ACTEURS
MICHAEL K. WILLIAMS 1966-2021
Michael Kenneth Williams
Acteur, Danseur, Mannequin
Né en 1966, sa jeunesse à Brooklyn est tourmentée par la délinquance et les rivalités entre gangs. Sa marque de fabrique à l'écran deviendra même la cicatrice qu'une bande de quartier lui fit au rasoir le soir de ses 25 ans.
Après avoir entamé une formation au théâtre "National Black" à New York, il quitte l'école pour travailler un temps dans une entreprise pharmaceutique qu'il quitte à son tour pour se lancer dans la carrière de danseur. C'est l'album "Janet Jackson's Rhythm Nation 1814" de la chanteuse éponyme, sorti en 1989, qui le pousse à se diriger dans cette voie. Alternant les recherches d'emploi dans les studios musicaux et de danse, par intermittence sans-abri, il trouve enfin au bout d'un an une place de danseur dans le spectacle musical de Kym Sims.
Cette première expérience lui permet d'apparaître en tant que danseur dans des clips et lors de tournées de stars comme Madonna et George Michael. A cette époque, il fait également un peu de mannequinat et signe sa première chorégraphie pour le single de Crystal Waters, "100% Pure Love", en 1994. C'est en 1996 qu'il incarne pour la première fois un personnage sur le grand écran, dans "MugShot", de Matt Mahurin où il tient l'une des deux têtes d'affiche. Il est repéré cette même année par l'acteur-rappeur Tupac Shakur qui lui propose le rôle de son petit-frère dans Bullet, de Julien Temple et avec Mickey Rourke.
Ce rôle lui ouvre les portes de l'actorat, il obtient quelques petits rôles dans des téléfilms et des séries telles que Les Soprano ou Deadline. Il finit par se faire une réputation et joue des personnages plus notables, qui le feront apprécier du grand public, dans The Kill Point et surtout dans Sur Ecoute, une des séries préférées du président Barack Obama notamment grâce à l'interprétation de Michael K. Williams. Son personnage, Omar Little, sorte de Robin des Bois des temps modernes (il vole les dealers), est considéré comme culte.
Continuant depuis 2008 à accepter des rôles (très) secondaires dans des long- métrages, il se fait parallèlement de plus en plus connaître du public grâce à ses incarnations dans diverses séries américaines telles que The Philanthropist et surtout Boardwalk Empire où il campe un personnage important, celui d'un redoutable trafiquant d'alcool. Parallèlement, 2014 semble le porter plus en avant dans le domaine cinématographique puisqu'il apparaît dans 12 Years a Slave, de Steve McQueen, RoboCop, le remake de José Padilha, American Nightmare 2 : Anarchy et Kill the Messenger porté par Jeremy Renner. Claire Lefranc.
Ses rôles dans "The Wire", "Boardwalk Empire" et "Lovecraft Country" ont fait de lui un grand monsieur du petit écran américain. Malgré sa grande popularité à la télévision, voici trois informations peu répandues au sujet de l'éternel Omar Little.
L'origine de la cicatrice qui a lancé sa carrière
Le visage de l'acteur était marqué par une imposante cicatrice qui balayait son visage. En 2014, il avait narré à la « National Public Radio » l'épisode de son agression. Il était alors âgé de 25 ans et se trouvait dans un bar du Queens avec ses amis. Ces derniers avaient été pris à partie par un groupe dont l'un des membres s'est attaqué à Michael K. Williams. L'agresseur le blesse avec une lame sortie de sa bouche : "Il avait positionné la lame afin de pouvoir la mettre entre son majeur et l'annulaire, et après il m'a porté un coup en travers du visage", avait raconté l'acteur. Cette violente altercation finit par lancer sa carrière. En effet, il poursuit en déclarant que de nombreux rôles de gangster lui ont été proposé par la suite, dont celui d'Omar Little dans "The Wire". En 2018, Ed Burns, co-créateur de la série désignée comme une des préférées de Barack Obama, avait effectivement avoué : "Nous avons choisi Omar principalement à cause de la cicatrice." À terme, le rôle fera de lui une icône de la télévision.
Tupac lui a permis de décrocher son premier rôle
En 2018, Michael K. Williams avait dévoilé à « People » que Tupac Shakur était à l'origine de sa première apparition au cinéma. Le rappeur était à l'affiche du drame policier "Bullet" de Julien Temple en 1996. En voyant un Polaroïd de Michael K. Williams, le légendaire rappeur avait insisté pour que le jeune acteur joue son petit frère : "Il était là : 'Yo, va trouver ce mec, il a l'air assez voyou pour jouer mon petit frère'", aurait-il déclaré. Après cette première apparition, Michael K.Williams décroche rapidement d'autres contrats.
Ces rôles qu'il aurait dû avoir
La carrière de Michael K. Williams fut riche de ses rôles dans les séries "The Wire", "Boardwalk Empire" et "Lovecraft Country". Au cinéma, il brille aussi notamment dans "12 Years A Slave". Toutefois, l'acteur a aussi accusé quelques rendez-vous manqués et aurait dû jouer dans d'autres projets d'envergure. Il avait par exemple été annoncé au casting de "Django Unchained" de Quentin Tarantino, mais n'a pas pu honorer sa présence à cause du tournage simultané de "Boardwalk Empire". De même, il devait jouer dans "Solo: A Star Wars Story", mais le tournage d'"Opération Brothers" l'en a empêché.
Michael K. Williams devrait encore apparaître dans deux prochains films en production : "Surrounded" avec Jamie Bell et "892" avec John Boyega. Le tout Hollywood pleure actuellement sa mort. Inès Agblo (7 septembre 2021)
Parfois, un acteur disparaît et c’est un personnage qui est pleuré. C’est ce qui vient d’arriver à Michael K. Williams, 54 ans. L’acteur américain a marqué l’histoire du petit écran au début des années 2000 dans la série The Wire, avec le personnage queer d’Omar Little, un braqueur de dealers de Baltimore, aussi craint par les gangsters que dorloté par ses amants. Lundi soir, c’est le visage d’Omar, avec son fusil à canon scié et sa manie de siffloter nonchalamment, qui a inondé les réseaux sociaux, quand l’acteur est décédé, manifestement victime d’une overdose. Parce qu’il ne correspondait pas aux stéréotypes, Omar Little fédérait. C’était le personnage préféré de Barack Obama. Sur Instagram, l’acteur Billy Porter, vu dans « Pose », s’est ému de sa disparition : « M. Williams s’est donné pour mission de représenter la communauté [des hommes noirs, ndlr] dans toute sa diversité. Il s’est dressé contre les stéréotypes hétéronormatifs en donnant sa voix à des histoires queer, des histoires profondes et moches, pleines de tendresse et de grâce. »
Gay ou hétéro, truand ou justicier... la filmographie de Michael K. Williams ne s’arrêtait pas à The Wire, et portait toujours un point de vue noir sur l’histoire. Dans la série Boardwalk Empire, il jouait Chalky White, un distillateur clandestin luttant contre les suprémacistes blancs dans l’Atlantic City du début du XXe siècle. Il a interprété le père de la victime d’une sinistre erreur judiciaire dans la minisérie Dans leur regard (Netflix). Il a reçu le prix du meilleur acteur au Critic’s Choice Movie Award, pour le rôle du père de famille dans la série d’horreur Lovecraft Country, qui suit les tribulations d’une famille noire à travers une Amérique ségréguée.
Des choix et un jeu qui ont bouleversé des deux côtés de l’Atlantique. Le jeune rappeur Hatik, acteur principal de la première saison de la série Validé, a pleuré sur Instagram « l’un des mecs qui a le plus bercé mon adolescence », en partageant une image intitulée « RIP Omar Little alias Michael K Williams » – ce qui amène la fiction au-delà de la réalité. L’actrice Aïssa Maïga regrette, elle, une sensibilité unique : « Michael K. Williams avait dans le regard une poésie rugueuse, nous a-t-elle confié. Je l’ai vu apparaître dans The Wire, comme tout le monde, on pourrait dire. Tout de suite je suis devenue addict au personnage. Tout, chez lui, me bouleversait. Peut-être ce regard qui laissait deviner, derrière ce visage à la cicatrice oblique, une sensibilité hors norme. Peut-être sa voix, aussi, éraillée et enveloppante à la fois, qui laissait deviner une vie blessée et la résilience de l’artiste. Unique et audacieux. Son apparition fut un choc. Il va nous manquer. »
Beaucoup redécouvrent aussi ses interviews vidéo, et notamment celle-ci, très récente, dans laquelle il explique que ses rôles dans The Wire et Lovecraft Country l’ont poussé à se replier dans les addictions, pour faire face à une réelle détresse psychologique. « Quand The Wire se terminait, je n’avais plus de jambes pour me porter. Je devais me concentrer pour faire taire les critiques qui volaient dans ma tête. J’étais passé d’un garçon timide et ringard des quartiers à un type qu’on hélait dans la rue “eh toi je t’aime, je t’adore”, mais ce n’était pas à moi qu’ils s’adressaient, mais à Omar. »
Le réalisateur Spike Lee, en saluant le départ du « soldat de l’art Michael K.
Williams », a tenu a rappeler que beaucoup d’acteurs et d’actrices racisés connaissent trop tôt des fins tragiques. En France, la réalisatrice et autrice engagée Amandine Gay (Ouvrir la voix, Une histoire à soi) a publié dès mardi matin un thread éloquent sur Twitter, pour dire que la santé des acteurs et actrices concernés par une histoire violente, et s’en trouvant interprètes, est encore souvent oubliée : « Je viens de découvrir les interviews où MKW raconte [...] comment Lovecraft County l’a détruit psychologiquement. Il avait pourtant été transparent sur l’impact que The Wire avait eu dans son parcours de toxicomane. Il aurait dû être accompagné et protégé. Aucun rôle, aucun livre, aucun film ne mérite que nous y laissions notre peau. »
L’actrice Nadège Beausson-Diagne dit s’être retrouvée avec « l’impression d’avoir perdu un role-model ». Coautrice de l’essai « Noire n’est pas mon métier » (éd. Seuil), elle salue sa capacité à mettre à nu certains écueils rencontrés par les acteurs et actrices noirs. « Il y a une grande violence dans la représentation de nos identités noires, une grande violence dans le peu de soin accordé à comprendre ce que c’est que d'être là, de jouer ces rôles. Ce qui est douloureux, dans cette disparition, ce sont les failles, les drames, la drogue et l’alcool. Il n’a pas été bien accompagné, lui qui s’était pourtant – et c'est rare – exprimé sur les violences sexuelles subies dans l’enfance... Sa disparition est tragique pour sa famille et ses amis, mais aussi pour l’art. » Anne-Laure Pineau.
La vie très engagée de Michael Kenneth Williams, éternel Omar de “The Wire”
Avant de marquer les esprits sous les traits du héros solitaire de la série culte, l’acteur Michael Kenneth Williams a lutté pour s’extraire d’un destin ténébreux. Rencontre avec ce miraculé passionné par la condition humaine, qui partage sa vie entre les tournages et son engagement militant auprès de la jeunesse défavorisée.
Michael Kenneth Williams aurait pu finir sa vie en prison. Ou mourir jeune. Il aurait pu devenir gangster ou dealer, comme nombre de ses voisins de East Flatbush, le quartier de Brooklyn où il a grandi. Ancien toxicomane, il s’en est sorti grâce à la danse (il a travaillé avec Madonna et George Michael, notamment), puis en devenant comédien. C’est Omar Little, le charismatique braqueur de criminels de la série The Wire, qui a fait sa réputation. Aujourd’hui très impliqué dans l’aide aux jeunes défavorisés, il apparaît dans des fictions souvent engagées ou dans des rôles qui reflètent sa propre trajectoire, de The Night Of à Hap & Leonard, polar « pulp » situé dans les Sud des Etats-Unis des années 1980 et dont la saison 3 débute sur Sundance TV mardi 17 avril. Nous avons pu le rencontrer lors du festival « CanneSeries », qui s’est déroulé du 8 au 11 avril dernier.
Choisissez-vous vos rôles en fonction du message politique qu’ils portent ?
Je suis acteur avant d’être militant. Je n’arrive pas sur un tournage pour défendre des idées, mais pour réfléchir à la condition humaine. Je ne me demande pas quel message véhicule la série, mais qui est ce type qu’on me demande d’incarner: d’où vient-il ? Quels sont ses défauts ? Ce qui m’attire, ce sont les failles. J’aime les personnages brisés. Comme dirait ma maman, “nous avons tous, planté dans notre flanc, une épine qui nous rend humble”. Je cherche cette épine, et tâche de faire en sorte que ceux qui partagent cette fêlure trouvent dans mon personnage un peu de réconfort...
Que vous apportent ces personnages ?
Je cherche inlassablement la compassion des téléspectateurs. Je veux qu’on puisse comprendre tous mes personnages, même les « méchants ». Il y a évidemment un processus d’identification, qui me pousse à jouer des criminels au grand cœur, capables d’une empathie inhabituelle. Ils me permettent en un sens de me réaliser. Chaque rôle m’apprend quelque chose sur moi...
Vous restez, pour beaucoup de sériephiles, « Omar de The Wire ». Comment la série de David Simon a-t-elle influencé votre regard sur le métier ?
Elle m’a beaucoup appris. J’ai débarqué sur le tournage complètement ignorant, incapable de considérer une œuvre dans toute sa complexité. Je me souviens m’en être violemment pris à David après avoir lu les scripts de la saison 2. Il y braquait les projecteurs sur les dockers de Baltimore, des Blancs, alors que la série semblait donner le premier rôle aux Noirs. Je le maudissais, lui reprochant d’avoir oublié les miens, d’être raciste, d’avoir exploité les Noirs pour mieux donner la série aux Blancs ! Il voulait au contraire montrer toutes les facettes du trafic de drogue, qui détruit des quartiers comme le mien. J’ai compris qu’il me fallait être humble, et tenir ma place sur cette tapisserie complexe qu’était The Wire. Ce n’était pas une histoire sur les Noirs, pas plus qu’un récit sur Baltimore. C’était une histoire américaine.
Vous venez de produire un documentaire sur la justice des mineurs aux Etats-Unis, « Raised in the system » ...
Il y a quelques années, j’ai été invité à la Maison Blanche par Barack Obama, pour discuter de la réforme de la justice avec des activistes, des artistes et des hommes politiques. Je suis sorti de cette réunion remonté, avec un besoin de comprendre. Je venais de jouer dans The Night Of (où il incarne un codétenu du héros, emprisonné pour meurtre, ndlr) et de produire une série documentaire sur le marché noir de la drogue et des armes à feu, Black Market. J’avais envie de donner un sens à ma relation avec le système judiciaire. Je n’ai jamais été en prison, mais depuis que j’ai 17 ans, je rends visite à des membres de ma famille qui se trouvent derrière les barreaux. J’ai donc décidé de mener l’enquête sur l’impact du système carcéral sur mes proches, avec l’aide de mon cousin Dominic et de mon neveu Niven, qui ont fait de la prison, et de mon ancienne collègue de The Wire, Felicia Pearson (elle aussi plusieurs fois incarcérée, ndlr). C’est un documentaire très personnel, mais qui concerne des milliers de jeunes Américains...
Barack Obama a déclaré qu’Omar était son personnage de série favori. Comment l’avez-vous vécu ?
J’étais terrifié. Vous vous rendez-compte, j’ai réussi à avoir l’attention du Président des Etats-Unis sans faire de prison ! (Rires) Moi qui croyais que personne ne s’intéressait à moi, que mon travail ne valait pas grand-chose... C’était absurde, presque insensé. Jusqu’à Obama, je ne me préoccupais pas de ce qui était bon ou mauvais pour la société. À l’époque de Bill Clinton, j’avais commencé à me réveiller, mais l’administration Bush m’avait convaincu de faire l’autruche. Avec Obama, je voyais un Noir réussir au sommet de mon pays, mais je n’en percevais que la dimension symbolique. Jusqu’à ce qu’il mentionne The Wire. Alors, j’ai commencé à l’écouter. C’est lui qui m’a appris à m’impliquer dans ma communauté.
Comment avez-vous réagi à l’élection de Donald Trump ?
Je préfère rester calme. Respirer. Et me concentrer sur ceux qui m’entourent, sur ce que je peux faire pour améliorer les choses dans ma communauté. Trump ne peut pas m’en empêcher. En révélant les colères, les frustrations, les a priori de millions d’Américains, son élection nous a aidés à voir ce qu’il faut améliorer. Aujourd’hui plus que jamais, les citoyens doivent se prendre en main pour faire avancer le pays, chacun à son niveau.
La saison 3 de Hap & Leonard se déroule dans un petit village texan raciste, dominé par le Ku Klux Klan...
C’est une comédie dramatique « pulp » située dans les années 1980... et pourtant rien n’a changé. Nous tournons près d’Atlanta, en Georgie. Quand je prends ma voiture pour aller sur le plateau, je passe devant des propriétés où s’affiche fièrement le drapeau confédéré. Nous n’avons pas cherché à réagir à l’élection de Trump, mais ce genre de récit, amusé, a priori léger, peut marquer les esprits. Dans son dernier album, Jay-Z chante « on ne peut pas guérir ce qu’on garde dans l’ombre ». Depuis que Trump est élu, l’Amérique se regarde droit dans les yeux. C’est comme ça que commence la guérison... Pierre Langlais, 2018.
Mort de Michael K. Williams, sublime Omar de “The Wire” et acteur militant
Il restera à jamais Omar Little, gangster culte à belle gueule balafrée. Michael Kenneth Williams, comédien à la jeunesse douloureuse, devenu danseur, mannequin et second rôle marquant du petit écran américain, est mort subitement à 54 ans.
La cicatrice lui barrait le visage, coupant son front en deux pour finir sur sa pommette droite. Un souvenir d’une bagarre qui avait mal tourné, la trace d’un passé violent. Michael Kenneth Williams savait jouer les gangsters, de The Wire (2002-2008) à The Night Of (2016) en passant par Boardwalk Empire (2010-2014). Il a été retrouvé mort lundi 6 septembre dans son appartement new-yorkais, possiblement d’une overdose, selon la police. Il avait 54 ans.
Élevé dans un quartier défavorisé de Brooklyn, toxicomane au début de sa vie d’adulte, il aurait pu lui-même devenir criminel. Il s’est en sorti grâce à la danse. À 23 ans, fasciné par l’album de Janet Jackson Rhythm Nation 1814, il plaque ses études, enchaîne les auditions pour des labels new-yorkais, dort dans la rue une nuit sur deux, et parvient à décrocher une place dans les troupes qui accompagnent Madonna et George Michael en tournée. Son visage marqué et son sourire carnassier lui offrent des petits rôles de truands dans des clips, puis attirent l’œil des photographes, dont David LaChappelle, qui l’immortalise au début des années 1990. Le rappeur Tupac Shakur tombe sur un de ces portraits, et le fait embaucher dans son film Bullet, en 1996. Sa carrière d’acteur est lancée.
Michael K. Williams restera à jamais Omar, personnage atypique du polar politique The Wire de David Simon, braqueur de dealer au « code » inflexible, craint de tous dans les cités de Baltimore, et – petite révolution – gay. « J’ai débarqué sur le tournage complètement ignorant, incapable de considérer une œuvre dans toute sa complexité », nous racontait-il lors d’une rencontre au festival « CanneSéries », en 2018. Il en ressortira acteur culte, célébré par Barack Obama, sa carrière relancée alors qu’il s’apprêtait à changer de voie à la veille du tournage.
Aperçu dans une foule de séries au lendemain de The Wire, d’Alias aux Experts en passant par New York, police judiciaire, il pose à nouveau ses valises en 2010 pour Boardwalk Empire, série sur la prohibition produite et réalisée par Martin Scorsese. Il y incarne Chalky White, puissant gangster d’Atlantic City. En 2016, il joue le codétenu du personnage principal de The Night Of, minisérie dans les entrailles du système judiciaire américain, avant d’incarner l’an dernier un des héros de Lovecraft Country, aventure historico-fantastique dans l’Amérique raciste des années 1950 – un rôle qui lui vaut une nomination aux prochains Emmy Awards, qui auront lieu le 19 septembre.
« Je cherche inlassablement la compassion des téléspectateurs. Je veux qu’on puisse comprendre tous mes personnages, même les “méchants” », nous expliquait-il de sa voix grave, silhouette affûtée, collier de barbe blanche et regard attentif. Le gangster de fiction était devenu grand frère dans la réalité. Il continuait à fréquenter la cité de son enfance, produisait des documentaires, dont il était le narrateur, pour souligner les injustices dont souffrent ceux qui sont nés, comme lui, dans ces zones oubliées de l’Amérique. Il se dégageait de lui une douceur, une fragilité insoupçonnable, qui se transformait en passion quand il parlait de ses engagements. « Je suis acteur avant d’être militant, insistait-il pourtant lors de notre rencontre. Je n’arrive pas sur un tournage pour défendre des idées, mais pour réfléchir à la condition humaine. Je ne me demande pas quel message véhicule la série, mais qui est ce type qu’on me demande d’incarner : d’où vient-il ? Quels sont ses défauts ? Ce qui m’attire, ce sont les failles. J’aime les personnages brisés. » La mort subite de Michael K. Williams le fait entrer, plus que jamais, dans cette catégorie. Pierre Langlais, 2021.
« Après The Wire, il s’est senti perdu »
Après la mort de l’acteur, survenue le 6 septembre 2021, l’écrivain Jon Sternfeld s’est trouvé face à une tâche des plus ardues : terminer seul l’autobiographie qu’ils écrivaient à quatre mains, intitulée « Scenes of My Life ».
La mort brutale de Michael K. Williams, qui a succombé à une overdose, est survenue alors qu’il avait presque terminé de coucher sur papier le récit de sa vie. L’acteur, que l’on connaît surtout pour ses rôles légendaires sur le petit écran, comme Omar Little dans The Wire et Chalky White dans Boardwalk Empire, ne faisait aucun mystère du combat qu’il menait contre ses addictions. Ce souci d’honnêteté a également guidé la rédaction de « Scenes of My Life », son autobiographie posthume. Williams y évoque notamment son enfance difficile dans les logements sociaux, sa carrière de danseur dans le New York des années 1980, et son engagement dans le domaine de la justice des mineurs. Son récit poignant a également une dimension tragique tant il envisage l’avenir avec optimisme : l’acteur raconte comment il a l’impression d’enfin avoir trouvé sa place dans le monde et le sentiment d’utilité qu’il tire de ses multiples engagements citoyens. Nous nous sommes entretenus avec son co-auteur, Jon Sternfeld, qui nous a parlé de ses souvenirs de Michael K. Williams et de la gageure de devoir terminer ce livre sans lui.
Quand Michael est mort, il nous restait environ un mois de travail pour finir le livre. J’ai l’impression que le livre est exactement comme il l’aurait souhaité, car j’avais fini par plutôt bien le connaître. Il voulait que l’on ne se contente pas de parler de ses combats d’activiste, mais qu’on y aborde également sa vulnérabilité. Il voulait montrer qu’on n’était pas obligé de faire semblant d’être quelqu’un de dur pour impressionner.
Michael était très humble. Il ne voulait pas d’un livre qui soit une énumération de tous ses succès pour s’offrir en modèle aux autres. Il voulait s’assurer de parler directement aux lecteurs, en se montrant sous son véritable jour. Son propos, c’était : « J’ai souffert. Je suis accro aux drogues. J’ai eu une enfance difficile. Si vous vivez la même chose, je vous comprends, et on peut tous s’entraider. »
Notre travail se faisait essentiellement par téléphone. Il m'appelait environ une fois par semaine. Au début de nos conversations, il était toujours très enthousiaste. Il me parlait longuement d’un documentaire qu’il avait vu, ou d’un enfant qu’il avait rencontré par le biais de ses activités militantes. Ensuite, il se calmait un peu et on convenait du sujet du jour. C’est ainsi que nous avons procédé pendant deux ans et demi.
Il disait qu’appeler quelqu’un à même de lui accorder une écoute totale et sans jugement avait une dimension thérapeutique. Il me racontait une histoire, je la mettais à l’écrit, puis je la lui envoyais pour qu’il relise. Émotionnellement, c’était une expérience très forte pour lui, car il revivait ces moments de sa vie. Quand il était invité dans des talk-shows, il pouvait raconter la même histoire de façon identique 50 fois de suite, mais quand je l’interrogeais sur ces anecdotes, c’était comme s’il prenait conscience de ses propos : « Je racontais ça comme une blague, mais c’est vraiment une histoire dingue. »
Ce qui m’a beaucoup marqué chez Michael, c’est son hypersensibilité. Dès qu’il parlait avec quelqu’un, cette discussion ne le quittait pas, et il se demandait toujours de quelle façon il pouvait aider son interlocuteur ou faire connaître son combat. Moi je me disais qu’il devait être incroyablement épuisé. À notre époque, qui peut avoir assez de force pour se soucier de toutes les personnes qu’on croise, de toutes les causes à défendre ? Mais en apprenant à le connaître, j’ai découvert que, loin de lui pomper son énergie, c’était précisément ce en quoi consistait sa force. J’admirais sa sensibilité. Il avait une manière toute particulière de ressentir ce que la plupart d’entre nous seraient incapables de supporter.
Michael a beaucoup pleuré tout au long de ce processus de travail. Le plus dur pour lui a été de revenir sur son rapport avec ses parents. Il avait une relation très compliquée à sa mère et l'impression d’être un fils mal aimé. Ces histoires continuaient de le tourmenter, et lorsqu’il les racontait, même à l’âge de 53 ans, il ne pouvait s’empêcher de se sentir triste.
Il avait plus d’égards pour les autres qu’envers lui-même. Il n’était jamais gêné de raconter une histoire honteuse, qui le faisait passer pour un crétin, comme il le disait.
Quand Obama a déclaré que Omar était son personnage préféré, beaucoup de personnes du cercle de Michael lui ont dit : « le futur président parle de toi », et il s’est senti obligé de répondre à l’invitation. Mais ce qu’il explique dans le livre, c’est que non seulement, à l’époque, il n’avait aucun engagement politique mais en plus qu’il était en descente après trois jours consécutifs passés à consommer de la cocaïne, car il se sentait complètement paumé. Le costume d’Omar lui collait tellement à la peau que lorsque son rôle a pris fin, il s’est senti perdu. Ça a relancé sa consommation de drogue et a contribué à son impression d’isolement. Et tout à coup, le futur président se met à parler de lui. C’était une situation un peu délirante. Quand il m’a raconté cette histoire, c’était pour souligner à quel point il avait changé depuis. Mais je ne veux pas que ça fasse de l’ombre au livre.
J’ai été fasciné de l’entendre parler de sa méthode de jeu d’acteur, même si elle n’avait pas que des côtés positifs. Il me racontait sa façon de se glisser dans la peau des différents personnages et comment il en ressortait transformé. Quand il est parti tourner Lovecraft Country, quelques semaines ont passé sans que l’on se parle. J’ai eu le pressentiment que ça cachait quelque chose. Lorsqu’il m’a appelé, il venait de sortir d’une spirale dépressive. Il m’a expliqué comment la série, qui traite du massacre de Tulsa, avait ravivé un traumatisme générationnel. C’était vraiment lourd et il n’arrivait pas à s’en débarrasser, ça le poursuivait. Mais pour lui, il restait évident qu’être acteur, c’était sa lumière, son énergie, son étincelle et qu’il ne s’arrêterait sous aucun prétexte.
Je sais que ça chagrine certains fans, mais le livre ne parle pas du tout de Boardwalk Empire, parce que nous n’étions pas encore arrivés à ce chapitre de sa vie ensemble. Il faut dire que Michael ne voulait pas que le livre parle de tous les rôles qu’il avait incarnés, reste qu’il est mort avant qu’on n'ait pu en discuter.
Une fois, je lui ai dit qu’il faisait partie du panthéon de HBO. J’imagine qu’on avait déjà dû lui dire, mais sa réaction m’a montré que ça ne le touchait pas vraiment. Se repaître de louanges, ce n’était pas son genre. Il voulait toujours aller de l’avant. Son attitude semblait dire : « Ne m’honorez pas maintenant, attendez ma mort. Pour l’instant, je bosse. »
Mais il savait quand même à quel point les gens l’aimaient. Parfois, pendant nos conversations, il était dehors, et j’entendais clairement que quelqu’un était venu l’aborder, et ils se mettaient à discuter. C’était quelqu’un de très occupé mais il restait ouvert aux échanges. Ces interactions, ça lui donnait beaucoup d’énergie.
Le fait même que je parle en son nom, c’est étrange. Je n’ai jamais donné d’interviews parce que normalement, c’est la personne que j’aide à écrire son livre qui répond aux questions. Ce livre, c’était une idée à lui, ça devait lui offrir un support pour aborder tous ces sujets de société qui lui tenaient à cœur, et il n’aura jamais la possibilité de s’acquitter de cette mission. Sa disparition a été une immense perte. Malheureusement, ce n’est pas moi, son co-auteur, qui peut combler ce vide et cela m’attriste.
Je jouais avec mon fils dans le jardin quand j’ai appris que Michael était décédé. C’était le Labor Day, et j’ai reçu un coup de fil du manager de Mike. J’étais sous le choc. La semaine précédente, on s’était parlé deux fois au téléphone. Il m’avait appelé le vendredi précédent parce qu'il avait des souvenirs de ses cours de théâtre. Il était heureux, positif. Il y a eu beaucoup de conjectures sur ce qui s’est produit. Oui, Michael était accro et il était tout à fait honnête à ce sujet. Il n’en reste pas moins que sa mort a été une horrible surprise.
Il avait réussi à se libérer de nombreux fardeaux qui l'empêchaient d’avancer. Il disait : « Maintenant que je sais qui je suis, je dois trouver pourquoi j’existe. » C’était sa motivation. Ça donne l’impression que la vie lui a coupé l’herbe sous le pied.
Ça a été difficile de boucler tout seul, en réécoutant ses appels. J’avais l’impression de dialoguer avec un fantôme. Tous ceux qui lisent le livre aujourd’hui savent d’avance comment ça se termine, et ça rend les choses encore plus difficiles. C’était une personne incroyable. Il me manque.
Il conservait des souvenirs de ce qu’il appelait ses « années perdues ». Il continuait à nourrir des remords de ce temps qu’il avait gâché, ce que j’avais du mal à comprendre. Je lui disais : « Écoute Michael, tu as fait tellement de choses, tu donnes tellement de ton temps et de ton argent à toutes ces causes. » Mais il ne cessait de s’en vouloir pour ce temps perdu.
Dans le livre, Michael emploie beaucoup de formules assez marquantes (« il n’y a pas de lendemain pour moi », ou ce genre de phrases choc) mais je veux que l’on sache que c’était exactement comme cela qu’il s’exprimait. C’était quelqu’un de très sensible à la dimension spirituelle. Je ne sais pas s’il avait retrouvé son envie de vivre, ou s’il pressentait quelque chose, mais beaucoup de déclarations dans le livre montrent qu’il avait conscience de la fragilité de son existence. » Gabriella Paiella, 2022.
MICHAEL K. WILLIAMS S'EST ÉTEINT...
Son interprétation d'Omar, un personnage à part et incontournable de la série culte "The Wire", l'avait rendu célèbre: l'acteur américain Michael K. Williams, plusieurs fois nommé aux Emmy Awards, a été retrouvé mort dans son appartement de Brooklyn, à New York, à l'âge de 54 ans. "C'est avec une profonde tristesse que sa famille annonce le décès de l'acteur Michael Kenneth Williams (...). Elle vous demande de respecter son intimité pendant le deuil lié à cette perte insurmontable", a déclaré la famille de l'acteur, dans un message transmis par son agent.
Durant sa carrière, Michael K. Williams, né à Brooklyn où il a grandi dans une famille afro-américaine, a été nommé plusieurs fois aux Emmy Awards, pour ses apparitions dans "Bessie" (2015), "The Night Of" (2016) ou "When They See Us" (2019). Son rôle dans "Lovecraft Country" lui valait encore une nomination pour la prochaine soirée de récompenses.
Mais c'est en incarnant Omar, l'un des personnages les plus atypiques et réussis de "The Wire", que l'acteur dont le visage était barré d'une longue cicatrice s'est fait largement connaître et apprécier. Dès l'annonce de sa mort, les hommages n'ont pas tardé dans le milieu des séries et du cinéma, mais aussi au-delà. "Horrible, triste et incroyable de penser que nous avons perdu le fantastique et talentueux Michael K. Williams à l'âge de 54 ans", a ainsi tweeté le grand écrivain américain Stephen King.
Pour beaucoup, la série "The Wire" de David Simon, plongée saisissante dans le quotidien des quartiers pauvres de Baltimore, est l'une des plus réussies de l'histoire. Diffusée en cinq saisons sur HBO dans les années 2000, la série suit les rivalités de petits groupes de trafiquants de drogue au pied d'immeubles parfois délabrés et le travail des enquêteurs de la police, mais saison après saison, David Simon s'intéresse avec un sens poussé du détail à la politique locale, aux médias, à l'éducation ou aux affaires d'un syndicat d'ouvriers portuaires.
Dans ce tableau souvent sombre, Omar Little, l'un des criminels les plus violents et redoutés, arpente les rues de Baltimore, enveloppé dans un grand manteau, arme à la main. L’interprétation par Michael K. Williams de ce criminel homosexuel et solitaire, doté de son propre code moral et de ses principes, a été saluée par la critique, tout autant que celle d'Idris Elba, qui incarne un autre trafiquant, Stringer Bell. Dans une interview à la radio américaine NPR, en 2016, il avait raconté comment il luttait lui-même dans sa vraie vie contre son addiction à la drogue pendant qu'il jouait dans "The Wire". Michal K. Williams avait aussi joué le rôle de Chalky White, un contrebandier à l'époque de la prohibition, dans "Boardwalk Empire", ou celui d'un détenu puissant dans la célèbre prison new- yorkaise de Rikers Island, dans "The Night Of".
Au cinéma, il avait notamment eu un rôle dans "Twelve Years as a Slave" de Steve McQueen ou "Gone Baby Gone" de Ben Affleck. L'acteur devait bientôt incarner Doc Broadus, premier entraîneur et mentor de George Foreman dans un biopic sur le grand boxeur américain. (07/09/2021 - AFP)
Près de deux ans après la mort de l’acteur-star de la série « The Wire », l’homme qui lui avait vendu la drogue fatale, contenant du fentanyl, a été condamné à dix ans de prison aux États-Unis.
SWANN ARLAUD
30 novembre 1981
Acteur
Swann Arlaud débute sa carrière très tôt en enchainant les tournages de publicités et en obtenant des petits rôles à la télévision et au cinéma durant les années 1990. Il interprète notamment le jeune Lucien dans La Révolte des enfants. En parallèle, il étudie les Arts Décoratifs de Strasbourg durant quatre ans et en sort diplômé.
C’est dans les années 2000 que son air juvénile lui fait accéder à des rôles d’adolescent un peu fragile et rebelle comme dans Le Temps des porte-plumes où il joue aux côtés d’un autre acteur à l’air enfantin, Lorànt Deutsch. Il fait également une apparition dans Les Aristos, la deuxième réalisation de Charlotte De Turckheim, puis tourne dans plusieurs séries à succès comme P.J., Engrenages et Les Bleus. Entre temps, il réalise deux courts-métrages : “Tolérance Zéro” et “Règlement de compte”.
Le temps passant, Swann Arlaud monte en jouant des petits rôles aux côtés des plus grands : Sandrine Bonnaire, Marina Foïs, Julie Depardieu, Charlotte Rampling, Marion Cotillard, Guillaume Canet et Michel Piccoli pour ne citer qu’eux. En 2010, le comédien intègre le casting de La Rafle qui évoque l’année 1942 en France. Il tient enfin un rôle principal dans Extase avec Astrid Berges-Frisbey comme dans Ne nous soumets pas à la tentation.
Plus tard, il s'adonne aux joies de la pâtisserie avec Pierre Niney et Benoît Poelvoorde dans la comédie Les Emotifs anonymes. Swann joue également auprès de Grégoire Leprince-Ringuet et Pierre Niney (de nouveau) dans L’Autre Monde en compagnie de Louise Bourgoin. Il retrouve d’ailleurs cette dernière dans l’adaptation d’Adèle Blanc-Sec.
Il donne ensuite la réplique à Emmanuelle Seigner et Gérard Depardieu en 2012 dans L’Homme qui rit. C’est seulement un an après qu’il obtient de nouveau un premier rôle en incarnant Martin, un jeune homme qui part à la dérive dans le drame Crawl. La même année, il prête ses traits à un baron du XVIème siècle aux côtés de l’acteur international Mads Mikkelsen dans Michael Kohlhass.
En 2014, Swann Arlaud joue face à Gérard Lanvin, Jean-Pierre Darroussin et Claudia Tagbo dans la comédie Bon rétablissement !. Solide second rôle dans Les Anarchistes, Ni le ciel ni la terre et The End, la carrière du comédien prend un tournant important lorsqu'il décroche le rôle principal de Petit Paysan. Ce brillant mélange entre le thriller et le drame rural obtient trois César en 2018 : meilleur premier film, meilleur acteur et meilleure actrice dans un second rôle (Sara Giraudeau).
Ses rôles gagnent alors en importance, comme en témoignent ses prestations dans la comédie policière Un beau voyou, le thriller Exfiltrés et la comédie Perdrix. Swann Arlaud livre également une prestation bouleversante en victime de pédophilie dans le drame de François Ozon, Grâce à Dieu. AlloCiné.
Diplômé des arts décoratifs de Strasbourg il débute une carrière dans le cinéma au début des années 2000 tantôt anarchiste, tantôt exfiltré, capable de se transformer d’une perdrix à une hirondelle.
