tête contre les murs en 1959, adaptation d’un roman d’Hervé Bazin que Jean-Pierre Mocky devait à l’origine mettre en scène (il se contentera d’en interpréter le rôle principal). L’année suivante Franju signera son meilleur film avec Les Yeux sans visage, avant de poursuivre une carrière déclinante (il faut sauver Judex, hommage à Feuillade et aux feuilletons du cinéma muet), marquée par les échecs, l’incompréhension d’une partie du public et de la critique et l’alcoolisme de son auteur, dont les influences (le serial français, le surréalisme littéraire, le réalisme poétique) furent toujours en contradiction avec son époque, lui qui était un contemporain du cinéma moderne puis de la Nouvelle Vague. Franju meurt en 1987 à l’âge de 75 ans.
Qu’on la juge décevante, géniale, inclassable ou au contraire minée par l’académisme, l’œuvre de Georges Franju met tout le monde d’accord lorsqu’il s’agit d’évoquer Les Yeux sans visage, film sans égal diamant noir de l’histoire du cinéma français, dont le pouvoir de fascination est demeuré intact.
Un chirurgien kidnappe des jeunes femmes afin de greffer la peau de leur visage sur celui de sa fille, défigurée dans un accident. Sa folie meurtrière le conduira à sa perte. Les Yeux sans visage compte parmi les rares incursions géniales, du moins marquantes, du cinéma français dans le registre du fantastique, et plus précisément de l’épouvante. Le film est contemporain des séries B européennes qui ont illustré des sujets proches (les contes gothiques de Freda, Bava et Ferroni en Italie, les productions de la Hammer en Grande-Bretagne, L’Horrible docteur Orlof de Jess Franco en Espagne). Mais le chef-d’œuvre de Franju se distingue de ces titres d’excellente qualité. Le cinéaste ne cachait pas son aversion pour le cinéma fantastique traditionnel ou ses nouvelles déclinaisons référentielles. Artiste solitaire, pessimiste et obsessionnel, Franju se réclame d’un courant onirique dont il serait le seul représentant, héritier du réalisme poétique d’avant-guerre mais aussi du surréalisme. La froideur descriptive des scènes d’opération, cauchemardesques, le jeu atone des comédiens (même Pierre Brasseur fait preuve d’une violence intériorisée), la tristesse inexpressive du masque que porte la frêle Edith Scob, la précision glaçante de la mise en scène et de la photographie en noir et blanc débouchent sur une vision désespérée de l’humanité. Seule surnage la pureté souillée d’une jeune fille privée de visage, entourée d’animaux bienveillants, résidu d’innocence dans un monde atroce. Olivier Père, 2012.
LE CROCODILE DE LA MORT
Death Trap ou Eaten Alive
de Tobe Hooper, 1976, US, 1h30, Couleurs
avec Neville Brand, Mel ferrer…
RÉSUMÉ : L’hôtel délabré du vieux John, un fou criminel qui jette au crocodile du lac ceux qui le gênent, est le théâtre de scènes d’épouvante.
POINT DE VUE : Jalons essentiels dans l’histoire du cinéma criminel, Psychose et Massacre à la tronçonneuse partageaient une base commune : certains éléments macabres de la biographie du tueur en série Ed Gein avaient inspiré Robert Bloch pour son roman Psycho, ainsi que le jeune réalisateur texan Tobe Hooper pour son premier film d’horreur.
Le film suivant de Tobe Hooper possède un lien encore plus direct avec le chef-d’œuvre d’Alfred Hitchcock. Le Crocodile de la mort (Eaten Alive, 1977) reprend en effet une partie du début de Psychose, notamment l’arrivée dans un motel isolé d’une jeune prostituée en fuite, au cœur du bayou en Louisiane. Bientôt la pauvre fille connaîtra un sort aussi funeste que Janet Leigh, mais sur un mode beaucoup plus grand-guignolesque. La suite introduit un second personnage féminin, inquiète de la disparition de son amie, ainsi qu’une galerie de seconds rôles bizarres. Le gérant du motel, qui livre ses clients en pâture à un alligator, est inspiré d’une figure du folklore texan, suspecté d’avoir tué une vingtaine de femmes dans les années 30.
Le Crocodile de la mort est donc un pastiche dégénéré de Psychose réalisé par le cinéaste texan dont on mesure ici le degré d’ironie et de pure folie de son cinéma. C’est une nouvelle fois une production indépendante à petit budget tournée loin de Hollywood. Tandis que le célèbre Massacre à la tronçonneuse misait sur un hyperréalisme halluciné et un fait-divers atroce pour traumatiser le spectateur, Le Crocodile de la mort opte pour l’esthétisme des « EC comics », bandes dessinées macabres pour adultes. Les éclairages orangés, les musiques électroniques, les décors lugubres et les scènes sanguinolentes instaurent un climat profondément malsain et hystérique. Ce n’est rien en regard de la distribution, l’une des plus étranges de l’histoire du cinéma d’horreur, composée de vieilles gloires des années 50 en piteux état (Stuart Whitman, Mel Ferrer, Carolyn Jones) et de seconds couteaux aux tronches de cauchemar (Neville Brand, Robert Englund, William Finley). La première phrase prononcée dans le film, sur un gros plan évocateur, a été reprise dans les dialogues de Kill Bill volume 1 par Quentin Tarantino, grand admirateur de Tobe Hooper. Elle est d’anthologie. La production du film fut aussi chaotique que le résultat à l’écran. Tobe Hooper quitta le tournage avant la fin et ne participa pas au montage, pour cause de divergences artistiques avec ses producteurs, spécialistes du cinéma d’exploitation bas de gamme. Ce sera le début d’une carrière en dents de scie. Il n’empêche que Le Crocodile de la mort compte parmi ses meilleurs films, et porte la marque de sa personnalité hors normes. Olivier Père, 2020.
LES VAMPIRES
I vampiri
de Riccardo Freda, 1956, Italie, 1h25, Noir et Blanc
avec Gianna Maria Canale, Antoine Balpêtré…
RÉSUMÉ : Les terrifiantes expériences d’un Frankenstein moderne.
POINT DE VUE : Sidonis propose en DVD Blu-ray Les Vampires (I vampiri, 1956) dans sa collection Mario Bava, en raison de l’apport majeur du directeur de la photographie, pas encore passé à la mise en scène, qui éclaira le film de Riccardo Freda, en assura les effets spéciaux mais aussi tourna quelques scènes après le départ de Freda, fâché avec ses producteurs. Pourtant, ce film porte avant tout la marque de son auteur
Contemporain du néo-réalisme, Riccardo Freda (1909-1999) ignore ce mouvement esthétique dominant pour illustrer une certaine idée à la fois aristocratique et populaire du cinéma et se réfugier dans les histoires d’aventures historiques ou fantastiques, grand admirateur du cinéma américain et fustigateur d’un cinéma asservi à la réalité. Toute sa vie de cinéaste, Freda privilégiera l’action, le mouvement à la parole et aux acteurs, qu’il utilise avant tout pour leur photogénie ou leur plasticité, à commencer par Gian Maria Canale, actrice à la beauté froide qu’il épousa et dirigea dans une dizaine de films. Les Vampires, qui conclut leur collaboration, lui offre son rôle le plus important, celui d’une femme maudite inspirée par la comtesse Báthory.
Freda fut le premier à ressusciter le cinéma fantastique en Europe avec Les Vampires, splendide film réalisé avant les grands titres de la Hammer ou Les Yeux sans visage. Malheureusement Les Vampires, qui bénéficiait de la superbe photographie noir et blanc et des effets spéciaux ingénieux de Mario Bava, ne rencontra aucun succès au moment de sa sortie.
Il n’empêche que pour tous les amateurs de cinéma fantastique et de science-fiction, Freda restera le cinéaste qui le premier osa concurrencer les anglo- saxon sur le terrain de l’horreur gothique en tournant avec l’intrépidité qui le caractérisait Les Vampires, conte macabre et ténébreux sur le thème de la beauté éternelle qui ouvrira un âge d’or du fantastique italien. En effet, cette brillante entreprise de rénovation des mythes fantastiques va ouvrir la voie en Italie, quelques années plus tard, la production de toute une série de films d’horreur et d’épouvante, à commencer par Le Masque du démon de Mario Bava en 1960. Olivier Père, 2022.
FRÈRE DE SANG
Basket Case
de Frank Henenlotter, 1982, US, 1h31, Couleurs
avec Kerry Ruff, Robert Vogel…
RÉSUMÉ : Un jeune homme transporte partout un grand panier en osier. À l’intérieur, se trouve son frère siamois, un monstre au visage déformé. Ensemble, ils traquent les médecins qui les ont sépar és pour se venger…
POINT DE VUE : Réalisé avec un budget d’environ 35 000 dollars, Frère de sang appartient à la famille de ces films d’horreur à petit budget de jeunes cinéastes débutants qui révolutionnèrent le genre dans les années 80, ou y apportèrent plus modestement une touche d’humour malpropre et blagueur : Evil Dead, Re-Animator, Street Trash, Bad Taste...
De tous ces films Frère de sang est sans doute celui qui revendique le plus son aspect bricolé et fauché, sans jamais sombrer dans la dérision facile ou la parodie. Frank Henenlotter est un vrai cinglé de cinéma d’exploitation, un connaisseur érudit qui a fréquenté avec assiduité les salles spécialisées de la 42e rue. Après s’être fait la main sur des courts métrages en 8 et 16mm, il réalise avec Frère de sang un premier long métrage capable de séduire les amateurs de bizarreries sanguinolentes. Henenlotter est un véritable indépendant, et son approche du cinéma se situe quelque part entre les premiers essais underground de John Waters et les films de Hershell Gordon Lewis, « pape du gore » auquel Frère de sang est dédié. Cette horrible histoire de vengeance de frères siamois séparés à l’adolescence révèle un amour sincère de Henenlotter pour les « freaks » en tous genres : le monstre Belial (sorte de tête difforme munie de deux mains griffues que son frère trimballe dans un panier) mais aussi les clients de l’hôtel borgne new-yorkais où se déroule une grande partie de l’action. Clochards, prostituées, alcooliques, individus louches... soit la faune bigarrée de la 42e rue, décor de prédilection de Henenlotter, qui tournera ses films suivants (Elmer le remue- méninges, Frankenhooker) dans le même périmètre. Le film développe une esthétique crasseuse et sordide, emploie des acteurs disgracieux au jeu hystérique ou au contraire atone, ne lésine pas sur l’hémoglobine et la nudité comme dans toute série Z qui se respecte. Les effets spéciaux rudimentaires – Belial est une marionnette animée image par image, ou un acteur dans un masque en caoutchouc pour les gros plans – n’empêchent pas la création d’un monstre effrayant et original, ni le surgissement de visions surréalistes. Revu pour la première fois depuis sa lointaine découverte en vidéo, Frère de sang mérite sa réputation de petit classique de l’étrange. Olivier Père, Arte.
RE-ANIMATOR
de Stuart Gordon, 1985, US, 1h28, Couleurs
avec Jeffrey Combs, Bruce Abbott…
RÉSUMÉ : Tout va bien dans un hopital du Massachusetts, jusqu’au jour où un étudiant invente un sérum à ressusciter les morts.
POINTS DE VUE : Re-Animator fit l’effet d’une bombe lors de sa sortie au milieu des années 80. Au même moment que la trilogie Evil Dead de Sam Raimi, Stuart Gordon inventait le film d’horreur humoristique, direction qui n’avait été que rarement empruntée dans le cinéma américain, et souvent sans beaucoup de talent depuis La Petite Boutique des horreurs de Roger Corman en 1960. Certains puristes s’indignèrent de ce début de dérive parodique qui allait gangréner le cinéma de genre dans les années 80, mais le film de Stuart Gordon se distingue par son jusqu’au boutisme et va très loin dans son cocktail de sang, d’érotisme déviant et d’humour noir, loin des productions hollywoodiennes aseptisées. Gordon réactive toute la violence et la folie subversive de la série B. Re-Animator est l’un des titres de gloire du studio indépendant Empire Pictures spécialisé dans l’horreur et la science-fiction, et qui reprit le flambeau des productions Roger Corman sous l’impulsion de Charles Band et Brian Yuzna. À côté de titres souvent médiocres et ridiculement fauchés, l’arrivée en fanfare de Stuart Gordon avec son Re-Animator permit d’apprécier les qualités et l’intelligence de ce cinéaste, vrai amoureux du fantastique, provocateur et pourfendeur de tabous. Son adaptation d’une nouvelle de Lovecraft pourra paraître sacrilège tant elle méprise les notions d’indicible et d’irreprésentable attachées à l’écrivain de Providence. Gordon balaie ces clichés pour adopter un style qui doit beaucoup au Grand-Guignol. Tandis que Sam Raimi puise dans l’esthétique du « cartoon », Gordon n’esquive pas son expérience théâtrale lors de son passage au cinéma. Sa mise en scène privilégie les performances d’acteurs qui n’ont pas peur de l’outrance et les effets spéciaux sanguinolents renvoient aux grandes heures du théâtre du Grand-Guignol dont la postérité a traversé les océans. Sous les hectolitres de sang et les kilos de barbaque pointent la satire du puritanisme, la perversité et la corruption des élites. Si les débordements gore des films de zombies de Romero dispensaient un message politique, ceux de Re-Animator – et plus tard de From Beyond – explorent Eros et Thanatos, les surcharges libidinales, les relations de domination et de soumission, tant intimes, sexuelles que sociales.
Re-Animator s’impose comme l’un des films d’horreur les plus originaux et décapants de son époque. Une scène sexuelle, impensable dans un film de grand studio hollywoodien, ose une représentation inédite au cinéma de la nécrophilie, avec une inversion surprenante : c’est un cadavre qui tente de violer une jeune femme vivante ! Re-Animator permettra à la délicieuse « scream queen » Barbara Crampton, déjà dénudée un an auparavant dans un passage aussi bref que mémorable de Body Double de Brian De Palma, et qui donne beaucoup de sa personne devant la caméra de Stuart Gordon, d’entrer dans la légende du cinéma fantastique américain.
Aux lamentos tragiques de King et Lambert, Stuart Gordon préfère la bouffonnerie et les blagues de carabin. Dans les deux cas, les âmes et les estomacs sensibles sont invités à passer leur chemin. Mais les cinéphiles un peu tordus et les amateurs d’émotions fortes devraient se régaler. Olivier Père, Arte.
« Je suis le génie qui lui a donné une nouvelle vie ! » Cette parole prononcée par le vieux Docteur Max Kirschner (Ray Milland, l’homme au regard perçant) face à un gorille bicéphale est reprise par le jeune Docteur Herbert West (décapant Jeffrey Combs) contemplant un zombie en charpie. Les deux savants fous, antipathiques et drolatiques, ne sont pas si éloignés d’un Georges Méliès s’amusant à gonfler sa tête décapitée, avant qu’elle explose, dans L’Homme à la tête de caoutchouc. Cette attraction filmique rendait burlesques les expériences scientifiques pratiquées sur les têtes de guillotinés pendant la Terreur révolutionnaire.
Placer une tête décapitée assoiffée de pouvoir sur un corps acéphale agité est un geste éminemment politique. En 1972, quand Lee Frost bricole un ingénieux remake racial de The Incredible 2-Headed Transplant (1971) d’Anthony M. Lanza, Richard Nixon est à la tête du pays. La Chose à deux têtes dénonce l’Amérique blanche dégénérée, républicaine et raciste, qui traite les citoyens noirs comme corps social asservi manipulable à merci. En 1985, Stuart Gordon transpose la nouvelle de H. P. Lovecraft, « Herbert West, réanimateur » (1922), dans le capitalisme sauvage de Ronald Reagan. Ré-animator exhibe les faces cachées du puritanisme WASP : débilité profonde du fanatisme religieux, sexualité débridée refoulée, désir totalitaire de contrôle sur une population morte-vivante réanimée artificiellement par un fluide fluorescent vert... comme des dollars en effervescence liquide.
Le dérèglement emprunte deux voies distinctes : la comédie d’horreur vs la comédie d’action. Les délires macabres du Docteur West aménagent du pur Grand-Guignol dans les théâtres du sous-sol. Parmi les sketches gore de plus en plus insensés et frénétiques, il y a un head job (le terme anglais pour cunnilingus) avancé par la tête décapitée d’un autre savant fou (David Gale, frappant sosie de Vincent Price). Le détournement de la musique composée par Bernard Hermann pour Psychose, avec la batterie en plus, crée un décalage détonant et humoristique. Le charme plus groovy du film de blaxploitation provient de la cocasserie des courses poursuite. Rosey Grier et Ray Milland se déplacent au ralenti dans un costume extra extra large où s’embarrassent à tour de rôle d’une caboche en toc recréée d’après le visage du comédien manquant. Mais finalement, le tour de magie du « décapité parlant », à l’origine d’Un homme de têtes de Méliès, refait le lien entre ces deux pitreries brillantes et décalées. Diane Arnaud.
Herbert West, brillant étudiant en médecine, poursuit ses recherches à l'université Miskatonic d'Arkham. Daniel Cain, un autre étudiant, lui loue une partie de sa maison. Herbert West se montre très intéressé par la cave. Un soir, le chat de la famille est retrouvé mort dans le frigidaire de West...
Stuart Gordon ne commence pas sa carrière de metteur en scène directement au cinéma. Avant son premier film, il dirige avec son épouse Carolyn Purdy-Gordon des troupes de théâtre, notamment à Chicago où il fait l'essentiel de sa carrière avec l'Organic Theater. Constatant que certains de ses acteurs travaillent pour le cinéma, il décide de tourner lui aussi un long-métrage.
Comme de nombreux réalisateurs du genre horreur des années soixante-dix et quatre-vingts, il ne se lance pas dans l'épouvante par goût, mais parce qu'il s'agit d'un genre peu onéreux et facilement rentable.