"J'ai assisté à un procès aux assises pour préparer le film. Les avocats sont des acteurs, de la même manière que nous les acteurs sommes des avocats, parce que l'on est censé défendre notre personnage."
Dans le film Anatomie d'une chute de Justine Triet, Sandra, Samuel et leur fils malvoyant de 11 ans, Daniel, vivent depuis un an loin de tout, à la montagne. Un jour, Samuel est retrouvé mort au pied de leur maison. Une enquête pour mort suspecte est ouverte. Sandra est bientôt inculpée malgré le doute : suicide ou homicide ? Un an plus tard, Daniel assiste au procès de sa mère, véritable dissection du couple. Swann Arlaud interprète le rôle de l'avocat de l'accusée.
Swann Arlaud a reçu le César du meilleur acteur en 2018 dans le film de Hubert Charuel, Petit Paysan. Dans le film, il interprète le rôle de Pierre, la trentaine, éleveur de vaches laitières. Sa vie s’organise autour de sa ferme, sa sœur vétérinaire et ses parents dont il a repris l’exploitation. Alors que les premiers cas d’une épidémie se déclarent en France, Pierre découvre que l’une de ses bêtes est infectée. Il ne peut se résoudre à perdre ses vaches. Il n’a rien d’autre et ira jusqu’au bout pour les sauver.
Swann Arlaud a reçu le César du meilleur acteur dans un second rôle en 2020 pour avoir interprété Emmanuel Thomassin dans le film Grâce à Dieu de François Ozon. Dans ce film, Alexandre vit à Lyon avec sa femme et ses enfants. Un jour, il découvre par hasard que le prêtre qui a abusé de lui aux scouts officie toujours auprès d’enfants. Il se lance alors dans un combat, très vite rejoint par François et Emmanuel, également victimes du prêtre, pour « libérer leur parole » sur ce qu’ils ont subi. Mais les répercussions et conséquences de ces aveux ne laisseront personne indemne. France Culture.
Il aime à dire qu’il a la tête d’un « vieil enfant », alors qu’on lui trouve celle d’un prince chez Dostoïevski. Enfant de la balle, Swann Arlaud a pourtant pris son temps pour devenir l’un des acteurs les plus fascinants de sa génération, entre fragilité fiévreuse et grâce enfantine qui irradie dans le drame comme dans la fantaisie. Impressionnant second rôle dans Les Anarchistes, d’Élie Wajeman (2015), ou petit soldat perdu, la même année, dans Ni le ciel ni la terre, de Clément Cogitore, il décrochait le César du meilleur acteur, il y a quatre ans, pour sa composition habitée de jeune terrien qui perd pied dans Petit Paysan, d’Hubert Charuel. Chose rare dans l’histoire des trophées du cinéma français, il en recevait un autre, deux ans plus tard, pour Grâce à Dieu, de François Ozon, où, aux côtés de Melvil Poupaud et Denis Ménochet, il incarnait l’ancienne proie d’un prêtre pédophile : un César du second rôle qui aurait pu être celui du premier.
Tenté, aussi, par des films plus légers, où il démontre sa poésie lunaire ou un subtile sex-appeal (Un beau voyou, de Lucas Bernard, Perdrix, d’Erwan Le Duc), Swann Arlaud ne surfe pas sur son nouveau statut d’acteur reconnu en accumulant les projets. Il prend son temps, en fait un allié, en accord avec son beau prénom proustien. Le temps de rêver, de travailler ses personnages en profondeur, et d’être « à la hauteur ». C’est peu dire qu’il l’est dans Vous ne désirez que moi, de Claire Simon, où il sidère en Yann Andréa, le dernier compagnon de Marguerite Duras, se confiant à la journaliste Michèle Manceaux (Emmanuelle Devos). Un quasi- monologue sur l’amour et la mort d’une rare intensité. Swann Arlaud n’a pas fini de surprendre avec ses choix hors des sentiers battus.
En quoi le projet de Claire Simon vous a-t-il séduit ?
Quand elle m’a envoyé le texte, j’ai été captivé. Le désir, la passion, la soumission... C’est rare d’entendre un homme parler de sa fragilité de manière si approfondie. Je ne vis absolument pas ce qu’a vécu Yann Andréa, et pourtant je me suis dit : l’amour, c’est ça. En revanche, je ne me voyais pas le jouer, tant l’idée du biopic m’effraie et parce que je me sens loin de cet homme, d’abord physiquement. Claire Simon m’a expliqué qu’elle ne cherchait pas la ressemblance. Que seul comptait le travail sur le texte. Puis elle m’a raconté qu’elle m’avait vu par hasard, avec mon fils, à l’exposition Boltanski, à Beaubourg. En fauteuil roulant à cause d’une cheville cassée, elle m’avait suivi pendant un quart d’heure, persuadée que le rôle était pour moi !
Vous connaissiez bien l’œuvre de Marguerite Duras ?
J’ai eu ma période Duras, entre 20 et 30 ans, où j’ai été marqué par le rythme, très langoureux, de son écriture. De plus, quand j’étais gamin, j’allais dans sa maison à Neauphle-le-Château avec mon beau-père, Bruno Nuytten, qui a fait l’image de tous ses films. Je me souviens d’elle en train de cuisiner ou de jouer sur son piano qu’elle refusait de faire réaccorder par radinerie. C’était une vieille dame, j’étais un enfant. Dans un sens, cela a dû contribuer à ma réticence du départ : le texte aborde si crûment la sexualité, je ne pouvais pas m’imaginer coucher avec elle. Finalement, j’ai balayé ces réserves : j’allais, avant tout, parler d’amour, et de mort.
Vous avez joué avec une oreillette.
À cause de chamboulements dus au Covid, le tournage a été avancé d’un mois sur l’autre alors que j’avais soixante pages de texte à apprendre. Emmanuelle Devos m’a suggéré l’oreillette. Frédéric Pierrot m’avait fait une véritable publicité pour ce procédé, qu’il avait expérimenté sur la série « En thérapie ». Il m’a conseillé la formidable Laura Thomassaint pour me parler à l’oreille.
Ça a marché ?
Il a fallu beaucoup travailler sur le texte en amont. Comprendre le chemin de la pensée, savoir où les phrases tombent. Yann Andréa s’exprime de manière assez littéraire, cela ne peut pas s’improviser. Claire Simon a prédécoupé la première partie de quarante-cinq minutes d’entretien avec la journaliste Michèle Manceaux en neuf segments de texte. Le premier jour de tournage, on commence avec Laura Thomassaint, qui me souffle le texte de la pièce d’à côté avec un simple retour image sur un petit combo. Elle ne s’arrête pas de lire, je ne m’arrête pas non plus, Emmanuelle Devos, si merveilleuse dans l’écoute, suit, et Claire laisse tourner : on a fait les quarante-cinq minutes d’un coup ! C’est un des plus beaux tournages que j’ai vécus, avec une immense sensation de liberté et l’impression d’avoir un livre dans la tête.
Yann Andréa, le héros de Petit Paysan, le jeune homme victime de pédophilie dans Grâce à Dieu : les cinéastes vous envisagent souvent dans des rôles fiévreux...
C’est de l’ordre de la fragilité. Donc, de l’enfance. À 40 ans, je peux avoir tendance à sautiller comme un gosse quand je suis content ! Cet enfant hyperémotif n’est plus vraiment moi, mais il reste niché quelque part et je m’en occupe, je le console. Je suis son unique parent. J’ai compris, tard, que mes faiblesses faisaient ma force, surtout dans ce métier. C’est comme en amour : un jour, une femme vous fait accepter votre fragilité comme une qualité, alors qu’on croyait qu’il fallait mimer le mec flamboyant. Pour ces rôles, j’ai surtout le sentiment de convoquer une forme de dignité. J’ai joué Emmanuel dans Grâce à Dieu en me répétant « tu es fort », sachant que mon physique dirait le contraire. Nous nous sommes accordés, avec François Ozon, pour qu’Emmanuel fasse de la moto et porte une moustache : des attributs très virils pour masquer l’invisible. Mais l’invisible se voit.
Qu’avez-vous aimé dans la direction de François Ozon ?
Sa bienveillante neutralité. Il ne dit jamais « c’est nul » ou « c’est génial ». Alors on donne tout, en rêvant de décrocher un compliment ! De toute manière, les cinéastes qui en rajoutent dans les compliments vous piègent, car ils vous ramollissent : la certitude d’être bon vous rend mauvais ! Avant tout, François Ozon offre la liberté de se tromper. Pour les crises d’épilepsie par exemple : comment les jouer sans être ridicule, alors qu’une vraie crise, déjà, a l’air fausse ? François m’a proposé de tourner les scènes avec les crises et sans, et de décider ensuite de les garder ou non au montage. J’ai donc pu y aller à fond sans cette crainte de se planter qui est toujours contre-productive.
Dans Perdrix, vous incarniez un drôle de gendarme.
J’ai fait un stage en gendarmerie. Tout le monde me disait que c’était inutile, mais il m’est impossible de jouer ex nihilo un capitaine de gendarmerie. Et je me suis retrouvé paumé le premier jour de tournage, puisque j’arrivais avec du réel dans une comédie complètement farfelue. J’avais adoré le scénario, mais je ne comprenais plus ce que je fichais là. Je suis un acteur premier degré et j’étais fasciné par le reste du casting, si à l’aise dans le burlesque. Quand j’ai vu le film, j’ai compris que le rôle, c’était ça, un homme qui ne sait pas ce qu’il fait là. On se fait souvent embarquer par hasard dans les tourments d’un personnage, surtout lorsque ça nous échappe.
Vous travaillez énormément vos rôles ?
Pour Les Anarchistes, d’Élie Wajeman, j’ai lu Proudhon. Pour Petit Paysan, j’ai passé deux fois deux semaines de préparation à la ferme. C’est la responsabilité de l’acteur d’être crédible. Et, tout bêtement, je crains le ridicule si je ne sais pas traire une vache. Il y a quelque chose de très agréable à intégrer petit à petit les gestes du métier d’un personnage. Il faut qu’ils deviennent mécaniques, car, à l’écran, cela se voit si un acteur réfléchit à sa gestuelle. La caméra est un laser qui révèle vos pensées : dans un gros plan où vous souriez, si vous pensez « va te faire foutre ! » en même temps, elle le capte. Au cinéma, un simple plissement d’œil est un événement.
Vous recevez beaucoup de scénarios ?
Pas mal, c’est un luxe. J’essaye de faire des choix tranchés. Je suis attiré par les films qui sortent des sentiers battus, et surtout je ne veux pas trop tourner. D’abord parce que je suis lent et j’ai besoin de temps en amont du tournage pour m’approprier un personnage. Ensuite parce que je veux garder du temps pour ma vie de famille.
Vous allez bientôt commencer le tournage du prochain film de Justine Triet.
J’y incarnerai un avocat. Donc un nouveau métier à appréhender. Je vais assister à des procès aux assises, et je travaille mon anglais, la langue que nous allons parler avec ma partenaire allemande, Sandra Hüller. Et j’attends la sortie d’un premier long métrage de Philippe Petit, où j’interprète un paysagiste qui veut faire un jardin sur une place de Marseille laissée à l’abandon par les pouvoirs publics et essuie des refus successifs. Un film sur l’échec. Dans l’époque où l’on vit, un type qui a une ligne à contre-courant et n’en démord pas, ça donne envie de le suivre.
En mai 2019, vous avez signé la tribune « Nous ne sommes pas dupes ! », publiée dans Libération, pour soutenir les Gilets jaunes. La France d’aujourd’hui vous inquiète ?
Avec le mouvement des Gilets jaunes, il s’est passé quelque chose qui m’a touché, même si, à l’intérieur du mouvement, certains se réclamaient de courants politiques auxquels je m’oppose. Ces gens disaient « on ne peut plus vivre ! », et cette parole n’était pas entendue. Je ne comprenais pas l’absence de soutien du monde de la culture et des médias, qui ne filmaient que la poubelle qui flambe et se fichaient du reste. J’ai participé à beaucoup de manifs à l’époque et j’ai assisté à une extrême violence d’État. Le langage politique, aussi, est de plus en violent, et il a été vidé de son sens. Pour échapper à la bouillasse idéologique et médiatique, je cherche des réponses dans les livres. Je viens, par exemple, d’acheter l’essai de l’anthropologue David Graeber et de l’archéologue David Wengrow (Au commencement était... Une nouvelle histoire de l’humanité, éd. Les Liens qui libèrent), qui propose une nouvelle histoire des modèles sociaux, à l’encontre de la pensée unique.
Votre mère, Tatiana Vialle, est directrice de casting et metteuse en scène de théâtre, votre père, Yan Arlaud, est chef décorateur de cinéma, et votre beau-père, Bruno Nuytten, chef opérateur et réalisateur. Et pourtant vous commencez par faire les Arts décoratifs à Strasbourg. Adolescent, je n’envisage pas une seconde de faire du cinéma. À l’école primaire, j’écrivais des poèmes. J’avais envie de dessiner pour raconter des histoires. Le dessin, le graffiti et l’écriture de chansons rap prenaient toute la place. Ce qui m’a amené logiquement à passer des concours pour des écoles d’art. Mon héritage de cinéma était uniquement culturel : un accès aux films grâce à la vidéothèque familiale, que je dévorais en simple spectateur, assez passif, en m’interrogeant, tout de même, sur le pouvoir des acteurs à transmettre un sentiment de réalité.
Et vous n’interrogez pas votre mère sur ce « mystère » ?
Elle a fait du casting sur le tard. Quand j’étais petit, elle travaillait sur des concerts : elle lavait les jeans des Rolling Stones quand ils venaient en tournée en France ! Ou elle lisait des livres et faisait des fiches pour le producteur Alain Sarde en vue de les adapter éventuellement au cinéma. J’avais mes propres rêves d’adolescent : réaliser des films avec mes frères. Je suis fils unique, mais j’ai deux « faux » frères par alliance, du côté de Bruno Nuytten et de la femme de mon père. Et un demi-frère et une demi-sœur, plus jeunes que moi, du côté de ma mère.
Enfant, les membres de votre famille vous emmenaient sur des tournages ?
Je me souviens du Brasier, d’Éric Barbier (1991), le premier film sur lequel mon père était chef décorateur, en Pologne, où je l’ai rejoint une semaine en vacances, quand j’avais 10 ans. Puis Les Caprices d’un fleuve, de Bernard Giraudeau (1996), au Sénégal. Des voyages vers un ailleurs forcément marquants pour un enfant. Mais mon sentiment d’être à la maison sur un plateau repose plutôt sur ce mélange si singulier d’ambiance de colonie de vacances, avec un collectif de gens au travail. Tout le monde gesticule, puis certains s’immobilisent quand d’autres se mettent à bouger : une chorégraphie hors du temps de personnes incroyablement différentes. Cela tranche avec mon naturel solitaire.
Pourquoi commencez-vous à passer des castings ?
Je sors diplômé des Arts déco, où, en fait, je n’ai pas appris un métier. De deux choses l’une : ou je deviens un artiste pur et dur en essayant d’exposer, comme la plupart des amis que j’ai gardés de cette époque. Ou je cherche à gagner ma vie, car il faut payer le loyer. Je tourne rapidement pas mal de petits rôles à la télé que je décroche certainement grâce à ma gueule bizarre. Un jour, alors que je suis chez ma mère, nous tombons sur un téléfilm où je joue un toxicomane prostitué en crise de manque et accusé de meurtre. Et je vois ma mère, mal à l’aise, quitter la pièce ! J’ai compris qu’il fallait que j’arrête de jouer n’importe quoi. Même si j’étais mauvais, la télé m’a beaucoup appris. Comme le fait d’assister ma mère dans les castings.
C’est-à-dire ?
Elle m’engageait parfois pour donner la réplique aux comédiens. Je jouais donc sans pression puisque je n’étais pas filmé. Comme elle faisait beaucoup de castings sauvages, nous allions aussi à la rencontre de communautés étrangères, comme pour engager Fırat Ayverdi, le jeune partenaire de Vincent Lindon dans Welcome, de Philippe Lioret (2009), dont la famille avait un restaurant à Ménilmontant. De plus, ce travail d’assistant m’a appris à relativiser : être choisi pour un film repose sur une foule de critères qui n’ont rien à voir avec votre éventuel talent.
À quel moment vous sentez-vous définitivement « à la maison » au cinéma ?
Sur Petit Paysan. Après de grands moments de doute. Ensuite, j’ai réalisé que ce doute était la clé, le garde-fou pour rester exigeant. Mais Jérémie Renier m’a prodigué un conseil précieux : laisse-toi tranquille ! Faire ce que l’on peut, c’est faire ce que l’on doit. L’aventure humaine, collective, avec le réalisateur, l’équipe et les partenaires a aussi une grande importance, comme je l’ai vécu grâce à Ni le ciel ni la terre.
Quels acteurs admirez-vous ?
Michel Serrault. Son art d’incarner de manière extraordinaire des hommes ordinaires. J’ai revu récemment Nelly et M. Arnaud, de Claude Sautet (1995), que j’adorais quand j’étais adolescent. Cet amour platonique d’une si grande sensualité tragique, d’une telle précision dans le jeu et le langage ! Mais l’exemple d’une carrière idéale reste Daniel Day-Lewis : très peu de films, des choix très forts, et un investissement fou dans le travail. La légende dit que, pour une scène de There Will Be Blood, de Paul Thomas Anderson (2007), où il devait arriver dans le plan en rampant, il a rampé une heure depuis son hôtel ! C’est le rêve : un film par an, mais le bon.
Aimeriez-vous passer à la réalisation ?
Le désir est là, mais je suis lent ! Et parallèlement, je réfléchis à trouver une manière de m’engager concrètement, d’agir socialement, au lieu de me lamenter sur un futur qui m’angoisse. En tout cas, si je continue uniquement mon métier d’acteur, je serai inaccompli. Guillemette Odicino.
Il paraît que tout vient des cheveux. Dans Anatomie d’une chute, Swann Arlaud est Vincent Renzi, avocat dévoué sous le charme de sa cliente, Sandra, accusée du meurtre de son mari. Un rôle qui l’a propulsé vers une toute nouvelle notoriété, notamment grâce à une “fancam” postée sur X (anciennement Twitter) – comprendre : une vidéo réalisée par un·e fan.
Le fameux extrait, qui regroupe plusieurs plans de l’acteur dans le film de Justine Triet, vise à promouvoir son incarnation (et son physique), sur les notes du tube “Comme des Garçons” de la chanteuse nippo-britannique Rina Sawayama. L’emballement est tel qu’il a fait dire à la réalisatrice qu’il était “l’avocat le plus sexy des Alpes françaises” sur la scène des Golden Globes 2024, alors qu’elle recevait le prix du meilleur film étranger. Alors que Swann Arlaud est vient d'être sacré meilleur acteur dans un second rôle aux César 2024, on revient sur sa carrière, d’ores et déjà impeccable, et les recettes du succès de son personnage dans Anatomie d’une chute.
Oui, Swann Arlaud vient d’une famille du cinéma. Non, cela n’a pas fait de lui un comédien né. En tout cas, c’est ce qu’il dit. Ses grands-pères, Rodolphe-Maurice Arlaud et Max Vialle, sont respectivement scénariste et comédien. Ses parents, Yan Arlaud et Tatiana Vialle, sont chef opérateur et directrice de casting (elle est également la réalisatrice de deux courts-métrages et metteuse en scène). Sans doute l’une des raisons qui explique que pour lui, le plateau de tournage est l’un des endroits les plus joyeux du monde. Sans pour autant penser au métier d’acteur. C’est surtout l’envie de se faire un peu d’argent de poche qui le guide sur la route des castings, d’abord pour la télévision.
Malgré une passion pour le graffiti et un diplôme des arts décoratifs de Strasbourg, c’est, quoi que Swann Arlaud en dise, vers le cinéma qu’il se dirige, presque naturellement (de quoi faire rougir de plaisir Pierre Bourdieu). Sa mère, Tatiana Vialle, le propulse sur les planches dans la pièce qu’elle met en scène : « Une femme à Berlin », avec Isabelle Carré. Très vite, le basculement vers les plateaux de tournage se fait. Et plus vite encore, le comédien se dessine une carrière aux partis pris radicaux, affirmés et politiques. Un jour, il est anarchiste, l'autre exfiltré, l’autre encore, professeur de philosophie maoïste. Dans un entretien accordé au Monde, il confesse incarner des hommes “en quête de sens”. Une exigence qui façonne une filmographie captivante, qui l’amène, en quelques années, sur la scène des César, pour son rôle dans Petit Paysan d’Hubert Charuel, dans lequel il incarne Pierre Chavanges, un agriculteur qui gère seul un troupeau d'une trentaine de vaches laitières sur l'exploitation qu'il a reprise de ses parents. Un rôle pour lequel il s’est rendu en stage dans la ferme des parents du réalisateur, où il apprend à traire des vaches et prendre soin d’un troupeau. Une implication récompensée, en 2018, du César du meilleur acteur – de quoi donner un coup d’accélérateur à sa carrière.
Toujours au Monde, Swann Arlaud confie, penaud : “Il y a longtemps que je me suis défait de cette illusion que le cinéma pouvait changer le monde. Petit paysan montrait la situation des agriculteurs à une époque où l’on voit énormément de suicides. Les prix du lait qui doivent s’aligner sur l’Europe. Donc, des gens qui travaillent à perte. Au ministère de l’agriculture, ils ont vu le film, ils ont trouvé ça super. Il n’y a pas moins d’agriculteurs qui se suicident”. Pourtant, ses choix cinématographiques, après l’obtention de son premier César, continuent de porter en eux les mêmes valeurs et revendications. C’est par exemple, deux ans plus tard, Grâce à Dieu de François Ozon. Dans le film, le comédien devient Emmanuel Thomassin, victime d’un prêtre catholique pédophile, qui se lance dans une quête de libération de la parole, dont les répercussions et les conséquences ne laissent personne indemne. Un rôle qui lui assure un second César, celui du meilleur second rôle.
Depuis, la constance de Swann Arlaud n’a pas failli. Dans Vous ne désirez que moi de Claire Simon (2021), il est Yann Andréa, le dernier amant de Marguerite Duras. Dans Tant que le soleil frappe de Philippe Petit (2022), il est Max, paysagiste tenace, engagé mais acculé, qui se bat pour créer un jardin sauvage, sans clôture, en plein centre-ville d'une métropole : une zone végétale ouverte à tous. Dans L’Établi de Mathias Gokalp (2023), il est Robert Linhart, l'un des fondateurs du mouvement maoïste en France. Mais surtout, la même année, il est Vincent Renzi, avocat dépassé mais persistant, dans Anatomie d’une chute de Justine Triet.
Invité par France Culture à l’occasion de la sortie du film, en août 2023, Swann Arlaud expliquait sa préparation pour son rôle dans Anatomie d’une chute : “J'ai assisté à un procès aux assises pour préparer le film. Les avocats sont des acteurs, de la même manière que nous les acteurs sommes des avocats, parce que l'on est censé défendre notre personnage”. Mais Vincent Renzi, l’avocat incarné par l’acteur, est bien plus que ça. Si tout est suggéré, jamais expliqué, il est aisé de comprendre son passif avec sa cliente, à qui l’impressionnante Sandra Hüller prête ses traits. Lui, transi d’amour pour une femme qui ne lui appartient pas. Elle, impassible, imperturbable, et jugée précisément pour cette attitude. Car Anatomie d’une chute, c’est surtout ça : le récit d’une femme qui ne respecte pas les normes patriarcales : froide, bisexuelle, intelligente et combative.
Face à une Sandra Hüller puissante, Swann Arlaud joue un homme non pas effacé – ce serait aller trop loin, mais plus doux. Son personnage, qui déchaîne les foules sur Internet comme dans les salles de cinéma, présente en cela une nouvelle forme de masculinité, aujourd’hui jugée bien plus séduisante par les jeunes femmes du monde entier, que les modèles traditionnels et établis d’une prétendue virilité, qui serait celle de la force physique et morale. Ajoutez à cela une chevelure impeccable et un léger sourire timide, et il suffit d’un montage pour provoquer le buzz. C’est ce qu’il se passe, alors que Gina, ou @ginafancam sur X, poste une vidéo qui regroupe les plans de l’acteur dans Anatomie d’une chute. Aujourd’hui, la vidéo compte des millions de vues, et a même fait plaisanter Justine Triet sur la scène des Golden Globes.
En outre, et il est impossible d’ignorer cette donnée en analysant son succès auprès des spectatrices, Swann Arlaud est l’un des (très) rares acteurs à avoir publiquement pris la parole pour soutenir les actrices, en pleine recrudescence des violences sexistes et sexuelles dans le cinéma français. Un phénomène que condamnait déjà l’actrice Anna Mouglalis au micro de Médiapart le 12 février dernier, dans une émission programmée suite aux dénonciations de Judith Godrèche : “Les acteurs, c’est terrible qu’ils ne prennent pas la parole et qu’ils ne nous soutiennent pas. Alors qu’eux, quand ils arrivent sur un plateau, on ne leur demande pas de tailler une pipe au metteur en scène !” déclarait-elle alors. Une prise de position qui répond à celle qu’il avait exprimé en 2020, après le départ d’Adèle Haenel de la soirée des César, qui récompensait le réalisateur Roman Polanski à multiples reprises, malgré les nouvelles accusations de viol qui le visait alors. Interrogé sur le tapis rouge, il expliquait : “La parole se libère mais le combat n’est pas terminé du tout”. Le vendredi 23 février, il remporte le César du meilleur acteur dans un second rôle pour Anatomie d’une chute. Lolita Mang.
Pendant des mois, il a été le secret le mieux gardé d'Anatomie d'une chute, la Palme d'or du dernier Festival de Cannes. À peine présent dans la bande-annonce, apparaissant seulement de dos sur une seule photo promotionnelle, Swann Arlaud s'est imposé cet automne de manière inattendue comme un véritable sex-symbol aux États-Unis sur les réseaux sociaux, de Tik Tok à X (ex-Twitter).
Ce discret comédien doublement césarisé (pour Petit Paysan et Grâce à Dieu), jusqu'ici moins mis en avant que ses partenaires Sandra Hüller, Milo Machado-Graner et le chien Messi (récompensé par la Palme Dog), est au centre de plusieurs dizaines de vidéos virales (ou "fancams") compilant ses apparitions dans Anatomie d'une chute. Contacté par BFMTV, Swann Arlaud n'a pas souhaité s'exprimer sur cet engouement.
Ce phénomène a commencé à la faveur d'une vidéo réalisée par une cinéphile, Gina, qui anime sur X un compte de "fancams", @ginafancam. "J'ai l'habitude de faire des montages sur des personnages fictifs ou des acteurs pour influencer les personnes qui me suivent à regarder un film ou une série", raconte-t- elle lors d'une interview accordée par BFMTV.
"Je voyais déjà des gens parler de son charisme dans Anatomie d’une chute. Et en sortant de ma séance, j’ai eu la même révélation que les autres. Pour rire, je me suis dit que j'allais faire un 'fancam' pour son personnage", se souvient l'internaute, qui a été d'emblée fascinée par "son charisme, son calme, sa chevelure".
Depuis, sa vidéo rythmée par le morceau « Comme des Garçons » de Rina Sawayama ("une chanson régulièrement utilisée pour faire des vidéos comme celle-là", précise-t-elle) a été visionnée plus d'un million de fois sur X et en a inspiré des similaires sur TikTok. "Si j'avais su qu'elle allait accumuler plus d’un million de vues, je l’aurais mieux montée!", s'amuse Gina, qui s'étonne du succès rencontré par sa création.
De nombreux internautes confient sur X leur admiration pour Swann Arlaud. "Il est très beau dans le film. Il a un visage très doux et il se montre très gentil envers le personnage principal du film", note l'internaute Wendell alias @rhodetolove sur X. "Comme Swann Arlaud est très séduisant, je ne suis pas surprise que les internautes soient à fond sur lui", complète la cinéphile Nathalia, alias @girlbosskenroy sur X.
"Je me souviens qu'en découvrant le film pour la première fois je me suis penchée vers mon amie pendant la séance pour lui chuchoter que je le trouvais très craquant. Dans ma critique initiale, j'ai mentionné à quel point je le trouvais très séduisant dans ce film", ajoute cette internaute qui a vu la "hype" exploser entre la sortie du film aux Etats-Unis et sa diffusion en VOD.
Cette fascination semble aussi correspondre à un engouement des jeunes cinéphiles pour des figures masculines et féminines moins sexualisées voire presque asexuées.
Sa ressemblance avec des comédiens appréciés du jeune public a aussi joué en sa faveur. "J'ai remarqué que beaucoup de personnes le comparaient aux jeunes acteurs Austin Abrams (Euphoria) et Thomas Brodie Sangster (Le Labyrinthe) en disant qu'il était une version plus âgée d'eux", détaille Wendell. "Je crois qu'il y a quelque chose dans son apparence physique qui séduit les jeunes cinéphiles du monde entier."
"Il est un peu devenu le rayonnement français à l'international", salue Gina. "Même le distributeur américain d'Anatomie d’une Chute a relayé la vidéo pour promouvoir le film." En France, pour l'heure, l'emballement n'a pas eu lieu au grand dam des fans: "C'est dommage qu'en France, pour la sortie DVD, ils aient fait des stickers des personnages du film sauf celui de Swann Arlaud."
La coiffure de l'acteur dans le film, arborant des cheveux gris mi-longs n'est pas étrangère à ce succès. "Ses cheveux sont magnifiques", s'enthousiasme Wendell. "On est tous un peu fan de la manière dont ses cheveux embellissent son visage." Swann Arlaud a été comparé à un acteur du blockbuster japonais Godzilla Minus One, dont la chevelure grise a séduit aussi la planète. "Je crois que les longs cheveux gris vont très bien aux acteurs âgés."
"Absolument toutes les filles avec qui j'ai parlé (de lui) m'ont dit que ses cheveux étaient la raison principale de leur obsession pour lui", glisse de son côté Nathalia. "Absolument toutes les vidéos (de Swann Arlaud) le montrent en train de se passer la main dans les cheveux." "Je pense que son coiffeur ne réalise pas l'impact qu’il a eu sur le box-office!", s'amuse encore Gina.
Ce coup de foudre pour des canons de beauté loin de Hollywood a des retentissements sur le film. Le succès de ces vidéos a ainsi incité une partie du public américain à se déplacer en salles pour voir Anatomie d'une chute ou à le louer en VOD. "Les 'fancams' ont intrigué beaucoup de spectateurs qui n'avaient pas encore vu le film", estime Wendell. "Des personnes qui n'avaient pas prévu d'y aller tout de suite se sont dépêchées de le voir."
Jusqu'à présent inconnu des spectateurs américains, Swann Arlaud inspire aussi certains cinéphiles à découvrir le reste de sa filmographie. "(Anatomie d'une chute) est mon premier film avec lui et je projette d'en voir encore plus avec lui", indique Wendell. "Depuis (Anatomie d'une chute), j'ai mis sa filmographie dans ma watchlist", acquiesce Gina, qui l'avait "juste vu dans Petit paysan".
Avec déjà plus d'une trentaine de prix internationaux depuis sa Palme d'or à Cannes, Anatomie d'une chute pourrait s'imposer dans plusieurs catégories aux Oscars. L'engouement pour Swann Arlaud permettra-t-il au film de s'imposer dans la course aux précieuses statuettes? "Je ne suis pas sûr, mais peut-être un peu?", tempère toutefois Wendell.
"Il me semble que cet emballement s'est manifesté uniquement sur les réseaux sociaux et chez les jeunes cinéphiles qui ont peu de points communs avec les personnes qui votent aux Oscars", analyse le jeune homme. "Cela a davantage aidé le film (à se faire connaître) qu'à accumuler du buzz pour les Oscars. C'est difficile de savoir à quel point cela peut aider le film."
"Si écrire en permanence sur Twitter 'hot lawyer from Anatomy of a Fall' et Swann Arlaud aide à faire connaître le film et à booster ses chances aux Oscars alors je vais continuer de le faire!", s'exclame Nathalia. "Justine Triet, Arthur Harari (le coscénariste), Sandra Hüller et toutes les personnes qui ont travaillé sur le film méritent d'être nommés pour leur excellent travail." Jérôme Lachasse.
JACQUES DUTRONC
Chanteur, Auteur-Compositeur, Acteur
Jacques Dutronc est né le 28 avril 1943 à Paris. Fils de Pierre et Madeleine Dutronc, il connaît une enfance privilégiée dans le 9e arrondissement parisien. Son père, ingénieur et pianiste à ses heures, éveille le petit garçon à la musique. Très jeune, il prend des cours de piano et de violon. À l'adolescence, inscrit au Lycée Condorcet, il fait souvent l'école buissonnière préférant aller jouer au flipper ou s'enfermer dans les salles de cinéma sur les Grands Boulevards. Toujours entouré de copains, parmi lesquels Jean-Philippe Smet, la joyeuse bande se retrouve au square de la Trinité. À l'adolescence, la guitare a remplacé le violon et Jacques Dutronc monte son premier groupe, El Toro et les Cyclones, au début des années 60.
Le bouillonnement culturel de l'époque est propice aux rencontres, et Jacques Dutronc commence à collaborer pour d'autres artistes; ainsi il compose pour le groupe Les Fantômes, devient un temps le guitariste d'Eddy Mitchell et son groupe El Toro et les Cyclones signe un contrat avec les éditions Vogue. Puis, engagé comme assistant du directeur artistique de Vogue, Jacques Wolfsohn, il est en charge de la carrière d'artistes débutants comme Zouzou. Il compose le titre « Va pas prendre un tambour », pour une jeune chanteuse produite sous le label Vogue, Françoise Hardy. Pour concurrencer le succès du chanteur Antoine qui inonde les ondes, Jacques Wolfsohn commande un texte au romancier et parolier Jacques Lanzmann puis demande à Jacques Dutronc de le mettre en musique. Initialement destiné à un autre chanteur c'est finalement Jacques Dutronc lui-même qui va interpréter « Et moi, et moi, et moi ». La chanson est un véritable tube et reçoit le prix de l'Académie Charles-Cros. En 1966, son premier album, « Et moi, et moi, et moi » est certifié disque d'or et les principaux titres deviennent tous des tubes (« Les play-boys », « Les cactus », « J’aime les filles »…).
La collaboration avec son parolier et complice Jacques Lanzmann est porteuse de grands succès, comme le titre « Il est cinq heures, Paris s'éveille » en 1968. Jacques Dutronc avec son répertoire décalé devient une figure incontournable des yé-yé. Il enchaîne les albums; « Il est cinq heures » (1968), « L’opportuniste » en 1969, et « L’aventurier » en 1970. La décennie suivante s'enrichie de titres tout autant incontournables « Le petit jardin », « Fais pas çi, fais pas ça », ou encore le générique de la série télévisée Arsène Lupin, « Gentleman cambrioleur ». En 1980, il enregistre l'album « Guerre et Pets » avec son ami Serge Gainsbourg. Il faut attendre 1992 pour voir le chanteur faire son retour sur scène au Casino de Paris. Le spectacle, filmé par le photographe Jean-Marie Périer, reçoit le Prix du meilleur spectacle de l'année et l'album enregistré en direct, « Dutronc au Casino de Paris », se hisse en tête des ventes avec plus de 600 000 exemplaires vendus. Le chanteur se fait plus rare depuis. En 2003, il sort un nouvel opus, « Madame l'existence », pour lequel il retrouve Jacques Lanzamnn. Il remonte sur scène en 2010, incité par son fils Thomas, pour une tournée gigantesque de plus de 80 dates. Clin d'oeil à ses débuts il rejoint Eddy Mitchell et Johnny Hallyday sur scène, en novembre 2014, pour le spectacle « Les Vieilles Canailles ». D'avril à décembre 2022, il fait une tournée intitulée « Dutronc & Dutronc » avec son fils Thomas.
Le charme de Jacques Dutronc lui ouvre très vite les portes du septième art.
Il fait ses débuts sur grand écran en 1973 sous la direction de Jean- Marie Périer qui lui propose un rôle dans Antoine et Sébastien. Sa prestation est saluée par la critique et marque le début d'une riche filmographie. En 1974, il décroche un rôle dans L'important c'est d'aimer du réalisateur Andrzej Zulawski aux côtés de Romy Schneider. Il collabore avec de nombreux grands réalisateurs; Jean-Luc Godard (Sauve qui peut la vie), Claude Lelouch (À nous deux), Nicole Garcia (Place Vendôme), Claude Chabrol (Merci pour le chocolat). En 1991, sous la direction de Maurice Pialat, il prête ses traits au peintre Van Gogh et rafle le César du Meilleur acteur en 1992. En 2014, il est au générique du film Les Francis de Fabrice Begotti tourné en Corse, pays d'adoption du chanteur qui réside désormais à Monticello.
Côté vie privée, Jacques Dutronc est marié depuis le 30 mars 1981 à la chanteuse Françoise Hardy, rencontrée en 1967. Ensemble ils ont un fils, Thomas Dutronc, né le 16 juin 1973. Sur le tournage de L'important c'est d'aimer il a vécu une brève idylle avec l'actrice Romy Schneider. Jacques Dutronc a également une fille, Aléya, née en 1970 d'une liaison avec une Tahitienne prénommée Tera. Il partage désormais sa vie avec Sylvie Duval, rencontrée en 1997 sur le tournage du film Place Vendôme. Portraits Gala.
Quelque 130 chansons réunies dans douze albums, une trentaine de films, le bilan ne manque pas d'allure pour quelqu'un qui assure être en proie à une flemme définitive. Installé aux avant-postes de la chanson des années 1970 avant de prendre la distance nécessaire pour mener une carrière d'acteur plutôt réussie, chacun des retours de Dutronc à la chanson a pris des allures d'événement. Preuve, simplement, que Jacques Dutronc continue de déranger entre mélancolique ballade jazz et rock dépouillé.
La famille habite le Xe arrondissement, fait non négligeable puisqu'il s'agit du terrain d'aventure de la future bande de la Trinité où figure, également, Jean-Philippe Smet, alias Johnny Hallyday.
Le père, ingénieur des Mines, est multi-instrumentiste et s'illustre dans les bals populaires. Jacques, l'un de ses deux fils, manifeste à son tour un goût certain pour la musique. Il joue du piano avant de revenir à un instrument plus en rapport avec les préoccupations de l'époque : la guitare.
Chahuteur, l'élève Dutronc ne laisse pas un souvenir impérissable à ses maîtres. Doué pour le graphisme, il est dirigé à seize ans vers une école de dessin industriel. Mais, déjà, le rock est entré dans sa vie. Avec un copain de quartier, Hadi Kalafate, qui demeurera longtemps son complice, il monte ses premiers groupes. En 1962, c'est l'aventure El Toro et les Cyclones, le temps de se frotter au public et d'enregistrer deux 45 tours, sans grand succès. Les concerts des Cyclones commencent par un morceau instrumental de Jacques Dutronc baptisé « Fort Chabrol ». La mélodie mise en mots par André Salvet et Lucien Morisse est rebaptisée le « Temps de l'amour » pour Françoise Hardy, qui va devenir sa compagne, puis son épouse le 30 mars 1981.
Après le service militaire, il devient guitariste d'Eddy Mitchell et se retrouve assistant artistique chez Vogue. Il écrit « Va pas prendre un tambour » pour Françoise Hardy, compose pour les artistes maison, comme Zouzou la Twisteuse, Claude Puterflam, Cléo. Jacques Dutronc s'essaie, par jeu, à chanter sur des textes de l'écrivain-journaliste Jacques Lanzmann, initialement destinés à Kalafate ou Benjamin, le beatnik dont la carrière ne décolle pas vraiment. Le directeur artistique Jacques Wolfsohn pousse alors Dutronc, qui ne se sentait pas vraiment une vocation de chanteur, à franchir le pas.
« Et moi et moi et moi » sort à l'aube de l'été 1966. En quelques jours, le titre se retrouve en tête de tous les hit-parades. Mené sur un rythme rock enlevé, ce manifeste de l'indifférence ne peut passer inaperçu. La mode, c'est vrai, est aux couplets contestataires et aux chanteurs engagés. Jacques Dutronc, avec une insolence dont il va faire son ordinaire, prend tout le monde à contre-pied. Les costumes trois pièces d'excellente coupe, l'allure générale de ce « crooner » électrique tendance « minet » tranchent sur la négligence vestimentaire organisée des stars du moment. Les trois autres compositions du 45 tours interprétées de la même voix nonchalante font, elles aussi, mouche. « J’ai mis un tigre dans ma guitare », « Les gens sont fous, les temps sont flous » et, surtout, « Mini mini mini » participent de la même veine. Les musiques de Jacques Dutronc collent aux univers de Lanzmann et inversement. Derrière un apparent dilettantisme, une insolente facilité, les compositions sont particulièrement abouties, maîtrisées, loin des pâles parodies anglo-saxonnes.
Dutronc et Lanzmann récidivent sans attendre. Avec un son légèrement country, « les Play-boys » enfoncent un peu plus le clou de la dérision et soulignent définitivement l'originalité du chanteur. Sur une nappe de restaurant, « On nous cache tout, on nous dit rien », « la Fille du père Noël », qui complètent l'enregistrement, vont devenir, eux aussi, des classiques. Le vinyle se voit attribuer, au passage, le prix de l'académie Charles-Cros. L'année prend fin avec la sortie d'un premier album où figurent, parmi quatre nouveaux titres, « les Cactus » et « la Compapade ».
En quelques mois, Jacques Dutronc a vendu plus d'un million de disques. Georges Pompidou, alors Premier ministre, en appelle aux « Cactus » de la tribune de l'Assemblée nationale. Il est devenu à son corps défendant une star. En avril 1967, il sort un nouveau single, avec une ballade légère, « J’aime les filles », l'occasion de mesurer l'étendue de son registre musical. Le second disque de l'année est, de la même manière, un chef-d'œuvre.
Le duo de choc, auquel s'est jointe Anne Segalen, l'épouse de Jacques Lanzmann, s'ingénie à détourner les slogans de « la Publicité ». Écrit par les mêmes, fin 1967, « Paris s'éveille », qui sera élu, plus tard, chanson de l'histoire du microsillon, étonne et enchante. Avec en filigrane un son léger de flûte traversière, ce clin d'œil aux couche-tard décrit les petites aubes grises de la ville. Dutronc, une fois de plus, ne se limite pas à ce petit coup de tendresse. « Fais pas ci, fais pas ça », sur une mélodie plutôt enlevée, règle son compte à l'éducation imposée à coups d'interdits aux enfants. Année 1968 oblige, il y va de son « Opportuniste », caricature à peine outrancière des hommes politiques. Les tubes s'enchaînent, avec la complicité de Jacques Lanzmann toujours. « L’Aventurier », « l’Hôtesse de l'air », « Restons français, soyons gaulois », « Il suffit de leur demander », « le Petit Jardin », « le Testamour », « le Dragueur des supermarchés » constituent quelques-uns des morceaux choisis de cet étonnant parcours. Le compositeur se glisse dans les styles les plus divers, va vers le blues pour mieux revenir à des riffs délibérément électriques, sans jamais délaisser son penchant naturel pour le jazz. Il touchera même au genre traditionnel avec « Ma poule n'a plus que vingt-sept poulets ». En 1970, Jacques Dutronc travaille avec le dessinateur de B.D. Fred, créateur du poétique Philémon. Celui-ci écrit à la demande du chanteur « Le fond de l'air est frais », « L’âne est au four et le bœuf est cuit », « L’éléphant est aveugle ». Les nouveaux compères travaillent aussi à deux disques pour enfants, accompagnés par des B.D. Le résultat commercial ne sera pas à la hauteur de l'initiative.
Depuis 1966, Dutronc, c'est aussi la scène. Deux cents galas par an en moyenne. Fidèle à son image, il y apparaît déconcertant. De la Tête de l'art, petit cabaret parisien, des casinos où font invariablement étape les tournées d'été, aux grandes salles, dérision et provocation sont de mise, histoire de se différencier un peu plus des codes d'un métier qui n'en manque pas. Très vite, avec un naturel déconcertant, il s'entoure d'accessoires multiples. Le public le voit ainsi, au fil du concert et de ses humeurs, brandir une pancarte intimant « Applaudissez ! », une autre commandant « Vos gueules ! ». Il balance du papier hygiénique, des confettis à la salle, s'installe sur un W.C., s'adjoint une strip-teaseuse, revient aux rappels avec un balai. Il n'hésite pas à rester tourné vers son orchestre tout en continuant de chanter. Longtemps, il va être accompagné de Kalafate et Gérard Kawczynski aux guitares, Michel Pelay à la batterie, Christian Padovan à la basse. Ces quatre derniers fonderont plus tard le groupe Système Krapoutchik. Ses interprétations du générique du feuilleton Arsène Lupin, « l’Arsène » (1971) et « Gentleman cambrioleur » (1973) deviennent des tubes. Après une nouvelle tournée, Jacques Dutronc se tourne vers le cinéma.
Il aura fallu toute la persuasion de son ami le photographe Jean-Marie Périer pour l'entraîner devant la caméra. Dès ce premier essai intitulé Antoine et Sébastien, le chanteur étonne. L'année suivante, L'important c'est d'aimer d'Andrezj Zulawski, son troisième film, convainc les plus sceptiques. Il enchaîne les tournages avec Lelouch, Sautet, Rouffio, Godard... Ses rôles sont souvent en rapport avec l'image que public et médias ont de lui. Il passe du cynisme à l'insolence, de l'humour sulfureux à une tendre mélancolie. En 1980, il s'offre un intermède musical. Il enregistre l'album « Guerre et pets » avec la complicité de son ami Gainsbourg, qui signe quatre textes, dont le sulfureux « l’Hymne à l'amour (moi le nœud) ». Deux ans plus tard, Dutronc récidive avec « C’est du bronze », pour lequel Anne Segalen est revenue prêter la main. Mais c'est par « Merde in France » (1984), un single sur lequel intervient Vincent Palmer, ex-Bijou, que le succès est de nouveau là, énorme.
Durant cinq années, Jacques Dutronc déserte les plateaux de cinéma. Avec Earl Slick, guitariste de Bowie, et le clavier de Philippe Eidel, il réalise en juin 1987 au Palais des Congrès « C.Q.F.Dutronc ». La critique n'est pas tendre avec ce disque où le son rock de « Qui se soucie de nous » voisine avec « les Gars de la narine », qui remet au goût du jour les délires d'harmonie-fanfare de « l’Hôtesse de l'air ». Bambou, l'amie de Serge Gainsbourg, chante sur « Opium », vieille chanson de marins. Dutronc est le premier à mettre à l'honneur les polyphonies, beaucoup utilisées depuis, pour saluer, avec I Muvrini, sa terre d'adoption dans « Corsica ».
Il retourne au cinéma avec Zulawski puis Pialat, sous la direction duquel il joue « Van Gogh », fabuleuse performance qui lui vaut le césar du meilleur acteur 1992. Le 8 février 1993, c'est la victoire du meilleur spectacle de l'année qu'il reçoit pour son Casino de Paris. Il s'y est installé, avec son éternel havane et ses inamovibles lunettes fumées Ray Ban, pour quatre semaines à partir du 3 novembre 1992. L'album live va se vendre à 620 000 exemplaires.
Le succès est tel qu'après une tournée dans les plus grandes salles de province en mars et avril, avec passage au Printemps de Bourges, il retrouve le Casino en mai. Au programme, outre ses classiques, deux nouvelles chansons avec des textes de l'écrivain Linda Lê. Par ailleurs, il invite chaque soir sur scène un journaliste pour une interview qui tourne au gag....
« Brèves Rencontres », sorti le 4 octobre 1995, regroupe des textes de Linda Lê, de David Mac Neil, de Jean Fauque, le parolier de Bashung, d'Arnaud Garoux et de Thomas, son fils. La critique rechigne. Dutronc n'en a cure, qui chante : « Le plaisir n'a pas de mesure/Tous les goûts sont dans ma nature. ».
Puis le cinéma de nouveau fait appel à lui : il tourne ainsi avec Nicole Garcia (Place Vendôme, 1998), Claude Chabrol (Merci pour le chocolat, 2000) ou encore Michel Blanc (Embrassez qui vous voudrez, 2002), mettant beaucoup de lui-même dans ses rôles d'homme à l'air détaché mais à la personnalité attachante. Larousse.
JEAN ROCHEFORT 1930 - 2017
Acteur, Éleveur de chevaux, Cavalier
Venu du théâtre, il débute au cinéma en 1955. Ce n'est qu'à partir des années 1970 qu'il peut montrer toute la gamme de ses compositions (Que la fête commence, B. Tavernier, 1975 ; Un éléphant ça trompe énormément, Yves Robert, 1976 ; le Crabe-Tambour, Pierre Schoendoerffer, 1977), qui lui permet de rester sur le devant de la scène au-delà des années 1990 (le Mari de la coiffeuse, P. Leconte, 1990 ; Ridicule, id., 1996 ; le Placard, Francis Veber, 2000). En 2003, il incarne Don Quichotte dans Lost in la Mancha, un documentaire de Keith Fulton et de Louis Pepe sur le projet avorté du film de Terry Gilliam, Don Quichotte. Larousse.
Après des études secondaires, Jean Rochefort se destine à la comédie en débutant par le Conservatoire de la rue Blanche à Paris puis le Conservatoire National d’art dramatique en 1949 où il rencontre Jean-Paul Belmondo et Jean-Pierre Marielle . Il effectue ses premiers pas au cinéma en 1956 dans Rencontre à Paris puis en 1960, il joue dans Capitaine Fracasse . Malgré ces débuts modestes, il enchaîne de nombreux films : on peut le voir dans Le masque de fer (1962) ou La porteuse de Pain l’année suivante.
Pendant de nombreuses années, on peut le voir par intermittence dans Angélique, Marquise des anges (1964) et dans Cartouche de Philippe de Broca . Il retrouvera ce réalisateur plusieurs fois dans sa carrière : dans Les tribulations d’un Chinois en Chine (1965) et dans le Diable par la queue (1968).
Jean reste fidèle à certains metteurs en scène : il retrouvera aussi plusieurs fois Yves Robert , dans Le grand blond avec une chaussure noire (1972), Salut l’artiste (1973), Un éléphant ça trompe énormément (1976) puis Nous irons tous au Paradis (1977) et Le Bal des casse-pieds (1992).
En 1976, Rochefort est récompensé par le César du meilleur acteur pour Que la fête commence de Bertrand Tavernier . Jean Rochefort tourne avec les plus grands : il aura une participation active à la filmographie de Patrice Leconte où on peut le voir dans Les vécés étaient fermés de l’intérieur (1975), Tandem (1977), Tango (1993), Les grands Ducs et Ridicule , deux films tournés en 1996.
À partir des années 2000, les jeunes réalisateurs ne lui tournent pas le dos et on continue à le voir sur dans les salles obscures. Ainsi on peut le voir dans la comédie Le Placard en 2001, dans RRRrrr d’ Alain Chabat en 2004 et il tourne dans Akoibon (2005), le second film d’ Edouard Baer . Il joue le père de Guillaume Canet dans son thriller Ne le dis à personne (2006) et partage l’affiche de Désaccord Parfait avec Charlotte Rampling , la même année.
En 2007, on peut l’apercevoir dans Les vacances de Mr Bean et il est à l’affiche du film La clef de Nicloux où il retrouve Canet.
En 2008, Jean tourne sous un autre jeune réalisateur : Samuel Benchetrit dans son film J’ai toujours rêvé d’être un gangster . Première.
Né le 29 avril 1930 au sein d’une famille austère et corsetée de la moyenne bourgeoisie provinciale, où les sentiments n’avaient pas la part belle, élève médiocre pour ne pas dire nul, il subit sa scolarité et souffre de la comparaison avec son frère aîné, Pierre, brillant sujet, qui deviendra ingénieur général de l’armement. À 16 ans, ses parents le font engager comme garçon de bureau à la Banque de France...
« J’étais le vilain petit canard. » Jean et Pierre restèrent longtemps des étrangers l’un pour l’autre. La légende familiale raconte que Pierre, polytechnicien, ne parlait plus à son petit-fils parce qu’il n’avait fait « que » Centrale. Mais les légendes familiales ont la peau dure. Il fallut la maladie, puis la mort de Pierre pour que Jean regarde son frère aîné avec plus d’indulgence.
Toujours est-il que Jean mit longtemps à assumer sa vocation d’«amuseur ». Lorsqu’il annonça à son père, Célestin, qu’il ne serait pas comptable mais acteur, ce fut un « cataclysme ». Il racontait souvent une scène gravée dans sa mémoire, son père déjeunant sans dire un mot puis laissant tomber, glacial : « La guerre arrangera tout. » Un jugement « terrible » dont Jean Rochefort ne se remit jamais tout à fait, d’autant que, lorsqu’il commença à récolter succès et honneurs, Célestin n’était plus là. Ses parents, qui habitaient Nantes, n’étaient jamais allés le voir lorsqu’il intégra l’école de la rue Blanche puis le prestigieux Conservatoire de Paris. C’est pourtant là qu’il se révéla à lui-même et aux autres. Là aussi qu’il se fit des amis pour la vie (Jean-Paul Belmondo, Claude Rich, Jean-Pierre Marielle...) même s’il ne fut pas admis à présenter le concours de sortie, ce qu’il vécut comme un arrêt de mort. S’ensuivirent quelques mois de profond abattement où il resta cloîtré chez lui. « On peut s’aliter, avoir des doutes sur ses capacités d’adaptation à l’existence. On peut se lever de moins en moins », résuma-t-il, un jour, en évoquant ces moments sombres.
C’est Jean-Pierre Marielle qui le sauva de son marasme en forçant la porte de son studio. Il trouva Jean en pyjama, tétanisé à l’idée d’aller le lendemain à une audition. « Tu iras. Le bus est direct. Je te donnerai la réplique », lui intima Marielle. Ainsi Jean fut-il engagé, à 23 ans, par la compagnie de théâtre Grenier-Hussenot. Il y resta sept années, pendant lesquelles il joua de nombreuses pièces de Harold Pinter au côté de Delphine Seyrig, dont la beauté l’éblouissait. Pudique, il attendit ses 60 ans pour dire à son copain Marielle : « C’est grâce à toi que la vie dont j’avais toujours rêvé a pu commencer. »
Côté personnel, ce n’est pas non plus très flambant. Il n’aime pas son physique. « J’étais moche avec mes lèvres en lame de couteau qui me donnaient un côté faux derche. Trop maigre. Trop timide. » De son propre aveu, il rame avec les filles là où Belmondo fait carton plein. Après un calamiteux mariage avec « une pianiste vierge » dont il dira plus tard qu’elle s’est révélée être « une nymphomane enthousiaste mais exclusivement d’extérieur » (!), il épouse, en 1960, une Polonaise, Alexandra Moscwa, qu’il ramènera en France et dont il aura deux enfants. Avec Marie, née en 1962, il eut longtemps des relations contrariées et épidermiques : « Je ne sais pas si j’ai été un bon père, admit-il un jour. Dans une vie, on fait du chagrin. On fait des douleurs. » Avec Julien, arrivé trois ans plus tard, il sut se montrer plus compréhensif : « Comme moi, il a besoin d’ailleurs. » L’acteur-ornithologue, capable de se lever au milieu de la nuit pour aller écouter le chant des oiseaux, met en scène et joue régulièrement des pièces intimistes (« Antoine et Catherine », « Edouard dans le tourbillon », « Strictement amical ») écrites par sa femme, Sylvie Blotnikas.
Après le théâtre, le cinéma lui ouvre ses portes. Timidement, d’abord. Jean connaît le succès à 32 ans avec « Cartouche » (1962). En 1973, « L’horloger de Saint-Paul » lui fait rencontrer Bertrand Tavernier : « Il m’a appris à me détendre devant la caméra. » « Que la fête commence... » (1975), avec le même Tavernier, lui apporta, à 45 ans, son premier César du second rôle qui lui valut, en guise de compliment, d’un Marielle pince-sans-rire : « Moi, je ne suis pas un acteur de tombola. » Ah ! Marielle que Jean considère comme son double en plus téméraire et avec qui il partagea tant de cigarettes, de nuits blanches et de whiskies... « Nous avons chacun une spécificité qui engendre la peur. Marielle, lui, c’est son rire. Violent, abrupt, un cri grave comme celui d’un cerf blessé au moment des amours », racontait Jean. Il évoquait une blague que fit un jour Marielle dans un bar : « Ne trouvez-vous pas que le temps est au beau fixe chaussettes ? » La bande des « inséparables », que formaient Pierre Vernier, Jean-Paul Belmondo, Bruno Cremer (qu’il appelait « le prince ») et Michel Beaune, usa et abusa de cette phrase au point d’envoyer régulièrement des cartes postales imperturbablement libellées : « Salut Jean-Pierre. Le temps est-il au beau fixe chaussettes ? »
Les films s’enchaînent à une vitesse accélérée, les réalisateurs les plus en vue le réclament. Pour « Le crabe-tambour » (1977), de Pierre Schoendoerffer, il reçoit le César du meilleur acteur... Jean s’enhardit.
Son « petit talent » existe donc. Armé de courage, il téléphone à sa mère pour l’informer que va être diffusée à la télévision une pièce d’André Roussin dans laquelle il joue le premier rôle. Il la prévient qu’il portera son pantalon préféré, en velours jaune. Quelques jours plus tard, il reçoit une lettre manuscrite dans laquelle Fernande Rochefort ajoute en post-scriptum : « J’ai été heureuse de voir que ton pantalon jaune était rentré à temps de chez le teinturier. » « Ce fut son seul commentaire », racontera Jean, blessé de cette indifférence.
Puis Jean s’est mis en tête de devenir un grand cavalier. Une façon de renouer avec son histoire : son grand-père était cocher à Dinan. Il dévore les manuels d’équitation mais n’ose pas encore monter. Il finit par convaincre Philippe Noiret de se lancer avec lui. C’est ainsi qu’à 31 ans, Noiret et Rochefort, habillés de pied en cap en cavaliers modèles (bombes, cravates, culottes de cheval, vestes) se présentent, intimidés, à une reprise pour débutants. Entourés d’enfants de 12 ans très à leur affaire, ils restent immobiles au milieu du manège. « Comment fait-on pour avancer ? » finit par demander Rochefort au moniteur qui leur lance, excédé : « Mes pauvres amis ! » « Nous sommes rentrés tête baissée, écrasés par notre incompétence », dira Jean.
La suite fut plus fructueuse. Jean, tenace, prit des dizaines d’heures de cours, y compris avec le grand Rodrigo Pessoa. Il tournera même un film à Rio afin de poursuivre son apprentissage et finira par monter en concours et se lancer dans le métier d’éleveur. Il achète, presque par hasard, une première jument en Bretagne, la fait pouliner par un petit pur-sang boiteux de 1,61 mètre qui lui donnera Nashville. « J’étais amoureux de ce cheval. » D’autres suivront. Installé à Auffargis, où il acquiert le haras de Villequoy, Jean, qui arbore désormais une belle moustache, se partage entre le cinéma, ses poulains et les concours. Rien n’est trop beau pour ses chevaux. Il se lance dans des investissements qui le conduiront à tourner toujours plus. C’est ce qu’il appellera sa période « nanars » ou « films avoine-foin ». Le plus souvent des longs-métrages tournés en Italie et, à son grand soulagement, passés inaperçus en France. « Mais je n’ai jamais ménagé mes enthousiasmes, fussent-ils suicidaires. » Lorsqu’il recevra, des années plus tard, la médaille des Arts et des Lettres, il se présente comme éleveur-acteur : « Les chevaux m’empêchaient de tomber dans des narcissismes et des égotismes excessifs. En vivant dans le crottin, l’ego en prend un coup. »
Excessif, il l’est aussi dans sa vie amoureuse. Il entame une histoire fusionnelle avec Nicole Garcia. Ils ne vivront jamais ensemble.
« Nos incompatibilités d’humeur étaient évidentes », reconnaîtra Jean. Ils auront un fils, Pierre, « artiste en vibration ». « Je crois avoir été très enthousiaste dans mes relations avec les femmes, mais cet enthousiasme n’a pas toujours été communicatif. Je n’ai jamais été un dragueur ou un séducteur. J’ai aimé seulement quatre ou cinq femmes dans ma vie. » La dernière, la plus aimée sans aucun doute, fut Françoise Vidal, de vingt ans sa cadette, une architecte, cavalière de niveau national, rencontrée lors d’un concours. Jean fut « bouleversé » par sa gaieté et sa soif de vivre. Ils se virent quelques années sans « rien se promettre ». « Je suis d’abord tombé amoureux de ses fesses puis de son visage de général. » Il sortait d’une phase noire. Elle sut le ramener à la vie. Ils se marièrent discrètement à la mairie, en 1989, entourés de quelques témoins. Louise naîtra en 1990. Clémence, en 1992. Premiers enfants pour Françoise. « Pour elle, je me suis remis à des labours tardifs. Mais quels émerveillements ! » s’exclama Jean, taraudé depuis toujours par le sentiment d’avoir été un père défaillant. « Je suis une vendange tardive », reconnaissait-il, n’en revenant pas de se sentir heureux. « Je suis marié avec la même femme depuis trente ans dans la plus grande sagesse », avouait-il.
Solide Françoise qui l’aida à surmonter le terrible traumatisme qu’a été pour lui l’arrêt du « Don Quichotte » de Terry Gilliam, qu’il devait jouer en 2000 avec Johnny Depp. « Pour faire une rossinante convenable, Terry Gilliam avait interdit qu’on nourrisse un cheval pendant quarante jours. Les techniciens lui tendaient des pommes pour qu’elle avance. Cela m’a rendu malade mais je me suis tu. Et puis mon cerveau et ma colonne vertébrale ont dit : “Pas d’accord ! On arrête.” » Une double hernie discale – qui l’empêchera de remonter – et quelques sévères dépressions nerveuses ne vinrent jamais à bout de sa culpabilité. « En 150 films, je n’avais pas raté un jour de tournage. Je voulais être Don Quichotte. Cervantès ne l’a pas voulu. »
Autre déchirement, celui de la mort de Philippe Noiret, en 2006. « Depuis qu’il n’est plus là, je ne peux m’empêcher de lui demander plusieurs fois par jour : “Qu’aurais-tu fait à ma place ?” Pourtant, il y avait une forme de distance entre nous. Par exemple, il ne m’avait jamais parlé de sa maladie. Une seule fois, il m’a dit : “J’ai moins d’appétit.” J’ai compris que c’était sérieux.
À 87 ans, Jean, qui jugeait « obscène » le mot « vieillesse, cette énorme saloperie », luttait pied à pied contre les dégradations de son corps. « Il y a ces douleurs qui vont et viennent et qui, certains jours, ne vous quittent plus. La souffrance est une solitude... » Lui qui avait en horreur le laisser-aller physique préférait ne pas se montrer. Soucieux jusqu’à l’obsession de son apparence, il choisissait avec un soin maniaque ses tenues : pantalons de velours colorés, chaussures de golf américaines à coque dure, chaussettes vives, pulls col V roses ou verts, foulards de soie, chapeaux (« ma garde-robe de vieux beau »)... tout était bon pour se composer une apparence étincelante afin de mieux masquer l’usure du temps. Angoissé, insomniaque, fragile, il était hanté par ses fantômes : Noiret, Cremer, Lanoux, Rich, Girardot. Restaient Eddy Mitchell, Catherine Rich et, surtout, Jean-Paul Belmondo. Et l’amitié énergique des jeunes générations : Edouard Baer – son fils spirituel –, Sandrine Kiberlain, Guillaume Canet (une même passion pour le cheval), Vincent Delerm... discrets visiteurs des étés à Porquerolles ou en Bretagne.
« Floride » fut son dernier projet , parce qu’il était tombé « en amour » avec le réalisateur Philippe Le Guay. Mais jouer un père atteint de la maladie d’Alzheimer l’angoissa au-delà du raisonnable. Il mit du temps à s’en remettre. Ces dernières semaines, il était joyeux, plus léger. L’été 2017 fut doux entre Saint-Lunaire et le sud de la France. Il regardait avec admiration les progrès de Louise, la cavalière qui ambitionne de concourir aux prochains Jeux olympiques, et les premiers pas de Clémence, apprentie comédienne. Il se sentait porté par l’amour des siens, évidemment, mais aussi par celui des Français, toutes générations confondues. « Les vieux se souviennent du “Retour du grand blond”, les moins vieux des Jeux olympiques de 2004 et de 2008, où j’ai commenté les épreuves équestres, les jeunes m’ont découvert avec “Les Boloss des belles lettres”, sur France 5. Je suis devenu patrimonial. Je crois que j’ai enfin compris que je suis aimé pour ce que je suis. Je ne veux rien de plus. J’ai beaucoup eu. » Virginie Le Guay.
Comédien hyper-actif salué par la profession, Jean Rochefort frappe à toutes les portes, s'engage dans toutes les voies de la comédie. S'il poursuit son trajet comique, allant jusqu'à mettre en vedette son trait physique le plus évident avec Le Moustachu, il n'en joue pas moins la carte de la diversité. Film policier avec Il faut tuer Birgit Haas, drame avec Je suis le seigneur du chateau ou même comédie horrifique avec Frankenstein 90, Jean Rochefort touche à tout.
Il incarne un Mazarin fourbe et jouisseur dans Blanche de Bernie Bonvoisin. En 2004, il prête même son inimitable timbre de voix au robot Bigweld du film d'animation Robots.
Fidèle à sa réputation, Jean Rochefort continue de surprendre en choisissant des projets aussi divers qu’ambitieux. Il apparaît en 2007 dans J'ai toujours rêvé d'être un gangster, film en noir et blanc atypique de Samuel Benchetrit, et s’amuse dans le non moins décalé Agathe Cléry d’Étienne Chatiliez, en patron de Valérie Lemercier. Après une apparition dans le film familial Astérix et Obélix : au service de Sa Majesté en 2012, Jean Rochefort change de registre l'année suivante en campant le sculpteur Marc Cros, personnage principal de L'Artiste et son modèle, dans lequel il donne la réplique à Claudia Cardinale.
Les dernières années, il se consacre notamment à un travail de doublage de films d'animation, comme Jack et la mécanique du cœur ou Avril et le monde truqué. Le facétieux comédien s'illustre également sur Internet avec des pastilles humoristiques, « Les Boloss des Belles Lettres », où il présente des œuvres de la littérature classique dans un langage ultra vivant et dans une interprétation en roue libre. Le comédien a aussi incarné un homme atteint de la maladie d'Alzheimer en conflit avec sa fille incarnée par Sandrine Kiberlain dans Floride, sorti en 2015. AlloCiné.
Avec ses grandes moustaches, son air de séducteur farceur, Jean Rochefort restera comme l'une des grandes voix du septième art français par son timbre de voix unique, grave et pénétrant, immédiatement identifiable, à l'instar d'autres monuments du pays comme Jean-Louis Trintignant ou Philippe Noiret.
"J'appartiens au patrimoine. Il y a le jambon de Bayonne, Noiret, Marielle et moi", plaisantait l'acteur, qui a tourné dans près de 150 films.
S'il s'est taillé une réputation dans les comédies, où il a souvent incarné des rôles de pince-sans-rire, Jean Rochefort était un acteur singulier, difficile à classer, avec cet air à la fois conventionnel et "fêlé", comme le disait le réalisateur Patrice Leconte dont il était l'acteur fétiche.
Son allure élancée le prédestinait aux rôles de cadres supérieurs. Il a pourtant joué sur tous les registres : libertin cynique ("Que la fête commence" de Bertrand Tavernier), flegmatique valet ("Les tribulations d'un Chinois en Chine" de Philippe de Broca), pharmacien lâche ("Courage, fuyons" d'Yves Robert), père de famille adultérin ("Un Eléphant ça trompe énormément" d'Yves Robert), mari comblé ("Le mari de la coiffeuse" de Leconte), commandant de marine ("Le Crabe Tambour" de Pierre Schoendoerffer)...
Il a promené sa silhouette longue et osseuse dans des films d'auteur ou grand public, de valeur parfois inégale. En 1987, dans "Tandem" de Patrice Leconte, où il interprète de manière poignante un animateur radio solitaire, il montre qu'il excelle autant dans le registre dramatique que comique.
Sa longue carrière a été couronnée de trois "Césars" du cinéma français, pour ses rôles dans "Que la fête commence" en 1976, "Le Crabe-Tambour" en 1978, et un César d'honneur en 1999.
Né le 29 avril 1930 à Paris dans une famille bourgeoise, Jean Rochefort vit une enfance plutôt terne, en partie à Nantes (ouest). "Dieu que je me suis ennuyé enfant", confiait-il. Son goût pour le théâtre lui est communiqué notamment à travers les transmissions de pièces à la radio. Après l'école de théâtre de la rue Blanche à Paris, il entre au Conservatoire et débute dans la compagnie Grenier-Hussenot.
Sur les planches, il construit sa renommée aux côtés notamment de Delphine Seyrig. Il a près de trente ans quand il entame sa carrière au cinéma. Parti en URSS, il se marie et y reste un an.
À son retour, il joue dans la série "Angélique" de Bernard Borderie. Dans les années 1970, il devient l'acteur favori d'Yves Robert ("Le grand blond avec une chaussure noire", "Le retour du grand blond", "Un éléphant ça trompe énormément", "Nous irons tous au paradis"...) et acquiert son statut de vedette. C'est aussi le "chouchou" de Patrice Leconte, malgré une première rencontre catastrophique entre les deux hommes en 1975. "Autant Jean-Pierre Léaud, c'était Truffaut jeune, autant Rochefort, c'est moi, vieux", disait Leconte à L'Express.
Jean Rochefort a aussi tourné avec Michel Audiard, Pierre Salvadori, Alain Cavalier, Francis Veber, Robert Altman...
En 2015, à 85 ans, il avait incarné dans "Floride" de Philippe Le Guay, avec Sandrine Kiberlain, un ancien industriel en proie à la confusion mentale. Son chant du cygne puisqu'il annonçait, dans la foulée, qu'il mettait un terme à sa carrière. "Je ne veux pas faire de film d'épouvante, donc il vaut mieux s'arrêter", avait-il plaisanté sur Europe 1.
Ce qui ne l'empêchait nullement d'enregistrer régulièrement, pour France 5, l'émission des "Boloss des belles lettres" où il interprétait une œuvre du patrimoine littéraire en langage de la rue.
En privé, Jean Rochefort, réfractaire à la "starisation", était un passionné de cheval : il avait atteint un niveau de compétition et possédait un haras dans les Yvelines, où il a vécu jusqu'à ses 80 ans. Atteint de dépression, son psychiatre lui avait recommandé de fuir la campagne. "Parti à 30 ans de Paris, j'y suis revenu à 80", s'amusait-il avec son mélange habituel de sérieux et d'humour.
Père de cinq enfants de trois femmes différentes (Alexandra Moscwa, Nicole Garcia et Françoise Vidal), Jean Rochefort regrettait d'avoir été un "mauvais père" accaparé par sa carrière.
En 2004, il reçoit la médaille du Mérite agricole pour avoir été à l'origine de la première transplantation d'embryons chez la jument. La même année, il commente pour France 2 les épreuves hippiques des Jeux Olympiques d'Athènes. En 2011, Jean Rochefort, également féru d'art, publie « Le Louvre à cheval », un livre sur le cheval dans l'art.
En 2013, il a publié « Ce genre de choses », son premier livre, autobiographique, un recueil de souvenirs sur sa vie, son arrivée à Paris, son amour du théatre et de la scène. « La peur de la mort, ça c’est pas marrant. Je ne voudrais pas claquer tout de suite parce que j’ai encore plein de choses à faire », racontait-il à l’époque. AFP.
ALEX MÉTAYER 1930 - 2004
Musicien, Chanteur, Humoriste, Acteur, Réalisateur, Scénariste
En 40 ans de carrière, il est devenu l'un des maîtres du "one-man-show" sur scène en moquant avec cynisme et tendresse les travers du Français moyen.
Né le 19 mars 1930 de parents bretons, il grandit en Algérie et en garde l'accent pied-noir qui fait l'un de ses charmes comiques sur scène.
Son père est officier d'aviation, lui s'intéresse à la musique. Il quitte l'école très tôt pour se consacrer à la clarinette. Quand la famille s'installe à Paris, il suit les cours du Conservatoire, d'où il sort avec un premier prix. Il commence alors à jouer dans un orchestre de jazz. C'est en se frottant au public qu'il se rend compte qu'il a des dons comiques. Il se rode dans les cabarets des années 1960, aux côtés de Boby Lapointe, Jean Ferrat ou Barbara.
Il a présenté en 2000 son dernier spectacle, « Alex Métayer perd la tête », au théâtre du Palais- Royal à Paris, avant une tournée en province où il a dû annuler plusieurs spectacles pour raisons de santé. D'un ton professoral il nous y a tendu un miroir hilarant de nos propres attitudes.
Trotskiste dans sa jeunesse, il a gardé une sensibilité de gauche et a notamment signé une pétition d'artistes et intellectuels contre la guerre en Irak.
Si tout humoriste reste dans la mémoire collective pour un bon mot, le souvenir que laisse Alex Métayer témoigne d'une pudeur et d'une rigueur : celle d'un homme qui avait fait le choix de faire rire ses contemporains d'eux-mêmes, en brossant le tableau souvent acide d'une société qui avait cru à une « révolution » et l'avait oubliée : la France des années 1970 et 1980.
De la même génération que Guy Bedos, il construit ses spectacles avec des sketches moins « politiques » et moins « méchants », mais tout en dénonçant avec acidité, et souvent une certaine bienveillance pour les personnages dont il se moque, les incohérences de la vie quotidienne. « L’important est de solliciter le public, de le distraire. Si je parviens à glisser un message, je suis heureux », dit-il.
Attiré d'abord par la musique (clarinettiste et saxophoniste de jazz), Alex Métayer débute véritablement comme comique au début des années 60, dans divers cabarets et notamment en première partie de Georges Brassens à Bobino en 1964.
C'est avec l'émission « L’oreille en coin » sur France-Inter qu'il se fait vraiment connaître dans les années 70, avant de réaliser son premier on-man-show sur scène en 1975, « Mémoires d'un amnésique ».
D'autres suivront, à un rythme régulier: « T’as pas un moment », « Nous on s'aime », « La vie en V.O.», « Merci Disco », « Y’a un malaise », « Les femmes et les enfants d'abord », « Liberté chérie », « Moral d'acier », « Opéra comique » (nommé aux Molières 1994), « Famille je vous haime » (nommé aux Molières 1998). Dans ses spectacles où il met en scène des personnages à la fois exubérants et d'un banal très quotidien, il trouve un style bien personnel, fait de mimiques, de gestes, de traits d'humour acerbes en jouant de son accent, et surtout d'un punch et d'un rythme jamais en sommeil.