Sur le conseil d'un ami, il s'intéresse à «Herbert West, Réanimateur», une nouvelle de Lovecraft, en fait sa première production rémunérée. Il s'agit d'une relecture Pulp de «Frankenstein», que Lovecraft considérait comme une de ses œuvres les plus déplorables. À part la mention de la ville imaginaire d'Arkham et de son université Miskatonic, elle n'a aucun rapport avec la mythologie de Cthulhu et autres Grands Anciens qui ont fait la notoriété posthume de l'ermite de « Providence ».
Stuart Gordon rentre en contact avec un producteur disposant d'une somme d'argent à investir : il s'agit de Brian Yuzna, avec lequel il s'entend bien. Le film devra être distribué par la compagnie Empire de Charles Band, déjà bien engagée dans le cinéma fantastique de série B.
Gordon va ainsi bénéficier de l'aide de techniciens expérimentés ayant déjà œuvré sur d'autres films Empire comme PARASITE, FUTUR COP ou GHOULIES. Gordon a donc le support du chef-opérateur Mac Ahlberg, qui va en fait prendre en charge l'essentiel de la partie technique du métrage. Le superviseur des effets spéciaux est John Carl Buechler, appelé à devenir une célébrité de son métier à partir de RE-ANIMATOR.
Richard Band, frère de Charles, compose une musique pastichant de manière excentrique celle de Bernard Herrmann pour PSYCHOSE. Il pose ainsi le ton humoristique du métrage dès le générique. Pour incarner Herbert West, savant fou réanimateur de cadavres, il rencontre Jeffrey Combs, alors cantonné au théâtre et à de petits rôles de cinéma. L'acteur va devenir un visage familier de l'horreur grâce à RE-ANIMATOR. Gordon découvre aussi Barbara Crampton, cette dernière allant être une vedette récurrente des productions de Charles Band et des films de Stuart Gordon.
Roger Corman est le premier à voir en Lovecraft une source d'inspiration pour le cinéma, en adaptant «L'affaire Charles Dexter Ward» en 1963, sous la forme de LA MALÉDICTION D’ARKHAM avec Vincent Price. D'autres tentatives suivent dans les années d'après, mais seul THE DUNWICH HORROR de Daniel Haller, malgré ses défauts, s'en sort honorablement, en cherchant à être fidèle à la nouvelle «L'abomination de Dunwich».
RE-ANIMATOR arrive donc à un moment où les adaptations de Lovecraft au cinéma n'ont pas encore fait leur preuve, que ce soit artistiquement ou commercialement. La notoriété de l'écrivain est pourtant déjà bien établie.
Par rapport à «Herbert West, Réanimateur», RE-ANIMATOR se montre irrévérencieux. Certes, il respecte l'aspect Gore du texte, mais il ajoute une forte dose d'humour noir.
Ce sens de l'absurde et du mauvais goût fait la valeur du métrage. Ce n'est pas tous les jours qu'une tête coupée ressuscitée pratique un cunnilingus sur une jeune fille ligotée ! Et que dire de ces intestins baladeurs qui enserrent leurs victimes comme de gros serpents !
La réalisation de Stuart Gordon et le travail de son monteur Lee Percy (qui officie la même année sur TERMINATOR) donnent au film une pèche impressionnante. Nous sommes proche des dessins animés de Tex Avery dans lesquels les personnages explosent, volent ou tombent en petits morceaux.
N'oublions pas de mentionner l'interprétation extraordinaire de Jeffrey Combs dans le rôle d'un Herbert West hystérique, froid, maniaque toujours prêt à lâcher une remarque cinglante : « Personne ne croira une histoire racontée par une tête coupée, alors allez vous chercher un boulot dans un cirque ! » lance-t-il à un médecin concurrent, décapité et ressuscité, qui menace de lui voler sa découverte.
La seule présence de Jeffrey Combs fait de RE-ANIMATOR un régal pour les amateurs de comédie macabre. Malgré l'astuce des effets spéciaux, les limites financières de cette petite production sont parfois sensibles. Certains trucages sont inégaux (bien que la plupart soient excellents), nous notons quelques acteurs fades.
Pourtant, RE-ANIMATOR reste un grand moment de gore et d'humour typique de sa décennie, à revoir ou à découvrir sans attendre ! Ce petit film connaît un accueil critique remarquable, dès sa présentation dans le cadre du Festival de Cannes. Il récolte des prix dans des festivals spécialisés, à Avoriaz et Sitges. En France, il connaît un petit succès commercial, inattendu au vu de ses origines très modestes.
Dans les salles américaines, il sort «Unrated» (sans classification et sans coupure), dans la foulée du RETOUR DES MORTS-VIVANTS et du JOUR DES MORTS-VIVANTS. Nous sommes à un moment où le genre zombiesque retrouve de son mordant.
Dans ce contexte, RE-ANIMATOR acquiert une notoriété qui se trouve démultipliée grâce à l'essor du marché de la vidéo de cette époque. Avec son succès et celui de GHOULIES, le petit studio Empire connaît une croissance inattendue, laquelle aboutit à une productivité intense durant les trois années suivantes, avant qu'il ne fasse faillite.
Herbert West va rester une figure populaire de l'épouvante au cinéma, RE-ANIMATOR allant connaître deux suites réalisées par Brian Yuzna, avec le bon RE-ANIMATOR 2 : LA FIANCÉE DE RE-ANIMATOR en 1990 puis l'intéressant BEYOND RE-ANIMATOR en 2003.
Stuart Gordon persévère dans sa collaboration avec Charles Band et Brian Yuzna après RE-ANIMATOR. À travers RE-ANIMATOR, il apporte une notoriété cinématographique à Lovecraft, qu'il adaptera de nouveau à trois reprises, avec les réussites que sont FROM BEYOND, CASTLE FREAK puis DAGON.
Très sous-estimé, Stuart Gordon, cinéaste intelligent, provocateur et dénué de toute niaiserie, ne connaîtra jamais le gros succès commercial qui lui aurait permis de toucher le plus grand public. Il gardera cependant une certaine côte auprès de la critique spécialisée dans le fantastique, au gré de séries B de bonne tenue comme FORTRESS ou SPACE TRUCKERS. À la fin de sa carrière, il s'orientera plus vers le Film Noir, où son regard acéré sera tout à fait à sa place. Emmanuel Denis.
SCREAM
de Wes Craven, 1996, US, 1h50, Couleurs
avec Neve Campbell, Courteney Cox, David Arquette…
RÉSUMÉ : Seule chez elle, Casey compte bien profiter de la savoureuse soirée qu'elle s'est concoctée en achetant du pop-corn et en louant un film d'horreur. La sonnerie du téléphone retentit dans la grande maison. Au bout du fil, un maniaque la soumet à un questionnaire pervers dont dépend la vie de son petit ami, ligoté avec une ceinture d'explosifs dans la piscine attenante. Le couple d'adolescents passe bientôt de vie à trépas. Ce double meurtre traumatise au plus haut point Sidney, dont la mère est morte assassinée un an auparavant et qui vit avec son père dans une maison isolée. Le pressentiment de la jeune fille s'avère fondé : elle subit une agression téléphonique semblable à celle de Casey, mais parvient à en réchapper...
POINTS DE VUE : Sans bénéficier du prestige et de la renommée d’un David Cronenberg ou d’un John Carpenter, Wes Craven figure parmi les plus passionnants auteurs de films d’épouvante. Loin de reproduire des formules éprouvées ou de se limiter à un jeu avec les codes, il fait naître la peur dans ses meilleures œuvres en repensant les rapports entre la réalité et l’illusion. C’est ainsi qu’en pleine vogue des films de serial killer mettant aux prises un tueur masqué immortel, version moderne du croquemitaine, et des adolescents davantage portés sur le sexe et les joints que sur leurs études, il a inventé le personnage de Freddy Krueger dans Les Griffes de la Nuit (1984). Par rapport à Michael Myers et à Jason Voorhees, deux autres forcenés de l’arme blanche devenus les emblèmes d’interminables séries (respectivement Halloween et Vendredi 13), Freddy avait la particularité de s’introduire dans les rêves de ses victimes pour les trucider de sa main griffue. Ce concept original a été abâtardi au fil de cinq sequels exécutés par des tacherons, mais Craven a redoré le blason de son héros en en faisant, dans Freddy sort de la nuit, sorte de codicile à la série, une incarnation du Mal qui, furieux de ne plus pouvoir s’incarner à l’écran, s’en prenait à ses créateurs pour tenter de rejoindre la réalité.
Scream, qui revient une nouvelle fois sur le principe de ces films de serial killer avec des adolescents, adopte le parti pris inverse. Le tueur est un psychopathe cinéphile qui s’efforce de transformer la réalité é en fiction, en reproduisant dans la vie ce qu’il a vu sur l’écran. D’où l’utilisation comme moteur de l’action de perpétuelles références à des films devenus des classiques du genre. Par exemple, dans la magistrale séquence d’ouverture, qui reprend la situation de Terreur sur la ligne (l’assassin téléphone à sa victime alors qu’il se cache tout près d’elle), l’infortunée Drew Barrymore (le choix de cette comédienne, ancienne vedette d’E.T., ne saurait être innocent) est contrainte de répondre à un quiz cinématographique pour sauver la vie de son petit copain et la sienne propre. Les questions portent d’abord sur des films précis (« Comment s’appelle le tueur dans Vendredi 13? ») avant d’en venir à une interrogation archétypique (« Laquelle des deux portes de ta maison dois-tu emprunter pour réussir à t’enfuir? »). L’erreur est mortellement sanctionnée.
Dès cette première séquence, Scream se présente donc comme une mise en abyme de ces films d’horreur qui ne proposent qu’un jeu. Un jeu dont on peut être le héros, c’est-à-dire le méchant. De la théorie à la pratique, le cinéphile psychopathe pousse jusqu’à son aboutissement ce processus d’identification en endossant la personnalité du tueur et en contraignant sa proie à interpréter la victime dans un jeu de rôles meurtrier. Symptomatiquement, son costume (une panoplie de fantôme au visage liquéfié) relève du travestissement ludique, alors que les atours de ses prestigieux modèles (la combinaison de travail de Michael Myers, le masque de hockeyeur de Jason, le pull à rayures rouges et vertes de Freddy) n’avaient en soi rien de carnavalesque.
Dans son développement, le scénario fait son miel de tous les clichés du genre : les histoires de coucherie, l’impuissance des adultes relégués à l’arrière-plan, les fausses alertes quand de mauvais plaisantins s’habillent comme le meurtrier, et bien sûr l’héroïne fragile (Neve Campbell), mieux caractérisée que ses congénères, qui sera la seule à échapper aux assauts du tueur dont elle triomphera dans le combat final. Ces conventions, ailleurs gênantes, nourrissent ici la distanciation du propos. À ce titre, la seconde partie, rythmée par des extraits de La Nuit des Masques, le film de John Carpenter que les adolescents regardent en vidéo, est exemplaire. La projection du premier volet de la série Halloween permet en effet à un des membres de l’assistance d’expliquer que, pour échapper au tueur, il faut 1) rester vierge, 2) ne consommer ni drogue ni alcool, 3) ne jamais dire : « Je reviens. » Autant de commandements que les futures victimes s’empresseront d’enfreindre dans un grand éclat de rire, avant que la soirée ne vire au carnage. Ainsi les péripéties du film de Carpenter préfigurent la suite des événements de Scream, en un dispositif où la drôlerie (à la remarque « C’est le moment du plan sur les névés » succède immédiatement un plan de coupe sur l’héroïne qui se déshabille à l’étage) se teinte souvent de cruauté (« Retourne-toi ! » hurle le jeune exégète à l’attention de la protagoniste de La Nuit des masques, sans se douter que, derrière lui, le tueur s’avance, menaçant).
Ces jeux de miroir, qui permettent au spectateur le moins féru du genre d’apprécier tout le sel de la situation, proviennent pour la plupart du scénario de Kevin Williamson. Mais on aurait tort de sous-estimer l’apport de Wes Craven qui a su trouver le ton juste entre distanciation et frissons. Car Scream est à la fois l’analyse pertinente d’un certain cinéma d’horreur et un de ses meilleurs fleurons, comme en témoigne l’éblouissante séquence d’ouverture qui, en plans rapprochés, suit l’évolution psychologique de la victime, de la curiosité amusée à la terreur panique. Grâce à l’attention particulière que le cinéaste accorde à ses personnages, les adolescents ne sont pas ravalés au simple statut de viande à équarrissage. Les victimes ont le temps d’exister et leur disparition ne saurait laisser indifférent. Dans un style qui rappelle parfois le David Lynch de Twin Peaks, Craven fait monter la tension sur le campus. À mesure que l’action progresse, il paraît évident que le meurtrier est un des adolescents, et le doute sur son identité donne un relief particulier aux comportements les plus anodins : l’accablement des uns ou les provocations bravaches des autres peuvent n’être qu’une façade pour masquer de plus noirs desseins.
De même, le réalisateur et son chef opérateur Mark Irwin (collaborateur attitré de Cronenberg entre Chromosome 3 et La Mouche) ont choisi de filmer dans des couleurs éclatantes les décors anodins et rassurants de la petite ville (imaginaire) de Woodsboro pour donner plus de force aux brusques jaillissements de la folie meurtrière. L’horreur ne provient pas d’un quelconque jeu d’ombres ou des apparitions grand-guignolesques du méchant, mais du cri proféré par une adolescente quand, dans une maison jonchée de cadavres ensanglantés, elle découvre enfin le vrai visage de l’assassin. Philippe Rouyer, Positif, septembre 1997.
Dans une petite ville tranquille des Etats-Unis, un psychopathe sème la terreur en massacrant des adolescents. Un soir, il s'en prend à Casey, seule à la maison. Harcelée au téléphone, elle est soumise à un questionnaire sur le cinéma. Une mauvaise réponse, et c'est la mort. Avoir peur et en jouir, c'est peut-être ça, à l'origine, le cinéma. Wes Craven, figure du cinéma d'épouvante qui inaugura la fameuse série des Freddy avec Les Griffes de la nuit, en 1984, l'illustre à merveille ici, en renouvelant un genre devenu exsangue depuis pas mal d'années. La longue séquence d'ouverture, quart d'heure magistral, donne le la en nous clouant au fauteuil : Scream sera d'autant plus efficace que ses personnages, victimes ou bourreaux, sont rompus aux lois du genre et connaissent la musique. D'où le quiz sur le cinéma (« Comment s'appelle le tueur de Vendredi 13 ? »), effrayant et hilarant, deux qualités communes à l'ensemble du film. Si Wes Craven imagine cette mise en abyme, c'est moins pour faire son intéressant que pour mieux servir sa cause : raviver la croyance du spectateur en prenant acte de ses nouvelles exigences. Fausses alertes et chausse-trapes parsèment ce thriller au scénario complexe et surprenant. On ne sait jamais où se cache le maniaque, on ne sait pas non plus qui il est. Or, des assassins potentiels, ce n'est pas ça qui manque à Woodsboro, où les habitants se ressemblent affreusement et où personne n'est épargné, des flics abrutis aux jeunes arrogants très propres sur eux mais décérébrés. Que chacun, pour plaisanter, enfile le masque du tueur (copie du visage déformé du Cri d'Edward Munch) n'est pas innocent. Tout le monde prend plaisir au jeu, sans éprouver de compassion. Le seul soutien humain du spectateur, c'est Sidney. Soutien fragile s'il en est. Dernier rempart contre une réalité devenue fiction. Jacques Morice, 2021.
HURLEMENTS
The Howling
de Joe Dante, 1980, US, 1h30, Couleurs
avec Dee Wallace, Patrick MacNee, Dennis Dugan…
RÉSUMÉ : Lors d'une émission de télévision, une journaliste reçoit un appel téléphonique d'un homme prétendant être l'auteur d'une récente série de meurtres. Elle fait ensuite un séjour avec son mari dans la clinique du Dr Waggner. La lycanthropie sera au rendez-vous de l’horrible, avec une fin surprenante…
POINT DE VUE : Trois ans avant Gremlins, Joe Dante avait déjà du mordant. Le réalisateur américain a toujours affectionné les bestioles méchantes, depuis Piranhas, son premier long métrage en solo. Série B phare du cinéma fantastique, Hurlements (1981) renouvelait le thème ancestral du loup-garou. Une journaliste vedette de la télévision (Dee Wallace) sert d’appât pour piéger un tueur en série. Celui-ci l’enferme dans la cabine d’un sex-shop et l’oblige à regarder une scène de porno violent avant d’être abattu...
L’intrigue, assez tarabiscotée, s’attache au sort réservé à son héroïne courageuse, au trauma qu’elle doit surmonter et qui rejaillit dans son couple. Il faut attendre son séjour dans un étrange centre de thérapie situé à la lisière d’une forêt, pour que le loup-garou fasse son apparition. Les effets spéciaux décrivant les différentes phases de sa transformation sont impressionnants. L’atout majeur, c’est ici d’avoir relié la lycanthropie à la pulsion sexuelle. Le film, avec son casting singulier (de John Carradine à Patrick Macnee, le héros so british de Chapeau melon et bottes de cuir), est truffé de clins d’œil cinéphiliques.
En chantre de la contre-culture, Joe Dante cherche à faire peur tout en jonglant avec divers motifs : la psychothérapie de groupe tendance new age alors en vogue, le pouvoir de l’image, la bestialité du mâle, la nymphomanie. Le tout avec l’inventivité plastique et l’ironie mêlées qui ont fait sa griffe légendaire. Ce qui n’empêche pas l’émotion de poindre, dans un final cruellement monstrueux, où l’héroïne allie sacrifice et dignité. Jacques Morice, 2022.
CREEPSHOW
de George A. Romero, 1982, US, 1h40, Couleurs
avec Hal Holbrook, Adrienne Barbeau…
RÉSUMÉ : Un zombie qui décime les siens à l’occasion de la fête des pères, un monstre polaire oublié dans une caisse de laboratoire, l’appartement d’un maniaque envahi par les cafards : trois exemples des cinq sketches (inégaux) inspirés par les E.C. Comics, ces illustrés joyeusement morbides des années 50. Dictionnaire des films, 1995.