Plus que tout autre comique sur scène, il sait prendre le public à témoin de ses réflexions. Dans son dernier spectacle « Alex Métayer perd la tête », il se transforme en professeur pour, au travers de réalités scientifiques, aborder avec ironie et dérision les sujets de la vie quotidienne, de la sexualité au nucléaire en passant par la famille ou la politique.
Le comique s’est aussi essayé au cinéma, sans grand succès, en réalisant deux films dans lesquels il est également acteur: « Le bonheur se porte large » (1987), avec Eva Darlan et Laure Duthilleul, et « Mohamed Bertrand Duval » (1991), avec Moussa Maaskri et Didier Pain.
Il a également joué en 1996 une pièce de théâtre, « Aimez-moi les uns les autres », mis en scène par l'un de ses deux fils, Eric, également acteur de cinéma et de télévision et metteur en scène de certains de ses spectacles (ainsi que de Sylvie Joly et Marc Jolivet) au Théâtre du Gymnase. Alex Métayer est François, un comédien raté ayant pris sous son aile un travesti argentin, Juan, joué par Eric Métayer. Il déploit sa longue silhouette auprès de celle de son fils, toute aussi longue, rehaussée par d'hallucinants talons roses. La comédie est avenante, mais ce qui charme, c’est le sourire d'un père passant le relais à son fils.
LIAM NEESON
né le 7 juin 1952 en Irlande
Acteur
Il a grandi pendant le conflit nord-irlandais. Il a trois sœurs et possède les nationalités irlandaise, britannique et américaine. Il habite aux États-Unis depuis 1987 et a été naturalisé américain en 2009.
Conducteur de chariot élévateur chez Guinness, chauffeur routier, assistant architecte, boxeur amateur et même enseignant : Avant de se lancer dans le cinéma, Liam Neeson était professeur dans un collège, mais il a très vite arrêté ce métier, car il affirme qu'il ne parvenait pas à tenir une classe. Marié depuis 1994 à l'actrice Natasha Richardson dont il a eu deux fils, celle-ci meurt des suites d'un accident de ski en 2009.
Sa carrière cinématographique débute en 1979, et il apparaît dans des films d'aventure comme Excalibur, Le Bounty avec Mel Gibson et Anthony Hopkins, puis Mission avec Jeremy Irons et Robert De Niro.
La notoriété lui vient, en 1987, avec Suspect dangereux, où il est un sans-abri sourd et muet accusé de meurtre, suivi de Darkman trois ans plus tard, où il est le héros principal. La consécration arrive en 1993 pour son rôle d'Oskar Schindler dans La Liste de Schindler de Steven Spielberg, pour lequel il est nommé à l'Oscar du meilleur acteur. Dès lors, l’acteur se spécialise dans les rôles de personnages courageux et révolutionnaires, comme dans Michael Collins et Les Misérables de Bille August.
Titulaire du sabre laser du Maître jedi dans la galaxie très très lointaine de Star Wars Episode 1: La menace fantôme de George Lucas, et psychologue dans le remake de Hantise, Liam Neeson campe ensuite un officier russe dans le film d'action K-19 : le piège des profondeurs (2002), avant de rejoindre Leonardo DiCaprio et Daniel Day-Lewis au sein de la distribution du Gangs of New York de Martin Scorsese.
Au casting de la comédie britannique Love actually (2003) de Richard Curtis, il revient ensuite sous les traits du Dr Kinsey, premier scientifique à s'être intéressé aux mœurs sexuelles américaines, en 2005, année au cours de laquelle il est à l'affiche de trois superproductions très attendues : Batman begins de Christopher Nolan, dans lequel il dispense son savoir à Bruce Wayne sous les traits de Ra's Al Ghul, Kingdom of Heaven, l'épopée médiévale de Ridley Scott, ainsi que le premier volet du Monde de Narnia, dans lequel il prête sa voix au lion Aslan. Un rôle qu'il retrouve en 2008, à l'occasion du Monde de Narnia : chapitre 2 - Prince Caspian, après s'être illustré au casting de Breakfast on Pluto (2006), aux côtés de Cillian Murphy, puis dans le film d'action Taken, devant la caméra du Français Pierre Morel.
Après le succès colossal du trépidant Taken, qui rapporte près de dix fois ce qu'il avait coûté, Liam Neeson change de registre en interprétant un mari jaloux dans The Other Man, mis en images par Richard Eyre. En 2010, il reste dans la thématique de l'adultère en jouant le mari infidèle de Julianne Moore dans Chloe (Atom Egoyan). Cette même année commence très fort pour l’acteur, puisqu’il est à l’affiche de deux films : Le Choc des Titans de Louis Leterrier, dans lequel il prête ses traits à Zeus. Au fil des ans, Liam Neeson est de plus en plus sollicité pour incarner des hommes d’action. Ainsi, en quelques années, il est tantôt agent secret dans Sans Identité, tantôt aventurier téméraire dans Le Territoire des Loups. Puis il hérite une seconde fois de la foudre de Zeus dans La Colère des Titans, avant de jouer un amiral dans Battleship, pour clore l’année 2012 en affrontant une bande de terribles mafieux dans Taken 2.
La soixantaine passée, l'acteur n'en a vraisemblablement pas fini avec les thrillers et l'action, comme en témoignent ses prestations dans Non- Stop, Balade entre les tombes, Taken 3, Night Run et The Passenger. Entre ces films, il est à l'affiche de la comédie déjantée Albert à l'ouest de et avec Seth MacFarlane. En 2016, il retrouve le légendaire réalisateur Martin Scorsese, 14 ans après Gangs of New York. Il incarne le Père Ferreira dans Silence, un projet que le cinéaste veut porter à l'écran depuis de longues années. L'acteur se glisse aussi dans l'uniforme du Général Douglas MacArthur dans Memories of War, un film de guerre de John H. Lee.
À nouveau héros dans Sang froid, The Good Criminal, Le Vétéran, Ice Road et Blacklight, l’acteur s'illustre parallèlement dans des registres plus sobres avec le biopic The Secret Man - Mark Felt, la romance dramatique Ordinary Love et le troisième (et surprenant !) segment du western La Ballade de Buster Scruggs des frères Coen. Il sera bientôt tueur à gages devenu cible de la mafia dans Memory de Martin Campbell (2022) et se glissera dans la peau du très cinématographique détective privé Philip Marlowe dans Retribution (2023).
FERNANDEL 1903 - 1971
Comédien, Chanteur, Mime, Orateur
Il a tourné avec les plus grands de l'époque, de Sacha Guitry à Christian Jacques en passant par Henri Verneuil, Marcel Pagnol, Jean Renoir ou encore Julien Duvivier qui ont immédiatement été séduits par sa bonhomie, son grand sourire provençal, et son tempérament méditerranéen.
C'est une personnalité vaudevillesque hors pair de l'histoire du cinéma français, une gueule, un corps, une dégaine et toute une palette d’expressions cinématographiques qui se révèlent à l'écran dès les années 1930. Autant de facettes qui conditionnent son atmosphère artistique euphorique, par laquelle il séduisait très naturellement son public.
Mais avant de devenir la vedette comique, il y eut la période fondatrice du music-hall marseillais, dans les salles de spectacles pendant les entractes.
Son père était déjà un passionné de music-hall, de théâtre, qui se produisait sur les scènes de Marseille, c'est donc très naturellement que Fernandel, fréquentant les coulisses de théâtres, assistant aux répétitions de son père, était attiré par l’univers de la scène. Il participe très tôt à des spectacles comme petit figurant et chanteur pour faire comme son père, et prend exemple sur son idole, le comique troupier Pierre Paul Marsalès surnommé « Polin » qu'il imite autant que possible. Il rencontre son tout premier succès à moins de 10 ans après avoir remporté un concours public de petits chanteurs amateurs au théâtre du Châtelet de Marseille, en interprétant une des chansons de Polin « Mademoiselle Rose ».
Mauvais élève à la l'école, son père le pousse à travailler dans divers emplois de circonstances où il se fait souvent renvoyer pour indiscipline tant il prend la liberté d'aller chanter en banlieue marseillaise sans accord de son patron, quand il ne se met pas à improviser des chansonnettes sur son lieu de travail. Grande gueule, il l'est déjà très jeune, et impose déjà un caractère loin d'être facile, car bien que naturellement comique, il n'aimait pas qu'on gâche ses plaisirs, surtout pas sa passion et ses ambitions. Une grande autorité naturelle, joviale, spontanée qui devait désormais servir ses ambitions d’artiste au cinéma.
Il a un peu moins de 10 ans lorsque son père le pousse sur la scène pour qu'il chante pendant les entractes des cinémas. Il se produit à Marseille, il accepte tout, et se fait une réputation. Il devient même un indispensable dans tous les petits événements locaux. Il exploite déjà tout ce qui fait l’originalité de sa démarche sur scène par les spectacles d'opérette à Marseille.
La Grande guerre le contraint à abandonner temporairement la scène pour travailler dans le commerce et dans la banque. Entre 1925 et 1930, il s’épanouit en tant que chanteur populaire et comique dans les salles de cinéma, dans les music-halls. Heureusement, à cette époque, dans tous les cinémas, à l'entracte, des attractions occupaient les spectateurs. Il faut dire que, durant l’entre-deux-guerres, on avait besoin de s’échapper par le rire et la dérision. Fernandel saisit sa chance et devient un comique croupier digne de ce nom où il se plaît à chanter le répertoire de son idole Polin de « La grosse gaudriole » à « Mademoiselle Rose », ou encore « La caissière du Grand
Café ». C’est grâce à son ami, le scénariste et parolier Jean Manse, qu’il enrichit son répertoire de chansons. Il se marie avec la sœur de ce dernier, Henriette et son accent marseillais lui vaut d’être surnommé « Fernandel » par sa belle-mère, un surnom d'artiste parfait !
Après s'être fait une réputation dans son midi natal, sa réputation locale lui permet de gagner les salles concert de Paris à la fin des années 1920. Il signe un contrat pour le concert Bobino ou encore celui de Mayol où il chante et interprète des sketches comiques, le tout accompagné d’une ribambelle de grimaces très vendeuses et prometteuses. Encore en bas de l'affiche, il croit énormément en son potentiel et ne se laisse jamais abattre par les aspérités du monde du spectacle. Il faut dire qu’il cultive déjà très jeune une très grande force d'esprit joviale et rieuse. Autant de facettes qui construisent son personnage, son charisme naturel, et sa très grande facilité de parole.
Notre chanteur d'attraction est très vite intronisé par le cinéma, introduit par Marc Allégret, en 1931, qui tourne son premier film muet sous la direction de Sacha Guitry, avec Raimu comme acteur principal, dans "Le Blanc et le noir" en 1931 où Fernandel interprète un chasseur vierge (le groom) censé satisfaire les désirs d’adultère d’une femme désespérée par son propre mari. Voici qu’il tenait à 28 ans un petit rôle dans une courte scène pour une personnalité qui prenait déjà tant de place. Un film qui fait démarrer sa carrière cinématographique aux côtés d'un Sacha Guitry qui se mettait tout juste au cinéma parlant. C'est une scène très brève, mais très drôle, où on le voit à peine.
Sa collaboration avec Marcel Pagnol lui permet de faire véritablement décoller sa carrière d’acteur en 1934 avec le tournage d'"Angèle", une adaptation d’un roman de Jean Giono, où Fernandel joue le rôle du valet Saturnin qui part rechercher la fille d’un paysan, Angèle, dans le bordel d’un proxénète où elle a été placée. Marcel Pagnol avait d’abord demandé à Michel Simon, grande vedette, mais qui avait demandé trop cher. Alors qu’il avait du mal avec le style de jeu du jeune chanteur marseillais, il finit par lui donner le rôle, faisant découvrir aux spectateurs une sensibilité extraordinaire qu’on ne lui connaissait pas encore et où il signe déjà de très beaux moments de cinéma.
Aux côtés de Pagnol, il arrive à se faire une place dans le milieu frelaté du cinéma en enchaînant avec "Le Regain" (1937) et puis toujours avec Pagnol dans "Le Schpountz" (1938). Ce film qui résonne presque comme une production autobiographique de Fernandel, où il interprète Irénée, un jobard qui se rêve vedette du grand écran, mais considéré par son entourage comme un vaurien. Il affiche son talent de comédien polymorphique. Un film certes bavard, mais dans lequel Pagnol, très astucieux, arrive à détacher Fernandel de ce côté ultra naïf qu'il avait au début, pour en faire une future vedette, capable de tout interpréter. Dès lors, Fernandel n'est plus seulement cet amuseur public, mais un acteur à part entière qui savait être bouleversant quand il le souhaitait.
Christian Jacque lui offre également six rôles durant ces années d’entre-deux- guerres : "Un de la légion" (1936) ; "Josette" (1937) ; "François Ier" (1937), "Les dégourdis de la 11e" (1937), "Ernest le rebelle" (1938) ou encore "Raphaël le tatoué" (1939) où il interprète ici un double personnage.
Il travaille une dernière fois avec Marcel Pagnol qui adapte un roman d'Émile Zola, "Naïs" (1945), une comédie un peu moins connue peut-être, sans doute parce qu’elle est dramatique. Une comédie magnifique où Fernandel interprète un valet de ferme bossu épris de la fille du métayer pour qui il travaille. Il porte une histoire sentimentale très sensible de Pagnol qui permet à l'acteur marseillais de se refaire une santé après les années noires de l'Occupation.
Il tourne également huit films avec le grand Henri Verneuil dans les années 1950 dont "Le Fruit défendu" (1952), "L'ennemi public numéro un" (1953) , "Le Mouton à cinq pattes" (1954), "Le grand chef" (1959) et "La Vache et Le prisonnier" (1959). Dans ce dernier, le voici dans la peau d'un prisonnier de guerre qui décide, en 1943, de s'évader de la ferme où il est employé tenant à son licol la vache Marguerite qui l'accompagne. Une série de films qui sont tous pour l’essentiel des comédies dramatiques qui s’écartent du genre comique au sens propre du terme, mais qui permettent de le découvrir sous un autre jour. Le plus symbolique étant sans nul doute "La table aux crevés" (1951) où Fernandel, très émouvant, interprète un paysan et conseiller municipal accusé à tort du meurtre de sa femme au sein de son village partagé entre Républicains et cléricaux qui instrumentalisent ce fait-divers.
Impossible de ne pas citer "L'Auberge rouge" de Claude Autant-Lara (1951), un des meilleurs films de Fernandel même si ça n'a pas été un grand succès. Inspiré par la légende d'une auberge de l'Ardèche dont les tenanciers, dans les années 1820, auraient fait disparaître beaucoup de clients. Un tournage qui se passe assez mal puisque Fernandel doit répéter plusieurs plans, et de nombreux conflits éclatent quant au propos même du film. C'est le premier de cordée de ses films où il interprète un religieux. D'ailleurs, il trouve que le film est beaucoup trop critique vis-à-vis de la religion, et résonne comme une production de la Nouvelle Vague qu'il ne porte pas particulièrement dans son cœur. Il faut dire que Fernandel était réputé pour être très clérical, conservateur, réactionnaire dans ses convictions, en particulier lorsqu’il s’agissait de religion. Au final, ça reste un de ses chefs d'œuvre.
C’est surtout avec le cinéaste Julien Duvivier qu'il accède à l'éternité. Le cinéaste le choisit pour "Le petit monde de Don Camillo" (1952) qui signe l’un des plus grands succès populaires de la carrière de Fernandel avec "Ali Baba et les quarante voleurs" signé deux ans plus tard par Jacques Becker. À tel point que Don Camillo se décline en une série de cinq films jusqu’en 1965. Bien qu'ils ne révèlent pas l'immense comédien qu'il était, c'est ce que le grand public a le plus retenu de sa filmographie. D'ailleurs dans l'imaginaire de beaucoup de Français, Fernandel apparaît toujours avec la soutane du prêtre. Don Fernandel est le personnage qui aura le plus fédéré de public. L’aspect religieux de certains de ses rôles lui colle tellement à la peau que le même cinéaste lui propose même, en 1962, un film à sketches "Le Diable et les dix commandements" où Fernandel incarne un homme (fou) qui se prend pour... Dieu ! Jimmy Bourquin.
BRIAN DENNEHY
1938 - 2020
acteur, réalisateur, scénariste
Il était l’une des « gueules » d’Hollywood. Carrure de déménageur, machoire carré, regard menaçant... son physique l'avait abonné aux rôles de dur et de méchant. C’est d’ailleurs dans celui du shérif salaud de Rambo que le grand public l'avait découvert, pour ne plus jamais l’oublier. Mais Brian Dennehy était bien plus qu’un sempiternel méchant. Si sa carrière sur les écrans, grand et petit, l’a souvent cantonné à des seconds rôles, c’est sur les planches que le comédien a montré l'étendue de son talent. Avec à la clef, deux Tony Awards et un Laurence Olivier Award, les «Molières» américains et britanniques.
Avec ses 110 kilos pour 1,90 mètre, le jeune Dennehy s’était naturellement tourné vers le football américain -première ligne offensive, évidemment- avant de se bifurquer vers la comédie. D'origine irlandaise, véritable force de la nature et sportif accompli, Brian Dennehy entre à l'Université de Columbia à New York grâce à un cursus à dominante sportive. Diplômé en Histoire, il entre ensuite à l'Université de Yale pour y étudier l'Art Dramatique. Entre 1977 et 1979, il enchaîne les petits rôles, notamment dans À la recherche de Mr Goodbar, Elle de Blake Edwards, ou encore F.I.S.T. de Norman Jewison. C'est toutefois avec Rambo de Ted Kotcheff, où il tient le rôle d'un shérif bigot et réactionnaire s'oppposant à la venue d'un Sylvester Stallone, vétéran du Viêtnam dans sa bourgade, que l'acteur crève l'écran. Ce rôle, ainsi que celui du shérif Cobb dans le western Silverado, est l'une des rares figures de salauds que l'acteur ait interprétée au cours de sa carrière.
À partir de 1977, il fait ses classes à la télévision, apparaissant dans Kojak, Dynastie, Dallas... Dans le même temps, il décroche de petits rôles au cinéma, et il lui faudra attendre 1982 pour se faire véritablement remarquer. Cette année-là, Brian Dennehy incarne le Shérif Will Teasle dans Rambo.
Dans le premier volet de la saga (de très loin le meilleur, devant les ridicules suites suintantes de testostérone...), le représentant des forces de l’ordre raccompagne le vétéran John Rambo, incarné par Sylvester Stallone, à la sortie de sa petite ville. C’est qu’on ne veut pas de vagabond comme lui, à Hope, Washington. Le personnage de Dennehy incarne alors cette Amérique humiliée par la défaite du Vietnam, embarrassée par ses crimes de guerre, et préférant détourner le regard du sort de ses anciens combattants. À force de provocations, le shérif autoritaire finira par relancer la machine à tuer Rambo, et mettre à feu et à sang sa petite bourgade...
Ses premiers rôles, Brian Dennehy va les trouver au théâtre. Sa carrière sur les planches a commencé au tournant des années 1990, et l'acteur a fait ses début à Broadway en 1995. En 1999, son interprétation de Willy Loman dans Mort d’un commis voyageur lui vaut son premier Tony, puis un Laurence Olivier Award lors du passage de la pièce dans le West End. Classique de la dramaturgie américaine, le rôle lui vaudra également un Golden Globe, dans l’adaptation de la pièce d'Arthur Miller sur la chaîne télévisée Showtime.
Bien que la carrière de l'acteur soit surtout jalonnée par d'innombrables apparitions sur le petit écran, la filmographie de Brian Dennehy livre des rôles souvent éclectiques. En 1983, il partage l'affiche du thriller Gorky Park, aux côtés de Lee Marvin et William Hurt. Il enchaîne dans un tout autre registre avec Cocoon, un film de science fiction signé Ron Howard. Il s'est souvent cantonné dans des rôles de flics taciturnes et déterminés, aux motivations quelquefois troubles, à l'instar du dyptique FX Effet de choc / FX2 effets très spéciaux. C'est aussi le cas de Pacte avec un tueur, où il campe un ex-policier reconverti en écrivain, et faisant équipe avec James Woods en tueur à gages. En 1987, le cinéaste britannique Peter Greenaway lui propose le rôle de Stourley Kracklite dans Le Ventre de l'architecte. Ce rôle de composition, où il campe un architecte paranoïaque, obsédé par son travail et souffrant de maux d'estomac atroces, vaut à Brian Dennehy le Prix du Meilleur acteur décerné lors du Chicago Film festival.
Brian Dennehy se fait un peu plus rare sur les écrans de cinéma dans les années 1990- 2000, se consacrant pour l'essentiel à la télévision et au théâtre. En 1996, il accepte cependant de prêter ses traits à Ted Montagüe dans Romeo + Juliette, la légendaire histoire des amants maudits revisitée par Baz Luhrmann. En 2004, il tient un petit rôle dans la comédie She hate me de Spike Lee, avant de donner son accord pour jouer dans Assaut sur le central 13, remake du film culte de John Carpenter.
Tout de même actif, Brian Dennehy enchaîne les seconds rôles dans des productions cinématographiques aussi différentes que The Ultimate Gift (2006), La loi et l'ordre de Jon Avnet aux côtés de Robert De Niro et d'Al Pacino (2008), Every Day (2010), Drôles d'oiseaux (2011) ou encore Knight of Cups (2015). Parallèlement, il donne de la voix pour les besoins du Pixar Ratatouille (2007), participe à deux épisodes de la série The Good Wife et se glisse dans la peau d'un personnage récurrent dans la série policière d'Edward Burns, Public Morals qui démarre en 2015.
Jouant souvent les méchants, il avait aussi été remarqué dans plusieurs séries-stars des années 70 et 80 comme M.A.S.H., Kojak, Serpico, Dynastie et Dallas, et plus récemment dans Blacklist, série lancée en 2013.
C’est l’une des « gueules » du cinéma américain. Un colosse d’1m90 à la mâchoire carrée qui a trimballé sa silhouette un peu voûtée dans nombre de séries et de films des années 70 à nos jours – son dernier rôle remonte à 2018.
Surtout connu pour avoir interprété l’intraitable shérif Will Teasle dans Rambo, Brian Dennehy a aussi joué dans quelques classiques des années 80-90 : Cocoon, Silverado, L’affaire Chelsea Deardon, Pacte avec un tueur, Présumé innocent, Roméo+Juliette... On se souviendra aussi, et surtout, de sa prestation hallucinante, et hallucinée, dans Le ventre de l’architecte de Peter Greenaway où, enfin, il tenait le premier rôle (pour lequel il a remporté le prix du meilleur acteur au Chicago International Film Festival en 1997).
Durant sa longue carrière, Brian Dennehy a remporté deux Tony Awards, six Emmy Awards et un Golden Globe. Né à Bridgeport, dans le Connecticut, en 1938, il a servi dans les Marines de 1959 à 1963. Il a ensuite étudié l'histoire à Columbia, fréquentant l'université grâce une bourse de football avant d'obtenir sa maîtrise en arts dramatiques à Yale, deux prestigieuses universités américaines. Plaqueur offensif pour l'équipe de football de Chaminade High School à Mineola, son entraîneur lui a dit un jour qu’en tant que joueur de football, tu ferais un grand acteur". "Et j'ai commencé à faire du théâtre", a-t-il déclaré à Newsday en 2013. Il a commencé sa carrière de comédien à la télévision en apparaissant dans Kojak, MASH, Dallas ou encore Les Joyeux débuts de Butch Cassidy et le Kid.
En 2003, Brian Dennehy décroche son second Tony Award, pour son interprétation dans la pièce d'Eugene O'Neill, Le Long Voyage vers la nuit, sous la direction de son grand ami Robert Falls. Comme pour Mort d’un commis voyageur, la pièce avait été montée au Goodman Theatre de Chicago. La « Windy City » avait la préférence de l’humble Brian Dennehy, car contrairement à l’infernale Broadway, avait-il confié au « Hollywood Reporter », « je peux me retrouver avec des gens rationnels, qui gagnent 50 000 dollars par an, vivent dans des maisons, ont des enfants, paient leurs impôts, et vont au supermarché ».
Nommé à six reprises aux Emmy Awards, il a été vu récemment dans la peau de Dominic Wilkinson dans la série The Blacklist. Il a également remporté un Golden Globe pour son rôle de Willy Loman dans la mini-série Death of a Salesman, diffusée en 2000. Sa dernière apparition remonte à 2018 dans le film Tag : Une règle, zéro limite.
RAYMOND PELLEGRIN
Raymond Louis Pilade Pellegrini
1925 - 2007
Fils de parents toscans établis à Nice, à 14 ans, il perd son père, restaurateur.
Cela l'oblige à travailler plus tôt que prévu et bien que son vœu le plus cher soit de devenir officier de marine, il doit aider sa mère. Il commence par de petits métiers comme apprenti dans le bâtiment, marchand de glaces et garçon de restaurant.
Deux ans plus tard, sa vocation se dessine : il décide qu'il sera acteur et s'inscrit aux cours d'art dramatique dispensés par Pierrette Caillol, l'épouse du cinéaste Yvan Noé qui, par ailleurs, lui offre son premier rôle au cinéma dans Six petites filles en blanc.
Un an plus tard, il a 17 ans, il débute au Palais de la Méditerranée à Nice dans « Le président Haudecoeur » de Roger Ferdinand.
L'année suivante, il joue « Un déjeuner de soleil » d'André Birabeau. La pièce tient une semaine, sa partenaire a pour nom Giselle Pascal. À ce moment, il ne se doute pas qu'elle occupera, par la suite, un rôle important dans sa vie.
En 1943, alors il se produit au Théâtre de Monaco dans « C’était en juillet », une pièce en quatre actes, dont chacun lui permet de multiples transformations.
C'est là qu'il est repéré par Marcel Pagnol, qui, après l'avoir fait jouer au théâtre dans Topaze, lui offre un rôle de bellâtre en quête de femmes fortunées dans Naïs (1945).
Marcel Pagnol le réengage sur les planches pour César en 1947 (Il interprète un convaincant Césariot auprès de Henri Vilbert en César (Raimu étant décédé trois mois plus tôt), Arius en Panisse et Orane Demazis en Fanny), et lui offre en 1952 un autre emploi, celui du jeune instituteur amoureux de Manon des sources. Une syncope empêche Raymond Pellegrin de jouer dans « Judas » en 1955. Marcel Pagnol le considérait comme un fils.
Dès cet instant, pièces et films s'enchaînent sans discontinuer. Impossible de citer tout l'actif théâtral de Raymond Pellegrin. Sa filmographie comporte près de cent titres, Les producteurs lui découvrent un double profil et lui font jouer les "bons" et - plus souvent - les "méchants". Des rôles de durs, de proxénètes, de flics ou de truands, au physique viril et à la voix de velours, en France, aux Etats-Unis, en Italie, et à la télévision. Il possède une voix reconnaissable entre toutes, somptueuse, soyeuse, qui n'est pas sans rappeler celle de Charles Boyer, un physique et surtout un talent qui s'affirme de film en film.
Nous sommes tous des assassins, d'André Cayatte (1952), qui le voit endosser un personnage de criminel, ou Les Intrigantes, d'Henri Decoin (1954) avec une ténébreuse Jeanne Moreau. Raymond Pellegrin hante les quartiers malfamés filmés par Ralph Habib (Les Compagnes de la nuit, 1953, ou Loi des rues, 1956), se produit chez Marcel Blistène (Le Feu dans la peau,1953) ou Raoul André (Marchandes d'illusions, 1954). Il assume un rôle sur l'impuissance masculine dans La Lumière d'en face, de Georges Lacombe (1955, avec Brigitte Bardot).
Dans Le grand jeu, version Siodmak, Jean-Claude Pascal, aveuglé par la jalousie, le tue pour les beaux yeux de Gina Lollobrigida. Dans Le feu dans la peau, il vit avec Giselle Pascal un drame aux amours passionnées et torturées.
Ces années 50 sont des années fortes pour le comédien dont l'apothéose est le sacre que lui réserve Sacha Guitry en lui permettant de personnifier un Napoléon plus vrai que nature. Il remplit son rôle avec une conviction et une parfaite crédibilité. Le "Prix Triomphe du Cinéma français" lui est fort justement attribué en 1955.
À l'étranger, c'est chez Nicholas Ray qu'on le voit, dans Amère victoire (1957, avec Curd Jürgens et Richard Burton), chez Sidney Lumet dans Vu du pont, d'après Arthur Miller (1961), chez Fred Zinnemann dans Et vint le jour de la vengeance (1965, avec Gregory Peck et Omar Sharif). Ou, en Italie, chez Lattuada (L'Imprévu, 1961), Freda (Le Château des amants maudits, 1969), Squitieri (Lucia et les gouapes, 1973).
Ses rôles les plus marquants sont peut-être le Napoléon de Sacha Guitry (1954), et celui du gangster dans Le Deuxième Souffle, de Jean-Pierre Melville (1966). Il revient en France en 1981, à l'appel de Claude Lelouch pour sa grande fresque familiale Les uns et les autres dans laquelle il incarne un directeur de music-hall parisien, père de Francis Huster. Deux ans plus tard, il remet çà avec Lelouch pour Viva la vie !, mais le film n'enregistre qu'un succès d'estime.
La télévision le fit sortir de ses rôles de flics ou truands. Elle lui confie plusieurs téléfilms dont le désormais célèbre Châteauvallon de Paul Planchon et Serge Friedman dans lequel il interprète un chiffonnier milliardaire, ainsi que la série des sept épisodes du commissaire Rocca, une série un peu brutalement interrompue par TF1.
Moins connue était sa prestation dans la série des « Fantômas » d'André Hunebelle (Fantômas, 1964 ; Fantômas se déchaîne, 1965 et Fantômas contre Scotland Yard (1967), où il prêtait sa voix à l'insaisissable criminel masqué. Jean-Luc Douin et Yvan Foucart.
JOHN CAZALE
1935 - 1978
John Cazale est un acteur sicilo-américain. Ami d'enfance d'Al Pacino, ce dernier eut néanmoins du succès beaucoup plus tard. Acteur très reconnu pour son jeu, subtil et fin, Cazale fut formé à l'Oberlin College et au cours d'art dramatique de Boston. Il commença sa carrière au théâtre en remportant plusieurs Obie Award.
Au cinéma il joua notamment dans Un après midi de chien, où il interprète le complice de Pacino dans un braquage, et Voyage au bout de l'enfer où il est un ouvrier dont trois amis partent pour la Guerre du Vietnam. Il eut un petit rôle dans Le Parrain, mais ce rôle prit beaucoup plus d'importance dans Le Parrain 2. Après sa mort prématurée due à un cancer des os, Francis Ford Coppola décida de mettre des images d'archives dans Le Parrain, 3ème partie.
Il était fiancé à Meryl Streep, rencontrée alors qu'ils jouaient dans la pièce « Mesure pour mesure » de Shakespeare (1976). Elle accepta un rôle secondaire dans le film Voyage au bout de l'enfer de Michael Cimino pour être à ses côtés, à cause de sa maladie.
Formé à l'Oberlin College et aux cours d'art dramatique de l'université de Boston, John Cazale entame sa carrière sur les planches, remportant plusieurs Obie Awards.
Ami d'enfance d'Al Pacino, comme lui d'origine italienne, il fait ses débuts sur grand écran grâce à ce dernier qui l'accompagne à une audition pour Le Parrain, dans lequel il interprète le frêle Fredo Corleone, fragile et incapable frère aîné de Michael, rôle qu'il reprendra dans le second volet, où les relations des deux frères occupent une place primordiale.
Fidèle à Francis Ford Coppola, puisqu'il incarne Stan, l'assistant de Gene Hackman dans Conversation secrète, Palme d'or au festival de Cannes en 1974, il l'est également à Pacino avec qui il partage l'affiche d'Un après-midi de chien, campant avec maestria Sal, un braqueur de banque minable et émouvant, et glanant au passage une nomination au Golden Globe du meilleur second rôle.
Lorsqu'il débute le tournage de Voyage au bout de l'enfer, il souffre déjà d'un cancer des os incurable. Le réalisateur Michael Cimino, qui ne l'ignore pas, décide alors de tourner en premier lieu les scènes où il figure. Mais lorsque les studios, qui n'en avaient pas été informés, apprennent son état de santé, ils exigent qu'on le remplace séance tenante. Meryl Streep, sa fiancée, qui joue également dans le film, menace alors de quitter le tournage. Cazale mourra peu après l'achèvement du film, à l'âge de 42 ans, laissant derrière lui l'image d'un acteur au jeu intense et délicat, auquel Coppola rendra hommage en le faisant apparaître dans Le Parrain, 3e partie, par le biais d'images d'archives.
Quelque brève qu'elle ait été, la trajectoire de cet acteur subtil abonné aux seconds rôles de faibles ou de loosers pathétiques fut exceptionnelle. Cinq films, pour autant de chef-d’œuvres, tous nominés à L'Oscar du meilleur Film. AlloCiné.
D'origine italo-américaine par son père et irlando-américaine par sa mère, John Cazale est un acteur dont le visage a traversé cinq longs métrages de grande envergure, qui furent tous nommés à l'Oscar du meilleur film. Toujours dans des rôles de loosers brillamment incarnés.
Les versions divergent sur le choix de John Cazale pour incarner Fredo Corleone dans Le parrain. Francis Ford Coppola déclara « il avait la chaleur et la délicatesse dont je rêvais pour [le personnage de] Fredo, je ne crois pas avoir hésité pour le choisir »*. Il sera donc le grand frère de Michael Corleone (joué par Al Pacino, qu'il avait connu adolescent et avec qui il fit beaucoup de théâtre), un personnage fragile et incapable qu'il reprendra dans Le parrain 2, où les relations entre Michael et Fredo atteindront un point de rupture.
Diane Keaton, qui incarne la femme de Mike Corleone dira de Cazale qu'il était « une sorte de mentor pour tout le monde sur le plateau ». Sa voix aiguë et sa vulnérabilité permanente en font l'un des visages inséparables de la saga mafieuse.
Coppola engage à nouveau Cazale dans Conversation secrète, un rôle qu'il lui a spécifiquement écrit. Le réalisateur déclarera « c’était un personnage d'assistant qui soudainement devenait un personnage à part entière ». Quant à Gene Hackman, il qualifiera Cazale d'acteur « extrêmement intense » et « très concentré ». Le film remporta la Palme d'or au festival de Cannes en 1974.
C'est grâce à son amitié avec Al Pacino que Cazale fut recommandé pour jouer le rôle de « Sal » dans l'adaptation du fait divers qui allait donner Un après-midi de chien. Le réalisateur Sidney Lumet refusait de choisir Cazale, alors âgé de 39 ans, qu'il jugeait bien trop âgé pour incarner le vrai « Sal », qui avait 18 ans au moment du braquage. Il accepta tout de même de faire une lecture avec le comédien et au bout de 5 minutes, a validé sa participation au film. Sa prestation en braqueur minable et drôle dans sa nervosité lui vaudra une nomination au Golden Globe du meilleur second rôle.
La méthode de Cazale consistait à poser des tas de questions sur son personnage ou la scène, au point que Pacino déclarera « j’ai plus appris de mon métier d'acteur avec John qu'avec quiconque ».
Au moment du tournage de Voyage au bout de l'enfer, Cazale est déjà atteint d'un cancer des os incurable. Le réalisateur Michael Cimino décide alors de tourner ses scènes en priorité mais le studio s'y oppose et demande qu'il soit remplacé. Il fallut que Robert De Niro paye l'assurance du tournage de Cazale et que sa fiancée de l'époque Meryl Streep menace de quitter le tournage pour que Cazale termine ses scènes. Il interprète dans le film Stanley « Stosh », un membre du groupe d'amis joué par De Niro, Christopher Walken, John Savage, George Dzundza et Chuck Aspegren. Il est notamment celui qui porte toujours « au cas où » un pistolet.
John Cazale décède à 42 ans le 12 mars 1978 sans avoir vu le film terminé. Francis Ford Coppola lui rendra hommage en l'incluant au Parrain 3 via des images d'archives.
*Cet extrait d'interview et ceux qui suivent dans cet article (Diane Keaton exceptée) proviennent du documentaire I Knew It Was You: Rediscovering John Cazale, réalisé en 2009 par Richard Shepard. Corentin Palanchini.
C'était l'acteur infaillible : tous les films dans lesquels il est apparu ont été nommés pour un Oscar
Aimant à Oscars, John Cazale est le seul acteur qui n’a joué que dans des chef-d’œuvres. Retour sur sa trop courte carrière qui a marqué le 7ème Art.
“Il était l’un des meilleurs acteurs de notre époque. Cette époque, n’importe quelle époque.” Pour qu’Al Pacino dise ce genre de choses à votre sujet, c’est que votre carrière est exemplaire. Et c’est le cas de celle du mythique John Cazale, parti trop tôt, mais qui a eu le temps de briller au théâtre, de séduire Meryl Streep et de faire de chaque film dans lequel il a joué un chef-d’œuvre nommé aux Oscars.
Comme le rappelle « SensaCine », John Cazale découvre le théâtre à l’âge de 24 ans et ne veut plus jamais descendre de la scène. Et ce n’est pas comme si ses pairs allaient le laisser faire : les critiques le qualifient en effet “d’absolument génial, hilarant, émouvant, excitant”. Ami de longue date de Al Pacino, il tourne dans un seul épisode télévisé (de la série N.Y.P.D. de 1967) avant d’attirer peu à peu l’attention des directeurs de casting. Surtout un qui, par hasard, travaille avec Francis Ford Coppola.
Ce dernier, en pleine pré-production du Parrain, le choisit pour incarner Fredo Corleone dès qu’il le voit. Résultat : onze nominations aux Oscars et le film repart avec trois prix, dont celui du meilleur film, du meilleur acteur pour Marlon Brando et du meilleur scénario adapté. En 1974, c’est reparti pour un tour avec Le Parrain, 2ème partie : onze nominations et six victoires cette fois (meilleur film, meilleur réalisateur et meilleur second rôle, entre autres). Et, comme si cela ne suffisait pas, la même année, il tourne Conversation secrète, toujours sous la direction de Coppola. Et là encore : trois nominations aux Oscars, dont celle du meilleur film et du meilleur scénario original.
Ne souhaitant pas se précipiter mais choisir les projets qui lui convient le mieux, le film suivant de John Cazale est Un après-midi de chien (1975) avec Al Pacino qui lui vaudra sa première et unique nomination aux Golden Globes et qui remportera six nominations aux Oscars, dont une statuette pour le meilleur scénario original.
Son dernier rôle sera dans Voyage au bout de l’enfer, le chef-d'œuvre de Michael Cimino, dans lequel il a préféré jouer plutôt que de soigner le cancer du poumon métastatique qui lui avait été diagnostiqué car il n’avait jamais arrêté de fumer. Robert De Niro a alors payé son assurance, Meryl Streep a, quant à elle, insisté pour qu’il soit dans le film...
Et ils avaient tous les deux raison : les scènes de Cazale ont toutes été enregistrées au début du tournage et c’est peut-être là le meilleur rôle de toute sa carrière. Il a en effet tout donné sachant que la fin était proche. Son dernier cadeau sera les neuf nominations aux Oscars que le film remportera dont cinq victoires pour le long métrage lui-même, sa réalisation, son montage et son et le second rôle de Christopher Walken.
Décédé prématurément à l’âge de 42 ans – avec Meryl Streep, sa compagne, à ses côtés, ne le laissant jamais seul –, John Cazale aura donc eu une carrière de cinq films, cinq chef-d’œuvres qui ont tous marqué l’Histoire, celle du cinéma et des Oscars. Il a alors laissé derrière lui beaucoup de regrets quand on pense aux superbes prestations qu’il aurait pu continuer d’offrir à un public subjugué. Isabelle Ratane.
JAMES SPADER 1960
acteur, producteur
Né le 7 février 1960 à Boston, Massachussetts, États-Unis, James Todd Spader est un acteur américain. Il se passionne très tôt pour l’art dramatique, et à l’âge de dix-sept ans il joue dans de nombreuses pièces. Il fait ensuite ses premiers pas sur les écrans dans le film Team-Mates en 1978. Il enchaîne alors les projets, il est à l’affiche de Wall Street en 1987. La notoriété arrive avec son interprétation de voyeur dans Sexe, mensonges et vidéo (1989), de Steven Soderbergh, Palme d'or à Cannes, qui lui vaut le Prix d'interprétation masculine en 1989.
Dans les années 1990, il incarne un égyptologue dans Stargate, la porte des étoiles, un fétichiste dans Crash en 1996, ou encore un sadomasochiste dans La Secrétaire ! En 2003, il crève de nouveau l'écran dans la série The Practice en tant qu'avocat peu soucieux de l'éthique. Il fait si bonne impression qu'un spin-off est créé autour de son personnage : Boston Justice. Il obtient trois Primetime Emmy Awards (2004, 2005 et 2007) ainsi qu'un Satellite Award en 2006. En 2013, James Spader retrouve un rôle de méchant, un criminel dans la série The Blacklist. Deux ans plus tard, il incarne le robot Ultron, l'ennemi des super-héros, dans Avengers : L'Ere d'Ultron.
Fils d'enseignants né à Boston, l'Américain James Spader suit les cours de l'école d'art dramatique Michael Chekhov à New York. Après divers petits boulots, il obtient son premier rôle au cinéma en 1978 dans la comédie Team-Mates réalisée par Steven Jacobson. Trois ans plus tard, il s'inscrit comme second rôle dans Un amour infini (1981), un drame de Franco Zeffirelli. C'est ensuite sous l'égide du producteur John Hughes qu'on le retrouve dans la comédie adolescente Rose bonbon où il excelle dans son rôle de jeune arriviste orgueilleux. Ce type de personnage, James Spader va en faire sa spécialité, notamment dans Baby Boom en 1987 ou Bad Influence de Curtis Hanson en 1990. Mais c'est en 1989 que l'acteur obtient la consécration avec Sexe, mensonge et vidéo, mis en scène par Steven Soderbergh. Aux côtés d'Andie MacDowell et de Peter Gallagher, il endosse parfaitement ce personnage d'excentrique et de voyeur qui lui vaut le prix d'interprétation à Cannes tandis que le film décroche la Palme d'or. En 1990, James Spader a La Fièvre d'aimer en donnant la réplique à Susan Sarandon dans le sulfureux film de Luis Mandoki. Deux ans plus tard, il joue sous la direction de Tim Robbins dans son satirique Bob Roberts (1992). Le comédien va ensuite tourner dans trois productions majeures : d'abord avec Wolf (1994), le film de lycanthrope dirigé par Mike Nichols avec Jack Nicholson et Michelle Pfeiffer, ensuite avec la superproduction Stargate, la porte des étoiles (1994) réalisée par Roland Emmerich, enfin avec le troublant et controversé Crash (1995), adapté du roman de James Graham Ballard par David Cronenberg. Après le film de S.F. Supernova (2000), James Spader interprète un agent du FBI qui poursuit un Keanu Reeves psychopathe dans le thriller The Watcher (2000). Puis, il devient le patron sadique et fesseur de La Secrétaire, Maggie Gyllenhaal en 2002. L'année suivante, son rôle d'avocat dans la série TV « The Practice » (saison 8 - 2003) est salué et récompensé au point de voir naître un spin-off de la série, « Boston Justice » (2004-2008), centré en partie sur son personnage et qui connaît un immense succès en allouant à son interprète plusieurs prix. En 2009, James Spader complète le casting de Shorts, une comédie d'aventures familiale de Robert Rodriguez, inédite en France. Mais il se plaît à jouer les héros de séries télé, et il devient dès 2013 le héros de « Blacklist », série noire où il interprète un gangster repenti, Raymond "Red" Reddington. Et son emploi du temps est chargé : l'année précédente il était à l'affiche du Lincoln de Spielberg, et sera en 2015 dans le très attendu Avenger : Age of Ultron (où il interprète justement le super-vilain Ultron). Télé Loisirs.
James Spader est un acteur américain né en 1960 connu pour ses rôles dans Sexe, mensonges et vidéo qui lui vaut le prix d’interprétation à Cannes 1989, Crash de David Cronenberg, et la série Blacklist.
James Spader se démarque très rapidement du lot des jeunes acteurs américains des années 80. Le succès de Quartier chaud de Fritz Kiersch et son rôle vénéneux dans The New Kids de Sean S. Cunningham, trouble et pervers, démontre sa capacité à s’embarquer dans des aventures intérieures complexes. La jeunesse l’enferme dans un premier temps dans des rôles pour adolescents (Un amour infini de Zeffireli, Rose Bonbon produit par John Hugues, la comédie fantastique Mannequin, le drame générationnel sur la drogue Neige sur Beverly Hills). Mais de par son talent et la complexité qui se dégage de son jeu, il parvient à s’échapper de ce type de cinéma très rapidement grâce à quelques belles rencontres de cinéma : Oliver Stone lui donne consécutivement un second rôle dans Wall Street (1987) et Né un 4 juillet (1989) et il est de la production indépendante sexy et palmée Sexe, mensonges et vidéo, de Steven Soderbergh, en 1989. Le succès est mondial et il obtient par ailleurs un prix d’interprétation masculine à Cannes.
Ce dernier rôle lui offre une vraie notoriété dont il profitera dans le thriller avec Rob Lowe, Bad Influence (1990) de Curtis Hanson, mais la plupart de ses choix cinématographiques qui suivront se solderont par des échecs au box-office : la romance cougar La fièvre d’aimer de Luis Mandoki, le démodé Le jeu du pouvoir de Herbert Ross, le peu vu mais intéressant Storyville d’un certain Mark Frost, Bob Roberts réalisé par le comédien Tim Robbins…
La carrière de James Spader sursaute grâce à un second rôle badass dans Wolf de Mike Nichols (1994) et au premier rôle dans le blockbuster de science-fiction Stargate, la porte des étoiles de Roland Emmerich. Crash de David Cronenberg lui permet en 1996 de retrouver le chemin de la Croisette et d’obtenir l’un de ses rôles les plus intéressants. L’adaptation de James Graham Ballard provoque un véritable scandale à Cannes.
La suite sera marquée par une nouvelle série d’échecs (Critical Care de Sidney Lumet…), dont le point culminant seront le nanar de science-fiction Supernova, en 2000, que reniera son propre réalisateur, Walter Hill (il refusa que son nom apparaisse au générique), et le thriller The Watcher, avec Keanu Reeves.
En 2004, James Spader arrêtera le cinéma quelques années pour se consacrer à la télévision (Boston Justice). La série est un triomphe qui lui vaut deux Emmy Awards. Il s’est toutefois distingué peu avant dans la production indépendante sexy et maso, La secrétaire, qui révèle Maggie Gyllenhaal (2002). Une œuvre aujourd’hui culte.
Parmi ses plus récentes interprétations, outre un second rôle chez Spielberg (Lincoln) et le cannois The Homesman de Tommy Lee Jones, il incorpore l’univers Marvel le temps d’un film, Avengers : l’ère d’Ultron, en incarnant le personnage d’Ultron !
Mais, à l’instar des années 2000, c’est bien à la télévision qu’il trouve la rédemption avec le triomphe de la série de NBC BlackList qui lui vaut huit saisons de succès ininterrompu. Frédéric Mignard.
James Spader commence sa carrière au cinéma dès l'âge de 18 ans mais se fait remarquer en 1987 dans le film Baby Boom de Charles Shyer avec Diane Keaton. La même année il tourne dans le Wall Street d'Oliver Stone. C'est le film Sexe, mensonges et vidéo qui le propulse au devant d'une envergure internationale : Palme d'or à Cannes en 1989, James Spader tient le rôle titre du film qui révèle aussi Andie McDowell.
L'acteur continue son bonhomme de chemin en traçant une drôle de carrière, entre cinéma indépendant et ambitieux (comme le premier film de l'acteur Tim Robbins, Bob Roberts) et grosses productions hollywoodiennes (Wolf, Stargate...). David Cronenberg le rappelle à l'ordre en 1996, avec le film Crash, scandale à Cannes mais qui récolte le Prix spécial du Jury. Spader se perd ensuite dans quelques productions peu notables, souvent inédites en France et revient en 2002 par l'intermédiaire du film La secrétaire de Steven Shainberg.
À la télévision, il sauve le cabinet de la série The Practice en intervenant dans la septième et dernière saison, ce qui permet au créateur David Kelley d'écrire pour lui la série dérivée Boston Legal qui officie depuis 2004. Cinefil.
Issu d'une famille d'enseignants, James Spader étudie à l'école préparatoire Phillips à Andover. Il quitte cet établissement pour entrer à l'école d'art dramatique Michael Chekhov à New York. L'acteur vit ensuite de petits boulots avant de décrocher son premier rôle au cinéma en 1978 dans la comédie Team-mates de Steven Jacobson.
En 1981, Spader obtient un second rôle dans un drame romantique de Franco Zeffirelli, Un amour infini. Ce film marque aussi les débuts de Tom Cruise. James revient ensuite à la comédie avec Rose bonbon (1986, John Hughes) et Baby Boom (1987, Charles Shyer), films dans lesquels il interprète un jeune loup ambitieux et arriviste. Il retrouve ce genre de rôle à plusieurs reprises et notamment dans des films inquiétants tels que Bad influence (1990, Curtis Hanson) et Wolf (1994, Mike Nichols). Dans cette histoire de loups-garous, Spader y donne la réplique à Jack Nicholson et Michelle Pfeiffer.
En 1989, James Spader accède à une plus grande notoriété et à une reconnaissance critique grâce à Sexe, mensonges et vidéo, premier long métrage de Steven Soderbergh. Il y incarne un voyeur qui vient semer le trouble chez une épouse bourgeoise et trompée. Ce rôle lui vaut le prix d'interprétation masculine au Festival de Cannes. Le film obtient également la Palme d'or. James Spader poursuit dans le registre du sulfureux avec deux adaptations de romans : après La Fièvre d'aimer (1990, Luis Mandoki) vient le très controversé Crash (1996, David Cronenberg).
Acteur à la filmographie éclectique, il semble aussi à l'aise dans le satirique Bob Roberts (1992, Tim Robbins) que dans la superproduction Stargate, la porte des étoiles (1994, Roland Emmerich). James y campe le Docteur Daniel Jackson, le scientifique qui résout l'énigme de la Porte des étoiles. Puis il traque un Keanu Reeves maléfique et joueur dans le thriller The Watcher (2000, Joe Charbanic) avant d'interpréter un patron sadique dans La Secrétaire de Steven Shainberg.
La carrière de James Spader prend ensuite un tournant télévisuel. En effet, le comédien campe le personnage d'Alan Shore dans la saison 8 de The Practice en 2003. L'acteur aura droit après cette expérience à sa propre série dérivée, Boston Justice, qui l'occupe 5 saisons durant entre 2003 et 2008. James revient ensuite au cinéma pour Robert Rodriguez en tournant dans la comédie d'aventures Shorts en 2009. Il donne la réplique à William H. Macy et Jon Cryer.
Les deux années suivantes, James Spader retourne dans la petite lucarne en incarnant Robert California dans la série comique créée par Ricky Gervais, The Office. En 2012, Steven Spielberg fait appel à lui pour incarner W.N. Bilbo dans le film historique Lincoln. AlloCiné.
James Spader est un acteur américain connu pour des rôles sur le petit mais également sur le grand écran. Il a notamment joué dans la série Boston Justice qui lui a rapporté des récompenses aux Emmy Awards et dans le film Sexe, mensonges et vidéo grâce auquel il a eu un prix d'interprétation au Festival de Cannes.
Né dans une famille de professeurs, James Todd Spader a vu le jour le 7 février 1960 à Boston dans le Massachusetts. Les études classiques, très peu pour lui. Il met en effet un terme rapide à ses études pour suivre des cours dans une école d'art dramatique de New York baptisée Michael Chekhov School. Avant de percer comme comédien, il enchaîne les petits boulots et officie notamment comme professeur de yoga ou encore comme chauffeur de camion.
Il décroche son premier rôle au cinéma en 1978 dans Team-Mates de Steven Jacobson. Trois ans plus tard, il donne la réplique à Brooke Shields dans Un Amour infini de Franco Zeffirelli. Après plusieurs téléfilms, il revient notamment dans les salles obscures en 1986 avec Rose Bonbon d'Howard Deutch, en 1987 dans Baby Boom de Charles Shyer au côté de Diane Keaton ou encore en 1987 dans Wall Street d'Oliver Stone dans lequel jouent également Michael Douglas et Charlie Sheen.
Il sort définitivement de l'ombre en 1989 grâce à Sexe, mensonges et vidéos de Steven Soderbergh qui lui permet de rafler le prix d'interprétation masculine au Festival de Cannes de 1989. En 1990, il donne la réplique à Susan Sarandon dans La Fièvre d'aimer de Luis Mandoki. Un an plus tard, il fait face à John Cusack dans Le Jeu du pouvoir d'Herbert Ross. Il est également à l'affiche de Bob Roberts de Tim Robbins en 1992, de Wolf (1994) de Mike Nichols aux côtés de Jack Nicholson et Michelle Pfeiffer, de Stargate, la porte des étoiles (1994) de Roland Emmerich ou encore de Crash de David Cronenberg en 1996.
Après avoir brillé dans les salles obscures, il prend un virage à la télévision. De 2003 à 2004, il incarne Alan Shore dans la série The Practice : Bobby Donnell & Associés. Une prestation grâce à laquelle il reçoit en 2004 l'Emmy Award du meilleur acteur dans une série dramatique. Il reprend ce rôle cette fois-ci entre 2004 et 2008 dans Boston Justice, une série qui lui permet d'ajouter deux nouvelles récompenses à son tableau de chasse. Il remporte en effet en 2005 et 2007 l'Emmy Award du meilleur acteur dans une série dramatique. Il rejoint ensuite en 2011 la série The Office qu'il quitte après 25 épisodes. Après avoir tourné dans Lincoln de Steven Spielberg, il retrouve un rôle récurrent sur le petit écran en 2013 dans The Blacklist. En 2015, il est à l’affiche d’Avengers : Age of Ultron de Joss Whedon. Première.
Sacré meilleur acteur à Cannes en 1989, trois fois récompensé aux Emmy Awards, James Spader est passé du cinéma d'auteur aux séries grand public comme “Blacklist”, sans jamais renoncer à son goût pour l'étrange. Rencontre. Octobre 2015.
Quand il pousse la porte de l'immeuble où nous avons rendez-vous, on croirait voir son personnage de Blacklist, le criminel « repenti » Raymond « Red » Reddington, pénétrer dans les locaux du FBI. Même élégance, même sourire en coin, même lunettes fumées, même chapeau. James Spader, récompensé en 1989 pour son rôle dans Sexe, mensonges et vidéo de Steven Soderbergh, est un acteur singulier, spécialiste des rôles étranges, du fétichiste des corps accidentés de Crash (David Cronenberg, 1996) au patron sadomaso de La Secrétaire (Steven Shainberg, 2002) en passant par le redoutable avocat de la série Boston Justice (2004-2008). Dans Blacklist, il est à nouveau inquiétant, intrigant, amusant, et porte à bout de bras un thriller rythmé, divertissant mais formaté. Après un bref bavardage sur son amour du jazz – il passe ses soirées au Village Vanguard, à New York – le voilà qui s'installe dans un large canapé, planté au milieu d'un salon silencieux. La tête penchée sur le côté, comme pour mieux écouter – un tic que partage « Red » Reddington – il évoque son personnage, sa vision du jeu et ses choix de carrière.
La musique vous aide-t-elle à vous concentrer, à entrer dans la peau de vos personnages ?
Quand je tourne un film, choisir une musique peut aider, car il s'agit de s'immerger au plus vite, et pour une courte période dans une histoire et un personnage. Sur une série, en revanche, ça n'a pas vraiment de sens. Un personnage comme Red est marqué bien plus en profondeur par ma personnalité et par mon quotidien. J'ai dans la tête une bande-son qui tourne en permanence, même quand je n'écoute rien. C'est cette musique qui accompagne Red.
Ce que vous vivez au quotidien a-t-il un impact sur votre jeu ?
Pas littéralement. Disons que ce que je suis et ce qui m'entoure déteint bien plus facilement sur mes personnages sur la durée d'une série. Prenez New York, où nous tournons, et qui sert de décor à Blacklist. C'est une somme de bruits, de couleurs, d'odeurs, une sorte de grand mélange du monde. Red est un voyageur, un homme de l'extérieur, et cette ville est un microcosme, un condensé de son terrain de jeu planétaire.
Vous êtes donc plutôt un acteur instinctif, qui laisse tout cela déteindre sur son jeu, qu'un routinier, qui a besoin d'un cadre strict...
Le jeu repose sur une nécessaire dichotomie : il faut être capable de se détendre, d'être apaisé, et simultanément d'être concentré, tendu vers son rôle. Après tant d'années, la décontraction est devenue naturelle. Jouer est devenu un réflexe. J'ai conservé une routine, mais j'ai appris à la rendre fluide, à m'adapter à ceux qui m'entourent, et qui ont tous leurs propres habitudes. Il faut avoir la modestie de respecter le processus de chacun... pour que chacun respecte le vôtre.
En tant qu'acteur vedette, vous avez aussi besoin de faire partie du processus créatif de la série ?
C'est devenu une constante dans les séries, mais pour nous c'est aussi une nécessité, car nos scénaristes travaillent à Los Angeles et nous tournons à l'autre bout du pays. Nous sommes en contact permanent, et nous échangeons beaucoup sur les scripts en cours et sur l'avenir de la série.
Vous dites souvent que votre souhait le plus cher, c'était de devenir ce que l’on appelle en anglais un « character actor ». C’est-à-dire ?
(Il marque un long silence) J'ai toujours laissé de la place, dans mon travail, pour mon idiosyncrasie (sic.), mon excentricité, mes particularités. Je les cherche dans chaque rôle que l'on me propose. Ce qui m'intéresse chez l'autre, c'est son étrangeté, sa différence, ce qui fait de lui un individu à part. Ça ne m'intéresse pas de jouer ces Messieurs Tout le Monde qui sont au cœur des films et des séries, ces héros censés aider le public à s'identifier. Je veux incarner des personnages uniques...
On dit souvent de vous que vous aimez les rôles de types bizarres...
Ce qui nous attire nous ressemble sans doute. Ma sensibilité va vers l'étrangeté. Je la cherche chez les autres et dans le monde autour de moi. À moins qu'elle ne s'impose à moi !
Le rôle de Red Reddington n'a pas été écrit pour vous [les auteurs pensaient à Kiefer Sutherland], mais il vous va comme un gant. Parce que vous l'avez modifié pour qu'il vous ressemble ?
Sans doute. C'est ce que doit faire tout bon acteur. Il doit s'impliquer, se livrer pour que son personnage finisse par lui appartenir. Quel que soit mon rôle, je m'immerge dedans. Je refuse de le prendre à la légère. J'ai besoin d'imaginer ses moindres mouvements, bien au-delà du script.
Ça n'est pas trop fatiguant de « devenir » vos personnages ?
Ça l'est. Mais je ne suis pas coincé dans leur peau pour toute la journée. Quand je sors du plateau, je redeviens moi... Mais j'ai besoin d'être attentif à chaque détail. J'ai quelques TOC. Ce qui peut être une bonne chose, pour un comédien (rires). Ça m'aide à rester concentré.
Vous vous êtes fait connaître dans un film d'auteur, Sexe, mensonges et vidéo, avant de jouer dans des séries de grandes chaînes et des blockbusters comme le dernier Avengers. Vous voulez toucher tous les publics ?
Je n'ai pas ce genre de réflexion. Je ne fais aucune différence entre un blockbuster hollywoodien, une série ou un petit film indépendant, un rôle titre ou une apparition, une catastrophe ou un chef-d'œuvre. Tout ce que je veux, c'est un rôle que je n'ai jamais joué avant. Prenez Avengers, par exemple. Ça fait près de quarante ans que je fais ce boulot, j'ai 55 ans, j'ai été sur scène, au cinéma, à la télé, mais je n'avais jamais prêté ma voix à un personnage de synthèse. Le film est ce qu'il est, mais Ultron est un rôle surprenant, complexe, avec un point de vue violent sur le monde, mais qui pour lui a du sens.
Justement, pour ce film, vous utilisez d'abord votre voix. Quelle importance a-t-elle dans votre jeu ?
Capitale. C'est un diapason. Si je réussis à la placer correctement, alors tout va bien. Sinon, je dois refaire la scène. Ce n'est pas si conscient que cela, c'est une note que j'entends, une vibration et un tempo qui m'accompagnent. Il faut d'ailleurs parfois que j'accepte de perdre le fil de ma mélodie. Nous parlions de musique tout à l'heure. Comme dans le jazz, il faut parfois accepter les contretemps et les tempos déroutants. Il faut faire confiance aux indications du chef d'orchestre, ici le metteur en scène.
Blacklist est une série très rythmée, pleine d'actions et de rebondissements, mais Red Reddington est un homme de peu de mots, plein de flegme, bref tout l’inverse…
Dès le début du tournage, j'ai insisté pour qu'il soit toujours en léger décalage avec ce qui se passe autour de lui. Il a son propre rythme et il n'en changera pas. Il vit sa vie et ne s'adapte pas comme les autres personnages aux événements. Il réagit, mais jamais comme le commun des mortels. Ainsi, dans une situation dangereuse, il se mettra peut-être à rire. Il faut jouer le contre-pied. Si Red doit menacer quelqu'un, je vais faire en sorte qu'il soit menaçant... sans adopter une attitude menaçante, juste en étant souriant, gracieux et amical [il prend une voix doucereuse et un sourire inquiétant].
Cela fait aussi de lui un personnage comique...
Son étrangeté et sa capacité à surprendre sont en effet des caractéristiques comiques. C'est une des choses qui m'a attiré vers ce rôle, et qui fait de Red un personnage attachant et, en un certain sens, sympathique.
Considérez-vous Red comme le « méchant » de l'histoire, ou comme un antihéros ?
La limite entre les deux est floue. Certains jours, il ressemble à un héros prêt à tout pour arriver à ses fins, y compris au pire. D'autres jours, il se comporte comme un salaud capable de faire le bien. Un grand antihéros comme par exemple… un salaud
Jack Bauer ?
Jack Bauer ? Je ne connais pas. Non, plutôt Popeye Doyle, incarné par Gene Hackman dans French Connexion. C'est un honnête homme qui va devoir faire des choses terribles. Avec Raymond Reddington, on ne sait jamais sur quel pied danser. On ne sait pas si, in fine, il compte faire le bien ou simplement régler ses comptes. Une seule chose est sûre, il n'est pas cynique. Il aime la vie, précisément parce qu'il a tué et qu'il se sait en danger de mort permanent. On aperçoit cela dans ses moments d'intimité, quand il enlève son masque, qu'il fait disparaître son sourire narquois, et qu'il paye, en silence, les choix douloureux qu'il a dû faire par le passé.
J'ai chez moi une merveilleuse photo de Louis Armstrong. Elle a été prise à son insu, en coulisses, avant un concert. Il n'est pas en représentation, il ne joue pas. Il est assis, seul, avec sa trompette, et il a l'air grave, concentré. C'est la seule photo de lui que je connaisse où il ne sourit pas, où il n'a pas l'air heureux. Voilà ce que je cherche, cet instant où l’on perçoit la dichotomie d’un personnage. Pierre Langlais.
HENRI GARCIN 1928 - 2022
Acteur, Scénariste
Henri Garcin (né le 11 avril 1928 à Anvers en Belgique), de son vrai nom Anton Albers, est un acteur néerlandais, installé à Paris en 1949. Il a joué dans de nombreux téléfilms, séries télévisées et films français.
Entre 1970 et 1981, il a joué dans plusieurs pièces de théâtre diffusées dans l'émission télévisée « Au théâtre ce soir ».
Parfaitement bilingue, il joue également dans des productions de langue néerlandaise. On l'a vu notamment en 1996 dans La Robe (De jurk) de Alex van Warmerdam.
Il passe son enfance à Bruxelles et dit devoir sa vocation à son père qui « racontait ses conseils d’administration avec une verve et un humour que n’eût pas désavoué le meilleur comédien ». Il débarque donc à Paris à 20 ans et se forme au cours Dullin. Il s’emploie aussi à gommer son accent, à couper au couteau, et gardera de ses efforts une diction assez lente. Avant de se lancer à l’assaut des cabarets, avec un sketch qu’il écrit. C’est là qu’il croise Jacques Brel, venu lui aussi de Belgique, Barbara, Serge Gainsbourg et se lie d’une grande amitié avec un autre « métèque » qui devient vite célèbre, Georges Moustaki.
Sa passion, c’est d’abord le théâtre. « Le cinéma, c’est très ennuyeux sauf pour les vedettes et le chef opérateur. Alors que le théâtre, on est devant le public, on doit le tenir… ». Pendant plus de 50 ans, il joue d’innombrables pièces, dans des registres très variés (Feydeau, Shaw, Pirandello, Poiret, Albee…). Il écrit même une première œuvre, « L’Echappée belle » (1964), avec Romain Bouteille, qui connaît un grand succès au Théâtre La Bruyère, avec 250 représentations.
En 1969, sa comédie « Quelque chose comme Glenariff », est jouée aux Mathurins. Dans le public, François Truffaut est subjugué par son jeu. Et lui écrit le lendemain, enthousiaste : « Mon cher ami, je suis plein d’admiration pour vous (…) J’ai eu la preuve qu’une pièce peut se conduire, se mener, se jouer, se rythmer comme un film et même comme un très bon film ».
Douze ans plus tard, le réalisateur de la Nouvelle vague n’a pas oublié l’acteur au regard clair souvent caché derrière des lunettes à monture d’écaille. Il lui offre l’un de ses plus beaux rôles au cinéma, celui du mari trahi dans « La Femme d’à côté ».
Dans les années 1980, le comédien prend encore une nouvelle dimension en s’invitant le dimanche chez les Français, dans « Maguy », une série télévisée inspirée de la sitcom américaine « Maude ». 333 épisodes, un succès énorme pour cette comédie diffusée entre 1985 et 1994 et qui réunit jusqu’à 7 millions de téléspectateurs. Garcin y joue un médecin gandin, ami du couple Rosy Varte/Jean-Marc Thibault. Le comédien faisait souvent la fine bouche quand on lui parlait de cette série, assurant dans ses mémoires que ce succès populaire l’avait « un peu éloigné du cinéma ».
C'est en 1949 qu'Henri Garcin s'installe à Paris afin de vivre de sa passion, la comédie. Après avoir suivi les cours Simon, le comédien commence une carrière dans le cabaret avant de se tourner vers le théâtre. Acteur franco-belge, Henri Garcin fait une longue carrière sur les planches, essentiellement en tant que comédien, mais aussi metteur en scène et auteur. De 1953 à 2003, il joue Feydeau, Pirandello, Strindberg, ou Guitry. En 1964, il se fait remarquer dans la pièce de théâtre L’Echappée belle, puis il enchaîne les rôles au théâtre dans les années qui suivent La prochaine fois je vous le chanterai, L’Aide-mémoire, ou encore Quelque chose comme Glenariff. Également metteur en scène, en 1976 il s’occupe de la mise en scène de la pièce Pour 100 briques t’as plus rien… Il enchaîne les représentations et en 1956 l'acteur fait ses débuts sur le grand écran dans En effeuillant la marguerite de Marc Allégret où il incarne l'ami de Daniel Gélin. Henri Garcin fait ensuite de nombreuses apparitions dans des films de cinéastes réputés : Mademoiselle et son gang et Sénéchal le magnifique de Jean Boyer, Arsène Lupin contre Arsène Lupin d’Edouard Molinaro et Moi et les hommes de quarante ans de Jacques Pinoteau.
En 1965 c'est la consécration, puisque le cinéaste Jean-Paul Rappeneau, réalisant son premier long métrage avec La Vie de château, lui confie le rôle principal. L'acteur y joue un jeune résistant entretenant une liaison avec la femme de Philippe Noiret (Catherine Deneuve). Puis gangster partenaire de Mireille Darc dans « Fleur d’oseille » (1967) de Lautner. Il a traversé des décennies de cinéma, toujours à l’aise dans les rôles d’antihéros.
Par la suite, le comédien enchaîne les petits rôles, dans des comédies et des drames, et prouve qu'il est aussi à l'aise en avocat (La Cavale de Michel Mitrani, 1971 et Kill en 1972 ou encore Verdict d’André Cayatte en 1974) qu'en assassin (Un condé en 1970). Infatigable, Henri Garcin va ainsi tourner en moyenne un film par an, alternant des seconds rôles divers, et jouant sous la direction de réalisateurs de renoms.
Il est ainsi radio reporter dans La prisonnière (1968) de Henri-Georges Clouzot, en ingénieur véreux à l'origine d'un hold-up dans Un cave en 1971, substitut dans Le juge Fayard dit « le shériff » (1976) d’Yves Boisset, en Haut fonctionnaire dans Dupont la Joie ou encore en scénariste à succès exploitant Pierre Richard comme " nègre " dans C’est pas moi, c’est lui en 1979, En 1981, il devient le mari de l'infidèle Fanny Ardant devant la caméra de François Truffaut pour La Femme d’à côté, avant de camper un réalisateur de pub dans Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? (1982) de Coline Serreau. Le comédien s'illustre ensuite dans Abel d’Alex van Warmerdam en 1985 en entrant dans la peau d'un père furieux de découvrir que sa maîtresse le trompe avec son propre fils. La même année, il est Pierre Bretteville, ex-interne des hôpitaux de Paris dans la série Maguy, il campe le rôle de Pierre Bretteville pendant sept ans, jusqu’en 1992. Il apparaît également dans de nombreux téléfilms (Colette, Florence ou la vie de château, Marie Pervenche…). Agent artistique de Nathalie Baye dans Un week-end sur deux (1990) de Nicole Garcia, évêque dans Les habitants (1992) d’Alex van Warmerdam, directeur de banque dans Le huitième jour (1996) de Jaco Van Dormael, puis banquier russe pour San Antonio (2003), on découvre Henri Garcin en prêteur usurier malhonnête pour le film policier Aux abois en 2004. La même année l'acteur est à l'affiche de la comédie historique Il ne faut jurer de rien ! où il incarne Talleyrand, avant de cotoyer Thierry Lhermitte et Gérard Jugnot sur Ça se soigne ? en 2007. « Si mes origines hollandaises apportent quelque chose à mon jeu, je pense que c’est le flegme, une distance qui m’est naturelle et apporte des nuances parfois insolites dans mon interprétation, très peu latine », résumait-il en 1997 dans « Le Figaro ».
Il apparaît ensuite dans Le Moulin sous les étoiles et La Peau de Bax. Sa dernière apparition à l'écran est dans La Sainte famille en 2019, réalisé par Louis-Do de Lencquesaing. Henri Garcin tourne aussi avec Diane Kurys, Marguerite Duras, Michel Deville et Patrice Leconte. Mais les cinéphiles auront une préférence particulière pour son rôle dans La femme d’à côté de François Truffaut.
« Longtemps, je me suis couché tard », tel était le titre de ses mémoires. Il y parlait de sa passion pour le théâtre et la mise en scène, de ses rencontres, de Pierre Brasseur à François Truffaut, de Catherine Deneuve à Fanny Ardant, de Romain Gary à Paul Léautaud – à qui il empruntera l’excipit du livre, publié le jour de ses 90 ans (Morrigane Editions, 2018) : « La mort ? Pourvu que j’arrive jusque-là. »
Henri Garcin vient d’y arriver, après une longue vie passée sur les planches et sur les écrans, grands et petits. Le comédien est mort à Paris le 13 juin, à l’âge de 94 ans. Sans faire de bruit, en digne héritier de ces grands seconds rôles qui firent la gloire du cinéma et du théâtre français – et font se « coucher tard » des millions de Français le dimanche soir, comme le fit la série Maguy, où il jouait l’ami (et voisin agacé) du couple Rosy Varte-Jean-Marc Thibault, de 1985 à 1993.
Le théâtre était la vraie passion d’Anton Albers (de son vrai nom, d’origine néerlandaise), lorsqu’il débarqua à Paris à 22 ans, en 1950. Elle ne le quittera plus. « Excellents débuts, écrira Claude Sarraute dans « Le Monde » en janvier 1956. Ce garçon-là tient déjà tout ce qu’il promet : un grand talent de comédien joint à un flegme de bon aloi. »
En 1964, il coécrivit L’Echappée belle avec un certain Romain Bouteille, le futur chef de bande du « Café de la Gare » qui verra débuter Coluche. La décennie suivante, Henri Garcin sera l’un des piliers d’« Au théâtre ce soir », l’émission qui mettait à l’honneur les pièces de boulevard aux heures de grande écoute. En 1984, il jouera La Danse de mort de Strinberg, avec Michel Bouquet, dans une mise en scène de Claude Chabrol.
C’est le théâtre qui lui fera croiser, en septembre 1969, François Truffaut, venu voir, au bras de Catherine Deneuve, Quelque chose comme Glenariff, une pièce écrite et interprétée par Henri Garcin, au Théâtre des Mathurins à Paris. Le cinéaste de la Nouvelle Vague lui offrira douze ans plus tard un de ses meilleurs (seconds) rôles, celui du mari trompé – mais digne – de Fanny Ardant dans La Femme d’à côté… Le Monde.
RUTGER HAUER 1944 - 2019
Acteur, Producteur, Réalisateur
Véritable coqueluche de la jeunesse dès son premier film hollandais (Turkish délices, P. Verhoeven, 1973), Rutger Hauer, avec sa grande taille, ses yeux d’acier et sa blondeur trouble, ne pouvait manquer sa carrière cinématographique. Parti aux États-Unis dans le sillage de Verhoeven, qui, au fil des années, lui sera périodiquement fidèle, Hauer laissa exploser son charisme dans Blade Runner (R. Scott, 1982) : l’androïde insensible qu’il y interprétait et qui s’opposait à Harrison Ford en duel à mort zébré par le vol des colombes était une véritable image luciférienne. Depuis, plus d’une fois, il a joué les anges de la mort ou les anges déchus : Ostermann Week-end (S. Peckinpah, 1985), Hitcher (Robert Harmon, 1986). Il sortit cependant avec un certain panache de son emploi pour jouer un sombre héros médiéval dans le curieux Ladyhawke, reine de la nuit (R. Donner, 1985) et, surtout, l’ivrogne magnifique de la Légende du saint buveur (Ermanno Olmi, 1987). Christian Viviani.
En 1982, dans Blade Runner de Ridley Scott, il incarne Roy Batty, réplicant froid, meurtrier et philosophe, que Deckard (Harrison Ford) traque dans un Los Angeles du futur, gris et pluvieux. Le monologue des « larmes sous la pluie », qu’il livre au policier, avait d’ailleurs été réécrit et improvisé en partie par Hauer lui-même. L’ironie a voulu que le personnage et son interprète meurent la même année, en 2019.
L’acteur avait débuté sa carrière dans son pays natal, notamment devant la caméra de Paul Verhoeven, dans le téléfilm Floris en 1969, puis Turkish Delight en 1973, long-métrage remarqué du réalisateur. C’est en 1981, avec Les Faucons de la nuit, face à Sylvester Stallone, qu’il commence à travailler à Hollywood. Mais c’est réellement Blade Runner, donc, qui le fait décoller. Il tourne ensuite avec Sam Peckinpah (Osterman week-end, en 1983), Richard Donner (Ladyhawk, en 1985), reçoit un Golden Globe en 1987 pour Les Rescapés de Sobibor, joue le grand méchant, film qui inspira la série Buffy contre les vampires.