Un magazine dont le vent tourne les pages dévoile cinq histoires d'épouvante. "La Fête des pères". Un mort vivant terrorise une famille lors du traditionnel repas de la fête des pères. - "La Mort solitaire de Jordy Verrill". Après avoir touché du doigt un étrange météore tombé dans son jardin, un agriculteur est transformé en monstre végétal. - "Un truc pour vous marrer". Un mari jaloux prépare et filme la mort de sa femme et son amant. - "La Caisse". Un homme fait tuer son épouse encombrante par un monstre venu du XIXe siècle. - "Ils sont partout". Un homme qui a horreur des insectes affronte une invasion de cafards...
POINT DE VUE : Avis aux amateurs d’effets spéciaux horrifiques, d’intense suspense et autres terreurs glacées : changez de chaîne ! Ce film à sketchs est réservé aux chineurs de cinéma de genre, à tous ceux qu’une bonne couche de poussière et d’humour noir ne rebute pas, au rayon des curiosités kitsch. Écrit et réalisé par deux maîtres de l’épouvante — respectivement Stephen King et George A. Romero —, voilà un film qui n’a pas une once de sérieux : un joyeux pot-pourri de phobies (des cafards, par exemple), de spectres dégoulinants (avec vers ou algues, faites votre choix), d’infestation extraterrestre (sous forme de gazon vert fluo) et de monstres mangeurs d’hommes...
Entre soirée déguisée — un postiche, trois bouts de plastique — et fantaisie potache, l’œuvre a été conçue comme un hommage affectueux aux magazines pulp et autres comics d’épouvante des années 1950. Chaque sketch s’ouvre d’ailleurs par une case de BD feuilletée à la bonne page.
Quelques-unes de ces histoires allègrement macabres offrent d’amusantes retrouvailles avec de fameux comédiens, d’Ed Harris (zigouillé par un zombie) à Ted Danson (ensablé vivant), ou encore Adrienne Barbeau, grande égérie du genre, que l’on croise chez Wes Craven, John Carpenter ou le même Romero tout au long des années 1980. Bref, une pièce de collection, dans notre petit musée des horreurs cinéphile. Cécile Mury, 2021.
SHINING
The Shining
de Stanley Kubrick, 1980, US-GB, 1h55, Couleurs
avec Jack Nicholson, Shelley Duvall…
RÉSUMÉ : Un écrivain en panne d’inspiration est engagé pour garder un gigantesque hôtel de montagne, coupé de tout pendant cinq mois d’hiver. Il part avec Wendy, sa femme et Danny, son fils. Tout est tranquille et Jack sent qu'il pourra, dans cette atmosphère sereine, retrouver enfin le goût d'écrire. Mais le calme n'est qu'apparent. Peu à peu, il est gagné par une folie meurtrière, semblable à celle d’un précédent gardien qui a tué sa femme et ses deux filles à coups de hache. Danny, grâce à un don télépathique particulier, revit certains épisodes tragiques du passé de cet endroit sinistre...
POINTS DE VUE : Si l’on voit Shining comme un film de genre, on s’aperçoit qu’il est très « en-deçà » de ses excès, mais si on le considère comme le constat clinique de la désagrégation d’une cellule familiale, où le fantastique intervient comme la projection surréelle, dans une dimension qui n’existe pas (?) dans la réalité, le film devient « réellement » terrifiant en ce qu’il démasque la famille comme une parfaite machine de meurtre et de folie. Kubrick revient en cela à l’essence du fantastique mais il crée aussi un fantastique moderne, où l’horreur surgit en plein jour, dans l’étincelante blancheur d’une neige qui fait divaguer le regard ou dans l’éclairage artificiel qui baigne le labyrinthique hôtel, dont l’obsédante architecture symétrique est l’imperturbable projection physique d’un temps où le présent redouble le passé, ses interminables couloirs parcourus par d’obsessionnels travellings qui semblent chercher à lui arracher son secret. Tous ces éléments font de ce film, qui a la densité et la pureté du diamant, le chef-d’œuvre stylistique de Kubrick. Stéphan Krezinski, 1995.
Jack Torrance, qui veut écrire un roman, accepte de garder pour l'hiver l'hôtel Overlook, un palace isolé dans les montagnes du Colorado. Il s'y installe avec sa femme, Wendy, et son jeune fils, Danny, non sans savoir qu'un drame s'y est déroulé dix ans plus tôt : le gardien de l'époque avait massacré sa famille avant de se suicider. Isolés par la neige, ils sont peu à peu gagnés par l'esprit du lieu.
La caméra suit Danny avançant sur son tricycle dans les couloirs labyrinthiques de l'hôtel désert. Le bruit lancinant des roues s'interrompt quand il passe du parquet aux tapis, puis reprend. La musique - contemporaine et choisie avec soin - fait monter la tension. Au jeu admirable sur les sons s'ajoutent les flashes visuels - jumelles déchiquetées, litres de sang jaillissant de l'ascenseur - qui vous titillent sérieusement la moelle épinière, surtout si vous êtes seul devant votre téléviseur, entre chien et loup. Jack Nicholson, génial et grimaçant, serait-il derrière la porte ? Shining - le premier gros succès commercial de Kubrick - est d'abord un exercice de style, une « symphonie de la terreur » où le cinéaste, au sommet de son talent, substitue aux effets bâclés du film d'horreur classique toute sa science de la mise en scène, fondée sur l'utilisation quasi géométrique du décor. L'hôtel désert devient une sorte d'espace mental, où s'exprime de façon concrète le déséquilibre grandissant de son héros. La réflexion sur l'écriture-catharsis, chère à Stephen King, est finalement accessoire : Kubrick a d'abord voulu faire un grand film, à la fois adulte et qui fait vraiment peur. Pari réussi. Télérama, 2017.
LE LOUP GAROU DE LONDRES
An American Werewolf in London
de John Landis, 1981, GB, 1h37, Couleurs
avec David Naughtin, Griffin Dunne…
RÉSUMÉ : Deux jeunes Américains, Jack et David, parcourent l’Angleterre en auto-stop. Une nuit de pleine lune, ils entrent dans une auberge dont les clients les chassent sur cet étrange conseil : « Ne vous éloignez pas de la route ! » Ils n'en tiennent pas compte et sont attaqués... c’est le début pour eux, de mutations terrifiantes.
POINTS DE VUE : Deux jeunes Américains, Jack et David, sillonnent l'Angleterre en auto-stop. Perdus en pleine campagne, ils s'arrêtent dans une auberge où on leur conseille fortement de ne jamais quitter la route. Ce qu'ils ont le tort de faire : Jack est déchiqueté par un loup-garou. David s'en sort avec quelques morsures...
Grand amateur de films fantastiques, John Landis a su mettre sa passion au service du ravaudage humoristique d'une intrigue passablement éculée. Il a surtout parfaitement dosé la peur et le rire, désamorcé l'horreur sans porter atteinte à la foi qu'il met dans l'histoire. Si le film n'est jamais parodique, c'est aussi grâce à la qualité des effets spéciaux (signés Rick Baker), dont les ahurissantes métamorphoses.
Les amateurs seront servis. Les autres trouveront à coup sûr que ces histoires de monstres ne manquent pas de charme, quand elles sont traitées avec humour. — Aurélien Ferenczi, 2012.
David et Jack, deux touristes américains, s'égarent sur une lande de la campagne anglaise. Ils sont alors attaqués par un loup-garou. Jack est tué, mais David survit à ses blessures. Transporté à Londres, il apprend qu'il pourrait être devenu lui-même un loup-garou...
Bien qu'apparu dans des films d'horreur britanniques (LA NUIT DU LOUP-GAROU en 1961) ou américains (THE WEREWOLF OF WASHINGTON de 1973), le loup-garou n'a pas autant bénéficié du renouveau des mythes fantastiques lancé par la Hammer que le professeur Frankenstein ou le comte Dracula. Néanmoins, en Espagne, l'acteur Paul Naschy (Jacinto Molina de son vrai nom, ancien haltérophile) interprète plus d'une dizaine de fois le personnage du lycanthrope Waldemar Daninsky dans des films dont il est parfois le scénariste, ou même le réalisateur. Cette série, commencée par LES VAMPIRES DU DR DRACULA en 1968, culmine au cours des années soixante-dix.
Cette exception ibérique mise à part, le film de loup-garou est moribond durant cette décennie. Heureusement, deux films remarqués consacrés à ce mythe poilu sont réalisés par des Américains au tout début des années quatre-vingts : HURLEMENTS de Joe Dante et LE LOUP-GAROU DE LONDRES de John Landis.
John Landis commence sa carrière de réalisateur en bricolant SCHLOCK au cours de l'année 1971, dans lequel un monstre simiesque s'éprend d'une jeune fille aveugle. Il s'agit d'un hommage humoristique au KING KONG classique de 1933. Il lui faut attendre HAMBURGER FILM SANDWICH en 1977, écrit par Jim Abrahams, David Zucker et Jerry Zucker (les auteurs de Y A-T-IL UN PILOTE DANS L'AVION ?) pour diriger son second film. Cette œuvre à sketchs délirante devient un film-culte aux USA et lance sa carrière.
Vient ensuite une autre comédie très remarquée : AMERICAN COLLEGE de 1978, co-écrite par Harold Ramis et interprétée par John Belushi (alors vedette du show télévisé comique «SATURDAY NIGHT LIVE»). Cette satire de la vie des universités américaines au cours des années soixante se base sur le magazine comique «American Lampoon».
Il s'agit du premier film estampillé par cette revue (sous le titre américain NATIONAL LAMPOON'S ANIMAL HOUSE) et il connaît un énorme succès. John Landis réalise ensuite, avec un très gros budget, LES BLUES BROTHERS de 1981, son film le plus célèbre, racontant une course-poursuite farfelue à travers les USA et rendant hommage à la musique noire américaine.
Le cinéaste retourne ensuite à son goût pour le fantastique en écrivant et réalisant LE LOUP-GAROU DE LONDRES, projet plus modeste. Les rôles principaux y sont tenus par David Naughton et Griffin Dunne.
Les effets spéciaux, révolutionnaires pour leur époque, valent un Oscar à Rick Baker qui est ainsi catapulté comme un grand spécialiste du maquillage. Il sera encore oscarisé pour le Yéti de BIGFOOT ET LES HENDERSON en 1987 ; la transformation de Martin Landau en Bela Lugosi vieilli dans ED WOOD de 1994 ; la spectaculaire prise de poids d’Eddie Murphy dans LE PROFESSEUR FOLDINGUE de 1996 ; les extraterrestres de MEN IN BLACK de 1997 ; le maquillage porté par Jim Carrey dans LE GRINCH en 2000 ; et enfin à nouveau pour un lycanthrope pour THE WOLFMAN de 2010 avec Benicio Del Toro !
LE LOUP-GAROU DE LONDRES est écrit par John Landis dès 1969, avant même de réaliser SCHLOCK. Il se trouve alors en Yougoslavie où il participe au tournage du film de guerre hollywoodien DE L'OR POUR LES BRAVES avec Clint Eastwood et Donald Sutherland. Landis, Américain de Chicago, est alors confronté à des éléments du folklore d'Europe centrale qui lui inspirent l'idée du LOUP-GAROU DE LONDRES : un touriste américain isolé est victime d'une malédiction médiévale en pleine Grande-Bretagne.
Ce qui rappelle l'intrigue du LOUP-GAROU (1941) (auquel LE LOUP-GAROU DE LONDRES fait plusieurs fois références), dans lequel Lon Chaney Jr. jouait un jeune homme vivant aux USA qui retourne sur les terres de ses ancêtres, au pays de Galles, pour l'enterrement de son frère. Il y est mordu par un loup-garou et devient lycanthrope.
Cette opposition entre l'univers rationnel des Américains et les légendes fantastiques de l'Europe ancienne et rurale est encore soulignée dans LE LOUP-GAROU DE LONDRES par l'usage fréquent et inattendu dans la bande-son de chansons folk ou rock faisant référence à la lune (Van Morrisson, Sam Cooke).
Par de nombreux aspects, LE LOUP-GAROU DE LONDRES reste fidèle à l'esprit des films d'horreur traditionnels. La mythologie du loup-garou est présentée de manière à la fois sérieuse et innovante.
Ainsi, nous retrouvons la transmission de la lycanthropie par la morsure d'un loup-garou et les métamorphoses durant les nuits de pleine lune. Mais, en plus, les victimes dévorées par les loups-garous deviennent des âmes en peine, errant dans les limbes jusqu'à ce que le dernier porteur de la malédiction soit tué. Les scènes d'agression sont d'une violence impressionnante, voire franchement gore.
Le film est connu pour une fameuse métamorphose en loup-garou, élaborée par Rick Baker à l'aide de maquillages et d'effets mécaniques aujourd'hui encore spectaculaires. Cette séquence est traitée avec sérieux et efficacité. De magnifiques scènes oniriques s'avèrent originales, comme l'attaque de la famille juive de David par des loups-garous habillés en soldats SS. Ou les courses à travers une vaste forêt brumeuse filmées à la Steadicam
Dans la tradition des grands films de loup-garou comme LE LOUP-GAROU et LA NUIT DU LOUP-GAROU, LE LOUP-GAROU DE LONDRES souligne l'aspect tragique de cette malédiction. Elle transforme une personne pacifique et sympathique en une bête sanguinaire. Ainsi, le dénouement de LA NUIT DU LOUP-GAROU évoque celui émouvant de KING KONG.
Par certains aspects, John Landis propose une vision plus moderne du film de loup-garou. Les personnages principaux sont des jeunes gens décontractés qui pourraient sortir d'AMERICAN COLLEGE. L'intrigue se déroule en grande partie dans le Londres urbain des années quatre-vingts. Cette histoire refuse les clichés gothiques et s'inscrit dans un contexte réaliste. Des éléments de comédie sont présents, ce qui ne surprend pas au vu de la filmographie essentiellement comique du cinéaste jusqu'alors.
L'humour se situe en grande partie dans les dialogues et rend les personnages plus vivants et attachants. Sa présence ne nuit que rarement à l'atmosphère inquiétante et fantastique du LOUP-GAROU DE LONDRES. Cet humour est même souvent noir et macabre (la rencontre entre David et les spectres sanglants de ses victimes dans un cinéma porno), ce qui participe à la tonalité désespérée caractéristique de cette œuvre
Une scène de carambolage spectaculaire, en plein cœur de Londres, rappelle LES BLUES BROTHERS. Mais si dans ce dernier film, les destructions des voitures de police sont un spectacle délirant et cinématographique, nous voyons dans LE LOUP-GAROU DE LONDRES de nombreux passants et automobilistes se faire écraser ou tuer dans cet accident effroyable et glaçant.
Au milieu du film, des séquences retracent la romance entre David et son infirmière. Si elles rendent les personnages sympathiques, elles ralentissent un peu le récit. De même, le casting manque de personnalité. Heureusement, la réalisation extrêmement dynamique de John Landis est toujours présente et imprime au LOUP-GAROU DE LONDRES un rythme suffisamment efficace pour ne jamais laisser l'ennui s'installer réellement.
LE LOUP-GAROU DE LONDRES est un mélange réussi et unique entre un cinéma d'épouvante tragique et des séquences d'humour souvent macabres et pessimistes. Tout comme HURLEMENTS, LE LOUP-GAROU DE LONDRES connaît un très gros succès, ce qui entraîne la réalisation de plusieurs films de loup-garou dans les années suivantes : LA COMPAGNIE DES LOUPS de Neil Jordan et PEUR BLEUE de Daniel Attias, d'après un livre de Stephen King, par exemple.
John Landis prévoit une suite au LOUP-GAROU DE LONDRES appelée AN AMERICAN WEREWOLF IN PARIS. Mais le projet est jugé trop onéreux par les producteurs. Finalement, cette suite (LE LOUP-GAROU DE PARIS) n'est réalisée que beaucoup plus tard, en 1997, par Anthony Waller, et elle n'aura que peu de rapport avec le projet prévu par John Landis.
Après LE LOUP-GAROU DE LONDRES, John Landis revient à la comédie avec UN FAUTEUIL POUR DEUX, encore un gros succès, qui confirme la renommée d’Eddie Murphy après son rôle dans 48 HEURES. En 1983, John Landis revient au fantastique, d'abord en réalisant le spectaculaire et célébrissime clip/court-métrage de la chanson THRILLER de Michael Jackson. Puis en participant à l'anthologie LA QUATRIÈME DIMENSION produite par Steven Spielberg et inspirée par la série télévisée du même nom. Emmanuel Denis.
CARRIE
de Brian De Palma, 1976, US, 1h37, Couleurs
avec Sissy Spacek, Piper Laurie…
RÉSUMÉ : Jeune et naïve, Carrie White est le souffre-douleur de ses camarades de classe, qui la raillent à toute occasion. Elevée par une mère bigote, elle ignore tout de son corps et des "choses de la vie". Un jour, alors qu'elle prend une douche, elle remarque avec panique du sang sur ses cuisses. Le professeur de gymnastique lui vient en aide et punit les autres élèves, hilares. Quelque temps après, Carrie est invitée au bal annuel de l'école par le séduisant Tommy. Dans son dos, ses camarades concoctent une plaisanterie de fort mauvais goût. C'est alors qu'elle se découvre des pouvoirs surnaturels terrifiants et entreprend de se venger...
POINTS DE VUE : Pauvre Carrie, petite souris. Martyrisée par sa cinglée de mère, monstre puritain. Tourmentée par ses condisciples, hyènes permanentées. Terrorisée par son sang menstruel, premier coup de poignard de la puberté. Un jour pourtant, un prince à peine charmant, mais pas méchant, l’invite au bal. Carrie, reine d’un soir ? Non. Victime d’une farce atroce, Carrie, gavée de souffrance, vomit l’enfer. Au sens propre. Parce que la petite souris est dotée d’étranges pouvoirs...