Le cinéma de genre aimait son visage et sa carrure : Sin City, Batman Begins, Dracula 3D (de Dario Argento) ou dernièrerement Valérian et la Cité des Mille Planètes de Luc Besson, pour une petite apparition. Son dernier rôle (celui du Commodore) au cinéma lui avait été donné par Jacques Audiard, dans Les Frères Sister. Jérémie Maire.
Le monologue de Blade Runner
« Quelle expérience que de vivre dans la peur. Voilà ce que c’est que d’être un esclave. J'ai vu tant de choses que vous, humains, ne pourriez pas croire. De grands navires en feu surgissant de l'épaule d'Orion. J'ai vu des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l'ombre de la porte de Tannhäuser. Tous ces moments se perdront dans l'oubli comme les larmes dans la pluie. Il est temps de mourir. »
Issu d'une famille de comédiens, Rutger Hauer connaît une enfance agitée durant laquelle il commet de nombreux délits. À l'âge de 15 ans, il fugue et parcourt le monde à bord d'un bâteau de marchandises. Il s'assagit et entame des études qu'il abandonne rapidement pour vagabonder, écrire de la poésie et profiter de la vie. Il se lance dans le cinéma en interprétant un petit rôle dans Monsieur Hawarden (1968) de Harry Kumel et se fait connaître du grand public hollandais avec la série télévisée Floris. Il y rencontre Paul Verhoeven et tourne avec lui Turkish delices (1973). Ce film, qui parle de sexualité et de fantasmes de façon très crue, reçoit un très bon accueil critique. Leur collaboration se poursuit avec le Choix du destin (1977), Spetters (1980) et le moyenâgeux la Chair et le sang (1985).
En 1981, Rutger Hauer s'envole aux Etats-Unis pour y affronter Sylvester Stallone dans le film policier les Faucons de la nuit et Harrison Ford dans le film de science-fiction de Ridley Scott, Blade runner (1982). Souvent cantonné dans des rôles de psychopathes (Hitcher, Que la chasse commence !), cet acteur aux traits germaniques sait également tirer profit de son physique athlétique pour tenir la vedette de quelques thrillers d'action comme Ostermann week-end (1983) de Sam Peckinpah et Vengeance aveugle (1987), où il campe un justicier expert en arts martiaux, et du fantastique LadyHawke, la femme de la nuit (1985), où il fait figure de chevalier héroïque.
À partir des années 90, Rutger Hauer s'illustre dans de nombreuses séries B destinées uniquement au circuit vidéo comme Turbulences 3 (2000), mais il apparaît également dans des films où on ne l'attend pas comme Simon le Magicien (2000), où il incarne un comte passionné de poésie. Quelques réalisateurs le sortent toutefois de l'oubli comme George Clooney, qui en fait un tueur à gages est-allemand dans Confessions d’un homme dangereux (2002), et Robert Rodriguez qui l'imagine en prêtre cannibale dans Sin City (2005).
Tournant beaucoup dans des films souvent inconnus du public français, Rutger Hauer goûte surtout à l'horreur (Minotaur, 7eventy 5ive, le Rite, Dracula, The Reverend), mais s'illustre aussi dans des drames (Mentor, Oogverblindend), des comédies (Moving McAllister, Magic Flute Diaries, Célibataires et en cavale) et des films d'action (Barberousse, l’empereur de la mort, Rescue Team, Real Playing Game, le Roi Scorpion 4 - La quête du pouvoir). En 2017, le comédien âgé de 73 ans livre une prestation inattendue dans la comédie française Gangsterdam portée par Kev Adams et incarne le Président de la Fédération Humaine dans le blockbuster Valérian et la cité des Mille planètes. Il entame 2018 avec le thriller d'action 24H Limit aux côtés d’Ethan Hawke. AlloCiné.
JAMES CAGNEY 1899 - 1986
Issu d’un milieu modeste, imprégné de traditions irlandaises, James Cagney entre dans la vie active à l’âge de quatorze ans. Après avoir exercé de nombreux petits métiers, il débute dans le spectacle comme décorateur de théâtre et fait sa première apparition à la scène en 1919. Pendant six ans, il s’illustre au cabaret avec sa femme Frances, et décroche ses premiers rôles marquants dans Outside Looking In et Penny Arcade, dont l’adaptation cinématographique, Sinner’s Holiday (1930), inaugure sa longue et tumultueuse association avec la Warner Bros.
L’image de Cagney se fixe en l’espace de trois films : cabochards, agressivement virils, durs et tendres à la fois, ses personnages incarnent les valeurs et les rêves de conquête des classes laborieuses. Bagarreurs et vantards, appelés à un prompt succès, leur courage, leurs réflexes et leur humour leur permettent de survivre dans la jungle urbaine. Les circonstances en font parfois des criminels, mais ils restent, dans leurs actions les plus répréhensibles, fidèles aux valeurs dominantes de la société américaine. Les plus endurcis de ces héros des bas-fonds conservent avec leur milieu d’origine des liens affectifs étroits. Ils s’entourent d’amis fidèles, qui garantissent en eux la présence d’une innocence inaltérable.
Né de la Dépression, le personnage de Cagney, tel que le définit magistralement L’Ennemi public (1931), gardera pendant dix ans un caractère juvénile : turbulent, excessif, mais fondamentalement bon. Sa petite taille, son apparente fragilité soulignent cet aspect enfantin, que compensent un incessant et prodigieux déploiement d’énergie, une attitude permanente de défi, une tension musculaire jamais relâchée. Postures familières : l’acteur se dresse sur ses ergots, remonte sa ceinture d’un geste nerveux ; bras collés au corps, ou pointant vers son interlocuteur un index menaçant, avec l’esquisse d’un rictus…
Cagney débute avec le sonore, et se conçoit mal dans un autre médium. Son débit haché, son staccato haletant sont une autre manifestation, essentielle, de sa vitalité, un autre moyen de triompher dans la lutte perpétuelle qui l’oppose à ses semblables, hommes et femmes confondus.
Un quart de la filmographie de James Cagney se rattache directement au film de gangsters, genre auquel l’acteur vouera très tôt une franche hostilité. La comédie (l’Affaire se complique, le Tombeur, Tête chaude) et le musical (Prologues) lui offrent des échappatoires, mais il continuera de chercher le salut hors du studio, entraînant d’autres comédiens à sa suite. En 1953, il rompt avec la Warner et signe un contrat avec la Grand National, où il interprète un film d’inspiration progressiste, Great Guy, et une satire du star-system, Something to Sing About. L’expérience tourne court, mais l’acteur, de retour du studio, parvient à imprimer à ses personnages une plus grande maturité. C’est ainsi que le gangster des Anges aux figures sales se rachète in extremis (en une troublante variation sur le thème du sacrifice, précédemment développé dans The Mayor of Hell et Brumes), tandis que le journaliste héros de À chaque aube je meurs défend les vertus de la presse selon la grande tradition réformatrice des années 30. Le gangster, lorsqu’il revient sur le devant de la scène (Roaring Twenties), n’est déjà plus qu’une figure nostalgique, témoin d’une ère révolue.
En 1942, James Cagney aborde avec la Grande Parade une nouvelle phase de sa carrière. Cette évocation spectaculaire, sentimentale et patriotique d’une des grandes figues du music-hall américain, George M. Cohan, revêt pour lui un sens symbolique : elle est la revanche longtemps attendue de l’homme de spectacle et fixe, dans l’étonnante diversité de ses talents, la bête de scène qu’il n’a jamais cessé d’être.
Fort de ce triomphe critique et commercial (sanctionné par un Oscar), Cagney tente une nouvelle échappée. Il quitte la Warner et organise les Cagney Productions, dont son frère, William, devient président. Il met en œuvre un radical changement d’image, s’efforçant de privilégier aux dépens du dur, l’artiste porteur d’un message humaniste. Sa première production, Johnny le Vagabond, d’inspiration capraesque, en fait un clochard, poète et samaritain, échoué dans un univers allégorique, où s’affrontent les forces de la corruption et les vertus de l’Amérique éternelle. Ce changement de cap se solde par un échec prévisible, qui ne découragera cependant pas Cagney de tenter une aventure similaire dans le Bar aux illusions, sans plus de succès d’ailleurs.
En 1949, Cagney retourne à la Warner pour l’Enfer est à lui, qui marque l’apothéose de son cycle gangstérien. À la différence de ce qui se faisait dans les années 30, l’œuvre s’interdit tout discours sociologique et dépouille son protagoniste jusqu’à l’abstraction. Glacial, muré dans sa solitude, Cody Jarrett n’est plus qu’une force lancée à l’assaut du monde. La dimension oedipienne, présente dans plusieurs films antérieurs de Cagney, prend ici une importance centrale, une tonalité nouvelle : l’immaturité, qui excusait tous les excès des héros juvéniles de la Dépression, devient, dans l’environnement culturel des années 40, porté au déterminisme et à l’objectivité, un ressort purement tragique.
La dernière période de la carrière de Cagney, bien que caractérisée par des emplois très divers, garde des traces manifestes de ce film charnière. Le personnage de Cagney tend désormais à s’enfermer dans sa solitude et cède à la tentation de l’autocratie (l’acteur, jadis démocrate convaincu, s’oriente au même moment vers des positions conservatrices) : le Fauve en liberté, adaptation timide et décevante du roman de Horace McCoy, fait de lui un chef de gang mégalomane ; A Lion is in the Streets (sa dernière production), un leader populiste et démagogue à la Huey Long ; les Pièges de la passion, Permission jusqu’à l’aube et la Loi de la prairie, un tyran frustre exerçant sur son entourage une implacable domination. L’énergie du personnage, qu’il soit gangster, capitaine de vaisseau ou rancher, est ici tout entière vouée à la préservation d’un pouvoir chèrement acquis, d’un territoire ou d’une femme convoités par des rivaux plus jeunes. Le rêve de conquête dégénère en philosophie de l’auto-défense. L’allégresse des années 30 prend une coloration sarcastique et misanthrope. Le dur des faubourgs, l’arriviste qui faisait flèche de tout bois, le rebelle qui se battait pour sa dignité, l’artiste de music-hall, connaissent alors leur dernier avatar. Cagney s’installe en patriarche. Il a perdu l’appui de sa famille et de ses amis, et ne peut plus compter sur l’antagonisme fraternel d’un Pat O’Brien, garant, dans huit de ses films, de l’ordre moral, pour se définir et légitimer son action. Il reste un lutteur, solitaire, attaché seulement à survivre. Il a perdu son statut d’Américain moyen, sans gagner l’aisance naturelle de l’aristocrate. Il lui reste la pugnacité et le franc-parler d’un homme de la rue : les vieux réflexes sont intacts.
C’est sur ces composantes que Billy Wilder bâtit, en 1960, Un, deux, trois, satire explosive, tous azimuts, où le système communiste, le « miracle économique » allemand et l’arrivisme yankee sont pris tout à tour pour cibles, avec une égale férocité. Mué en capitaliste, plus acide et forcené que jamais, Cagney y saisira l’occasion de livrer son dernier numéro de virtuose, d’une surprenante fébrilité. C’est sur ce feu d’artifice que sa carrière s’interrompt brutalement. Vingt ans s’écouleront avant qu’il ne revienne à l’écran, dans Ragtime, pour incarner le préfet de police Rheinlander Waldo : un personnage quasi immobile, cachant derrière une apparence bénigne une volonté de fer, une vivacité intacte, et l’habileté hors pair d’un manipulateur-né… Olivier Eyquem, 1995.
Bien qu'il ait été le stéréotype de la petite brute maltraitant les femmes et qu'il ait interprété essentiellement des personnages durs et violents, James Cagney, dont la carrière fut indissociable de la Warner Bros, fut l'une des vedettes les plus populaires du cinéma américain. Tonitruant, éclatant à l'écran, il fut, dans sa vie privée, très discret, préférant la vie tranquille à la campagne au tumulte des grandes villes. N'appréciant guère le milieu hollywoodien après chaque film, l'acteur regagnait sa ferme de la côte Est. Fils d'immigrants irlandais, James Cagney grandit dans les bas quartiers de New York dans un quotidien fait de combats de rue, de querelles interminables. À quinze ans, après l'école, il est garçon de courses, plus tard manutentionnaire dans un grand magasin puis groom et employé sur un bateau-mouche.
En 1920, il entre dans une troupe de théâtre comme « Chorus Boy ». S'il apprend « sur le tas », son don naturel pour la danse lui permet de s'imposer facilement. En 1925, il remplace Cary Grant dans un spectacle de music-hall puis ouvre une école de danse à New York. Sur la proposition de l'acteur Al Johnson, il gagne Hollywood pour tourner une version cinématographique de Penny Arcade : Sinner's Holiday (1930) est son premier film. Remarqué par la Warner Bros, il joue le premier film de gangsters de la compagnie (Doorway to Hell, Au seuil de l'enfer, 1930). Son rôle secondaire est un prélude à la personnification d'un « dur » aux manières effrontées, au ton tranchant, à l'accent new-yorkais et au sourire séduisant.
En 1931, il joue le rôle de Tom Powers, cynique et violent dans l'Ennemi public de William Wellman, considéré comme le plus célèbre film de gangsters. Il se hisse au deuxième rang des gangsters chez Warner, juste au-dessous d'Edward G. Robinson. Il tourne une série de mélodrames à petits budgets, avec des rôles de voyou, d'escroc, ou de héros dur et cynique face aux gangsters. Blonde Crazy (1931), Taxi (1932), The Crown Roars (La foule hurle, 1932). Insatisfait, il réclame et obtient de la Warner des scénarios de meilleure qualité. Il est un brasseur d'affaires dans Hard to Handle (l'Affaire se complique, 1933), un producteur de théâtre dans Footlight Parade (Prologue, 1933).
Avec Here Comes the Navy (1934), commence le premier des neuf films que Cagney allait tourner avec le comédien Pat O'Brien. Deux sont restés célèbres : Ceiling Zero (Brumes, 1936) d'Howard Hawks et Angels With Dirty Faces (les Anges aux figures sales, 1938) de Michael Curtiz. Contestataire, en lutte pour faire respecter ses droits face aux patrons des studios hollywoodiens, il entre dans la Screen Actors Guild, représentation syndicale des comédiens, dès sa création en 1934. Malgré ses démêlés et des querelles régulières, il poursuit sa carrière avec la Warner : The Oklahoma Kid (Terreur à l'Ouest, 1939), avec Humphrey Bogart, The Strawberry Blonde (1941), où il joue un inoubliable dentiste épris de Rita Hayworth. Derrière Louis B. Mayer, il occupe alors le deuxième rang dans l'échelle des salaires aux États-Unis. Attaqué pour ses prétendues tendances communistes, il réplique par la Parade de la gloire, film patriotique, dansant et chantant, qui lui vaudra un Oscar.
Avec son frère William, il tente l'aventure de l'indépendance : Johnny Come Lately (Johnny le vagabond, 1944), Blood on the Sun (Du sang dans le soleil, 1946). Puis il revient à la Warner pour jouer le rôle d'un psychopathe dans White Heat (l'Enfer est à lui, 1949) considéré comme son dernier bon film avant de s'enliser dans une série de qualité très inégale dont on peut tout de même retenir These Wilder Years (les Années sauvages, 1956) aux côtés de Barbara Stanwyck et Man of a Thousand Faces (l'Homme aux mille visages, 1957).
En 1957, il dirige lui-même un banal remake de Tueur à gages, Short Cut to Hell (À deux pas de l'enfer). Il jette le dernier feu d'une carrière éclatante dans One Two Three (Un, deux, trois, 1961) de Billy Wilder, avant de prendre sa retraite qu'il interrompt seulement pour une brève apparition dans Ragtime de Milos Forman en 1981. Dictionnaire du Cinéma, Larousse.
AUTOPSIE D’UNE ÉTINCELLE
par Philippe Ortoli.
Dans un éclat de rire, ponctuant chacun des coups de feu qu’il tire sur les citernes le signant, Cody Jarrett allume l’incendie qui va l’anéantir. Brillant d’une méchanceté élémentaire, Tom Powers écrase un demi-pamplemousse sur le visage de sa compagne dont le débit matinal l’accable. Deux scènes parmi des dizaines, deux films parmi plus de soixante - respectivement White Heat (l’Enfer est à lui, Walsh, 1949) et Public Enemy (l’Ennemi public, Wellman, 1931)-, trois personnages qui, sous des oripeaux différents, mettent en scène la même énergie débordante et destructrice, la même fureur incontrôlée, celle d’un comédien qui a fait de l’excès une fréquence de jeu : James Cagney.
Celui que l’on surnommait « le dur de Hollywood » était qualifié par Bogart, à propos d’Oklahoma Kid (Terreur à l’ouest, Bacon, 1939), de « champignon sous un grand chapeau de l’Ouest ». On peut trouver qu’il y a effectivement du végétal vénéneux dans ce petit corps toujours convulsif, toujours prêt à se muer en poison. La figure que l’acteur a composée, transcrite en autant de marques d’une fébrilité sans retenue (la position des mains, le long des jambes, tremblantes, jamais comblées), est celle, archétype, du gangster. Luc Moullet le rappelle : dans le cinéma américain, « la multiplicité des gestes révèle l’anormalité et le stress citadin. Le sous-jeu acquiert de ce fait une valeur morale au contraire du sur-je ». Est-ce pour cela que, de Paul Muni à Joe Pesci en passant par Mickey Rooney, les mauvais garçons du cinéma américain ont d’abord été des mouvements avant d’être des corps, des impulsions avant d’être des physiques, des sursauts avant d’être des formes plastiques ? Le Mal admet rarement que le masque qui cristallise sa puissance soit une fin en soi : de fait, la négation morale implique que les traits de celui qui la représente s’échappent hors d’un support acquérant une valeur de frontière, en dessinant une norme dont ces débordements composent le permanent écart. Là où les tenants de l’underplay jouent sur la capacité du spectateur à imaginer ce que dissimule leur carapace, et façonnent le mythe du monolithe masquant des plaies béantes, les mobiles, les réactifs, les expansifs nous poussent à dessiner l’ouverture impossible que leur démesure organise. « Imaginer, c’est hausser le réel d’un ton », écrivait Bachelard ; et c’est ce que ne cesse de faire Cagney lorsque, par un simple clignement d’yeux exorbités et une légère morsure de lèvres, il indique que l’objet de son désir n’est pas ce simple corps posé en face de lui et qu’il lui faut abattre, mais bien l’élan dans son principe même. Sa distinction si particulière - débit haché, phrases rongées, digérées avant même d’être proférées -, délivrant un contenu dicté par un antagonisme vécu comme mode relationnel (insultes, ordres, menaces), ou sa manière d’avaler goulument la fumée de cigarette et de la recracher avec autant d’acharnement trahissent une conception spasmodique de la respiration. Il y a dans la rapidité de l’absorption et dans la fébrilité de l’expulsion une telle urgence qu’elle confirme un refus du milieu ambiant. L’angoisse viscérale qui se joue ici (celle de l’asphyxie) est immédiatement suivie par des tentatives, inabouties, destinées à la taire : il faut, sans cesse, que la créature rejette véritablement à la face du monde ce que ce dernier veut lui faire ingérer.
Cette relation singulière indique que les compositions de l’acteur ne sauraient se résoudre à l’aspect purement symbolique du défricheur dont le gangster hollywoodien concrétiserait, en quelque sorte, la version sombre. certes, les mauvais garçons constituent le registre le plus étendu de son répertoire et permettent de draper cette crue psychique dans le contexte de la revanche sociale. On connaît la valeur subversive d’un film comme Public Ennemy, qui a contribué à faire vaciller le manichéisme hollywoodien en offrant une vision particulièrement lucide des modèles de société américains (l’american dream comme développement du Thanatos). Cagney est le faisceau primal de cette obscurité, un Trophonius sardonique et dément auquel allaient s’abreuver les Pat O’Brien, les Edmund O’Brien ou les Jeffrey Lynn, pâles alter ego qu’on lui adjoignait le temps d’un film et qui voyaient leur impassibilité, taillée dans les certitudes de la morale, devenir insignifiance face à pareille incandescence. Plus que la violence, qui n’est qu’un moyen d’en mesurer l’impact, c’est l’énergie qui rend le mieux compte de l’identité figurative de Cagney. Une énergie qui se veut aussi implacable que celle de la lumière, et qui identifie souvent le personnage à une étincelle lorsque, confondu avec son arme, il se métamorphose en crépitement, en jaillissement, en brasier. Le fantasme de l’homme devenant trajectoire pure, produit d’une chorégraphie hantée qui, de Peckinpah à Woo en passant par Scorsese, éclaire le cinéma moderne, implique la quête d’une forme filmique comme émanation d’une fluidité en devenir : Cagney en est assurément le père fondateur. Avec lui, il ne s’agit plus de décrire la portée d’une action, mais de capter, en osmose avec le corps qui s’y abandonne, ces moments rares où la pelisse humaine cherche à atteindre ce point ultime où elle rejoindra enfin les limbes dont elle est orpheline. Cagney est sans doute, après Lon Chaney - et le fait qu’il ait tenu son rôle dans Man of a Thousand Faces (L’Homme aux mille visages, 1958) n’est pas un hasard ! -, le premier acteur expérimental, ne cessant de nous faire éprouver les puissances premières du cinéma (capter l’ondée dans son mystérieux fracs), quand trop se contrent sur ses seuls usages…
Même médiocres, les films du comédien reprennent ce postulat qui consiste à multiplier les signes de cloisonnement autour de lui pour mieux en faire ressortir l’irréductible volonté : son programme d’action consistera alors à briser ces limites pour se les approprier, et ce, même lorsque ses compositions ne sont pas liées au mythe du tough guy - le gardien de l’ordre de G-Men (les Hors-la-loi, Keighley, 1935) ou le coureur automobile de The Cross Roars (la Foule hurle, Hawks, 1932). Pourtant, les vertus du montage (notamment toutes les séries d’images extrêmement brèves qui condensent l’ascension du personnage dans les gangster movies) nient cette évolution, variation moderne de la Frontière à conquérir. Ainsi les compositions de plans entretiennent des échos entre elles, et la distance qui les sépare rend encore plus prégnante l’inéluctabilité de leur principe conducteur : l’installation de la figure au centre d’un lieu dont elle ne jouit jamais pleinement, car il n’est que la reprise du précédent. L’exemple le plus brillant est sans doute Angels with Dirty Faces (les Anges aux figures sales, Curtiz, 1938), où l’itinéraire de Rocky, de la petite délinquance au statut de caïd (classique de la success story viciée), est encadré par deux plans décrivant la vie du quartier originel du héros par le même travelling circulaire, comme si la juxtaposition rapide, brillante, des clichés évoquant une série de transformations temporelles et spatiales était un leurre. De fait, la figure cagneyenne est cernée : par les murs, par le corps, par le sablier qui s’écoule. Les nombreuses prisons où elle est contrainte de se mouvoir, tout comme le plan récurent de son visage masqué, caché, déformé par des grilles ou des grillages, interviennent comme des leitmotive. Un film entier joue de cette lutte, en lui conférant une dimension métacinématographique : Kiss Tomorrow Goodbye (le Fauve en liberté, Douglas, 1950), qui n’est quasiment composé que de plans rapprochés. Le truand évadé, symboliquement amputé par le cadre, et privé de toute tentation d’expression corporelle, possède une marge de manœuvre tellement infime que sa révolte instinctive ne se manifeste plus guère que par le visage, les grondements et les tonnerres qu’allument ses yeux et sa bouche. Ce combat d’un être contre l’écran, qui, en le révélant, l’enferme pareillement, est symptomatique du travail de Cagney, toujours en lutte contre les moyens mêmes qui lui permettent de s’affirmer, toujours à l’affût de l’interstice par lequel il pourra temporairement s’extraire de la place où on le cantonne. Les scènes clés où le personnage démolit une maison-repaire (les Anges aux figures sales ; The Roaring Twenties / les Fantastiques Années 20, Walsh, 1939), qui annoncent les gunfights dantesques de John Woo, mettent alors en perspective cette nécessité à détruire les emblèmes de la sédentarisation pour maintenir intacte l’étincelle fondatrice. On se souvient de cette séquence extraordinaire de Public Ennemy, où Tom Powers se rend, seul, dans la demeure des chefs qui ont abattu son ami : le massacre entièrement hors vue (la caméra restant à l’extérieur de la demeure qu’elle dévoile) n’est suggéré que par des cris, des bruits et des éclairs. Puis, le truand en sort blessé, et, après avoir titubé, tombe dans l’eau du caniveau. Ce que se refuse à montrer l’objectif n’est pas uniquement conditionné par la censure, mais détermine aussi l’idéal d’un corps : n’être plus, devenir invisible et se confondre, se dispenser, se disperser en autant de signes projectiles, en autant de suggestions fulgurantes.
La dureté tant remarquée à propos de la star dissimule donc une soif d’absolu ne souffrant d’aucune compromission. Walsh est sans doute celui qui a le mieux saisi la volonté naturelle de l’acteur : dans L’Enfer est à lui, l’ensemble des décors où se débat Jarrett (de la cellule au repaire de montagne, de la voiture au train) constituent les véritables ennemis qu’il doit affronter dans son implacable parcours vers l’Ailleurs. Et lorsque arrive le finale apocalyptique, où le tueur explose littéralement en hurlant à sa mère qu’il est enfin parvenu aux sommets, on comprend définitivement que, loin de stigmatiser un simple mal social, une gangrène en marche, Cagney incarne une souffrance indélébile, celle d’un corps qui n’en peut de maudire sa lourdeur, celle d’une forme plastique qui rêve de devenir pur trajet optique (l’ombre au finale des Anges aux figures sales, les flammes de l’Enfer est à lui) pour s’évader, enfin. La secrète maladie qui rongeait Jarrett dans ses crises de démence, ce tintamarre qu’il était seul à entendre et le faisait hurler, n’était que la voix qui rappelle cette nécessité de l’envol. Depuis, elle ne s’est toujours pas tue… Positif, juillet-août, 2000.
SAM SHEPARD 1943 - 2017
Acteur, Cinéaste, Dramaturge, Scénariste
Éleveur de chevaux, il part pour New York à dix-huit ans et écrit sa première pièce de théâtre, Cow Boy, en 1964. Après avoir participé, pour un temps, à la vie de bohème de Greenwich Village, il entreprend, tel un personnage de Kerouac, de longs voyages à la découverte des États-Unis, tout en s’affirmant comme auteur dramatique prolifique. Ses pièces, très représentatives des recherches expérimentales contemporaines, cherchent à briser les formes classiques et conventionnelles ; elles s’apparentent au pop art, aux mouvements inspirés par Jackson Pollock, à la technique du collage… Cow Boy Mouth (1971) en est une illustration évidente. Il obtient le prix Pulitzer en 1979 pour sa pièce Buried Child.
Personnage éclectique, aux multiples talents (on le retrouve batteur du groupe Acid Rock ), il écrit aussi des scénarios : Me and My Brother (R. Frank, 1969), Zabriskie Point (M. Antonioni, 1970), Paris, Texas (W. Wenders, 1984), Far North (1988, qu’il réalise lui-même). Le passage du théâtre au cinéma s’imposait presque, ses pièces étant déjà conçues de manière très cinématographique et interrogeant les grands mythes américains (l’Ouest, l’errance, les mythologies masculines…). Les échos entre son œuvre théâtrale et ses scénarios sont constants : Paris, Texas, par exemple, reprend dans le cadre d’une errance, le sujet de sa pièce True West (l’Ouest, le vrai, 1980) : le contraste entre deux frères aux choix de vie opposés. Il mène de front une remarquable carrière d’acteur. Son physique séduisant et classique lui permet d’aborder tous les genres : agriculteur de l’Amérique profonde dans les Moissons du ciel (T. Malick, 1978) et dans les Moissons de la colère (Country, R. Pearce, 1984), où il incarne un fermier écrasé par l’adversité, sombrant dans l’alcoolisme ; ou pilote d’essai hors pair, sorte de Gary Cooper de l’ère cosmique, dans l’Étoffe des héros (P. Kauffman, 1983). Il joue également dans Renaldo et Clara (Bob Dylan, 1978), Résurrection (Daniel Petrie, 1980), l’Homme dans l’ombre (Raggedy Man, Jack fisk, 1981), Frances (Graeme Clifford, 1983) aux côtés de Jessica Lange (comme dans Country), son épouse dans la vie, Fool for Love (R. Altman, 1985), adapté d’une de ses pièces, Crimes du cœur (Crimes of the Heart, Bruce Beresford, 1986), Baby Boom (Charles Shyer, 1987), The Ballad of the Sad Café (Simon Callow, 1991), The Voyager (V. Schlöndorff, id.), l’Affaire Pélican (A. J. Pakula, 1993). Il doit sa popularité à une activité prolifique et variée, associée à un charisme physique - visage taciturne du héros westernien aux yeux clairs, silhouette longiligne - qui l’inscrit dans la tradition hollywoodienne classique. Anne-Marie Bidaud, 1995.
Après avoir participé, pour un temps, à la vie de bohème de Greenwich Village et entrepris, tel un personnage de Kerouac, de longs voyages à travers les États-Unis, il devient un des auteurs les plus caractéristiques du Off Broadway. Avec Cow-Boys (1964), Croix rouge (1966), la Turista (1967), il impose un théâtre où le langage est événement, tandis que ses pièces suivantes (de la Dent du crime, 1972 à États de choc, 1991 et Angel City, 2000), font de l'acteur le centre même de la pièce et des contradictions internes de l'individu le ressort de la tragédie collective. Shepard, qui est devenu une star hollywoodienne comme acteur et avec le scénario de Paris, Texas de Wim Wenders, a évoqué son enfance dans Chroniques du motel (1982). Dictionnaire du Cinéma, Larousse.
Fils d'un pilote de l'armée américaine reconverti en fermier, Sam Shepard vit de ferme en ferme dans plusieurs états jusqu'à ce que son père se fixe en Californie. Des rapports conflictuels avec ce dernier le poussent à quitter le domicile parental et à arrêter ses études. Il rejoint dans un premier temps la troupe de comédiens Bishop's Reperetory Company avant de partir à San Francisco au Magic Theater où il commence à écrire.
En 1963, Sam Shepard débarque à New York. Alors qu'émerge le mouvement Hippie et que la contestataire scène de théâtre Off-off Broadway voit le jour, il participe à la vie de bohème de Greenwich Village et entreprend de longs voyages à la découverte des Etats-Unis, tout en s'affirmant comme auteur dramatique très prolifique. Issu de la Beat Generation, il s'implique complètement dans la mouvance de la contre-culture des années 60 et vénère Kerouac, Ginsberg, Dylan… Ses pièces interrogent les mythes fondateurs des USA (l'ouest, l'errance, les mythologies masculines...). À seulement 22 ans, Sam Shepard est un auteur dramatique confirmé. Ses pièces expérimentales et contemporaines brisent les formes classiques et conventionnelles, choquent le public et glanent de nombreux prix.
Sam Shepard se tourne vite vers le septième art. D'abord dans le domaine de l'écriture, en scénarisant le Paris, Texas de Wim Wenders et le Zabriskie Point d’Antonioni. Mais cet homme de théâtre se fait paradoxalement connaître du grand public en tant qu'acteur. Ses yeux clairs, son teint buriné et son visage longiligne permettent à cet homme à la fois séduisant et classique d'aborder tout les registres. Il est agriculteur de l'Amérique profonde dans Les Moissons du ciel (1979), pilote d'essai dans L’Étoffe des héros (1983) ou amant malheureux de Kim Basinger dans Fool for Love (1985) (basé sur ses écrits). Sur le tournage de Frances (1982), il rencontre sa future compagne Jessica Lange, qu'il retrouvera sur un plateau dans, entre autres, Crimes du cœur (1986).
Sam Shepard s'illustre aux génériques de La Neige tombait sur les cèdres (1999), The Pledge de Sean Penn (2000) ou encore N’oublie jamais de Nick Cassavetes (2002), toujours par le biais de seconds rôles marquants. En 2005, celui qui est également metteur en scène (Far North, 1988 ; Silent Tongue, 1993) retrouve les grands espaces avec Wim Wenders (Don’t comme knocking) et tente même une incursion dans la science-fiction (Furtif) et le film d'action bien musclé du style La Mémoire dans la peau (Sécurité rapprochée, 2012). Sa carrière, très prolixe, ne s'arrête pas là : habitué aux rôles de cowboys, il partage l'affiche, en 2007, du western avec Brad Pitt et Casey Affleck, avant de prêter ses traits à la célèbre légende du Far West Butch Cassidy dans Blackthorn en 2011. Parallèlement, il met de côté sa panoplie de cowboy pour endosser celle d'une figure paternelle castratrice et autoritaire dans le drame Brothers, où il joue le père de Jake Gyllenhaal et Tobey Maguire.
De Doug Liman à Jeff Nichols par deux fois (Mud puis Midnight Special), en passant par Andrew Dominik (qu'il retrouve grâce à Cogan), James Franco ou Jim Mickle, Sam Shepard multiplie encore les apparitions et seconds rôles pendant les années 2010, et fait profiter de son expérience des jeunes réalisateurs plus ou moins aguerris. Il n'en oublie pas les planches pour autant, ni son rôle paternaliste en donnant des cours sur l'écriture théatrale. Vu au casting d’Ithaca, mis en scène par Meg Ryan, il tient l'un des rôles clés de Bloodline, série dont la troisième et dernière saison s'achève en 2017, et dans laquelle il signe son ultime prestation. AlloCiné.
GEORGES PITOËFF 1884 - 1939
Acteur et metteur en scène de théâtre
Originaire de Russie, il s’établit à Paris, avec sa troupe, en 1922. Il est, avec Copeau, Dullin et Jouvet, l’un des rénovateurs du théâtre entre les deux guerres qui surent le mieux résister à l’invasion du cinéma. Ses orbites enfoncées, son masque osseux et glabre le vouaient aux sombres rôles de « possédé » : il excella dans Ibsen, Molnar, Tchekhov, Pirandello, etc. Au cinéma, on ne le vit que dans le Grand Jeu, de Feyder, en 1934 - un rôle de l légionnaire. Son nom est inséparable de celui de son épouse, Ludmilla (1896-1951), au visage fragile, qui fut admirable, dit-on, en Sainte Jeanne de Bernard Shaw, et dans l’Échange de Claudel. Elle parut un peu plus souvent à l’écran (la Danseuse rouge, Tourbillon de Paris, Quartier sans soleil), de même que leurs enfants, Svetlana (le Temps des cerises), Aniouta (l’Éventail) et Sacha. Claude Beylie, 1995.
Fils d'un directeur de théâtre, il fut attiré très jeune par la scène. Revenu en Russie après avoir fait, à Paris, des études d'architecture, de mathématiques et de droit, il fonda un théâtre à Saint-Pétersbourg et suivit les leçons de Stanislavski, ami de sa famille. Lui-même continuera cette tradition familiale avec sa femme Ludmilla (1895-1951) et son fils Sacha (1920-1990). Avec son épouse, Pitoëff fonda en 1918, en Suisse, la première Compagnie Pitoëff : elle fut invitée, au cours de plusieurs saisons, à donner des représentations à Paris ; elle joua, notamment au théâtre des Arts, deux pièces de H. R. Lenormand, Le temps est un songe (1919) et les Ratés (1920). En 1921, Jacques Copeau invita les Pitoëff à jouer Oncle Vania de Tchekhov au Vieux-Colombier, puis la Mouette (1922) et les Trois Sœurs (1929) : Ludmilla s'y révéla comme l'une des meilleures comédiennes de son temps. Jacques Hébertot, directeur du Théâtre des Champs-Élysées, lui proposa de venir en France. G. Pitoëff resta dans ce théâtre d'accueil jusqu'en 1925, date à laquelle il créa une nouvelle Compagnie Pitoëff. Elle accueillit des acteurs comme Marcel Herrand, Louis Jouvet, Michel Simon — ce dernier découvert par les Pitoëff en Suisse, où il était photographe. La Compagnie fit à plusieurs reprises le tour de l'Europe, jouant notamment les Criminels de Buchner, Sainte-Jeanne de Bernard Shaw, Maison de Poupée d'Ibsen. Les attirances de Pitoëff pour le théâtre étranger (fort peu connu alors en France) vont vers Andreiev, Gogol, Gorki, Pouchkine, Tolstoï, Tourgueniev, Tchekhov, pour la Russie, l'Angleterre étant représentée par Shakespeare, Oscar Wilde, Pristley, Bernard Shaw, Synge, les pays nordiques par Ibsen et Strindberg, l'Italie par Goldoni, D'Annunzio, Pirandello, l'Allemagne par Hauptmann, l'Espagne par Calderón, l'Amérique par O'Neill, l'Inde par Rabindranath Tagore — sans oublier les Anciens, Sophocle et Sénèque. La seconde Compagnie Pitoëff se dispersa en 1929 ; dès lors, G. Pitoëff erra de théâtre en théâtre, de la Comédie des Champs-Élysées au Théâtre des Arts, des Mathurins au Théâtre de l'Avenue : en 18 ans, il monta 204 pièces et 114 auteurs. Cependant Ludmilla, peut-être sous l'influence du rôle de Jeanne d'Arc qu'elle interpréta longtemps, subit une crise mystique. En 1939, G. Pitoëff s'épuisa dans son dernier rôle, celui du docteur Stockmann dans l'Ennemi du Peuple d'Ibsen. Ludmilla quitta l'Europe pour l'Amérique en 1941 ; elle joua à New York, à Montréal, à Hollywood ; de retour en France en 1946, elle interpréta notamment l'Échange de Claudel.