Adapté du premier best-seller de Stephen King, ce calvaire adolescent révéla une actrice étonnante : blondeur maladive, joliesse torturée, Sissy Spacek crève l’écran dès la première scène choc, sa découverte des règles dans les douches d’un vestiaire lycéen, moment d’horreur pure, filmé comme un meurtre. Chaque séquence — du « lynchage » de Carrie par ses camarades de classe au déchaînement final, en passant par les brimades maternelles — recèle une violence spectaculaire. De Palma déploie l’effroi comme un chapiteau de cirque, avec une efficacité exhibitionniste. Mais sous son manteau de sang, ce récit d’horreur est surtout une fable cruelle et monstrueuse sur les affres de l’âge ingrat : peur panique du sexe, sentiment d’exclusion, fantasmes de vengeance sensationnelle. Et les petites grues, pin-up évadées du genre film de collège, sont au final bien plus effroyables que la grosse colère surnaturelle de Carrie. Cécile Mury, 2019.
Brian De Palma première période, ou la quête de l’impureté. Avant de s’enfermer dans des formes de plus en plus abstraites, De Palma, maître maniériste, nous offrait une poignée de beaux mélodrames fantastiques (Sœurs de sang, Phantom of the Paradise, Obsession, Furie, Blow Out) qui associaient l’exhibitionnisme technique à un déferlement tout aussi impudique d’amour et de haine. Grand sentimental sous ses allures d’ours mal léché, De Palma avant de choisir l’impasse du cynisme et de la misanthropie aimait bricoler des récits délirants peuplés de monstres humains et de fantômes amoureux. Avant de devenir cérébral le cinéma de De Palma frappait aux tripes et au cœur. Carrie au bal du diable est sans doute l’apogée précoce de cette approche opératique du cinéma, située pourtant dans un univers banal qui est celui de l’Amérique banlieusarde et provinciale, également choisi par Lucas et Spielberg dans leurs premiers films. Carrie est une jeune adolescente timide tourmentée par ses compagnes de lycée, et surtout par sa mère, une bigote fanatique qui lui inculque la haine du péché charnel. En même temps que les affres de la puberté elle se découvre des dons de télékinésie. On connait l’histoire, adaptée du premier roman à succès de Stephen King. Elle a été recyclée une bonne douzaine de fois depuis, la puberté diabolique étant devenue dans les années 70 et 80 un poncif du film d’horreur du samedi soir. À l’opposé de La Nuit des masques (Halloween, 1976) de John Carpenter, l’autre grand film séminal du cinéma fantastique américain moderne, Carrie au bal du diable ne joue pas la carte de l’épure hawksienne. Entre l’opéra italien, Mario Bava, Powell, Godard et Peckinpah, De Palma ne tranche pas. Si Hitchcock est déjà son cinéaste d’élection (il réalise l’année précédente un premier pastiche de Psychose, Sœurs de sang) son amour malade du cinéma ne peut se soigner que par un désir effréné de cinéma. De Palma ouvre son film par une scène de douche, en référence à Psychose ; le sang qui se mêle à l’eau ne provient pas d’une agression au couteau (ce sera pour plus tard) mais du corps même de la jeune Carrie.
Synchrone dans ses obsessions avec une brève période de permissivité de la censure, De Palma décide de s’engouffrer dans l’explicite, l’obscène, le maladif. Carrie au bal du diable est un film dédié au sang et chaque goutte du fluide vital est utilisée par De Palma comme les notes d’une partition mélancolique. Du sang de la pauvre Carrie qui découvre ses premières règles dès la séquence du générique, au sang de cochon qui la souillera en public lors du bal de fin d’année, victime d’une plaisanterie horrible, De Palma travaille le matériau le plus bassement organique et le transcende par la virtuosité de sa mise en scène. On peut déjà faire la grimace mais on conviendra que De Palma ne confond pas trivialité et vulgarité, que sa cruauté couve un romantisme morbide. Peu de films avant et après Carrie au bal du diable sont parvenus à emporter autant le spectateur, à le faire rire avec des gags crétins, à le terrifier et le faire pleurer devant des situations invraisemblables. Parmi ces films il y a Phantom of the Paradise et Body Double, également signés Brian De Palma.
La mise en scène de De Palma est virtuose et d’une grande musicalité, au diapason de la bande originale composée par le vénitien Pino Donaggio, son alter ego musicien. De Palma est à juste titre réputé pour sa direction d’acteurs et son œil pour révéler de nouveaux talents. Dans les rôles de Carrie et de sa mère Sissy Spacek et Piper Laurie sont géniales, les débutants dans des seconds rôles, Amy Irving, Nancy Allen et John Travolta formidables.
De Palma n’a jamais été un comique mais la description du campus dans Carrie au bal du diable évoque souvent le chef-d’œuvre de Jerry Lewis, Docteur Jerry et Mister Love. Le film propose un curieux mélange de puritanisme anglo-saxon (chez De Palma le sexe est toujours abordé sous l’angle de ses perversions, principalement le voyeurisme) et de provocation typiquement latine (les scènes blasphématrices qui proviennent directement des outrances du cinéma d’horreur italien.) Dans Carrie au bal du diable l’argument fantastique n’est qu’un prétexte pour déclencher des scènes de violence paroxystiques, baroques, insensées. Le cinéma du jeune De Palma se caractérise par son goût des émotions sublimes. Juste avant que le fantastique ne connaisse un irréversible déclin vers la parodie, le second degré et le « torture porn », à l’orée d’une collaboration qui se terminera trente-six ans plus tard par un squelette de film (Passion), De Palma et Donaggio orchestrent in extremis les noces grandioses de l’horreur et du mélodrame, des larmes et du sang. Olivier Père, Arte.
LA NUIT DES MASQUES
Halloween
de John Carpenter, 1978, US, 1h30, Couleurs
avec Donald Pleasence, Jamie Lee Curtis…
RÉSUMÉ : En 1963, à Haddonfield, une petite ville de l'Illinois, la nuit de Halloween, Michael Myers, un garçonnet, assassine sa sœur, Judith, à coups de couteau. Quinze ans plus tard, il s'évade de l'hôpital psychiatrique où il était enfermé. Sam Loomis, son médecin, persuadé qu'il va revenir à Haddonfield et tuer à nouveau, s'emploie à prévenir la police du danger. Un premier indice confirme sa théorie. La tombe de Judith est profanée. Mais Myers reste introuvable. Une nouvelle nuit de Halloween commence. Un peu partout dans la ville, des jeunes filles seules gardent des enfants dans des villas désertes, alors qu'une ombre masquée se glisse dans les couloirs obscurs...
POINT DE VUE : Enfant, le petit Mike Myers a tué sa sœur, coupable à ses yeux d’avoir un amoureux. Quelques années plus tard, il s’échappe de l’asile psychiatrique où on l’a enfermé. Et la terreur s’abat sur une petite ville de l’Illinois.
À l’époque, John Carpenter n’avait encore réalisé que deux films : Dark Star, une blague de potache SF, et, nettement plus intéressant, Assaut, un remake masqué de Rio Bravo. Au festival d’Avoriaz, Halloween (le titre français, La Nuit des masques, n’a pas vraiment pris !) fit un effet choc. Qui avait vu, depuis Psychose, une telle maestria pour faire monter l’angoisse ? Caméra à l’épaule, le cinéaste suit tour à tour les pas du tueur, puis de ses victimes. Il épouse le regard de l’un, traque l’effroi chez les autres. La musique, simple, lancinante, signée par Carpenter lui-même, contribue à l’atmosphère de plus en plus insoutenable. Il y a peu à voir — on fera très vite plus sanguinolent, plus spectaculaire — et tout à redouter. Car dans la petite ville américaine, le mal finit par pénétrer l’intimité des êtres...
Halloween n’est pas qu’une machine narrative soigneusement huilée. Le film porte aussi un regard subtil sur le secret, l’intime, devenus presque tabous au sein d’une société normalisée. La scène finale — un cauchemar proprement interminable — fait désormais partie des classiques du cinéma et a été imitée des dizaines de fois par les tâcherons du cinéma d’horreur. Aurélien Ferenczi, 2022.
SUSPIRIA
de Dario Argento, 1977, Italie, 1h30, Couleurs
avec Jessica Harper, Alida Valli…
RÉSUMÉ : Venue suivre des cours de danse à Fribourg, une jeune Américaine voit sa vie menacée et tente de démasquer les agissements criminels d'une sorcière.
POINT DE VUE : Une jeune Américaine, Suzy Bannion (la si expressive Jessica Harper, vue dans Phantom of the Paradise), arrive un soir de pluie à Fribourg pour étudier la danse à la célèbre Tanz Akademie...
Des événements bizarres se multiplient, une élève est mystérieusement assassinée... Suivant de peu Les Frissons de l'angoisse, Suspiria est un moment clé dans la filmographie de Dario Argento, où le giallo, ce polar mystérieux à l'italienne, se teinte franchement de fantastique.
Ce film est un modèle du genre : atmosphère oppressante, servie par des mélodies entêtantes et une invention visuelle de tous les instants, parcours fléché de l'héroïne, forcément ingénue, à travers le labyrinthe du mystère...
Suspiria n'est pas un film narratif, mais un collage savant d'effets visuels et sonores où le rouge sang est récurrent. C'est cet imaginaire baroque et coloré qui va devenir par la suite (et jusqu'à plus soif) la marque de fabrique du cinéaste, en cela digne successeur de Mario Bava. Suspiria est la brillante matrice de tout un courant du fantastique des années 1980. — Aurélien Ferenczi, 2015
CHROMOSOME 3
The Brood
de Davis Cronenberg, 1979, Canada, 1h31, Couleurs
avec Oliver Reed, Samantha Eggar…
RÉSUMÉ : Nola Carveth, une femme perturbée, est entrée au Somafree Institute du docteur Raglan pour y suivre une psychothérapie révolutionnaire. Les patients de l'institut sont invités à matérialiser leurs troubles mentaux par des manifestations organiques telles que pustules, lésions, tumeurs en tout genre...
POINT DE VUE : Après quelques plaisanteries que ses fans défendent, voici le premier film de Cronenberg qui annonce le thème qui va parcourir son œuvre : la perversion des esprits et la distorsion des corps. Ici, Eggar (superbe), à la fois victime et bourreau, donne naissance à des créatures, issues de son inconscient, qui entreprennent d'assassiner tous les responsables de ses frustrations et inhibitions. Construit comme un polar, le film, étrange, inquiétant, violent, vire, sur la fin, au cauchemar halluciné qui annonce les mutants du Festin nu. Télérama, 2002.
Chromosome 3 et Scanners témoignent de l’évolution fulgurante du cinéaste qui, en quelques films de genre à petit budget tournés au Canada va s’imposer comme l’un des meilleurs cinéastes de sa génération. Il faudra attendre Faux-semblants et Crash pour que la critique « sérieuse » commence à se pencher sur son cas, mais le génie visionnaire du cinéaste est déjà à son apogée dans ces deux films charnière. On est frappé en les revoyant par la maîtrise de la mise en scène de Cronenberg déjà associé à deux de ses plus importants collaborateurs, le directeur de la photographie Mark Irwin et le compositeur Howard Shore.
La seule concession au système de production du cinéma d’exploitation dans les premiers films de Cronenberg semble être le recours à des acteurs anodins dans les rôles principaux et l’invitation d’acteurs « has beens » dont la fatigue, l’ennui ou le cabotinage tranchent avec le style du film : Barbara Steele dans Frissons, Samantha Eggar et Oliver Reed dans Chromosome 3, Jennifer O’Neill et Patrick McGoohan dans Scanners. Par la suite Cronenberg aura la possibilité de travailler avec des acteurs très talentueux capables de devenir ses alter egos ou ses complices à l’écran : Christopher Walken, James Woods, Jeff Goldblum, Jeremy Irons, Viggo Mortensen...
Dans Chromosome 3 (The Brood, 1979) un père, séparé de son épouse, élève seul sa petite fille. La mère, Nola, vit recluse dans la clinique expérimentale du docteur Raglan, inventeur d’une thérapie révolutionnaire qui permet à ses patients d’extérioriser leurs troubles mentaux par des manifestations organiques (plaies, pustules, tumeurs...). Les sentiments maternels exacerbés de Nola vont engendrer une portée (« The Brood », titre original du film) monstrueuse et meurtrière téléguidée par les pulsions de vengeance de la mère. Cronenberg s’est souvent amusé à présenter Chromosome 3 comme son seul film autobiographique, et aussi une version très personnelle de Kramer contre Kramer, le mélo sur le divorce de Robert Benton. Le cinéaste avait en effet quelques années avant le tournage décidé d’enlever sa propre fille, lorsqu’il apprit que son ex-femme se trouvait sous l’influence d’une sorte de secte médicale. Au-delà de cette anecdote, Chromosome 3 marque un point de non-retour organique dans la filmographie du cinéaste, et reste sans doute son œuvre la plus terrifiante, au premier degré, car elle transforme un sentiment naturel et « positif », l’instinct maternel, en véritable cauchemar contre-nature. Troisième film commercial de Cronenberg, qui avait débuté dans l’underground, Chromosome 3 demeure un sommet de l’horreur viscérale, et le cinéaste accouche – sans jeu de mot – d’images repoussantes et perturbantes. Après cette ultime orgie de chair malade, le cinéma de Cronenberg va peu à peu devenir plus mental et cérébral, tout en poursuivant cette volonté de donner une substance charnelle à des visions de l’esprit, comme dans son chef-d’œuvre Vidéodrome (1982). Olivier Père, Arte.
THE AMUSEMENT PARK
de George A. Romero, 1973, US, 52mn, Couleurs
avec Lincoln Maazel, Lincoln Albacker…
RÉSUMÉ : Alors qu'il pense passer une journée paisible et ordinaire, un vieil homme se rend dans un parc d'attractions pour y découvrir un véritable cauchemar.
POINT DE VUE : George A. Romero, l’homme qui a rendu leur dignité aux zombies en en faisant les martyrs d’une société de consommation mortifère (La Nuit des morts-vivants, Zombie) accepte, en 1973, une étrange commande de la communauté luthérienne de Pittsburg : dénoncer la maltraitance envers les personnes âgées aux États-Unis. Un film social ? Oui, mais à la sauce Romero, qui rendra les petits vieux de son film aussi effrayants que des zombies ! Au point que les commanditaires enterreront The Amusement Park, qui disparaîtra pendant près de cinquante ans.
De fait, quand le réalisateur de Creepshow met en scène une fête foraine sur le thème du grand âge, ça grince : des vieillards à différents stades de leurs maladies sont exposés dans des attractions horriblement gênantes. Toutes les institutions sont caricaturées (hôpitaux, police, mutuelles...) et, à chaque fois, une personne âgée y est maltraitée. Construit comme un épisode de La Quatrième Dimension, à grand renfort de gros plans déformants, le film est cauchemardesque... et un peu daté. Mais sa sortie sur les écrans tombe à pic après un an de pandémie mondiale, The Amusement Park acquiert une force symbolique troublante : le Covid a stigmatisé les personnes âgées, en les désignant comme la « cause » du premier confinement et de l’engorgement des hôpitaux. On les a enfermées dans les Ehpad avec interdiction de recevoir des visites, au risque de les laisser mourir seules. Dans ce contexte terrifiant mais bien réel, le film de Romero (re)devient un pamphlet politique brûlant. Anne Dessuant, 2021.
LES LÈVRES ROUGES
de Harry Kümel, 1971, France-Belgique, 1h36, Couleurs
avec Delphine Seyrig, Danielle Ouimet…
RÉSUMÉ : Valérie et Stefan, immobilisés à Ostende, séjournent dans un vaste hôtel désert en cette morte- saison. Le couple fait alors la connaissance de l'inquiétante comtesse Bathory et de sa protégée Ilona, ténébreuses créatures de la nuit. Elles envoûtent d’abord le jeune homme, fasciné par des meurtres mystérieux perpétrés dans la région, puis Valérie, intriguée par l’étrange relation qui unit les deux femmes...
POINT DE VUE : Vampirisme et glamour extrême : après la réhabilitation récente des Prédateurs (Tony Scott, 1983), un autre fabuleux représentant du même sang, encore plus ancien, Les Lèvres rouges (1971), ressurgit des ténèbres. Et c’est un éblouissement. À Ostende, dans un palace de bord de mer déserté pour cause de morte-saison, apparaît la somptueuse comtesse Bathory, héritière déclarée d’une célèbre aristocrate hongroise dont la légende dit qu’elle égorgea des dizaines de jeunes filles pour son usage cosmétique. À moins que la descendante en villégiature ne soit l’aïeule elle-même, traversant les siècles grâce à l’hémoglobine de ses proies. Or, les seuls autres clients de l’hôtel sont un couple de jeunes mariés frais et désirables...
Delphine Seyrig, la Garbo française, eut l’instinct d’accepter immédiatement la proposition d’un réalisateur belge inconnu, Harry Kümel (aujourd’hui octogénaire). Et le film devint l’un des plus beaux écrins dont une actrice d’une telle aura puisse rêver : immoral, insolite dans son écriture et sa mise en scène, enveloppant la diva de lumières irréelles et de tenues improbables et sublimes, lui autorisant un phrasé plus impérial que jamais. Du haut de ces cimes esthétiques, la comtesse peut bien relativiser l’effet qu’elle produit : « Je ne suis qu’un personnage démodé, anachronique, rien de plus. Vous savez, la belle étrangère un peu lasse, qui traîne son spleen d’une ville à une autre... » Impossible, en fait, de résister à son magnétisme dangereux et à l’engrenage sanglant qu’elle provoque, enterrements nocturnes dans les dunes compris. Nappée de compositions de François de Roubaix, à la fois inquiétantes et distanciées, une série B élevée au rang de chef-d’œuvre. Louis Guichard, 2020.
LA COLLINE A DES YEUX
The Hills have eyes
de Wes Craven, 1977, US, 1h30, Couleurs
avec Robert Houston, Susan Lanier…
RÉSUMÉ : Bobby Carter et toute sa famille sont en partance pour la Californie. Ils se retrouvent immobilisés dans le Nevada, dans une zone réservée à des exercices de tirs militaires. Le vieux gérant d'une station-service les accueille mais révèle à Bobby un terrible secret. Il affirme avoir engendré un véritable monstre, qui se fait appeler Jupiter. C'est alors que le colosse surgit et tue son père. Il capture ensuite Bobby et le brûle avec l'aide de ses deux rejetons aussi repoussants que lui. Pour le reste de la famille, l'angoisse est de plus en plus difficile à supporter. L'absence de Bobby inquiète chaque membre. Brusquement, l'horreur est au rendez- vous...
POINT DE VUE : Ce sont les avatars de la « nouvelle cinéphilie » : jadis objet underground, adulé par une poignée de fans, le deuxième film de Wes Craven (le créateur de Scream) bénéficie d’une vraie aura auprès de nombreux cinéphiles.
Dans cette série B de 1977, une famille de cannibales terrorise soigneusement les occupants d’un camping-car tombé en panne en plein désert. Et Wes Craven sait déjà, mieux que personne, comment faire surgir l’horreur d’un quotidien prosaïque. Suspense insoutenable : Michael Berryman, le grand chauve inquiétant, mangera-t-il ou non le bébé ? Aurélien Ferenczi, 2018.
Les deux premiers films de Wes Craven ont posé dans les années 70 les bases d’une horreur hyperréaliste, plus proche du cinéma d’exploitation gore et pornographique que du fantastique traditionnel héritier de la peinture ou de la littérature. Malgré des dérapages – contrôlés – dans le Grand-Guignol, des emprunts au conte ou à la chanson de geste et l’intrusion parcimonieuse du suspens, La Dernière Maison sur la gauche (Last House on the Left, 1972) et La Colline a des yeux (The Hills Have Eyes, 1977) adoptent une forme pseudo documentaire afin de rendre plus éprouvants encore les chocs subis par les personnages, et les spectateurs.
Deuxième « shocker » de Wes Craven après La Dernière Maison sur la gauche, La Colline a des yeux est un nouveau récit d’horreur et de violence qui met à mal la famille américaine. Des vacanciers perdus en plein désert sont attaqués par une horde de cannibales dégénérés. Comme dans La Dernière Maison sur la gauche, ce sont deux familles qui s’affrontent : une famille traditionnelle américaine, fidèle aux valeurs du pays, et une famille dysfonctionnelle de monstres humains. Malgré l’amateurisme du tournage, le film réserve de bons moments d’hystérie et Craven démontre avec ce petit classique de l’horreur moderne que sous le vernis de la civilisation, la barbarie ne tarde pas à ressurgir en chacun de nous lorsqu’il s’agit de défendre sa propriété ou ses enfants. Une fois encore, le cinéaste se plaît à révéler la barbarie tribale enfouie sous le vernis de la civilisation, le retour de réflexes pulsionnels d’agression ou de survie, assène aux spectateurs des images insoutenables, dérangeantes. La colline a des yeux, proche par certains aspects de Massacre à la tronçonneuse, nous rappelle aussi que dans le cinéma américain des années 70, loin de Hollywood, les notions d’indépendance artistique, de provocation visuelle et de subversion politique n’étaient pas encore galvaudées. Olivier Père, Arte.
LE CARNAVAL DES ÂMES
Carnival of Souls
d’Harold « Herk » Harvey, 1962, US, 1h18, Noir et Blanc
avec Candace Hilligos, Herk Harvey…
RÉSUMÉ : Des jeunes gens totalement insouciants font la course en voiture. Après avoir bifurqué sur une petite route très peu fréquentée, le véhicule des filles quitte soudainement la chaussée et plonge dans une rivière. Seule la jeune Mary Henry en réchappe, mais elle en ressort profondément traumatisée. Plus tard, alors qu'elle se remet péniblement, Mary part pour l'Ouest des Etats-Unis. Elle doit en effet jouer de l'orgue dans une église de l'Utah. Mais une fois sur place, la jeune fille aperçoit vaguement une forme humaine au visage blême. Cette vision succincte la remplit de terreur. Bientôt, elle se sent irrésistiblement attirée au sein d'un parc d'attractions désaffecté...
POINT DE VUE : Mary Henry perd le contrôle de sa voiture, qui bascule dans une rivière. On la croit perdue, ainsi que les amies qui l'accompagnaient, mais elle réapparaît, indemne...
Il y a aujourd'hui tant de films cultes que l'expression est largement dévaluée. Mais, auprès des amateurs de cinéma fantastique, elle garde un sens pour le légendaire Carnival of souls. Le film a été tourné en trois semaines, avec très peu d'argent : équipe réduite, figurants recrutés avant chaque prise, décors naturels — notamment le pavillon Saltair, un parc d'attractions désaffecté à la sortie de Salt Lake City. Herk Harvey ne vise pas l'effet pour l'effet : on voit en définitive peu de chose, et le film évoque moins les séries B grand-guignolesques de l'époque que certains épisodes de La Quatrième Dimension, où le surnaturel s'inscrit dans le quotidien le plus banal. Le distributeur de l'époque n'était pas cinéphile : il envoya le film dans les drive-in et sabota sa carrière. Tout comme celle de son metteur en scène. On pense souvent à David Lynch à la vision de ce cauchemar blafard : notamment dans deux belles scènes kafkaïennes où l'héroïne devient proprement transparente pour ceux qui l'entourent... — Aurélien Ferenczi, 2012.
LE FANTÔME DE L’OPÉRA
The Phantom of the Opera
de Rupert Julian, 1925, US, 1h30, Noir et Blanc, Muet
avec Lon Chaney, Mary Philbin…
RÉSUMÉ : Une jeune cantatrice devient la protégée d'un mystérieux bienfaiteur masqué qui hante les catacombes de l'opéra et sème la mort sur son passage.
POINT DE VUE : C'est un des classiques mythiques du cinéma fantastique. Au luxe de la production (décors somptueux : l'Opéra de Paris reconstitué, les rues sombres, et une scène célèbre en Technicolor bichrome, dont l'emploi était exceptionnel) s'ajoute la prestation fascinante de Lon Chaney.
Surnommé « l'homme aux mille visages », expert en difformités physiques (et mentales), il était le roi du film d'angoisse et d'épouvante des années 20. Ici, son visage de squelette concourt au mystère et permet à l'acteur d'atteindre de vrais sommets d'horreur, pure et poétique : il est impossible de l'oublier tendant la main, du fond d'un égout, pour attraper sa victime. Télérama, 2009.
RAGE
Rabid
de David Cronenberg, 1977, Canada, 1h31, Couleurs
avec Marilyn Chambers, Frank Moore…
RÉSUMÉ : Victime d'un grave accident de moto avec son ami Alex, Rose est emmenée d'urgence à la clinique voisine, dont le grand patron, le docteur Dan Keloid, est spécialisé dans la chirurgie esthétique. Le triste état de Rose offre à Keloid l'occasion d'expérimenter un type de greffe tout à fait nouveau. Quand la jeune femme sort du coma, un mois plus tard, elle a pratiquement retrouvé son apparence d'autrefois. Seul détail curieux : son aisselle non cicatrisée présente une plaie étrange, semblable à une bouche. De cet orifice sort un curieux organe rétractile, en forme de lancette...
POINT DE VUE : Laure, une charmante jeune femme, se réveille un jour avec une grande soif de sang, et l’étanche à chaque rencontre. Mais ce fantastique plutôt traditionnel prend ici une dimension vraiment bizarre, comme il se doit chez David Cronenberg. Les crocs de Laure ont, en effet, la forme d’un dard assez phallique, qui jaillit d’un orifice situé dans le pli de son aisselle gauche. Une malignité anatomique d’une extravagance qu’il faut oser...
Rien n’effraie Cronenberg, qui a toujours pris très au sérieux les idées fantasques dont il tisse ses scénarios. Dans Rage, son deuxième film, il aborde de façon très réaliste une histoire qui ne peut, a priori, pas l’être. Les décors ne cèdent en rien aux conventions de l’horreur : une clinique clean, les immeubles et les rues de Montréal. Ce cadre paisible va, peu à peu, se refermer comme un piège sur tous les personnages, sur toute l’humanité, peut-être. De la morsure de son héroïne, le réalisateur tire bien plus qu’un peu d’effroi : c’est le cauchemar de l’épidémie qu’il libère. Avec une bonne dose d’hémoglobine, mais surtout avec un talent visionnaire capable de rendre inquiétante la moindre route du Canada, comme d’anticiper sur l’avenir d’un monde qui n’en aura jamais fini avec la peur de l’Autre contaminant. Frédéric Strauss, 2022.
LE JOUR DES MORTS-VIVANTS
Day of the Dead
de George A. Romero, 1985, US, 1h43, Couleurs
avec Lori Cardille, Terry Alexander…
RÉSUMÉ : Un cataclysme a fait de la Terre un vaste espace désolé. D'un hélicoptère qui se pose parmi les décombres d'une ville anéantie descendent un soldat, Miguel, et une jeune femme, Sarah. Tous les deux sont à la recherche d'autres survivants. Mais, ils ne font que découvrir des hordes de morts-vivants...
POINT DE VUE : Les zombies ont pris le contrôle de la Terre : il n’y a plus que des poches isolées de résistance humaine. Ainsi cette base souterraine, commandée par le belliqueux capitaine Rhodes, et au sein de laquelle un scientifique, Logan, fait des expériences sur les morts- vivants. La tension monte : plusieurs membres de l’équipe pensent qu’il faut cesser le combat et fuir...
Le film clôt une trilogie entamée en 1969 avec La Nuit des morts-vivants, le tout premier film gore, devenu un classique du cinéma indépendant américain, et poursuivie en 1978 par Zombie, produit par Dario Argento et réalisé avec d’assez gros moyens. Le spectacle de l’horreur – corps mutilés ou démembrés, viscères apparents, sang à gogo – reste le même : le film est en couleurs, et les maquillages de Tom Savini font preuve d’un réalisme jusque-là jamais atteint.
Bien sûr, comme souvent dans le cinéma fantastique, les acteurs sont inégaux, et les figures du militaire et du savant frôlent la caricature. Mais le film est passionnant par sa volonté quasi documentaire : pas de flash-back explicatif, on est d’emblée dans un futur dévasté, où l’homme (raisonnable et en bonne santé) n’est plus majoritaire. La mise en scène de Romero rend tangible l’impression d’étouffement, de fatalisme nihiliste, qui saisit ses personnages, vaincus par une force supérieure en nombre. Plus que dans les deux films précédents, s’insinue peu à peu, au-delà du dégoût visuel, une profonde angoisse : celle de la disparition du genre humain... Aurélien Ferenczi, 2022.
Le Jour des morts-vivants (Day of the Dead, 1985) est le troisième volet, après La Nuit des morts-vivants et Zombie, de la saga horrifique et politique de George A. Romero. Les fans des scènes sanglantes qui firent la réputation de ce cinéaste trouvèrent au moment de sa sortie le film trop bavard et sérieux. Ils avaient tort. Le film est admirable, anxiogène et tendu. Il baigne dans une atmosphère étouffante et emprunte personnages et situations au western. Les moments d’horreur supportent la comparaison avec ceux des deux précédents films, grâce aux maquillages gore de Tom Savini. Romero filme une nouvelle fois un groupe assiégé : à la maison de La Nuit... et au centre commercial de Zombie succède un silo à missiles souterrain, propice à une charge contre les représentants de l’armée (des fascistes paranoïaques) et de la science (des savants fous). Le film reprend certains ingrédients de Zombie, en moins spectaculaire et en beaucoup plus sombre. On y retrouve le thème du racisme et c’est une femme courageuse qui représente l’espoir et l’intelligence dans un monde livré au chaos et à la folie. Le scénario et les ambitions initiales de Romero ont pâti de coupes budgétaires, mais le résultat se révèle extrêmement réussi malgré le manque de moyens et un nombre limité de figurants pour représenter les hordes de zombies qui encerclent les protagonistes. Idée géniale, Romero inverse les données de La Nuit... et de Zombie : le futur de l’humanité est désormais dans le camp des zombies, et l’animalité dans celui des derniers vivants. Romero met pour la première fois en scène un zombie doué de raison, Bud, cobaye enchaîné capable d’exprimer des émotions humaines. Cette figure pathétique permet d’envisager une domestication des morts-vivants, faute de pouvoir éradiquer le virus de résurrection. Ce postulat passionnant fait de Day of the Dead, avec La Mouche de David Cronenberg, un des grands films d’horreur moderne, réalisé à une époque – le milieu des années 80 – où le genre était rongé par la parodie. Olivier Père, Arte.
AUX FRONTIÈRES DE L’AUBE
(Near Dark)
USA 1987 de Kathryn Bigelow
Avec : Adrian Pasdar, Jenny Wright, Lance Henriksen, Bill Paxton, Jenette Goldstein, Joshua Miller...
RÉSUMÉ : Une petite localité du Middle West. En allant rejoindre des copains qui l'attendent dans un bar, Caleb rencontre une étrange jeune fille, Mae. Celle-ci veut bien se promener en sa compagnie, mais refuse ses avances. Juste avant l'aube, elle presse Caleb de la ramener. Il veut un baiser en échange. Mae accepte et le mord dans le cou avant de s'enfuir. Brusquement sans force, Caleb titube sur la route lorsqu'il est embarqué dans un étrange véhicule, totalement clos, dans lequel ont pris place Mae et ses mystérieux compagnons. Ne vivant que la nuit, ces vampires se nourrissent de sang frais. Caleb, désormais à leur image, doit apprendre à tuer pour survivre...
POINT DE VUE : Elle est si jolie, si attirante, avec ses cheveux blonds ébouriffés, sa grâce un peu hermétique. Quand il rencontre Mae, au fond de son coin paumé de l’Ouest américain, le jeune Caleb est aussitôt mordu... au sens propre. Avec ce film violemment nocturne, Kathryn Bigelow réussit l’union impie et captivante de deux genres a priori peu compatibles : le western et le film de vampires. Même John Carpenter, qui s’y essaiera bien plus tard (Vampires, en 1998), n’est pas parvenu à mêler ainsi les imageries, le gothique et l’organique, la poussière, le sang et la poudre.
Transformé en créature de la nuit, Caleb se voit ainsi intégré de force à une bande de prédateurs hors la loi, qui rappelle irrésistiblement celle de La Horde sauvage, de Sam Peckinpah, l’un des films préférés de la réalisatrice. Solidaires et mortellement dangereux, ils rôdent dans leurs ténèbres bleutées, aussi loin du vieux mythe de Dracula que des futurs non-morts romantiques façon Twilight. Redoutant le soleil — seule concession aux caractéristiques habituelles de l’espèce —, ces « vampires » (le mot ne sera jamais prononcé) sont le prétexte d’une ode convulsive à la marginalité, à tous ceux qu’attirent le danger et la mort. Du glaçant Lance Henriksen, en chef de bande, à la folie d’un Bill Paxton parfait en tête brûlée surnaturelle, ces personnages incarnent l’une des marottes de la cinéaste, du Patrick Swayze de Point Break aux soldats de Démineurs : une indéfectible fascination pour les drogués de l’extrême. Cécile Mury, 2022.
TRAITEMENT DE CHOC
France 1972 de Alain Jessua
avec Annie Girardot, Alain Delon…
SYNOPSIS
Hélène Masson est proche de la dépression. Sur les conseils d'un ami, elle décide de se rendre dans un centre de soins du littoral atlantique, spécialisé dans les traitements rajeunissants. Là-bas, toute la haute société s'abandonne aux mains du docteur Devilers, un étrange médecin, beau comme un astre, qui semble posséder la recette de la jeunesse éternelle, un traitement efficace par cellules fraîches. L'atmosphère du lieu, d'une fraternité affichée suspecte, éveille les doutes d'Hélène. Elle s'apercoit peu a peu que le personnel de service de l'institut, composé de jeunes Portugais, a un comportement pour le moins bizarre. De plus le Docteur Devillers fait de bien étranges expériences dans son établissement... Dictionnaire des films, Larousse, 1995.
POINT DE VUE
Douze ans après Rocco et ses frères, de Visconti, les retrouvailles de Delon et de Girardot. Chance : le film n'est pas qu'un coup publicitaire, mais un vrai film d'auteur. Au départ, une femme d'affaires surmenée se rend en Bretagne dans une clinique de remise en forme, où règne un séduisant mais inquiétant docteur. Les disparitions répétées des employés éveillent ses soupçons. L'angoisse, d'abord diffuse, éclate dans une scène gore (aujourd'hui anodine, mais qui fit de l'effet à l'époque).
Le film se voulait, surtout, une critique sociale. Contre la caste des individus tout- puissants. Mais aussi des pays industrialisés, qui se nourrissent en vampirisant les plus faibles. Le dernier bon film de Jessua, auteur, à ses débuts, de deux films passionnants : La Vie à l'envers et Jeu de massacre. -- Philippe Piazzo, Télérama.
LES INNOCENTS
(THE INNOCENTS)
GB 1961 de Jack Clayton
avec Deborah Kerr, Martin Stephens…
RÉSUMÉ
L’Angleterre à la fin du XIXe siècle. Elizabeth Giddens, la fille d’un pasteur, est engagée comme institutrice pour assurer l’éducation des neveux de Lord Arthur, Flora (12 ans) et Miles (9 ans), qui vivent en compagnie d’une gouvernante dans un vieux manoir. Elle découvre que la fillette et le petit garçon sont tourmentés - possédés même - par deux fantômes : ceux de miss Jessel, la préceptrice qui, avant elle, avait la charge des deux enfants, et celui de Peter Quint, son amant, un être débauché et malfaisant, tous deux morts peu de temps avant. Elizabeth Giddens tente d’arracher Flora et Miles à ces fantômes maléfiques, mais c’est elle qui, peu à peu, sombre dans la folie.
COMMENTAIRE
Dès les premières images des Innocents (un parc immense et mystérieux peuplé de statues), s’installe un climat pressant qui ne se démentira jamais. Dès lors, l’innocence des charmants Flora et Miles est trop « évidente » pour ne pas dissimuler une réalité différente. Mais quelle est cette réalité? L’intérêt du roman et du film, la fascination qu’ils exercent, tiennent dans cette question, laissée sans réponse. Le doute ne sera jamais levé. Les délicieux enfants illustrent-ils une nouvelle fois la perversité « naturelle » à l’enfance, en contradiction avec les thèses de Rousseau (un thème fréquemment développé par le cinéma fantastique)? Sont-ils « réellement » possédés et conditionnés par miss Jessel et Quint? Ou encore Elizabeth Giddens ne s’identifie-t-elle pas à celle qui l’a précédée au point de redonner vie au passé? S’agit-il de fantasmes ou d’hallucinations, conséquences de sa propre névrose, ou d’une folie qui la gagne peu à peu et dont la progression détermine celle même du récit?