Georges Pitoëff n'a jamais, à proprement parler, formulé de théories dramatiques. Il a pourtant préconisé la sobriété et la stylisation. Comme Copeau, il accordait la première place au texte, dont on doit préserver l'originalité (« Autant de mises en scène que de pièces »). Dictionnaire du Cinéma, Larousse.
« Orphée » est une création de la compagnie Pitoëff. Georges Pitoëff, qui signe la mise en scène, joue le rôle d’Orphée ; sa femme Ludmilla joue Eurydice. La pièce est dédiée à leurs enfants, parce qu’ils vivent « de plain-pied avec le mystère » et sont l’exemple de ce public idéal que l’auteur désire pour ses œuvres.
C’est donc toute une famille que Cocteau associe à l’aventure de sa pièce, dont le dénouement heureux (Orphée et Eurydice unis par l’amour revivent dans leur maison comme au paradis) fait l’éloge de l’amour, richesse du cœur dont le poète a trouvé dans son metteur en scène un exemple unique :
« Auprès d’aucun homme de théâtre je n’ai ressenti autant de tendresse. Car on ne pouvait atteindre Georges Pitoëff que par l’amour. Et si on le lui donnait, il vous le rendait au centuple. L’amour fécondait et baignait ses moindres entreprises. »
(Jean Cocteau, hommage à Georges Pitoëff en 1949).
ROBERT REDFORD 1937
Acteur, Réalisateur
L’école, puis l’université (Colorado) ennuient le jeune Redford, qui ne s’intéresse qu’à l’art, au sport, mais a horreur de la routine et de l’esprit de compétition. Dix ou vingt métiers d’occasion et un long séjour en Europe (1956-57), puis il se marie en 1958. Il continue de rater ses études d’arts plastiques et même dramatiques, à New York, cette fois, lorsqu’il rencontre Sydney Lumet. En 1961, on lui propose un rôle en « vedette »… dans une production marginale à budget réduit, mais Redford en choisit un de second plan : celui d’un soldat idéaliste. Le film de Denis Sanders est remarqué, mais ce n’est pas encore le départ d’une carrière pour ce garçon timide, sauvage, mal coiffé, que le choix de son premier rôle à l’écran définit assez bien. Ses personnages successifs hériteront tous, peu ou prou, cette pureté, cet accord avec la solitude, l’angélisme du courage désintéressé. 1966 marque le tournant attendu grâce à un triplé pour lui superbe : Daisy Clover, de Mulligan ; la Poursuite impitoyable, de Penn ; Propriété interdite, de son ami Pollack. Redford y révèle, avec une animalité dramatique, sa sensibilité un peu sauvage. Il domine le film assez faible de Mulligan, à la fois par un métier enfin appris et un charme que le retour au romantisme ne manquera pas plus tard de mettre en valeur (Nos plus belles années) ou d’exploiter (Gatsby le magnifique). Aux côtés de Brando dans la Poursuite impitoyable, sous la direction de Pollack, dans cette autre histoire du « deep south » où il plonge avec Nathalie Wood, il fait preuve d’autres ressources et prend la place vacante préparée, habitée dix ans plus tôt par Paul Newman. Il ne l’abandonne plus, même lorsqu’il enjambe, plein d’un entrain contagieux, les barrières de la légalité dans deux comédies policières (les Quatre malfrats et l’Arnaque) et un western merveilleusement farfelu, de concert avec Newman, son complice déjà dans la précédente affaire. Redford pratique avec bonheur la mise en procès, ou la remise en cause du héros, floué, traqué ou se noyant, tout bonnement parce qu’il ne sait pas nager. Le parallèle avec Newman est là encore évident, et, de plus, chacun de leurs films-tandem, où ils se font valoir mutuellement, sont des paris tenus même si ce ne sont pas leurs plus beaux titres. L’irréductibilité des personnages de Newman aux stéréotypes est parfaitement partagée par Redford, capable d’une extraordinaire jubilation physique dans les films d’action et d’une malice contagieuse que Saks, Roy Hill ou Yates ont fait briller.
Sans doute Redford incarne-t-il (depuis le triomphe de Pieds nus dans le parc en 1967) une Amérique qui veut croire à la belle pérennité de sa jeunesse, au renouvellement inépuisable de sa volonté de puissance « libérale ». Il est capable de transférer l’héritage mythique de pureté morale et politique au programme démocrate sans même être ridicule (Votez McKay) et de montrer la presse dans un film qui a su éviter les simplifications manichéistes et ne pas jouer la remise en selle du chevalier redresseur de torts (les Hommes du président). Lui, qui plusieurs fois refuse des rôles de prestige, se dépense, avec Dustin Hoffman, pour faire aboutir sans concessions ce film quasi documentariste sur l’enquête du Watergate.
Quant au ambiguïtés, elles sont jusqu’à présent dérivées vers des exploits parodiques, auxquels se relient ceux du ludique et baroque Cavalier électrique, sans pour autant compromettre un charme d’autant plus charismatique que l’homme a su se protéger (dans les montagnes de l’Utah) des turbulences du show business. Aussi peut-il proposer une méditation sur la solitude et le paradis perdu, la survie naturelle de l’individu et de la nature dans le plus beau poème lyrique de Sydney Pollack, sous les traits de Jeremiah Johnson - et prendre la place ainsi au cœur du vieux rêve occidental.
Après une éclipse de quatre ans, il revient à l’écran dans le Meilleur (B. Levinson, 1984), étrange parabole adaptée de Malamud, où la légende arthurienne revit dans le monde très américain du base-ball : Redford, toujours ironique par rapport à son charisme, est l’interprète idéal de cette mythification/démystification. C’est naturellement Sydney Pollack, avec qui il continue de travailler, qui exploite le mieux toute l’ambiguë richesse de Redford dans Out of Africa (1985) et Havana (1990). Par contre, Adrian Lyne se révèle incapable d’aller au-delà des apparences dans Proposition indécente (1993).
Redford passe à la réalisation en 1980 avec Des gens comme les autres (Ordinary People), qui lui vaut l’Oscar du meilleur film et celui de la meilleure mise en scène. Film sobre et classique, qui explore avec compassion les blessures secrètes d’une famille apparement sans histoire. Des gens comme les autres est le prolongement naturel de l’ambiguïté de Redford acteur. Ce dernier est passionné par la mise en scène et il y revient avec Milagro (The Milagro Beanfield War, 1988), fable sur le capitalisme qui, tout en restant de facture classique, éclipse le scénario quelque peu guindé du film précédent. Dès lors, Redford va édifier une véritable œuvre de cinéaste, revisitant tantôt avec une nostalgie poignante (Au milieu coule une rivière, 1992), tantôt avec une rage iconoclaste étonnante (Quizz Show, 1994), les mythes américains qui ont forgé son enfance et sa jeunesse : fidèle à une certaine tradition, il ne cesse cependant d’affiner son sens visuel et de peaufiner sa direction d’acteurs toute en souplesse.
Robert Redford a créé le Sundance Institute, qui soutient les jeunes réalisateurs et la production indépendante américaine. Claude Michel Cluny / Christian Viviani, 1995.
Homme solitaire (Jeremiah Johnson, S. Pollack, 1972), jouant de sa séduction (Gatsby le magnifique, Jack Clayton, 1974 ; Out of Africa, S. Pollack, 1985), il incarne les valeurs d'une Amérique qui se cherche dans un héroïsme ludique et décontracté (la Poursuite impitoyable, A. Penn, 1966 ; Propriété interdite, S. Pollack, id. ; Butch Cassidy et le Kid, George Roy Hill, 1969 ; l'Arnaque, id., 1973 ; les Hommes du président, Alan J. Pakula, 1976 ; Spy Game, Tony Scott, 2001). Également réalisateur (Des gens comme les autres, 1980 ; Et au milieu coule une rivière, 1992 ; l'Homme qui murmurait à l'oreille des chevaux, 1998), il a fondé en 1980 le festival de Sundance (Park City, Utah) pour défendre les chances du cinéma américain indépendant. Dictionnaire du cinéma, Larousse.
MARTIN LANDAU 1928 - 2017
Remarqué dès son second film, la Mort aux trousses (A. Hitchcock, 1959), où il incarnait l’inquiétant secrétaire de l’inquiétant James Mason, il semble voué à jouer les « vilains », tel Caïphe dans la Plus Grande Histoire jamais contée (G. Stevens, 1965), ou un redoutable bandit dans Nevada Smith (H. Hataay, 1966) et les Brutes dans la ville (R. Parrish, 1971). On a vu trop rarement à l’écran ce pionnier des séries TV, qui a tout de même joué aussi l’honnête Rufius de Cléopâtre (J.L. Mankiewicz, 1963). Ses films ultérieurs l’ont appelé en Espagne et en Italie, sans grand succès semble-t-il. Au cours des années 80, on l’a retrouvé dans l’Île au trésor (R. Ruiz, 1986) et dans le rôle d’Abe Kratz, l’homme qui va aider Tucker à produire la voiture « du siècle » (F.F. Coppola, 1988). Puis il a notamment interprété Intersection (1994), de Mark Rydell, et Ed Wood (id.) de Tim Burton. Gérard Legrand, 1995.
Originaire de Brooklyn, l’acteur débute sa carrière dans les années 1950 durant lesquelles il interprète principalement des seconds rôles. Sa carrière connaît un tournant lors de son deuxième film La Mort aux trousses (1959), film culte d’Alfred Hitchcok. On le retrouve également au générique de longs-métrages comme Cléopâtre (1963), La Plus Grande Histoire jamais contée (1964) ou encore Nevada Smith (1966). De plus, entre 1966 et 1973 il connaît un large succès à travers le personnage de Rollin Hand dans la série télévisée Mission : Impossible, puis dans la série Cosmos 1999 (1975-1978). Dans ces deux séries, il joue aux côtés de sa femme Barbara Bain. Il est nommé aux Oscars deux fois pour Tucker de Francis Ford Coppola (1988) et pour Crimes et délits (1989) de Woody Allen. Enfin, c’est en 1995 qu’il obtient l’Oscar du meilleur acteur pour son interprétation de Bela Lugosi dans le film de Tim Burton, Ed Wood (1994). Les dernières années de sa carrière furent marquées par des rôles dans des séries télévisées telles qu’Entourage ou FBI : Portés Disparus dans les années 2000. Dictionnaire du Cinéma, Larousse.
À la sortie du collège, Martin Landau étudie les beaux-arts à l'Institut Pratt et devient illustrateur pendant cinq ans au quotidien "New York Daily News". Passionné de théâtre, il se présente en 1955 pour une audition à l'Actor's Studio, où il est retenu en compagnie de Steve McQueen. Dans la célèbre école, ses professeurs prestigieux se nomment Lee Strasberg, Elia Kazan, Harold Clurman et Curt Conway, notamment.
Il monte sur les planches de Broadway dans Goat Song, Stalag 17, Detective Story. Mais c'est surtout avec la tournée de Middle of the night, son premier grand succès d'acteur, que Martin Landau se fait remarquer par les grands metteurs en scène hollywoodiens. Il attire l'attention dès sa seconde apparition au cinéma en incarnant Leonard, l'âme damnée de l'espion Philip Van Damme (James Mason) dans La Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock en 1959.
Au milieu des années soixante, il devient célèbre pour des millions de téléspectateurs en prêtant ses traits à Rollin Hand, le personnage à transformations de la série culte Mission : Impossible, aux côtés de sa femme Barbara Bain, épousée en 1957. Il fera partie des trois premières saisons diffusées entre 1966 et 1969, avant d'être remplacé par Leonard Nimoy. Conséquence de son activité régulière à la télévision, sa carrière cinématographique se poursuit à un rythme ralenti. En 1975, il s'installe avec son épouse en Angleterre où ils seront tous les deux les vedettes d'un nouveau feuilleton télévisé, Cosmos 1999, de 1975 à 1977. Ses rôles s'orientent désormais vers la science-fiction, notamment avec Meteor en 1979 et Terreur extraterrestre en 1980.
Après son divorce en 1987, sa carrière au cinéma prend un nouvel essor avec deux nominations consécutives à l'Oscar du Meilleur Second Rôle masculin pour Tucker en 1988 et pour Crimes et Délits en 1989. Il obtient finalement l'Oscar et la consécration en incarnant l'acteur Bela Lugosi dans le désormais classique Ed Wood de Tim Burton, en 1994.
Depuis, Martin Landau ne cesse de travailler pour le cinéma. Il prête entre autres ses traits à Geppetto, le fabricant de marionnettes de Pinocchio en 1996, rôle qu'il reprend en 1999 dans Pinocchio et Gepetto. La même année, il retrouve Tim Burton dans Sleep Follow, la légende du cavalier sans tête pour jouer Peter Van Garret : un petit rôle certes, mais déterminant dans l’histoire puisqu’il est la première victime du cavalier sans tête joué par Christopher Walken. Tout en continuant de tourner pour la télévision et dans des séries telles que The Evidence : les preuves du crime ou FBI : portés disparus, l’acteur enchaine les tournages, aussi bien pour des comédies comme Ready to Rumble en 2000, que pour des drames comme The Majestic en 2002, où son personnage croit reconnaitre en Jim Carrey son fils, parti à la guerre quelques années plus tôt.
En 2008, l'acteur fait partie des habitants d’une ville souterraine dans La Cité de l’ombre en compagnie de Bill Murray, avant d’incarner le mystérieux Harrison Montgomery. L'année suivante, il s'essaie à l'exercice du doublage et prête sa voix à l'une des petites marionnettes survivantes de Numéro 9. Ce long métrage d’animation, réalisé par Shane Acker, est produit par Tim Burton. En 2012, les deux hommes se retrouvent pour une quatrième collaboration avec Frankenweenie : le comédien y est à nouveau engagé en tant que doubleur, cette fois-ci pour donner vie à l'étrange M. Rzykruski. AlloCiné.
DUSTIN HOFFMAN 1937
Acteur, Producteur, Réalisateur
Ses parents sont de fervents cinéphiles : son père, décorateur de plateau, se ruine en se lançant dans la production ; sa mère lui choisit son prénom en hommage à l’acteur Dustin Farnum. Après des études musicales au Conservatoire de sa ville natale (Los Angeles), il travaille l’art dramatique à la Pasadena Community Playhouse, avant de suivre à New York les cours de Lee Strasberg et de débuter à Broadway, en 1964, dans En attendant Godot de Samuel Beckett, et surtout Harry Moon and Nights, pièce dans laquelle il tient le rôle d’un officier nazi bossu et homosexuel. Mike Nichols le remarque et lui donne la vedette du Lauréat (1967), film qui le consacre et lui vaut une première nomination aux Oscars (deux autres suivront, en 1969 pour Macadam Cowboy et en 1975 pour Lenny , avant qu'il ne l'obtienne enfin pour Kramer contre Kramer, en 1979). Sa carrière se partage entre des cinéastes au talent consacré (Arthur Penn, Sam Peckinpah, Franklin Schaffner, Pietro Germi) et des « jeunes » qu’il contribue à révéler (Ulu Grosbard, Michael Apted, Robert Benton). Il n’abandonne pas pour autant le théâtre, allant même jusqu’à un essai de mise ne scène pour All Over Town, de son ami Murray Schisgal. Son registre de comédien est étendu : il peut être un joli garçon titillé par un œdipe sournois (le Lauréat), un intellectuel poltron retiré dans sa province et qui se transforme en chien enragé (les Chiens de paille), un centenaire à la voix râpeuse ruminant ses souvenirs de la guerre de Sécession (Little Big Man), un poète rebelle raillant l’ »American Way of Life » (Lenny) ou enfin un père attentionné chaperonnant sa progéniture (Kramer contre Kramer). Loin de le desservir, sa petite taille (qui le fait parfois confondre avec un acteur du même gabarit, Al Pacino) confère un charme supplémentaire à ses interprétations. Il y a de l’Arlequin, mâtiné de Puck, chez cet acteur que Didier Sandre tient pour « le plus populaire et le plus doué de sa génération, comme Marlon Brando le fut de la sienne ». Ajoutons qu’il créa (avec Paul Newman, Sydney Poitier et Barbra Streisand) une compagnie de production indépendante, la First Artists, qui se solda malheureusement par deux échecs (Straight Time de Grosbard et Agatha d’Apted). Après avoir joué les travestis malgré lui dans Tootsie, il succède ne 1985 avec un certain panache à Fredric March dans le rôle de Willy Loman, héros pathétique de la pièce d’Arthur Miller, Mort d’un commis voyageur. Il remporte en 1989 l’Oscar pour son rôle d’autiste doué d’une étonnante mémoire et calculateur prodige dans Rain Man de Barry Levinson. Claude Beylie, 1995.
Il incarne avec succès les personnages les plus divers : le Lauréat (Mike Nichols, 1967), Macadam Cowboy (John Schlesinger, 1969), Little Big Man (A. Penn, 1970), Marathon Man (J. Schlesinger, 1976), Kramer contre Kramer (Robert Benton, 1979), Rain Man (Barry Levinson, 1988), Mad City (Costa-Gavras, 1997), Jeanne d'Arc (L. Besson, 1999), le Maître du jeu (Gary Fleder, 2003).
« Je ne rappelle pas m'être intéressé aux critiques »
« I don't remember reading reviews, caring about reviews. I had no awareness of what films were doing. Or caring. Or whether it was even a flop or a hit. Not real caring. I had a lot of caring about whether I felt I did good work. But the whole business side of it - and the Oscar is the business side of it, because the Oscar nominations mean, as you see with 'As Good As It Gets,' when it gets Golden Globes it doesn't even matter what the prize is, if they can just put in the paper something that looks legitimate to the audience, 'Best Picture,' 'Best Actor,' 'Best Actress,' their business goes up an extreme amount. Which means more people see your movie. That's for us, in a crass way, I guess, the most important thing about being nominated. »
Traduction :
« Je ne me rappelle pas avoir lu des critiques, m'être intéressé aux critiques. Je n'avais pas conscience de ce que les films devenaient. Ou intéressaient. Ou s'ils avaient fait un bide ou un succès. Pas vraiment intéressant. J'avais beaucoup d'intérêt pour les sujets sur lesquels je sentais que je faisais un bon boulot. Mais toute la partie commerciale de cela, - et l'Oscar est l'aspect commercial de cela, parce que la nomination à l'Oscar signifie, comme vous l'avez vu avec Pour le pire et pour le meilleur, quand il a eu Golden Globe, ça n'avait rien avoir avec le prix en soi, ça servait juste à mettre sur le papier quelque chose qui ait l'air de justifier l'audience : « meilleur film », « meilleur acteur », « meilleure actrice ». Leur commerce prend une très grande importance. Cela signifie que davantage de gens vont voir votre film. Je suppose que, en gros, c'est pour vous ce qu'il y a de plus important dans le fait d'être nominé. » Dictionnaire du Cinéma, Larousse.
Enchaînant les tournages à un rythme de plus en plus soutenu, parfois pour de simples apparitions (Les Désastreuses aventures des orphelins Baudelaire), il campe un directeur de théâtre pince-sans-rire et débonnaire dans Neverland, avant de retrouver la même année Robert De Niro à l'affiche d'une pure comédie, Mon beau-père, mes parents et moi, et de s'adjoindre à l'impressionnant casting du quatrième film de David O. Russell, J’adore Huckabees. En 2006, il joue dans Le Parfum : histoire d’un meurtrier de Tom Tykwer avant de s'afficher dans L’Incroyable destin de Harold Crick de Marc Forster. Particulièrement fier du film, il collabore à nouveau avec son scénariste, Zach Helm, pour son premier film, la comédie fantastique Le Merveilleux magasin de Mr Magorium. En 2009, il est de retour dans une comédie romantique, partageant l'affiche avec Emma Thompson dans Last Chance for Love, et en prêtant sa voix au rat marginal Roscuro dans le film d'animation La Légende de Despereaux.
En 2010 et 2011, il officie dans des rôles de père, interprétant une nouvelle fois le paternel de Ben Stiller dans Mon beau-père et nous, puis celui de Paul Giamatti dans le mélancolique Monde de Barney. Parallèlement, l'acteur donne de la voix pour Kung Fu Panda et sa suite, et porte la série Luck (qu'il produit également), malheureusement annulée au bout d'une saison en raison de la mort de trois chevaux pendant son tournage. Toujours en forme, on le voit ensuite passer derrière la caméra - à l'âge de 75 ans - avec Quartet, une comédie anglaise pleine d'espoir emmenée par Maggie Smith, Tom Courtenay, Billy Connolly, Pauline Collins et Michael Gambon. AlloCiné.
CHARLES AZNAVOUR 1924 - 2018
Shanour Varenagh Aznavourian
Auteur-compositeur, chanteur et comédien
Chanteur dès son plus jeune âge, il mène à partir de 1956 (Une gosse sensass, de R. Bibal) une double carrière d’acteur aux rôles inégaux et de chanteur-compositeur d’audience internationale. La Tête contre les murs, de Franju, lui vaut le prix d’interprétation du cinéma français en 1959, mais son meilleur rôle reste celui que lui offre François Truffaut dans Tirez sur le pianiste (1960). Il apparaît également dans le Passage du Rhin (A. Cayatte, 1960), Un taxi pour Tobrouk (D. de la Patellière, 1961), la Métamorphose des cloportes (P. Granier-Deferre, 1965), Paris au mois d’août (id., 1966), Le Facteur s’en va-t-en guerre (C. Bernard-Aubert, id.), Folies bourgeoises (C. Chabrol, 1976), le Tambour (V. Schlöndorff, 1979), Qu’est-ce qui fait courir David ? (Élie Chouraqui, 1982), Viva la vie (C. Lelouch, 1984), Mangeclous (Moshe Mizrahi, 1988), Maestro (Marion Hänsel, 1989), les Années campagne (Philippe Leriche, 1992). Paul Chevillard, 1995.
Né à Paris de parents arméniens, Charles Aznavour commence, dès 9 ans, à arpenter les auditions et entre au Théâtre du Petit Monde. Il joue alors les rôles d'enfants au théâtre pendant les années 30. Il fait également de la figuration dans divers films. Parallèlement, il entame sa carrière de chanteur, rencontrant successivement le parolier Pierre Roche et Edith Piaf qui lui offre son premier voyage aux Etats-Unis.
Devenu un chanteur reconnu sur les scènes parisiennes telles que l'Olympia et l'Alhambra, Charles Aznavour fait ses véritables débuts au cinéma, en 1958, dans La Tête contre les murs de Georges Franju et rencontre Jean-Pierre Mocky avec qui il tournera l'année suivante, Les Dragueurs et Les Vierges en 1963. En 1960, il trouve un de ses plus beaux rôles dans Tirez sur le pianiste sous la direction de François Truffaut. Le succès du film aux Etats-Unis lui ouvre alors les portes du célèbre Carnegie Hall à New York.
Au milieu des années 60, il est véritablement reconnu comme un artiste complet capable à la fois de jouer la comédie, chanter et de se produire sur scène. Il est adulé sur les scènes du monde entier et, en 1968, il tourne son premier film en anglais : Candy de Christian Marquand avec Marlon Brando, Richard Burton et James Coburn.
Au cours des années 70, il tourne d'ailleurs majoritairement dans des productions anglo-saxonnes avec notamment Les Aventuriers et Intervention Delta. Il participe également à la première adaptation des Dix petits nègres en couleurs, aux côtés notamment d’Orson Welles et Gert Fröbe. En 1979, il joue également en allemand, dans Le Tambour de Volker Schlöndorff qui obtient l'Oscar du meilleur film étranger. Héros dramatique, il tourne également sous la direction de Claude Chabrol en 1982, Les Fantômes du chapelier dans le rôle d'un homme écrasé et réservé.
En 1986, après avoir composé de nombreuses musiques pour ses films depuis le milieu des années 50 et écrit les dialogues de Les Intrus de Sergio Gobbi en 1972, il écrit le scénario de la comédie de Paul Boujenah, Yiddish Connection. Dans les années 90, il se fait plus discret au cinéma, tournant principalement des téléfilms.
En 2002, il tient le rôle principal de son film le plus personnel : Ararat d’Atom Egoyan sur le génocide arménien, avant d'interprèter son propre rôle dans Emmenez-moi (2005), comédie chantée qui rend un bel hommage au chanteur. AlloCiné.
JERRY LEWIS 1926 - 2017
Joseph Levitch
Acteur, humoriste, chanteur, producteur, scénariste et cinéaste
Issu d’une famille de comédiens de culture juive, ce qui marquera son œuvre, il est renvoyé à quinze ans du collège. Dès 1941, ses dons de comique se manifestent et, en 1942, il met au point un numéro de mimes et d’imitations sur un accompagnement enregistré, puis paraît dans les attractions des cinémas de la chaîne Paramount. En 1946, alors que Lewis travaille depuis peu au Club 500 à Atlantic City, un autre débutant de cabaret, Dean Martin, son aîné de neuf ans, se produit comme chanteur de charme. À la suite d’un quiproquo, les deux comédiens se retrouvent ensemble sur scène : le tandem Lewis-Martin est né. À la fin des années 40, ils forment le couple comique le plus populaire des États-Unis, tant à la scène qu’à la télévision. Le cinéma ne tarde pas à s’intéresser à eux, et, en 1949, remarqués par le producteur Hal Wallis de la firme Paramount, ils débutent à l’écran comme faire-valoir de l’actrice Marie Wilson dans Mon amie Irma (My Friend Irma, G. Marshall, 1049). Ce n’est qu’avec le Soldat récalcitrant (At War With the Army, Hal Walker, 1951), leur troisième rôle, que les deux compères trouveront leur premier film en tant que vedettes. Ensemble, ils interprèteront plusieurs autres films. Ainsi, Norman Taurog confiera à Lewis un rôle d’artiste de variétés dans Parachutiste malgré lui (Jumping Jack, 1952) et celui d’un faux bambin très turbulent réfugié dans une école de jeunes filles dans Un pitre au pensionnat (You’re Never Too Young, 1955). Après sa collaboration avec Frank Tashlin et le succès des interprétations qui suivirent, Lewis commence à entrevoir la possibilité de faire cavalier seul. Déjà dans Artistes et Modèles (Tashlin, 1955), où il incarne un fanatique de comics hanté par la lecture des bandes dessinées, il éclipse largement Martin. Pour la dernière fois, ils joueront ensemble dans Un vrai cinglé de cinéma (Tashlin, 1956), où Lewis joue le rôle d’un cinéphile ravagé par le mythe hollywoodien. En juillet 1956, le tandem se sépare définitivement. Totalement polyvalent dans le show-business, Lewis, après la radio, la télévision, le music-hall et le cinéma, se lance dans la chanson et dans le disque. Dès lors qu’il est seul, il prend le métier de comique avec plus de professionnalisme. Rapidement, il deviendra producteur et scénariste d’un bon nombre de ses films, avant de devenir son propre metteur en scène. Pour son premier rôle en solo, Lewis donne à son personnage une dimension nouvelle : avec le Délinquant involontaire (The Délicate Delinquent, Don McGuire, 1957), il cherche à interpréter le phénomène de la délinquance où le rire ne dissimule pas complètement l’émotion sous-jacente. Son travail de créateur est d’abord découvert en Europe et notamment en France, où, sous l’impulsion de quelques critiques de Positif (Robert Benayoun, naturellement) et des Cahiers du cinéma, il est élevé au rang d’auteur. Avant de réaliser lui-même son premier film, il tournera encore, essentiellement sous la direction de Tashlin, Trois bébés sur les bras (1958), ou la difficulté d’être une « mère » parfaite, le Kid en kimono (1958), fable particulièrement destinée aux enfants, et surtout Cendrillon aux grands pieds (1960), où Lewis incarne le timide laideron qui pour une nuit deviendra un sublime séducteur. Désormais grande vedette de la Paramount, Lewis prend à partir de cette époque des positions à caractère humaniste, tenant un rôle de démocrate engagé. 1960 marque surtout pour Lewis la date de sa première réalisation officielle, à partir de laquelle il dévoile effectivement des dons de cinéaste dans le Dingue du Palace. Il y incarne un groom maladroit et muet, qui, face à chaque situation, déclenche une série de catastrophes. Sa deuxième réalisation, le Tombeur de ces dames (1961), plus virulente, contre les déboires d’un célibataire timide enfermé dans une pension pour dames. Filmé dans un décor gigantesque, le Tombeur… reste une des œuvres majeures de Lewis. La même année, il tourne le Zinzin d’Hollywood, enchaînement de gags racontant l’histoire d’un innocent garçon de courses de studio qui, par sa maladresse destructive, provoque d’innombrables désastres dans les coulisses du cinéma. Dans Docteur Jerry et Mister Love (1963), parodie du roman de Stevenson si souvent exploité, une potion magique transformé un professeur timide et complexé en un odieux play-boy. Le thème du dédoublement de personnalité sert habilement cette satire corrosive des mœurs américaines. Il se retrouve simple acteur dans Un chef de rayon explosif (Tashlin, 1963). Avec Jerry souffre-douleur (1964), il signe une œuvre très inattendue, entièrement fondée sur des effets comiques totalement ratés. Après ce film-miroir, où Jerry avec force parodies regarde Lewis et Hollywood, Tashlin à nouveau dirige le comédien dans Jerry chez les cinoques ; celui-ci, infirmier dans une luxueuse clinique psychiatrique, déclenche une série de gags souvent outrés, dont la démesure s’enfle avec la gravité de l’état des malades. Dans les Tontons farceurs (1965), il incarne successivement sept personnages différents dans des séquences indépendantes : aidé par un chauffeur au grand cœur, maladroit et complexe, une petite fille milliardaire doit se choisir un tuteur parmi six oncles tous plus étranges les uns que les autres. Après ce film d’une tendresse au fond cruelle, Lewis quitte officiellement la Paramount pour la Columbia. Trois sur un sofa (1966) tente alors de rompre avec son personnage habituel, mais s’inspire des plus banales comédies boulevardières bâties sur le système du quiproquo, et il faut le brio de Lewis, interprétant sans fard quatre personnages différents, pour sauver cette comédie incertaine. Il dirige ensuite Jerry la grande gueule (1967), parodie policière tournée en extérieurs, où un pêcheur timide est entraîné dans une aventure rocambolesque. Dirigé quelque temps sans grande efficacité par d’autres, Lewis réalise en 1970, en Grande-Bretagne, One More Time, remplaçant au pied levé le metteur en scène prévu par la production. Ya, ya mon général (1970) veut être un hommage à Chaplin, un défi à tous les racismes du monde, fable politique qui vaut à Lewis, lors de son voyage en France, et notamment après son passage à l’Olympia à Paris en 1971, un accueil enthousiaste. Puis, pendant près de dix ans, il va, surtout pour des raisons de santé, disparaître de l’écran. En 1979, il réalise Au boulot Jerry, pur film à gags, moins ambitieux que certaines œuvres précédentes, mais dont l’histoire, amère et drôle à la fois (il s’agit d’un clown au chômage), prouve que Lewis a renoué avec son talent. Mais il faudra attendre 1983 pour retrouver le Lewis des années 60, prolifique, inventif, singulier. Simple acteur dans la Valse des pantins (M. Scorsese, 1982), où, dans un rôle de star agressé, il joue dans le registre dramatique, il enchaîne avec Slapstick (Steven Pau, 1983), où il apparaît sous un maquillage étonnant. Avec la verve de ses débuts, il signe, en 1983, T’es fou Jerry, satire de la société américaine en proie à la psychanalyse. Enfin, outre les films déjà cités, et les nombreuses émissions de télévision auxquelles il a participé, Lewis est également apparu comme acteur dans une vingtaine d’autres films (on le verra en 1984 se fourvoyer dans deux films français : Retenez-moi ou je fais un malheur (Michel Gérard, 1984) et Par où t’es rentré, on t’as pas vu sortir (Ph. Clair, 1984). Son comique grimacier (pour certains systématiquement « débile »), et souvent outrancier, se veut en fait héritier de la tradition burlesque américaine, et non sans référence à des personnages typiques de la comédie juive. Son image de maladroit et d’inadapté représente à la fois le type du « Schlemiel » et celui du « Schlimazel » de la tradition yiddish, victime de la vie et poursuivi par une malchance qui lui colle à la peau. Fabien Laboureur.
Jerry Lewis, comme tous les grands comiques du cinéma, était caractérisé par une trogne, une gestuelle et des mimiques spécifiques. À l’instar d’un de Funès, à qui il remit un César d’honneur en 1980, il était expert dans l’art des grimaces, roulements d’yeux et grognements. Son succès public dans les années 50 et 60 laissait la critique américaine perplexe, et il fut rarement considéré comme un authentique artiste dans son pays. C’est en France que les analystes des Cahiers du Cinéma, Positif et autres revues spécialisées reconnurent le talent réel de celui qui devint très vite l’auteur complet de ses films. En effet, après avoir formé un duo comique avec Dean Martin dans plusieurs comédies dont le subtil Artistes et modèles (1955) de Frank Tashlin, Jerry Lewis travailla en solo et signa la mise en scène de plusieurs perles de la comédie américaine, fondées sur un humour à la fois burlesque et pince-sans-rire, potache et poétique, dont le sommet fut Docteur Jerry Mister Love (1963), désopilante parodie de Docteur Jekyll et Mister Hyde.
Dans cette mouvance s’inscrivent également Le Tombeur de ces dames (1961), Les Tontons farceurs (1965), Ya ya mon général (1970), ou T’es fou Jerry (1983). À partir des années 80, Jerry Lewis ne tourna plus qu’en tant qu’acteur. On retiendra d’abord son rôle de star harcelée et séquestrée par Robert De Niro dans La Valse des pantins (1983) de Martin Scorsese. S’il se fourvoya dans Par où t’es rentré ? on t’a pas vu sortir et Retenez- moi ou je fais un malheur, nanars de 1984 respectivement réalisés par Philippe Clair et Michel Gérard, il fit d’étonnantes compositions dans Arizona Dream (1993) d’Emir Kusturica, Les Drôles de Blackpool (1995) de Peter Chelsom, ou Max Rose de Daniel Noah, projeté en séance spéciale au Festival de Cannes 2013. Jerry Lewis rejoint Buster Keaton, les Marx Brothers, Jacques Tati et autres artistes majeurs au paradis des génies du rire. Il était âgé de 91 ans. 2017.
Fils d'un artiste de cabaret et d'une musicienne, Jerry Lewis suit très tôt sa vocation et abandonne le lycée à quinze ans pour se produire sur scène avec un numéro déjà très étudié : "le Record Act" dans lequel il mime les chanteurs célèbres de l'époque pendant que leurs disques passent.
En 1946, il rencontre Dean Martin sur la scène du club 500 d'Atlantic City et décident de se produire ensemble. La combinaison des grimaces de Lewis et le charme sensuel de Martin fonctionne à merveille et ils deviennent vite le duo comique préféré de l'Amérique. C'est donc logiquement qu'en 1949, ils jouent les seconds rôles dans leur premier film, Ma bonne amie Irma, suivi un an plus tard de sa suite, My Friend Irma goes West.
C'est en 1951 qu'ils interprètent leurs premiers rôles principaux dans Le Soldat récalcitrant. Ils enchaînent ensuite sur 13 comédies pour la Paramout basées sur le même modèle : l'homme sensuel et droit (Martin) forcé de supporter les pitreries du maniaque stupide (Lewis). Et, même si les critiques n'adhèrent pas, le public suit et les films sont toujours d'immenses succès commerciaux. Cependant, des querelles d'égo entre les deux stars les poussent à se séparer et Un vrai cinglé de cinéma en 1956 est leur dernière collaboration.
Il continue sa carrière en solo en jouant son personnage habituel de clown dans des films tels que Le Délinquant involontaire, Trois bébés sur les bras ou Le kid en kimono. Le succès étant toujours au rendez-vous, il signe en 1959 un contrat d'exclusivité sur 7 ans et 14 films avec Paramount pour 10 millions de dollars et 60% des bénéfices. En 1960, il débute sa carrière de réalisateur avec Le Dingue du palace, un film sans dialogue qui met en valeur ses gags visuels, suivi de Le Tombeur de ces dames, une satire des femmes américaines.
En 1963, il réalise et interprète Docteur Jerry et Mister Love, une version comique de Dr Jekyll et Mr Hyde qui est dénigré par la critique américaine mais encensé en France, notamment par les Cahiers du cinéma. Il part ainsi pour la France où les films du "Roi du Crazy" (comme il est alors surnommé) sont diffusés à la Cinémathèque Française. Il semble alors au sommet de sa carrière.
Mais, la deuxième partie des années 60 marquent le début de la désaffection du public américain pour ses films à l'image de Jerry la grande gueule, Cramponne-toi Jerry et Which way to the front ? qui sont des échecs au box-office. Les années 70 sont alors désastreuses. Il n'apparaît désormais plus à l'écran et confie le rôle principal de One more time à son ami Sammy Davis Jr. Mais, le film est un échec. En 1972, cherchant à se renouveler, il écrit et dirige The Day the clown cried, l'histoire d'un clown tentant de faire oublier l'horreur des camps d'extermination aux enfants juifs. Mais, pour des raisons financières, le projet avorte en milieu du tournage. Jerry Lewis passe alors 10 ans hors d'Hollywood, n’apparaissant plus dans aucun film.