Autant de questions laissées sans réponse dans ce film ambigu et fascinant. Une ambiguïté et une fascination qui tiennent pour une bonne part à la présence « centrale », dans la narration et dans la mise en scène, des deux enfants, monstres déguisés en bambins candides ou innocents possédés par une perversité d’adultes. Jacques Chevallier - 1988
POINT DE VUE
(…) Les Innocents, de Clayton et Capote, très fidèle au récit de James, nous invite à une promenade délicieusement angoissante aux frontières du réel et de l’imaginaire, ou plutôt du connu et de l’inconnu. Que sait-on de la mort et de la vie des morts, et pourquoi, dans cet extravagant château de l’Angleterre victorienne, le valet lubrique et la gouvernante, à la damnation de laquelle le valet a beaucoup travaillé, ne continueraient-ils pas de hanter l’esprit et le cœur de deux enfants au point de revivre presque matériellement? Que sait-on des ravages que peut provoquer dans une cervelle d’enfant une imagination pervertie? Dans le paradis qu’est, pour une fillette et un garçonnet, une immense bâtisse à demi habitée, bourrée de souvenirs et d’objets, dans cet univers à peu près contemporain et très semblable à celui des Petites Filles modèles, l’angélique petite miss Flora et le délicieux petit master Miles jouent avec la mort, avec le mal. Jeux interdits. Les rires, les chuchotements, les parties de cache-cache, les innocents manèges conduisent à d’abominables secrets. À moins que tout ne soit le fruit de l’imagination maladive de la deuxième gouvernante… Henry James, Truman Capote et Jack Clayton se gardent bien d’élucider le mystère. Nous hésiterons toujours entre le jeu délirant d’enfants trop abandonnés à eux-mêmes et l’horreur d’un monde inconnu, inconnaissable, où triomphe la mort. (…)
L’innocence perverse des enfants, l’aisance avec laquelle leur « vraie » vie se déroules sur un autre plan - dans « d’autres » pièces, où résonnent « d’autres » voix -, le « charme » dont savent jouer ces monstres candides, tout cela fascine. (…) Objets, bruits, musique habile (peut-être trop?), savants éclairages (peut-être trop?), plongées et contre-plongées déroutantes, attentif examen des visages en gros plan - celui torturé, angoissé, affolé de la deuxième gouvernante, ceux des enfants, adorables, souriants, « purs », mais que dénude soudain, le temps d’un éclair, un regard effrayant : le fantastique naît. Il est là. » (…) Jean-Louis Bory, Des yeux pour voir, UGE 10/18, 1971.
LES RÉVOLTÉS DE L’AN 2000
(QUIEN PUEDE MATAR A UN NINO?)
Espagne 1976 de Narcisco Ibanez Serrador
avec Prunella Ransome, Lewis Fiander
RÉSUMÉ
(Avant le générique, un montage d’actualités montre que les enfants ont toujours été les premières victimes des guerres et catastrophes.)
Deux Anglais, Tom et Evelyn - la jeune femme est enceinte - se rendent en vacances dans une île au large de la côte espagnole. L’île semble déserte, n’était la présence de groupes d’enfants qui épient le couple. Cependant Tom découvre une fillette frappant un vieillard, puis des bambins jouant avec un cadavre, enfin des corps d’adultes mutilés. Il comprend alors que les enfants sont des meurtriers et tente de fuir avec sa femme à bord d’une voiture. Mais les gosses leur barrent la route et Tom se refuse à les écraser. Le couple se réfugie dans une maison où Evelyn est tuée par le fœtus qu’elle porte. Tom fait alors usage d’armes qu’il a trouvées et s’ouvre un passage jusqu’au port, toujours traqué par les enfants. Il y est abattu par la police, arrivée en bateau, qui croit avoir affaire à un fou. Les policiers tombent dans le piège tendu par les enfants et ceux-ci partent pour le continent, décidés à poursuivre leur « jeu ».
COMMENTAIRES
Ce film espagnol, prix de la critique au Festival du film fantastique d’Avoriaz en 1977, est voisin sur le plan thématique du Village des damnés. Comme dans le film de Wolf Rilla, il s’agit d’enfants meurtriers, mystérieusement voués à la destruction du monde des adultes. Dans les deux cas, le fantastique s’inscrit dans un monde réel, sans référence à quelque possession satanique pour « justifier » le comportement des bambins. Cette absurdité est source d’un malaise, d’une angoisse plus inquiétante encore que les quelques scènes d’horreur dont le récit est parsemé.
On a mis en cause le caractère « malsain » des Révoltés de l’an 2000. C’est sans doute que le réalisateur est allé jusqu’au bout de son propos et que rien, à aucun moment, n’est montré ni même suggéré quant à un retour à la normalité et à un « rachat » possible des enfants. Alors que dans une perspective humaniste (Truffaut, Comencini…) l’enfant est témoin et victime de la violence et de la cruauté, ce sont ici sa violence et sa cruauté, élevés en système, qui sont évoquées. Renversement radical qui prend valeur symbolique. De toute évidence, ce conte cruel, qui se limite à quelques données fantastiques, est une fable. Une fable sans « morale », mais qui porte à réflexion. Le « jeu » des enfants - le mot « jeu » est prononcé dans le dernier plan du film - renvoie, dans son absurdité et dans son horreur, aux « jeux » meurtriers des adultes dont les enfants sont les premières victimes. Le titre original (Qui peut tuer un enfant?) traduit bien l’ambition du réalisateur. Tourné avec très peu de moyens mais riche d’images inquiétantes, le film de Narcisco Ibanez Serrador tranche sur les banalités d’usage de beaucoup de films fantastiques. Jacques Chevallier - 1992
Le cinéma fantastique nous a habitués aux figures d'enfants angéliques qui se transforment en monstres sanguinaires. Mais des gamins aussi terrifiants que dans Les Révoltés de l'an 2000, c'est du jamais-vu...
Ce film espagnol de 1976 (dont le titre original, plus inspiré, se traduit par « Qui peut tuer un enfant ? ») surprend à plus d'un titre. Contrairement aux conventions du genre, il ne se déroule pas dans les ombres de la nuit, mais en plein jour, sous la lumière aveuglante des Baléares. Il n'expose pas non plus de manifestations surnaturelles mais, dans un style très réaliste, l'agressivité soudaine de chérubins joueurs qui décident d'exterminer tous les adultes — et la pulsion meurtrière démarre in utero...
Le film traumatise d'autant plus qu'il ne donne pas d'explication à cette violence, à l'exception de la piste métaphorique suggérée par les images d'Auschwitz et du Vietnam au générique : lassés d'être les victimes des guerres provoquées par les adultes, les enfants pourraient bien se retourner contre leurs bourreaux. — Samuel Douhaire, 2013.
Pour les Espagnols, Narciso Ibáñez Serrador demeure avant tout une figure extrêmement populaire de la télévision publique. Entre les années 60 et 2000, il y a réalisé une quantité innombrable de programmes, séries, téléfilms ou émissions. Il était même devenu une présence familière en présentant lui-même, à la manière d’Alfred Hitchcock, une collection de films d’épouvante produite pour le petit écran, « Películas para no dormir ».
Hors des frontières ibériques, Serrador est essentiellement célèbre, auprès des cinéphiles, pour avoir réalisé deux films fantastiques, qui demeurent ses seuls longs métrages de cinéma : La Résidence (1971), un huis-clos gothique et morbide dans un pensionnat de jeunes filles et Les Révoltés de l’an 2000 (¿Quién puede matar a un niño?, 1976). Si La Résidence s’inscrit dans une certaine tradition de l’épouvante européenne, sous l’influence des films de Terence Fisher, Mario Bava ou Riccardo Freda, Les Révoltés de l’an 2000 emprunte un chemin bien plus solitaire, et se révèle une entreprise unique et sans lendemain. Cette étonnante parabole sur la violence du monde moderne permet d’entrevoir la singularité d’un fantastique solaire, et d’une approche typiquement méditerranéenne de la mise en scène de la peur et de l’angoisse. Le long générique introductif se dévoile lentement, entrecoupé d’extraits d’archives et d’actualités qui témoignent des horreurs du XXème siècle, commises par les hommes contre les hommes (camps d’extermination nazis, guerre du Vietnam, génocides et famines en Inde ou en Afrique). L’accent est mis sur la souffrance des enfants, victimes comme les autres de la folie homicide et des crimes de masse. L’effroi que provoquent ces images documentaires ne peut que rendre dérisoire le danger associé aux créatures surnaturelles ou aux psychopathes, personnages récurrents des films d’épouvante. C’est donc le parti-pris de la banalité qu’adopte Serrador. Son film débute dans le cadre touristique d’une station balnéaire en pleine période estivale, puis s’installe sur une île en apparence idyllique. La révolte d’enfants assassins, réunis en une meute silencieuse, apparait comme une allégorie très lisible de la ré-appropriation de la violence par une humanité innocente et régulièrement sacrifiée. Serrador instaure avec talent une atmosphère de plus en plus inquiétante, en filmant des espaces quotidiens désertés, et en adoptant le point de vue d’un couple de vacanciers anglais. La grossesse de la femme amplifie le sentiment de danger, tandis que s’installe progressivement un climat de terreur sans retour. L’influence principale des Révoltés de l’an 2000 demeure La Nuit des morts vivants de George A. Romero, réalisé en 1968 et véritable manifeste, esthétique et politique, de l’horreur moderne. Serrador remplace les zombies anonymes et pathétiques de Romero par des enfants mus par une pulsion destructrice et la haine des adultes. Les personnages de son film sont confrontés à une situation inédite : comment se défendre contre des assaillants qui possèdent les traits angéliques de garçons et filles âgés d’une dizaine d’années ? Ainsi, le cinéaste espagnol transgresse deux tabous : l’enfance criminelle et le meurtre d’un enfant. L’autre particularité du film de Serrador est de se dérouler entièrement sous un soleil de plomb. Les Révoltés de l’an 2000 invente une terreur blanche et plate, sans zone d’ombre ni distorsion visuelle, en totale opposition avec l’héritage expressionniste du cinéma fantastique. L’objectivité des faits mis en scène, leur implacable crudité ne font qu’exacerber le constat d’apocalypse du film, qui ne se contente pas d’accumuler les images choquantes, et réussit à exprimer un scandale ontologique. Olivier Père, 2020.
L’EXORCISTE
(THE EXORCIST)
USA 1973 de William Friedkin
Avec Ellen Buystyn, Max Von Sydow, Linda Blair
RÉSUMÉ
Regan - douze ans -, la fille de l’actrice Chris McNeil, présente des symptômes bizarres et inquiétants de maladie mentale. Sa personnalité se modifie, elle a des crises durant lesquelles elle devient agressive et provocante, proférant des obscénités. Les médecins pensent à une tumeur au cerveau, mais les radios ne révèlent rien. Les psychiatres, eux aussi, sont impuissants.
Cependant, l’état de Regan empire. Elle devient de plus en plus violente. Elle semble possédée. Une statue de la Vierge est profanée dans un collège voisin. Un ami de Chris est trouvé mort au pied de la chambre de la fillette. Chris elle-même manque d’être écrasée par une armoire. Elle pense que Regan est la proie du démon et demande qu’elle soit exorcisée. Deux prêtres - les pères Karras et Merrin - pratiquent l’exorcisme. C’est une lutte sans merci. Merrin succombe d’une crise cardiaque. Karras finit par rejeter le diable du corps de Regan en l’attirant à lui.
Possédé à son tour, il vole à travers une fenêtre avant de s’écraser sur le sol… Rétablie, Regan n’a aucun souvenir de cette terrifiante expérience.
COMMENTAIRE
Une petite fille « possédée » par Satan, les traits déformés, les yeux exorbités, la bouche crachant des obscénités… : ces images choc ont attiré des millions de spectateurs aux États-Unis et un peu partout dans le monde. L’Exorciste a été en effet l’un des plus grands succès commerciaux du cinéma américain des années soixante-dix, succès qui a entraîné une série de films à thème démonologique (L’Exorcite 2 - L’Hérétique de John Boorman, La Malédiction de Richard Donner et ses séquelles, etc.). L’efficacité du récit, de la mise en scène et des effets spéciaux ne suffisent pas à l’expliquer. Des phénomènes de société peuvent être invoqués à juste titre : le retour en force d’un sentiment religieux archaïque, l’essor de l’ésotérisme, l’importance prise par les sectes, l’échec de la science et de la médecine devant des drames individuels et le recours à l’irrationnel pour tenter de les résoudre, etc. Quant aux forces du Mal à l’oeuvre dans L’Exorciste, peut-être ne sont-elle pas sans rapport symbolique avec ces autres forces du Mal - le Vietnam communiste - contre lesquelles l’armée américaine avait été engagée dans une longue et vaine croisade (le cessez-le-feu intervint en 1973)…
Quoi qu’il en soit, par-delà son caractère grand-guignolesque souvent mis en cause, L’Exorciste s’apparente à un conte et relève à sa manière du « merveilleux » : c’est le récit de la lutte entre le Bien et le Mal, ramenés, réduits à leurs symboles : Dieu et le diable. Avec pour héros et pour enjeu un enfant. Tout cela est d’une grande simplicité et William Friedkin n’a pas hésité à frapper fort : le manichéisme est sans faille et l’horreur constamment spectaculaire.
On est loin de la subtilité et de l’ambiguïté de Rosemary’s Baby, le film de Roman Polanski qui, cinq ans avant L’Exorciste, a marqué é le retour du thème satanique au cinéma en l’inscrivant dans des décors et dans des personnages résolument contemporains.
Jacques Chevallier - 1992
LA MALÉDICTION
(THE OMEN)
USA 1976 de Richard Donner
Avec Gregory Peck, Lee Remick, David Warner
RÉSUMÉ
À Rome, Catherine Thorn met au monde un enfant mort-né. Robert, son mari - un diplomate britannique -, accepte la suggestion d’un prêtre : substituer à l’enfant mort un bébé abandonné. Catherine n’en saura rien…
Cinq ans plus tard, à Londres où Robert a été nommé, elle choie ce petit Damien. Mais apparaissent alors les premières manifestations du pouvoir de l’enfant : suicide de sa gouvernante - remplacée par une femme autoritaire -, affolement des animaux du zoo sous son regard… Catherine commence à redouter Damien. Elle est enceinte mais avorte après un accident provoqué par l’enfant. Un prêtre venu à la rescousse est retrouvé mort.
Aidé d’un photographe, Robert part pour Rome. Enquêtant de la clinique à un couvent, du couvent à un cimetière, les deux hommes finissent par comprendre que l’enfant est l’incarnation de Satan. Il doit être sacrifié, rituellement, pour éviter l’Apocalypse. Le photographe est tué… Robert revient à Londres où il apprend la mort « accidentelle » de Catherine. Il veut supprimer l’Antéchrist mais il échoue.
Le dernier plan nous montre Damien souriant, tenant la main du président des États-Unis au seuil de la Maison Blanche.
COMMENTAIRE
Prenant la suite de L’Exorciste, La Malédiction en modifie le thème satanique sur un point essentiel : alors que la fillette du premier des deux films est possédée, c’est le diable lui-même qui s’incarne dans le petit garçon du second afin d’établir son règne sur la monde. De ce fait, le meurtre de l’enfant, nécessairement accompli par le père, devient le seul moyen d’éviter que le Mal ne se répande sur l’humanité. Mais les dernières images du film montrent - humour noir à l’appui - que cette menacé, loin d’être écartée, est plus réelle que jamais !
On peut se contenter de voir dans le film de Richard Donner un « horror film » prenant prétexte d’une référence douteuse à l’Apocalypse pour accumuler « suspense », violences et effets grand-guignolesques. Pourtant, le choix d’un jeune enfant pour incarner le Mal et, de ce fait, l’idée que le Mal ne peut que grandir, conduisent, parmi d’autres données du film, à le considérer comme une fable non dénuée d’implications socio-politiques. Une fable traitant symboliquement de l’angoisse américaine des années soixante-dix et cherchant à l’exorciser en la « dirigeant » vers des forces considérées comme susceptibles de mettre en cause l’ordre social et la démocratie. Ou supposées telles…
Jacques Chevallier - 1992
NOSFERATU LE VAMPIRE
Ce chef-d'œuvre du cinéma muet d'épouvante est la première adaptation fidèle du célèbre roman de Bram Stocker, DRACULA, publié en 1897. La rumeur prétend néanmoins qu'une version hongroise du roman DRACULA fut tournée en 1921 par Karoly Lajthay.
Une adaptation libre du roman DRACULA de Stocker
En portant le DRACULA de Stocker à l'écran, Murnau ne s'est pas vraiment encombré de questions morales. Lorsque la production du film commença en 1921, Dracula n'était pas libre de droits. Contrairement à d'autres réalisateurs qui acquirent les droits d'adaptation cinématographiques auprès de la veuve de Stocker, Murnau commença tout simplement son film sans se soucier des lois régissant les droits d'auteur, qui certes étaient plutôt vagues à l'époque. Le livre fut adapté à l'écran par Henrik Galeen. Galeen avait coécrit avec Paul Wegener la première version de DER GOLEM (1914), et le scénario de WAXWORKS (1924) de Paul Leni. Galeen est resté relativement fidèle au roman et Murnau prit diverses précautions en préparant sa version illicite. Afin d'éviter de payer des royalties aux ayants droit de DRACULA, (la veuve de Stocker), Murnau intitula le scénario NOSFERATU. Il changea également les noms des personnages et le décor. L'Allemagne remplaça la Transylvanie et Brême se substitua à Londres. Le comte Dracula devint le comte Orlock ; Jonathan Harker devint Waldemar Hutter, le professeur Van Helsing, le professeur Bulwer, et Renfield fut changé en Knock. Malgré les changements de noms et de lieux géographiques, le sujet est pratiquement identique à celui du roman et, en fin de compte, le scénario de Henrik Galeen est plus fidèle au roman de Stocker que les versions de Universal et Hammer qui ont suivi.
Chef-d'œuvre et film-phare de l'expressionnisme allemand
Quelle singulière époque en Allemagne que ces années qui suivent la première guerre mondiale : l'esprit germanique se remet malaisément de l'écroulement du rêve impérialiste, les plus intransigeants tentent de se ressaisir dans un mouvement de révolte, mais celui-ci est immédiatement étouffé. Cette atmosphère trouble atteint son paroxysme lors de l'inflation qui provoque l'effondrement de toutes les valeurs ; et l'inquiétude innée des Allemands prend des proportions gigantesques.
Mysticisme et magie, forces obscures auxquelles de tout temps les Allemands se sont abandonnés avec complaisance, avaient fleuri devant la mort sur les champs de bataille. Les hécatombes de jeunes gens précocement fauchés semblaient nourrir la nostalgie farouche des survivants. Et les fantômes, qui avaient déjà hanté le romantisme allemand, se ravivaient tels les ombres de l'Hadès quand elles ont bu du sang.
Ainsi se trouve provoquée l'éternelle attirance vers ce qui est obscur et indéterminé, vers cette réflexion spéculative et ruminante appelé «Grübelei» qui aboutit à la doctrine apocalyptique de l'expressionnisme.
La misère, le souci constant du lendemain ont contribué à jeter les artistes allemands à corps perdu dans ce mouvement qui avait tendu, dès 1910, à faire table rase des principes qui étaient jusqu'alors à la base de l'art.
Pour analyser le phénomène de l'expressionnisme dans toute sa complexité, dans toute son ambiguïté, il convient, quelque paradoxal que cela puisse paraître, plutôt que de l'étudier dans le domaine plastique ou graphique, de suivre la trace de ce mouvement dans les déclarations littéraires de l'époque.
Ecoutons, par exemple, le dithyrambe entonné en 1919 par le fervent théoricien de ce style, Kasimir Edschmid, dans son ouvrage « L'expressionnisme dans la littérature et la poésie moderne ». On y décèle, plus tangible que partout ailleurs, la clef de voûte de la conception expressionniste.
L'expressionnisme, déclare Edschmid, réagit contre le «dépècement atomique» de l'impressionnisme qui reflète les chatoyantes équivoques de la nature, sa diversité inquiétante, ses nuances éphémères ; il lutte en même temps contre la décalcomanie bourgeoise du naturalisme et contre le but mesquin que poursuit celui-ci de photographier la nature ou la vie quotidienne. Le monde est là, il serait absurde de le reproduire tel que, purement et simplement.
L'expressionniste ne voit plus, il a des « visions ». Selon Edschmid, « la chaîne des faits : usines, maisons, maladies, prostituées, cris, faim », n'existe pas ; seule existe la vision intérieure qu'ils provoquent. Les faits et objets ne sont rien en eux-mêmes : il faut approfondir leur essence, discerner ce qu'il y a au-delà de leur forme accidentelle. C'est la main de l'artiste qui « à travers eux s'empare de ce qui est derrière eux » et permettra la connaissance de leur forme véritable, libérée de l’étouffante contrainte d'une «fausse réalité››. L'artiste expressionniste, non pas réceptif, mais véritablement créateur, cherche, au lieu d'un effet momentané, la signification éternelle des faits et des objets.
La vie humaine, proclame Edschmid, dépassant l'individu, participe à la vie de l'univers, notre cœur bat du même rythme que le monde, il est lié à tout événement : le cosmos est notre poumon ! L'homme a cessé d'être un individu lié à un devoir, à une morale, à une famille, à une société ; la vie de l'expressionniste échappe à toute logique mesquine et au ressort des causalités. Délivré de tout remords bourgeois, n'admettant que le prodigieux baromètre de sa sensibilité, il s'abandonne à ses impulsions. L'image du monde se reflète en lui dans sa pureté primitive, la réalité est créée par nous, l'image du monde n'existe qu'en nous.
Voilà bien des contrastes et des contradictions. D'une part l'expressionnisme représente un subjectivisme poussé à l'extrême ; et d'autre part, cette affirmation d'un moi totalitaire et absolu, forgeant le monde, voisine avec un dogme qui comporte l'abstraction complète de l'individu. La nature n'est pas seule à être mise à l'index dans ce grand imbroglio : la psychologie, cette servante complaisante du naturalisme, est également condamnée. Que périssent avec elle les lois et conceptions d'une société conformiste et les tragédies que provoquent les piètres ambitions sociales !
L'intellect prime. Edschmid proclame la dictature de l’esprit, lequel à mission de façonner la matière ; il exalte l'attitude de la volonté constructive, une révision totale de l'ensemble du comportement de l'homme. Quand on feuillette la littérature expressionniste allemande, on retrouve toujours le même vocabulaire stéréotypé : ce sont des mots et phrases tels que « tension intérieure », « force d'expansion », « immense accumulation de concentration créatrice » ou « jeu métaphysique des intensités et des énergies » ; on y trouve également, montées en épingle, des expressions comme « dynamisme », « densité » et surtout ce mot « Ballung» notion quasi intraduisible que l'on pourrait rendre par « cristallisation intensive de la forme ».
Il convient encore de dire un mot au sujet de « l'abstraction » si fréquemment évoquée par les théoriciens de l'expressionnisme. Dans sa thèse de doctorat Abstraktion und Einfühlung, Wilhelm Worringer, anticipe bien des préceptes de l'expressionnisme, ce qui prouve à quel point ces axiomes esthétiques sont proches de la «Weltanschauung» allemande (Conception du monde).
L'abstraction, déclare Worringer, naît de la grande inquiétude qu'éprouve l'homme terrorisé par les phénomènes qu'il constate autour de lui et dont il est incapable de déchiffrer les rapports, les mystérieux contrepoints. Cette angoisse primordiale de l'homme en face d’un espace illimité suscite en lui le désir d'arracher les objets du monde extérieur à leur contexte naturel, ou mieux encore de délivrer l'objet de ses liens avec d'autres objets, bref de le rendre «absolu».
Il faut, exige encore Edsclimid, que tout demeure à l'état d'esquisse et vibre de tension immanente, que soient sauvegardées une effervescence et une excitation perpétuelles. Ce paroxysme que les Allemands prennent pour du dynamisme se retrouve dans tous les drames de cette époque que l'on a appelée plus tard la « O Mensch Periode », c'est-à-dire «l'époque ô Homme››. A propos du MENDIANT de Reinhard Sorge, pièce écrite en 1912 et prototype du genre, un critique fait une remarque qui est valable pour toutes les œuvres de ce temps : le monde est devenu si «perméable» qu'à tout moment semblent jaillir à la fois l'esprit, la vision et les fantômes ; sans cesse, des faits extérieurs s'y muent en éléments intérieurs et des incidents psychiques sont extériorisés. N'est-ce pas précisément cette atmosphère que nous retrouvons dans les films classiques du cinéma allemand ?
NOSFERATU, un film d'épouvante intemporel et avant-gardiste
Le titre complet du film de Mumau est NOSFERATU, UNE SYMPHONIE DE L'HORREUR. Et en effet, revoyant ce film aujourd'hui l'on ne peut manquer d'être atteint par ce que Bela Balazs a appelé «les courants d'air glaciaux de l'au-delà››.
Chez Friedrich Wilhelm Murnau le plus grand metteur en scène qu'aient eu les Allemands, la vision cinématographique n'est jamais le résultat du seul effort de stylisation décorative. Il a crée les images les plus bouleversantes, les plus saisissantes de l'écran allemand.
Murnau a eu une formation d'historien de l'art ; tandis que Lang, reprenant parfois des tableaux célèbres, tente de les reproduire fidèlement, Murnau n'en garde que le souvenir, et, par une élaboration intérieure transforme les images en visions personnelles. Si dans son FAUST il montre en raccourci un pestiféré gisant, c'est le reflet transposé du Christ de Mantegna. Et si Gretchen, accroupie dans la neige parmi les ruines d'une chaumière, la tête enveloppée dans son manteau, tient son enfant dans les bras, ce n'est que la vague réminiscence d'une madone flamande.
Cherchant à se fuir, à sortir de soi, Murnau ne s'est pas exprimé avec cette continuité dans la conception artistique qui facilite tellement l'analyse du style de Lang par exemple. Mais tous ses films portent l’empreinte de sa douloureuse complexité intime, de cette lutte qui se livrait en lui contre un monde auquel il demeurait désespérément étranger.
Contrairement à la plupart des films allemands de cette époque, les paysages, les vues de la petite ville ou du château de NOSFERATU ont été tournés en plein air. Car ce n'est pas seulement parce que les frontières leur étaient fermées ou à cause de la haine qu'ils inspiraient à leurs voisins ou parce qu'ils manquaient de devises que les metteurs en scène allemands, tels Lang ou Lubitsch, faisaient construire, pour tourner en studio ou à la rigueur à quelques mètres de là sur un terrain vague, de vastes forêts et des villes entières. Ils auraient trouvé sans peine des villes gothiques sur les côtes de la Mer Baltique ou des villes baroques dans l'Allemagne du sud ; mais les préceptes expressionnistes les détournaient du réel. Cependant Murnau, tournant NOSFERATU avec un minimum de moyens, savait, lui, discerner dans la nature la possibilité de belles images : il filme la forme fragile d'un nuage blanc flottant sur les dunes où le vent de la Baltique joue avec les rares brins d'herbe, et fixe le filigrane tracé par des branchages sur un ciel printanier envahi de crépuscule. Il nous rend perceptible la fraîcheur d'une prairie où des chevaux galopent avec la légèreté merveilleuse de bêtes délivrées du harnais.
La nature participe au drame : par un montage sensible, l'élan des vagues laisse prévoir l'approche du vampire, l'imminence du destin qui va frapper la ville. Sur tous ces paysages, sombres collines, forêts épaisses, cieux aux nuages déchiquetés qui annoncent la tempête, plane, comme l'indique Balazs, la grande ombre du surnaturel.
Dans un film de Murnau tout plan a sa fonction précise et est entièrement conçu en vue de sa participation à l'action. Si nous n'apercevons qu'un instant le détail en gros plan de voiles gonflées, ce plan est aussi nécessaire à l'action qu'une précédente image : la vue en plongée de flots rapides emportant le radeau chargé de son lugubre fardeau. La grisaille des collines arides autour du château du Vampire rappelle par sa sobriété extrême et quasi-documentaire certains passages des films de Dovjenko.
L'architecture de NOSFERATU, typiquement nordique – façades de briques aux pignons tronqués – s'adapte parfaitement à une action insolite. Murnau n'a pas à fausser, par des éclairages contrastants, la physionomie de la petite ville de la Baltique ; point n'est besoin d'accroître le mystère de ses ruelles et de ses places par un clair-obscur artificiel. La caméra de Fritz Arno Wagner sous la direction de Murnau se charge à elle seule d'évoquer le bizarre par l'emploi d'angles imprévus qui donnent au château du vampire un aspect sinistre quand, dans la cours, Nosferatu prépare un étrange départ. Quoi de plus expressif aussi qu'une longue rue étroite, serrée entre ses façades de briques figées dans une atroce monotonie, vue en plongée d'une fenêtre dont la barre traverse l'image ?
Sur le pavé grossier des croques-morts en haut de forme et redingote étriquée, s'avancent lentement, noirs et rigides, portant par couple le mince cercueil d'un pestiféré. Jamais plus un expressionnisme aussi parfait ne sera atteint, et sa stylisation a été obtenue sans le secours du moindre artifice. Murnau reprendra ce thème dans FAUST, mais ici le pittoresque des hommes en cagoule supprime presque entièrement la plastique pure et dépouillée du fantastique lugubre de sa première composition.
Murnau crée l'atmosphère d'épouvante par les mouvements des acteurs vers la caméra : la forme hideuse du vampire avance, avec une lenteur exaspérante, de la profondeur extrême d'un plan vers un autre où il devient soudain gigantesque. Murnau a saisi toute la puissance visuelle qui émane du montage, et il dirige avec une virtuosité véritablement géniale cette gamme de plans, dosant l'avance du vampire en montrant pendant quelques secondes l'effet que sa vue produit sur le jeune homme terrifié. Au lieu de nous présenter graduellement tout le trajet il rompt l'approche par une porte fermée brusquement afin d’arrêter la terrible apparition ; et la vue de cette porte derrière laquelle nous savons que le péril nous guette nous tient en haleine.
Dans NOSFERATU, cauchemar vivant, les mouvements saccadés du carrosse ensorcelé qui emporte le jeune voyageur au pays des fantômes ou ceux des cercueils entassés avec une rapidité atroce ont été rendu par le procédé du « tour de manivelle ». Les spectres des arbres blancs et dénudés se dressant sur un fond noir comme des carcasses de bêtes antédiluviennes, pendant le trajet précipité vers le château du monstre sont rendus par l'insert de quelques mètres de négatif du film.
Mieux que tant de fanatiques de l'expressionnisme, Murnau utilise la hantise des objets animés : dans la cale hantée, le hamac vide du marin mort continue à se balancer doucement; par un souci extrême de dépouillement Murnau n'indique que le va-et-vient du reflet lumineux de la vacillation soutenue et monotone d'une lampe suspendue dans la cabine déserte du voilier où tous les matelots ont été frappés par la mort.
Extrait : L'écran démoniaque de Lette H. EISNER (Ed. RAMSAY POCHE CINEMA).
En 1838, Hutter est envoyé en Transylvanie chez le comte Orlok pour conclure une affaire immobilière. Il découvre un effrayant vieillard, assoiffé de sang... Murnau a fidèlement adapté le Dracula de Bram Stoker, mais sans en avoir les droits. D’où l’absence du nom du romancier au générique et le changement de nom des personnages.
Ce chef-d’œuvre du cinéma muet est typique du courant expressionniste allemand des années 1920, manifestant un attrait morbide pour le ténébreux. Le film est l’histoire de la métamorphose d’un univers provincial bourgeois déliquescent en un chaos dominé par l’irrationnel. Sa science du cadrage, de l’image stylisée, saccadée, a fait de Murnau l’un des plus grands cinéastes au monde. Voyez comme il suggère la présence du surnaturel dans l’univers animal, végétal, minéral et humain. Quel impact il donne à des chevaux galopant au crépuscule, au vacillement monotone d’une lampe. Ou à la lenteur exaspérante avec laquelle le vampire hideux avance de la profondeur extrême d’un plan. Là encore, Murnau a une idée de génie : il interrompt brutalement le trajet du monstre par une porte qui se ferme et décuple l’angoisse, en forçant le spectateur à imaginer l’invisible. Télérama, 2022.
Il est un chef-d’œuvre qui inaugure les noces de sang du vampirisme et du cinéma. Nosferatu le vampire (Nosferatu, eine Symphonie des Graues, 1922) de Friedrich Wilhelm Murnau est librement et officieusement adapté du roman Dracula de Bram Stoker. Murnau, pour des questions de droits, rebaptise Dracula le comte Orlok, ainsi que tous les personnages du roman. Max Schreck, l’acteur qui interprète Orlok, va entrer dans la légende grâce à ce rôle. La perfection de son maquillage donne l’impression d’être en face d’un véritable monstre, tandis que son patronyme, qui signifie « peur » en allemand, encourage la confusion entre l’homme et sa création. Réalisé par l’un des premiers génies de l’art cinématographique, Nosferatu le vampire est un classique essentiel, un film qui fait immédiatement date. C’est aussi un titre matriciel qui va influencer plusieurs générations de cinéastes importants et de nombreux courants de la production européenne ou hollywoodienne, rassemblés autour de la lutte de l’ombre contre la lumière, la fascination de la nuit et de la mort. Nosferatu le vampire contient le carton le plus célèbre de l’histoire du cinéma : « Et quand il eut passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre. » Cette phrase a donné lieu à une multitude de commentaires. Elle souligne le passage d’un monde à un autre, mais aussi d’un état à un autre, de la conscience vers le rêve. Elle devient ainsi une parabole du pouvoir du cinéma sur le spectateur. Olivier Père, 2019.
Critiques : « Poème d’amour métaphysique » selon Jacques Lourcelles, Nosferatu est le premier grand jalon dans la filmographie de Murnau, considéré, avec Fritz Lang, comme le maître de l’expressionnisme allemand. Une allégorie superbe sur l’existence et le devenir de l’homme traverse tout le film, la mort se nourrissant de la mort et le sacrifice d’une jeune femme s’avérant indispensable au décès de l’être vampirique, dont la disparition préserve l’équilibre du monde. Si le jeu de Max Shreck et la théâtralité de ses apparitions confortent l’expressionnisme, Murnau dépasse les conventions de studio pour de saisissantes échappées dans la nature (les séquences sur le bateau), qui offrent au récit une respiration et une dimension romantique inattendue, qui culmineront avec L’aurore, son chef-d’œuvre américain. (Re)découvrir Nosferatu, c’est également mesurer les non-dits et sous-entendus sexuels, la morsure du comte tenant lieu de métaphore de baiser entre deux hommes, à une époque où le cinéma n’abordait cette thématique que par des symboles et des allusions indirectes. Nosferatu n’en apparaît que plus ténébreux, le meurtrier personnifiant aussi le trouble du désir sexuel refoulé. Cette dimension du film de vampires sera explicitement mise en évidence par Neil Jordan dans le sulfureux Entretien avec un vampire (1994). Gérard Crespo, 2020.
Wisborg, 1838. Hutter est envoyé en Transylvanie chez le comte Orlock pour conclure une affaire immobilière. Il découvre un effrayant vieillard, assoiffé de sang... Murnau a fidèlement adapté le Dracula de Bram Stoker, mais sans en avoir les droits. D’où l’absence du nom du romancier au générique et le changement de nom des personnages.
Ce chef-d’œuvre du cinéma muet est typique du courant expressionniste allemand des années 1920, en manifestant un attrait morbide pour le ténébreux. Le film est l’histoire de la métamorphose d’un univers provincial bourgeois déliquescent en un chaos dominé par l’irrationnel. Sa science du cadrage, de l’image stylisée, saccadée, a fait de Murnau l’un des plus grands cinéastes au monde. Voyez comme il suggère la présence du surnaturel dans l’univers animal, végétal, minéral et humain. Quel impact il donne à des chevaux galopant au crépuscule, au vacillement monotone d’une lampe. Ou à la lenteur exaspérante avec laquelle le vampire hideux avance de la profondeur extrême d’un plan. Là encore, Murnau a une idée de génie : il interrompt brutalement le trajet du monstre par une porte qui se ferme et décuple l’angoisse, en forçant le spectateur à imaginer l’invisible. – Nagel Miller, 2021.
LE MASQUE DU DÉMON
de Mario BAVA
Aimez-vous avoir peur, très peur ? Oui. Alors, Le Masque de démon vous comblera. Mais si vous n’aimez pas voir les morts sortir de terre et les vamps devenir vampires, éloignez-vous de ce château maudit où les morts tuent, où les vivants tremblent.
Les fanatiques de l’épouvante se déclarent comblés par ce film et les vrais mordu voient deux séances afin de trouver dans un plaisir attendu une joie totale. - W. G.
UNE PETITE PERFORMANCE
Les films de ce genre sont bien passés de mode. cependant, il existe ça et là des metteurs en scène consciencieux qui, sans vouloir renouveler le genre périmé, s’attachent à le servir avec honnêteté.
Dans ces limites précises, et seulement pour ceux que ces films passionnent (ils sont plus nombreux que ceux qui l’avouent), Le Masque du démon, de Mario Bava ne manque pas de séduction. Pour une fois, un cinéaste italien dépasse, sur leur propre terrain, les réalisateurs allemands de naguère et les spécialistes britanniques d’aujourd’hui.
C’est un curieux cocktail qui mélange les films sur les vampires et ceux consacrés aux sorciers, adaptant vaguement une nouvelle de Nicolas Gogol. Le Masque du démon était un objet muni de pointes à l’intérieur, que l’on clouait sur le visage des personnes soupçonnées de pratiquer la sorcellerie au temps de l’Inquisition. Mais les sorciers de la légende étaient immortels quand les flammes des bûchers refusaient de les dévorer. C’est sur ce thème que brode sans trop de maladresse le cinéaste italien. Il utilise malheureusement quelques poncifs usés par Hollywood, ce qui gâche un peu son propos.
Mais si l’on veut bien n’accorder à ces œuvrettes que la place qui leur revient dans la production cinématographique, elles en valent bien d’autres que l’on accepte pourtant avec un certain plaisir. S. L.
C'est le premier film de Mario Bava, chef opérateur de profession. Aussi ne faut-il pas s’étonner de la beauté photographique de son film. Il sait rendre l’atmosphère angoissante propre au film d’horreur. LE MASQUE DU DÉMON est une nouvelle variation sur le vampirisme, adaptée d’une nouvelle de Gogol. Mais c’est le premier film qui ne soit pas indigne des deux illustres modèles : NOSFERATU de Murnau et VAMPYR de Dryer. Il renouvelle les procédés chers à ce genre de film. On y trouve même une idée originale et belle : le vampire qui revient peu à peu à la vie et dont on voit l’oeil se reconstituer. D’excellents mouvements d’appareil et un sens du paysage intelligent, une interprétation stylisée et jamais outrancière fait que l’on « marche » à ce film fantastique, le meilleur que l’on ait vu depuis longtemps. ARTS. 15 mars 1961
1h25 sorti le 29 mars 1961
à vomir
Une sorcière, mal achevée par ses bourreaux, hiberne pendant deux siècles dans un caveau humide. À l’aide de son complice de débauche, elle exercera sa vengeance sur les descendants de sa propre famille.
Il s’agit, une fois encore, de l’exploitation complaisante de la vieille mythologie des sorcières et des vampires. Aucun poncif n’est oublié : château lugubre, landes recouvertes de brume, arbres tordus, éclairs et tonnerre, chauves-souris et crapauds, oubliettes et têtes de mort, ombres inquiétantes et poignées de portes télé-commandées.
À ces effets pénibles et faciles, s’ajoutent d’horribles et spectaculaires scènes de putréfaction. Ce n’est pas seulement un film hideux et insalubre, c’est une entreprise honteuse et révoltante. G. S. Télérama 16 avril 1961
Synopsis
Au XVIIe siècle, la sorcière Asa Vajda et son amant, Igor Yavoutich, sont exécutés par l'Inquisition. On leur applique sur le visage le «masque du démon», un masque en bronze hérissé de pointes à l'intérieur. Igor est inhumé dans le cimetière des suppliciés, Asa dans la crypte de ses ancêtres. Deux cents ans plus tard, les docteurs Kruvajan et Gorobek, de passage dans la région, réveillent par hasard le terrible sortilège qui tenait les deux monstres endormis. Tandis que les deux savants font halte dans une auberge voisine, des signes annonciateurs se multiplient dans le château des Vajda, descendants tourmentés d'Asa...
Au XIXème siècle, la sorcière Asa hante le village où elle a été mise à mort des années auparavant. Elle s'en prend à sa descendante Katia qui lui ressemble trait pour trait.
Après les succès des films Hammer à la fin des années 50, le genre horreur renaît dans une floraison, floraison particulièrement exceptionnelle en 1960. Ainsi se succèdent LE VOYEUR et PSYCHOSE qui lancent une nouvelle forme de films de serial killer, LA CHUTE DE LA MAISON USHER où renaît le cinéma gothique américain et LE MASQUE DU DÉMON de Mario Bava dont le succès initie une vingtaine d'années de cinéma d'épouvante italien à venir. Le genre horreur prend alors un élan mondial considérable. Il restera un genre vivace pour les vingt cinq années à venir, avant de connaître un reflux – temporaire – à la fin des années quatre-vingts.
LE MASQUE DU DÉMON est le premier film entièrement réalisé par Mario Bava, grand pionnier du cinéma italien fantastique. Il commence comme chef-opérateur dans les années 1930 et réalise quelques courts-métrages. Il achève LES VAMPIRES en 1956 après que Riccardo Freda, son réalisateur officiel, quitte le tournage. Il s'agit d'une des toutes premières tentatives italiennes de l'après-guerre en matière d'épouvante. Mais elle n'intéresse pas encore le public. Puis, Bava travaille, comme directeur de la photographie, pour LES TRAVAUX D’HERCULE de Pietro Francisci en 1957, énorme succès à la base d'une grande vague de péplums mythologiques en Italie. Il s'agit de rien de moins que du début de l'âge d'or du cinéma fantastique « bis » italien qui va durer jusqu'au début des années 1980.
Les compères se retrouvent sur HERCULE ET LA REINE DE LYDIE en 1959. La même année, Bava finit en vitesse un autre péplum, LA BATAILLE DE MARATHON, que Jacques Tourneur, réalisateur initial, n'a pu achever dans les délais impartis. En récompense de son efficacité, c'est donc en 1960 que Mario Bava dirige enfin son premier long-métrage : LE MASQUE DU DÉMON.
Avec ce projet, Bava compte sans doute exploiter le succès mondial des films d'horreur gothique Hammer. Mais le geste reste courageux dans une industrie du cinéma italien jusqu'alors rétive à ce style de film. Inspiré par une œuvre de l'écrivain russe Nikolaï Gogol, LE MASQUE DU DÉMON mélange habilement sorcières, vampires et revenants pour un récit fantastique riche et réussi.
Il bénéficie de la présence de Barbara Steele, actrice d'origine anglaise alors peu connue. Bava exploite merveilleusement son visage étrange et spectral, tandis que ses talents d'actrice lui permettent de convaincre dans les deux rôles antagonistes de Katia, douce jeune fille mélancolique, et de son ancêtre, la malfaisante Asa. LE MASQUE DU DÉMON fait d'elle une vedette du cinéma d'épouvante. Nous la reverrons dans les cinémas fantastiques américain (LA CHAMBRE DES TORTUES de Roger Corman), italien (LES AMANTS D’OUTRE-TOMBE), canadien (FRISSONS)... Barbara Steele va aussi apparaître dans des métrages hors de ce genre, comme 8 1/2 de Federico Fellini. Mais l'insolite domine toute de même sa carrière, laquelle ralentit dans les années 70. Barbara reste une figure mémorable pour les amoureux du cinéma et Ryan Gosling la fait apparaître dans le premier long métrage qu'il réalise, LOST RIVER en 2015 !
Dans LE MASQUE DU DÉMON, Bava porte un nouveau regard sur le cinéma d'horreur de la fin des années 1950. Il travaille une atmosphère gothique terrifiante avec des éléments incontournables. Cimetière désolé, taverne enfumée, paysans superstitieux, lande brumeuse, ruines inquiétantes, crypte malsaine, château à l'abandon... répondent à l'appel. Peut-être pour des raisons économiques, Bava ne recourt pas à la palette de couleurs fantastiques qu'affectionnent les productions Hammer.
Mais son talent hors du commun de directeur de la photographie lui permet de transcender cette limitation en proposant une des plus belles et des plus subtiles compositions de noir et de blanc jamais vues sur un écran de cinéma. Il renouvelle totalement l'emploi de ces tons argentiques dans le cinéma fantastique. L'étrangeté de l'ambiance est aussi rendue par le soin porté aux décors. Châteaux, cryptes et passages secrets se couvrent d'ornements inquiétants, de gargouilles étranges et de voussures complexes. Cet ensemble est mis en valeur par des éclairages raffinés et des mouvements de caméra sinueux et savants.
Bava ne se repose pas uniquement sur une atmosphère magistralement rendue : il propose aussi un récit énergique, fécond en rebondissements horrifiques, qui n'ennuie jamais le spectateur. Il égrène des scènes d'épouvante violentes et réussies : clous enfoncés dans les yeux, tête brûlée dans un feu de bois, morte-vivante se promenant les viscères à l'air... Bava accompagne la surenchère dans la violence explicite amorcée par la Hammer.
Il apporte un goût nouveau pour la violence esthétisée et un raffinement dans la cruauté appelés à devenir sa marque de fabrique. En ce sens, son influence sera énorme sur des gens comme Dario Argento (SUSPIRIA, autre grand film de sorcières) ou Lucio Fulci (L’AU-DELÀ et ses zombies poétiques).
Nous assistons ici à un prologue impressionnant. Des inquisiteurs impitoyables mettent à mort la sorcière et son amant au moyen d'un masque hideux. Son intérieur orné de pointes acérées s'enfonce sur les visages des condamnés. Ce goût des armes étranges et des mises à morts spectaculaires reviendra souvent dans l’œuvre de Bava, de SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN à LA BAIE SANGLANTE.
D'autres éléments typiques du cinéma de Mario Bava sont déjà présents. A travers les rapports entre la jeune Katia et Asa, son ancêtre lui ressemblant étrangement, nous trouvons son intérêt pour les constructions dramatiques ambigües, élaborées à partir de personnages complexes. Ainsi, le spectateur ayant assisté à la mort d'Asa dans le prologue, il prend Katia pour son fantôme lorsque celle-ci apparaît pour la première fois parmi les ruines d'une vieille église. Ce jeu du double revient lorsque Katia contemple, fascinée, le portrait de son ancêtre malfaisante habillée en princesse, et lorsque nous découvrons, dans un passage secret, un autre portrait d'Asa, cette fois nue en sorcière.
L'affrontement final dans la crypte repose encore sur l'antagonisme entre ces deux femmes aux personnalités radicalement opposées, mais partageant le même visage (et donc la même identité visuelle). Dans ce jeu de figures multiples et trompeuses, les masques terribles des morts, les portraits immobiles, les armures disposées dans le château et les sculptures aux regards fixes sont autant de présences menaçantes et de signaux troublants épaississant l'ambiance mystérieuse de ce drame. Le pessimisme de Bava apparaît, son goût de la tragédie aussi, particulièrement à travers la mélancolique Katia, oppressée par une malédiction familiale, terrorisée par les décès sauvages qui s'accumulent autour d'elle et persécutée par une morte décidée à lui prendre sa place parmi les vivants.
Véritable acte fondateur de l'épouvante italienne, LE MASQUE DU DÉMON frappe par son atmosphère poétique et ses images magnifiques. Joyau noir du fantastique, il met en place de nombreux éléments du cinéma de Mario Bava, particulièrement sa cruauté très personnelle, son sens de l'atmosphère imparable et son intérêt pour les identités complexes et ambigües qui entraînent les personnages aux portes de la folie et de la mort, comme dans LISA ET LE DIABLE plus tard.
LE MASQUE DU DÉMON connaît un gros succès international et il lance une mode du cinéma d'épouvante gothique en Italie, aboutissant à d'autres classiques comme L’EFFROYABLE SECRET DU DR HITCHCOCK de Riccardo Freda ou DANSE MACABRE d’Antonio Margheriti. Chose alors exceptionnelle pour un film fantastique, il obtint dès sa sortie un excellent accueil critique en France, notamment dans la presse "sérieuse" (Positif en fait sa couverture). Le regard sur le cinéma d'horreur commence en effet à changer favorablement. Emmanuel Denis.
Pendant l'inquisition, une sorcière et son amant sont suppliciés. Ultimes sévices, on leur appose au fer rouge la marque de Satan avant de leur planter le masque du démon sur le visage. Deux cents ans plus tard, les habitants de la région craignent toujours le retour de la sorcière…
Pendant de longues années, Mario Bava s'illustrait au sein de la production cinématographie italienne comme chef-opérateur et directeur de la photo. Il travaille ainsi avec de grands noms ainsi que des réalisateurs bien moins prestigieux sur toutes sortes de métrages du drame au film d'aventure en passant par des péplums. Si doué qu'il lui arrive même de fignoler des films pour que le réalisateur en titre en récolte les mérites. Ou même, plus fort, il termine quelques films en raison de problèmes entre la production et le réalisateur en titre. C'est d'ailleurs sûrement pour cette raison que la maison de production Galatea lui donne la possibilité de réaliser un premier film. Il faut dire que Mario Bava venait de sauver les tournages de LA BATAILLE DE MARATHON, où Jacques Tourneur s'était enlisé, ainsi que celui de CALTIKI LE MONSTRE IMMORTEL. Ce qui nous mène à la naissance du MASQUE DU DEMON.
Il est très clair que le film s'engage dans la mouvance lancée par la Hammer quelques années plus tôt. Toutefois, LE MASQUE DU DEMON sera tourné en noir et blanc, ce qui tranche avec le renouveau du cinéma horrifique, à cette époque-là, se faisant avec une explosion de couleurs. Un choix étrange de prime abord mais qui a dû sauver le film tant celui-ci est violent graphiquement. On n'imagine mal à l'époque certaines séquences dont le rouge sang aurait immédiatement posé d'énormes problèmes de distribution. Ce qu'il a de toutes façons connu puisqu'il s'est vu purement interdit de séjour dans certains pays alors que dans d'autres, des coupes furent demandées. Encore aujourd'hui, pas mal de passages du film sont particulièrement horribles ne serait-ce que l'une des premières scènes du film qui vous cloue littéralement sur votre siège à coup de maillet pendant qu'une sorcière, Barbara Steele, embrasse le fameux masque du titre !
Au delà de sa simple violence, dès les premières images, LE MASQUE DU DEMON vous plonge dans une ambiance captivante et morbide à souhait. L'utilisation du noir et blanc y est aussi pour beaucoup. Alors que l'on reconnaîtra plus tard le travail de Mario Bava avec ses couleurs, ici il nous prouve que tout n'est que jeu d'ombre et de nuances. D'ailleurs, un très grand nombre des effets spéciaux ne sont justement que des jeux d'éclairage ou de reflets. Des trucs rudimentaires fonctionnant toujours à merveille, comme la métamorphose de la sorcière ou une apparition extraordinaire de Javutich. Seules les séquences à base d'effets spéciaux ne suffiraient pourtant pas à expliquer le succès du MASQUE DU DEMON. C'est tout le talent d'un réalisateur que l'on retrouve ici dans la façon d'amener les scènes et surtout de les filmer. De bout en bout, la vision du MASQUE DU DEMON est un pur « bonheur » se permettant même, une fois dans l'ambiance, d'être inquiétant !
Mario Bava deviendra rapidement synonyme de "Macabre". De tous ses films, LE MASQUE DU DEMON est très certainement le plus réussi. Dans un grand nombre des films qui suivront, on ne pourra s'empêcher de noter une parenté dans les situations ou évènements avec LE MASQUE DU DEMON. Prouvant, s'il en était besoin, que Mario Bava est un auteur. Un homme qui intégrera sa vision dans presque tous ses films pour obtenir une œuvre homogène à défaut d'être toujours égale en qualité. Ainsi, quel que soit le genre ou presque, il y a un côté morbide, cruel ou macabre qui s'en dégage toujours dans une esthétique quasi irréprochable. Même lorsqu'il épure sa façon de filmer et ses paysages, à la fin de sa carrière, on y retrouve les mêmes obsessions.
LE MASQUE DU DEMON débute et scelle aussi ce qui sera la carrière de Barbara Steele. Devenant avec ce film puis avec LA CHAMBRE DES TORTURES, l'une des grandes égéries du fantastique. Comme d'autres acteurs et actrices, ces deux rôles l'auront tellement marquée qu'il lui sera quasiment impossible de sortir de ce carcan. En quelque sorte prisonnière du MASQUE DU DEMON, elle incarnera presque inlassablement les femmes tourmentées ou manipulatrices, allant souvent jusqu'à interpréter les deux dans un même film.
N'ayons pas peur des mots, LE MASQUE DU DEMON est un chef-d’œuvre indémodable. Film fort au moment de sa sortie celui-ci garde, quarante plus tard, une charge émotionnelle non négligeable ! À la place de se jeter sur le dernier blockbuster bourré de pognon, on ne saurait trop vous conseiller d'acheter en priorité LE MASQUE DU DEMON. Et rêvons un peu, si les ventes sont bonnes, peut-être que le cinéma fantastique, le vrai, sortira de l'ornière éditoriale où il se trouve depuis longtemps en France pour les éditions DVD ! Christophe Lemonnier.
Commentaires
Enregistrer un commentaire