Il revient finalement à l'affiche en 1979 avec Au boulot… Jerry ! qui, à la surprise générale, rapporte 50 millions de dollars au box-office. Mais, une attaque cardiaque et des problèmes de santé rendent ses apparitions de plus en plus diffuses. Il est néanmoins aux côtés de Robert De Niro dans La Valse des pantins de Martin Scorsese, ce qui lui vaut pour la première fois de sa carrière de bonnes critiques aux Etats-Unis. Mais, le succès commercial n'est pas au rendez-vous. Il s'exile alors en France où il tourne dans Retenez-moi… ou je fais un malheur ! et Par où t’es rentré ? on t’a pas vu sortir.
Il devient ensuite de plus en plus rare faisant de courtes apparitions dans Cookie ou Mr. Saturday Night (dans son propre rôle). Pendant les années 90, il n'apparaît que dans Arizona Dream et Les Drôles de Blackpool mais ses prestations sont très remarquées. Le comédien continue toutefois d'apparaître de temps en temps à la télévision, notamment en prêtant sa voix dans un épisode de la saison 15 des Simpsons ; il joue également dans un épisode de la saison 8 de New York Unité Spéciale. En 2016, Jerry revient au long-métrage en incarnant le père de Nicolas cage dans le thriller Le Casse. Il se glisse aussi dans la peau de Max Rose, un homme veuf qui repense aux moments importants de sa vie.
Souvent dénigré par ses concitoyens, Jerry Lewis a marqué de son empreinte la comédie américaine, révolutionnant le "slapstick", la comédie burlesque célébrée par Buster Keaton. Aujourd'hui, il est une influence majeure pour des comédiens tels que Jim Carrey, Robin Williams ou Billy Crystal. Il décède le 20 août 2017, à Las Vegas, à l'âge de 91 ans. AlloCiné.
DIRK BOGARDE 1921 - 1999
Acteur, écrivain
Avec Dirk Bogarde disparaissait en mai 1999 une figure mythique du cinéma, un acteur d’exception qui fut à la fois une personnalité charismatique, au charme noir et entêtant, et un passeur, un intercesseur quasi médiumnique, l’interprète d’élection d’un Losey et d’un Visconti. Présenté à cette occasion par la presse comme une sorte d’archétype de l’ambiguïté sexuelle, exhaussé au statut d’icône de la culture gay, dont on célèbre essentiellement le dandysme provocateur et l’érotisme sulfureux, on ne saurait cependant réduire son apport à ce statut de support fantasmatique ou de dandy wildien moderne. Singulier, il l’est à plus d’un titre, mais d’abord par une étonnante capacité d’adaptation et d’innovation, qui l’a rendu apte aux rencontres et aux échanges : ses plus grands rôles naissent ainsi de la cristallisation d’affects inédits, d’une conjugaison de charmes pluriel faisant coexister la puissance de l’imaginaire, la sensation rêvée, la précision du geste, la sensation vraie, ainsi que des effets de dissociation ou de distanciation suggérant un décalage esthétique, faille ou dédoublement du réel, empêchant l’émotion de « prendre » d’une façon trop directe. la maîtrise technique du jeu, très contrôlée, retrouve, à travers des détours, une sorte d’innocence, de grâce, lorsque se brouillent les frontières du naturel et de l’artifice. Ainsi Bogarde surprend toujours, qu’il intensifie la sensation à travers une immobilité inquiète, qui est presque sa « marque de fabrique », ou qu’il laisse se déployer des élans furtifs, voire des envolées ou des éclats frôlant l’hystérie. Issu de l’impeccable classicisme anglais, il est le « premier des modernes » a avoir exploité, à travers un jeu subtil entre révélation et dissimulation, toutes les ressources de sa versatilité. La créativité volontiers caméléonesque des acteurs d’aujourd’hui lui doit beaucoup.
Impossible d’échapper au terme de période si l’on veut ne serait-ce qu’évoquer sommairement la carrière de Bogarde, ou les rebondissements successifs s’unifient dans une trajectoire magnifique d’intelligence et d’audace, de lucidité et de génie créatif. Si la première période de l’acteur, conventionnellement british, a sombré dans les brumes de l’oubli, du moins a-t-elle eu le mérite d’être le soubassement fondant l’aisance et le style qui renforceront l’impact des créations ultérieures. Elle trouve un prolongement dans quelques tentatives de starisation hollywoodienne, par exemple Le Bal des adieux (de Charles Vidor et George Cukor, 1960), où il incarne une figure kitsch de l’artiste tourmenté et romantique en endossant la défroque de Franz Liszt, ou, à l’opposé, dans une curiosité marquant une rupture de son image de jeune premier, Victim de Basil Dearden (1961), où il met sa silhouette élégantissime et sa délicatesse aristocratique au service de la cause homo.
Mais c’est la période Losey qui va concrétiser le génie de l’acteur, période qui se chevauche d’ailleurs avec la précédente, puisqu’elle débute en 1954 avec le premier film anglais de l’exil américain, The Sleeping Tiger (La bête s’éveille), ébauche naïve de l’affrontement pulsionnel, du jeu pervers qui seront, une décennie plus tard, au cœur des réussites exceptionnelles issues de la collaboration Pinter-Losey-Bogarde, The Servant (1963) et Accident (1967) ; Bogarde y impose de façon éblouissante son image équivoque, faite de séduction et de morbidité mêlées, son aptitude à explorer les fêlures, perversités et désarrois intimes.
La période viscontienne constitue une sorte d’aboutissement logique : c’est, selon toute évidence, la plasticité émotionnelle de Bogarde, sa capacité à exprimer les abîmes effrayants de la personnalité et de l’amour qui ont inspiré Visconti dans son choix. Ainsi, après Les Damnés (1969), Bogarde devient-il le support de l’élégiaque rêverie viscontienne dans ce qui restera comme son rôle le plus intemporel et le plus mythique, celui de Gustav von Aschenbach dans Mort à Venise (1971). Il y personnifie un alter ego artiste du cinéaste, comme Burt Lancaster en avait incarné l’alter ego princier dans Le Guépard.
La dimension du dédoublement marque le Bogarde dernière période, celui des années 70, qui pousse l’ambivalence jusque dans ses extrêmes aboutissements psychopathologiques, du pervers de Portier de nuit de Liliana Cavani (1973), au schizo de Despair de Fassbinder (1978), en passant par le dédoublement fantasmatique et ludique du film de Resnais, Providence (1977). Bogarde, ayant « bouclé la boucle » par ce redoublement spéculaire de sa propre image, échappe alors au ressassement en choisissant de jouir du loisir d’une retraite lettrée, consacrée à différentes activités d’écriture, romans, Mémoires, critique littéraire. Réconcilié, au temps des « regrets souriants », il reviendra en image mélancolique au charme bienveillant dans le film de Bertrand Tavernier, Daddy Nostalgie (1990).
C’est donc la rencontre avec Losey qui a été la secousse initiale, le déclic qui a permis à Bogarde de se dégager du carcan des emplois conventionnels pour devenir un acteur-créateur, un expérimentateur à la recherche de combinaisons originales. Comme l’a dit lui-même Losey, la carrière de l’un et de l’autre fut modifiée par cette rencontre décisive : « Il est certain que ma carrière, et même l’existence de cette carrière, fut tendue possible par l’accord de Dirk, parce que, sans lui, c’était peut-être la fin pour moi… Mais il est juste de dire aussi que plus tard, avec The Servant et Accident (…), la carrière de Dirk fut elle aussi transformée. » On voit là un phénomène d’intuition, de reconnaissance réciproque assez extraordinaire, qui a magnifié leur talent respectif. Le film dont il est question, The Sleeping Tiger, qui a lancé la carrière européennes de Losey, a en même temps fait naître le double maléfique de Bogarde, mixte de fragilité et de perversité, dont l’aura inquiétante va devenir un trait emblématique.
Le trouble naît d’abord de la contradiction, du contraste entre l’insécurité des personnages, que traduit la nervosité des gestes et des mimiques, à la froide détermination qui règle leur conduite. À l’opposé de la brutalité évidente d’un Stanley Baker par exemple, autre acteur fétiche de Losey traduisant de façon plus univoque la force explosive des pulsons, la violence potentielle de Bogarde se manifeste plus insidieusement. Ainsi, dans The Sleeping Tiger puis The Servant, les « bonnes manières » un rien affectés de Bogarde sont utilisées comme armes de guerre, dans une implacable stratégie de séduction. Son air faussement soumis, son apparente infériorité lui servent à briser les personnalités naïves et vulnérables qu’il détecte et vise avec une perspicacité diabolique. Dans ces affrontements sournois, le « suspense » porte non sur l’issue, pressentie, mais sur la manière : pour déstabiliser l’adversaire, Bogarde conjugue la suavité hypnotique (née de l’onctuosité caressante de la voix, du regard à la fois pénétrant et impénétrable) à des éclats soudains d’agressivité où se révèlent sa dangerosité et son avidité prédatrice.
L’acteur va jouer par la suite de cette force d’attraction/répulsion, en assumant les composantes sadiques ou masochistes, les faiblesses et insuffisances, voire la capacité d’objection de ses personnages. De manipulateur malin dans The Servant, il glisse à la figuration du désarroi dans Accident, où l’on assiste à l’effondrement progressif d’un personnage à l’apparence encore séduisante, mais miné par la frustration et tenté par l’avilissement. Rôle-transition, prélude aux rôles viscontiens, marqués davantage encore par la décadence, la volupte funèbre prise à l’anéantissement de soi. Les héros des Damnés et de Mort à Venise présentent ainsi une parenté tragique, puisqu’ils collaborent à leur propre chute : l’un, Bruckman, jouet d’une femme castratrice, accablé par la honte que redouble la conscience de l’inutilité de ses crimes ; l’autre, Aschenbach, conscient de l’inutilité de son art et de la faillite de son idéalisme, détruit par la passion.
À travers ses contributions les plus personnelles, celles qui définissent peu à peu un personnage bogardien, on peut déceler une réflexion ironique sur le rôle, une sorte de mise en abyme généralisée du jeu de l’acteur. Ses personnages sont essentiellement des hypocrites qui jouent la comédie. Leur aisance à s’adapter, à décrypter, à maîtriser les règles est soulignée par la dimension ironique, légèrement outrancière, que donne le comédien à ses propres tics (comme cette jubilation narquoise, esquissée mais retenue, qui s’attarde le temps d’une pose, redoublant le plaisir du jeu, le plaisir pris à « mener en bateau »). Dans The Servant, le personnage est d’abord un acteur qui a sa scène, son cérémonial, ses accessoires. Sa manière d’être est pur artifice : la silhouette guindée, le morcellement fétichiste du corps (gants, chapeau…) ne sont qu’une sorte de voile trompeur déguisant la joyeuse férocité du personnage, qui éclate de façon discontinue à travers des postures provocantes, des gestes insolents ou désinvoltes qui sont autant de ponctuations. Dans Accident, l’hypertrophie du détail anodin (la scène de l’omelette) ou l’hyperbole humoristique du recours aux accessoires connotant l’anglicité la plus conformiste (le parapluie…), en majorant le côté inhibé et dissimulateur du personnage, rendent son malaise perceptible d’une façon à la fois drôle et pathétique.
Bogarde développe d’ailleurs admirablement la dimension grotesque de ses personnages, toujours inscrite en puissance. ce cheminement est tout à fait caractéristique dans Mort à Venise, où les poses proustiennes d’Aschenbach dans la première partie (regard vide de la mélancolie, visage penché, appuyé sur la main, ennui affecté), indices du figement de l’être dans une simple contenance, préfigurent la dégradation caricatural du dandy en clown tragique.
Auto-ironie flagrante, également, dans Providence, où il joue un Narcisse exécrable de suffisance, s’adonnant à un cabotinage maniéré et poseur : là encore, Bogarde pourfend la boursouflure du personnage par l’exagération, retournant en repoussoir ses traits séduisants (élégance devenue vulgaire à force de recherche, diction d’une complaisance sadique, tant l’éclat métallique de la voix joint à l’accélération du débit rend celle-ci coupante comme une pince). C’est qu’il joue un personnage qui se joue à lui-même sa propre comédie, tout en étant personnage dans la comédie d’un autre (le fantasme du romancier). Le dédoublement s’effectue ici dans l’espace du rêve.
Fassbinder, dans Despair, ne fera qu’exploiter pour sa cause cette aptitude à la parodie et à la dérision, cet art du glissement et du transfert qui fait de Bogarde un « double » idéal : « Pour se justifier auprès de son sosie, Hermann Hermann se fait passer pour un acteur en quête de doublure. Du personnage, on glisse à l’acteur qui l’interprète, de Hermann à Bogarde et de Bogarde à ses rôles antérieurs, au gendre des Damnés, à l’officier SS de Portier de nuit. Une simple différence phonétique ouvre encore d’autres perspectives de dédoublements, de transferts de personnalités. Hermann devenu Dirk Bogarde se transforme à vue d’oeil en Humphrey Bogart… » La substitution n’est-elle pas réalisée lorsque le « double » dit à Hermann (Bogarde ?) : « Vous devriez changer de métier ! »
Le mythe d’un Bogarde ambigu est donc né de sa capacité à exploiter la marge d’incertitude entre le réel et le fictif, à donner à voir un peu plus justement que son image réelle, à faire de son visage (qui tend chez lui à absorber et, pour ainsi dire, résumer le corps) une surface idéalement réfléchissante. À travers cette réverbération d’images multiples, ambivalentes, il actualise toute l’épaisseur d’un monde fait de non-dit, d’imaginaire, d’affects et de souvenirs. Son charme persuasif repose sur une qualité particulière de présence : mobile et fuyante, extrêmement physique et gracieuse à la fois, capturant l’attention par la sûreté quasi mécanique du geste, la frémissante impassibilité de l’expression ; mais également distante, à travers un repli tantôt ironique, tantôt mélancolique. Ainsi Bogarde suscitait non l’identification, mais plutôt la fascination, qui suppose le maintien d’une altérité, d’une inaccessibilité. Ce charme du retrait - qui n’est pas sans rappeler la volonté de ne pas être ému du dandy - était peut-être sa manière d’affronter l’impudeur à être acteur. Agnès Peck, Positif, septembre 1999.
Originaire des Pays-Bas, mais élevé dans le Sussex chez un père critique d’art et une mère actrice, Dirk Bogarde révèle très tôt des dons pour la comédie en jouant des saynètes domestiques, dont il rend compte dans son autobiographie. Il étudie l’art dramatique au Royal College of Arts. Après la guerre, qu’il fait en Birmanie et à Java, ses débuts au théâtre sont difficiles et son ascension lente, en dépit des conseils et de la protection de son aîné, Noel Coward. Ses premiers succès à la scène lui valent d’être pris sous contrat à la Rank, où on le cantonne longtemps, en raison de son physique agréable et de son élégance, dans les rôles de beau jeune homme, notamment avec la série des Doctor…, dont il fut l’un des protagonistes. Le Cavalier noir, de Roy Ward Baker, annonce pourtant déjà un changement d’emploi significatif ; c’est l’ambiguïté sexuelle et l’animalité subtilement inquiétante de sa personnalité qui sont soudain mises en valeur dans cet étrange western, intimiste et homosexuel. Évolution plus nette encore avec Victim (1961) de Basil Dearden, film policier par ailleurs classique, auquel son rôle d’homosexuel traqué confère une épaisseur et une morbidité certaines. L’année suivante, il est le partenaire de Judy Garland, dans le film L’Ombre du passé (1962), qui fixe sur la pellicule des numéros qu’il avait effectués sur scène avec elle dans un certain nombre de shows théâtraux. Mais la véritable et définitive éclosion du personnage Bogarde intervient en 1963, avec la rencontre conjuguée de Joseph Losey et d’Harold Pinter. Ce n’est pas sa première rencontre avec Losey, puisque’!il a déjà tourné sous sa direction, en 1954, dans La Bête s’éveille. La réussite artistique totale de The Servant le comble au point qu’il décide de se consacrer au cinéma d’auteur. Il tournera encore trois fois avec Losey : dans Pour l’exemple, il tient le rôle complexe, mais non ambigu, de l’officier chargé d’assurer la défense du soldat déserteur que l’on va fusiller ; il fait, dans Modesty Blaise, une composition étonnante d’exhibitionnisme désespéré. Dans Accident, enfin, son adhésion à l’univers de Pinter et Losey est telle qu’il peut jouer la passivité presque absolue pour restituer l’ambiguïté, la complexité, la contradiction de son personnage, ainsi que les blancs d’une écriture, celle de Pinter, qui fonctionne davantage sur le non-dit que sur l’exprimé. Par un jeu à ce point intériorisé, Bogarde nous convainc que la fonction de l’acteur est celle d’un médium, d’un prisme entre l’œuvre et le spectateur, œuvre qu’il donne à sentir par un comportement fait d’une sorte de passivité hantée. Deux autres films sont à inscrire au palmarès de sa période britannique, davantage pour la performance de l’acteur, d’ailleurs, que pour l’achèvement intrinsèque d’œuvres qui n’ont pas la personnalité de celles de Losey ; Darling, de John Schlesinger, où il a pour partenaire Julie Christie ; il y effectue quelques variations subtiles, à la limite de la préciosité, sur le modèle magistralement mis au point dans The Servant, incarnation du Mal dans son expression la plus cynique ; Chaque soir à neuf heures de Jack Clayton, où sa passivité équivoque contribue à épaissir un climat fantastique suscité par les intermittences de l’inconscient.
Cette série de réussites exceptionnelles a haussé Dirk Bogarde au rang de star internationale. La collaboration avec Losey étant épuisée, l’acteur noue une relation également privilégiée avec Luchino Visconti, pour lequel il tournera deux films : Les Damnés et Mort à Venise. Il est vraisemblable que sa brouille avec Losey lui a fait surestimer, relativement et dans l’absolu, son travail avec Visconti. Les Damnés marque comme une banalisation de son personnage, dont le magnétisme paraît gommé par une production tapageuse, en dépit d’excellentes scènes. Dans Mort à Venise, le rôle totalement passif de spectateur attribué à Bogarde dans le rôle d’Aschenbach n’a rien de commun avec ces médiums irradiants inventés par Pinter et Losey. Aschenbach n’est plus un homme qui meurt, mais une illustration qui n’a jamais accédé à la vie.
Après Mort à Venise, Bogarde espace ses apparitions. Deux films dominent sa filmographie des cinq dernières années : Providence d’Alain Resnais et Despair de R. W. Fassbinder. Ce dernier film, par son ambition tant au plan du contenu qu’à celui de la forme, a pu faire croire à l’acteur que son rôle atteindrait en ambiguïté et en complexité les niveaux de The Servant… Sa performance reste en réalité bridée par l’esthétisme et l’hermétisme de l’entreprise, alors que Providence tient toutes ces promesses et utilise aussi sa voix admirable comme un instrument de musique de chambre. Ce rôle renouvelle même la palette de son interprétation, dans la mesure où il le dégage des surenchères en morbidité que certains films, dans la filiation de The Servant, lui faisaient endosser, tel Portier de nuit de Liliana Cavani. Parmi ses projets avortés, notons le rôle du détective Harry Dickson et celui du marquis de Sade, deux autres projets non aboutis avec Alain Resnais. Michel Sineux, 1995.
WILLIAM FINLEY 1942 - 2012
Acteur, scénariste, compositeur
Sous le nom de W.Finley Franklin, il écrit en 1983 le scénario du film The First Time. Il est également le co-auteur du livre Racewalking. Finley est diplômé de l’Université Columbia en 1963. L'acteur s'était éloigné des studios et vivait paisiblement à New York City avec sa femme et son fils. Il décède le 14 avril 2012 des suites d'une opération à l'âge de 69 ans.
« We’ll remember you forever, Eddie, trough the sacrifice you made, we can’t believe the price you paid for love. » (Goodbye, Eddie, Goodbye, The Juicy Fruits, générique de Phantom of the Paradise)
L’acteur américain William Finley est mort. Son nom ne dit sans doute rien au grand public, mais c’est une figure marquante d’une certaine cinéphilie qui disparaît. William Finley était ce que les Américains appelle un « character actor » : un habitué des seconds ou des troisièmes rôles, parfois même des apparitions, mais dont le visage, le physique, la voix ou la dégaine marquent immédiatement les spectateurs à chacune de ses participations dans un film (grand rôle dans des petits films, ou petits rôles dans des grands films.) William Finley est entré au panthéon du cinéma fantastique en interprétant le rôle de Winslow Leach, le compositeur malchanceux transformé en fantôme de l’opéra moderne, dans le film culte de Brian De Palma, Phantom of the Paradise en 1974. Film culte : ce terme galvaudé, devenu imprononçable, s’il ne devait être attribué qu’à un seul film, ce serait bien Phantom of the Paradise, du moins pour les cinéphiles de ma génération. J’ai découvert ce film à treize ans, un peu par hasard, dans une salle art et essai de province (Le Méliès), et il a changé ma vie. Hanté par les images et les sons de ce film, j’en guettais la moindre projection, allant jusqu’à voyager pour le revoir, à une époque où il y avait peu de cassettes vidéo, de chaînes de télévision et où la cinéphilie se vivait encore en contrebande. J’étais arrivé à voir le film une quinzaine de fois en quelques années. Mais la première vision, fondatrice de ma passion dévorante et obsessionnelle pour le cinéma, avait été la bonne.
Même s’il contient déjà toutes les obsessions de Brian De Palma, Phantom of the Paradise est un titre à part dans la filmographie du cinéaste, puisqu’il emprunte la forme extravagante d’un opéra rock fantastique, et plonge dans la démesure visuelle la plus totale. Son mauvais goût outré ne le rattache pourtant que superficiellement au courant du stupide cinéma camp et kitsch, puisque Phantom of the Paradise reste, au-delà de son décorum et de sa musique disco, un vrai film de cinéaste. En grand paranoïaque, De Palma s’identifie à son antihéros, fantasme de l’artiste génial et méconnu dépossédé de son œuvre par l’industrie hollywoodienne. Le film emprunte à quatre sources littéraires : Le Fantôme de l’Opéra, La Belle et la Bête, Faust, Le Portrait de Dorian Gray et cite Psychose (la scène de la douche détournée de manière hilarante) et Le Cabinet du docteur Caligari. Débordant d’émotions contradictoires, de l’humour potache au romantisme noir, de l’amour fou au Grand Guignol, Phantom of the Paradise est le grand film de notre adolescence, mais aussi un chef-d’œuvre de cinéma adolescent.
Avec sa trogne de binoclard, sa timidité, sa maladresse, sa métamorphose en monstre défiguré assoiffé de vengeance, sanglé dans une combinaison de cuir et coiffé d’un casque en forme d’oiseau, Winslow Leach était l’incarnation des fantasmes romantiques et violents de notre adolescence, pourtant peu marquée par le mouvement gothique. Nous rêvions avec De Palma de ce personnage inouï, magnifiquement interprété par Finley, mélange de Jerry Lewis période The Nutty Professor et de Lon Chaney. L’extase, la transe solitaire. Phantom of the Paradise restera le seul grand rôle de William Finley, qui y partageait la vedette avec deux autres figures inoubliables et pourtant vite disparues de la circulation, le chanteur acteur compositeur Paul Williams (Swan) et Jessica Harper (Phoenix) qui trois ans plus tard tiendra le rôle principal d’un autre titre mythique des années 70, Suspiria de Dario Argento. Le film fut un échec aux Etats-Unis où personne ne le prit au sérieux, tandis qu’il allait bientôt devenir un petit phénomène en Europe et surtout en France, remportant le grand prix au Festival d’Avoriaz et restant à l’affiche à Paris une dizaine d’années consécutives.
La carrière erratique de William Finley (à peine vingt films en cinquante ans) est intimement liée à celle de Brian De Palma, fidèle en amitié avec l’acteur. Ils partagent leurs débuts puisque Finley est de presque tous les essais underground du jeune De Palma : Woton’s Wake, The Wedding Party, Dyonisus ou le film potache Murder à la Mod (1967), brouillon des futurs thrillers hitchcockiens de De Palma où Finley incarne, déjà, une figure inquiétante qui annonce ses rôles de détraqués dans Sœurs de sang (Sisters, 1973) et Le Dahlia noir (The Black Dahlia, 2006).
De Palma fait ses gammes, et le film contient en germes de nombreuses scènes de ses films suivants : un mannequin assassiné au rasoir (comme dans Pulsions), des essais d’actrices (comme dans Le Dahlia noir), beaucoup de voyeurisme, de cadrages tordus et d’humour potache, et déjà la présence dans le rôle du tueur psychopathe, William Finley, l’acteur fétiche de la première période de De Palma qui cabotine comme un malade et interprète la chanson du générique. Une curiosité.
Lorsqu’il réalise son premier film de genre, Sœurs de sang produit comme Phantom of the Paradise par Edward R. Pressman, De Palma confie le rôle de l’effrayant docteur Emile Breton à Finley, qui livre une composition outrancière, avec béret, cheveux luisants, petite moustache et lunettes à gros foyer.
Après Phantom of the Paradise, Finley fera des apparitions sporadiques dans l’œuvre de De Palma : il est l’individu louche qui suit Amy Irving dans la rue dans Furie (The Fury, 1978), fait la voix de Bobbi le travelo assassin dans Pulsions (Dressed to Kill, 1980) sans être crédité au générique et, à la surprise générale, réapparait en tueur fou, vêtu de noir comme dans un vieux giallo de Sergio Martino, le temps de la meilleure scène du Dalhia noir (très belle chute mortelle du haut d’un escalier.)
L’autre cinéaste qui emploiera plusieurs fois William Finley est Tobe Hooper. Le style excessif et carnavalesque de Hooper s’accorde avec les compositions outrancières de William Finley. Si les acteurs américains ont inventé « l’underacting » et optent généralement pour un jeu réaliste, Finley tourne le dos à la sobriété : il apparaît en magicien poudré et grimaçant dans Massacres dans le train fantôme (1981), et aussi dans Night Terrors en 1995 (pas vu.) Mais William Finley se fait surtout remarquer dans Le Crocodile de la mort (1977), dans lequel il pique une mémorable crise d’hystérie qui fait vraiment froid dans le dos, au milieu d’une distribution qui collectionne les tronches de cauchemar (Neville Brand, Robert Englund, Stuart Whitman, Carolyn Jones). Spécialiste des films étranges, Finley a même joué dans le seul long métrage fantastique de Chuck Norris, Horreur dans la ville (Silent Rage, 1982) de Michael Miller qui jouit d’une bonne réputation. À découvrir, pour un ultime hommage au Fantôme du Paradis. Olivier Père, 2012.
FARLEY GRANGER 1925 - 2011
Il débute à 18 ans dans le film pro-soviétique l’Étoile du Nord (1943) de Milestone, lequel lui confie un premier rôle l’année suivante dans un autre film de propagande : Prisonniers de Satan. Ses meilleures interprétations, toujours fondée sur un charme trouble et un peu veule, sont : l’étudiant meurtrier de La Corde (A. Hitchcock, 1948), le jeune gangster des Amants de la nuit (N. Ray, 1948), le petit employé indélicat de La Rue de la mort (A. Mann, 1950), le joueur de tennis à l’innocence magistralement ambiguë de L’Inconnu du Nord-Express (Hitchcock, 1951). Il a encore des rôles importants dans la Sarabande des pantins (H. King, 1952), Hans Christian Andersen et le danseuse (Ch. Vidor, 1952), Histoire de trois amours (V. Minelli, 1953) et surtout Senso (L. Visconti, 1954) et la Fille sur la balançoire (R. Fleischer, 1955). Sa carrière cinématographique connaît alors une éclipse de près de quinze ans et c’est en Europe qu’il réapparaît dans les années 70 : On l’appelle Trinita (Enzo Barboni Clucher, 1971), le Serpent (H. Verneuil, 1973). Jean-Pierre Berthomé, 1995.
Farley Granger n’est jamais devenu une star. Mais il a traversé le cinéma hollywoodien avec une poignée de films mythiques. Suffisant pour que les cinéphiles lui offrent une place particulière dans leurs souvenirs. Il est mort à New York le 27 mars 2011, à l’âge de 85 ans.
Deux chefs-d’œuvre encadrent la courte carrière hollywoodienne de Farley Granger : Les Amants de la nuit, premier long métrage de Nicholas Ray, film sublime mais statut de série B et échec public au moment de sa sortie et La Fille sur la balançoire de Richard Fleischer, chéri des cinéphiles français où il joue un des pires méchants de sa carrière, dandy dégénéré et assassin. Du héros angélique de Nicholas Ray à la pourriture démoniaque de Fleischer (le grand cinéaste des études criminelles et pathologiques) se dessine le destin cinématographique de Farley Granger, dont on se souviendra comme d’un beau bizarre, d’un séducteur ambigu et peu fréquentable, toujours au bord du gouffre et prêt à entraîner ses conquêtes dans sa chute. Cette image torve et inquiétante, Farley Granger la devait à une homosexualité qu’il n’avait jamais souhaité camoufler, à la différence de nombreux acteurs américains, et ce courage insolent lui fermera vite les portes des studios et du star system. Le grand producteur Sam Goldwyn voulut faire de Farley Granger une vedette, et avait lui avait fait signer un contrat de cinq ans. Mais pour devenir une star à Hollywood, il fallait accepter de jouer le jeu des conventions. Goldwyn ne parvint pas à convaincre Granger, « célibataire » endurci (on lui prêta aussi des liaisons avec Ava Gardner et Shelley Winters), d’accepter un mariage arrangé pour faire taire les rumeurs et les échotières d’Hollywood, et le contrat ne fut pas renouvelé.
Certains des plus grands cinéastes avec lesquels il travailla étaient autant de mauvaises fréquentations aux yeux d’une Amérique puritaine et hypocrite : Nicholas Ray et Vincente Minnelli étaient des bisexuels notoires mais honteux, Visconti un homosexuel flamboyant. Dans La Corde (1948) d’Alfred Hitchcock, il joue un étudiant, dandy nietzschéen qui décide de commettre le crime parfait avec son amant (interprété par John Dall, un autre acteur homosexuel qui remplaça Montgomery Clift, lui aussi gay, initialement choisi par Hitchcock.) Hitchcock avait décidé d’adapter la pièce dont était tirée le film avec le scénariste Arthur Laurents, qui se trouvait être l’amant de Farley Granger à la ville. À l’époque, l’évocation de l’homosexualité était bannie à l’écran, mais les inclinations sexuelles des jeunes criminels ne font aucun doute. Trois ans plus tard, Hitchcock confie à Farley Granger un de ses rôles les plus célèbres. Il est enfin le héros et le personnage principal d’un grand film, L’Inconnu du Nord-Express d’après Patricia Highsmith. Le film décrit la relation trouble entre deux hommes, un assassin maître chanteur et sa victime, mais Farley Granger joue cette fois-ci le personnage positif : le psychopathe, dont on devine les tendances sexuelles (il rêve de tuer sa maman) est interprété par Robert Walker, un acteur hétérosexuel. Mais le succès du film ne suffit pas à lancer la carrière de Farley Granger. Hitchcock se montra insatisfait de sa performance et ne manqua pas de le faire savoir. En 1953, Farley Granger est aux côtés de Leslie Caron dans le sketch Mademoiselle de Vincente Minnelli, compris dans le film collectif Histoire de trois amours.
L’autre sommet de la carrière de Farley Granger, c’est évidemment Senso (1954) de Luchino Visconti, où il interprète le lieutenant Franz Mahler, rôle que Visconti avait d’abord proposé à Marlon Brando. Senso est le premier film en couleurs et en costumes du génial cinéaste italien qui prolonge à l’écran son travail de metteur en scène de théâtre et d’opéra, avec un raffinement visuel incomparable. Senso est un chef-d’œuvre opératique, où la splendeur de la reconstitution historique n’élude en aucun cas les préoccupations modernes et le discours marxiste du cinéaste. Senso est le récit d’une relation amoureuse tragique (en 1866, à Venise, lors des derniers jours de l’occupation autrichienne, une comtesse proche des patriotes italiens tombe amoureuse d’un lieutenant autrichien, et vivra une passion autodestructrice pour un homme cynique et pervers qui la déshonorera.) et aussi d’un échec national. « Ce qui m’intéressait dira Visconti, c’était de raconter l’histoire d’une guerre mal faite, faite pour une classe seule et qui fut un désastre. » En face d’Alida Valli, Farley Granger excelle dans le rôle de l’officier corrupteur. La Fille sur la balançoire sonnera le glas de sa carrière en 1955. Après ce beau film, on le retrouvera dans une multitude de séries et d’émissions à la télévision, sort réservé aux vedettes abandonnées par Hollywood. Il connaîtra aussi, à l’instar de très nombreux acteurs américains, une reconversion dans les séries B et Z tournées en Italie dans les années 70, enchaînant les seconds rôles dans des westerns, polars, comédies et thrillers érotiques de troisième zone dans un exil romain peu glorieux où Farley Granger est très loin du faste viscontien : On l’appelle Trinita d’Enzo Barboni, La Lame infernale de Massimo Dallamano, ... pour ne citer que les titres les moins obscurs. De retour aux Etats-Unis, il joue dans The Prowler (1981) un film d’horreur de Joseph Zito puis travaille essentiellement à la télévision (jusqu’en 2001) et au théâtre à Broadway. Olivier Père, 2011.
JAMES COBURN 1928 - 2002
Acteur, producteur exécutif
Ayant débuté dans des théâtres universitaires, il fait d’abord de la TV et n’apparaît à l’écran qu’en 1959 pour devenir l’année suivante l’une des sept vedettes du film de John Sturges, Les Sept Mercenaires. Sa haute taille, son allure cynique, son flegme le vouent aux rôles d’aventuriers sans scrupules, rôles à l’intérieur desquels il développe peu à peu un charme nonchalant et un humour tout en souplesse. Parmi ses meilleurs prestations, on retiendra La Grande Évasion (Sturges, 1963), Cyclone sur la Jamaïque (A. Mackendrick, 1965), Mais qu’as-tu donc fait à la guerre, Papa ? (B. Edwards, 1966), Waterhole N.3 (William Graham, 1967), et surtout Duffy le renard de Tanger (R. Parrish, 1968), où son emploi habituel se nuançait d’une intelligence et d’une sensibilité moins inattendues qu’enfin clairement révélées. Son succès comme animateur pince-sans-rire de James Bond (Notre homme Flint, Daniel Mann, 1966 et F. comme Flint, G. Douglas, 1967) lui vaut dix ans plus tard d’interpréter à la TV Sam Spade, le héros de Dashielle Hammett. Mais il aura été aussi l’un des deux personnages de Il était une fois la Révolution (S. Leone, 1971) et de La Chevauchée sauvage (R. Brooks, 1975). Après le médiocre Croix de Fer (S. Peckinpah, 1977), il reparaît plein d’une autorité rusée dans Revanche à Baltimore (R. E. Miller, 1979) sous une séduisante couronne de cheveux blancs et dans Young Guns II (Geoff Murphy, 1990). Gérard Legrand, 1995.
Issu d'un foyer modeste, James Coburn suit les cours de théâtre du City College de Los Angeles, avant de décrocher son premier rôle au cinéma en 1959 dans La Chevauchée de la vengeance, un western signé Budd Boetticher. L'année suivante, il interprète Britt, le lanceur de couteaux des Sept mercenaires (John Sturges, 1960), aux côtés, entre autres, de Yul Brynner et Charles Bronson. Déjà très populaire, Don Siegel l'engage en 1962 pour jouer dans L’enfer est pour les héros, l'histoire d'une patrouille américaine encerclée au front par les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale. Souvent à l'affiche de castings prestigieux, Coburn retrouve John Sturges sur La Grande évasion (1963), où il tente en compagnie de Steve McQueen et James Garner de s'échapper de la geôle allemande.
Loin de se cantonner à un seul style de film, Coburn s'essaie également à la comédie, d'abord avec la série des Flint, l'espion charmeur et éphémère rival de James Bond (Notre homme Flint, F comme Flint) puis en intégrant l'univers burlesque de Blake Edwards dans Qu’as-tu fait à la guerre, Papa ? (1967). Il n'empêche, du fait de sa silhouette plutôt grande et virile, Coburn reste un grand habitué des westerns, tournant avec les plus illustres représentants de ce genre comme Sam Peckinpah (Major Dundee, Pat Garrett et Billy le Kid), Sergio Leone (Il était une fois la Révolution) ou encore Richard Brooks (La Chevauchée sauvage). Il tourne également dans de nombreux films de guerre comme La Bataille du Midway (Jack Smight,1976) et Croix de Fer (Sam Peckinpah, 1977).
Moins présent sur le grand écran au cours des années 1980, il fait un retour remarqué au cinéma en 1990 dans Young Guns 2, puis dans Hudson Hawk (1991), deux films dans lesquels il joue les méchants de service. Après avoir donné la réplique à Whoopi Goldberg dans Sister Act 2 (1993) et à Eddie Murphy dans Le Professeur Foldingue (1996), il remporte en 1998 l'Oscar du meilleur acteur pour son rôle de père de famille vieillissant, cruel et alcoolique dans Affliction de Paul Schrader. À 73 ans, il prête sa voix à l'un des personnages de Monstres & Cie, le film d'animation de David Silverman. AlloCiné.
LEE MARVIN 1924 - 1987
Engagé dans les Marines en 1943, gravement blessé, il débute au théâtre à New York (1946) puis au cinéma, assez obscurément (La Marine est dans le lac, H. Hathaway, 1951). Son ascension est pourtant rapide, mais son physique et son allure le confinent dans les rôles de mauvais garçon ou de tueur professionnel, qu’il nuance de façon extraordinaire si l’on tient compte de l’immobilité de sa physionomie, immobilité dont la fascination s’est précocement enrichie d’une couronne de cheveux blancs. Il passe de la rage sournoise explosant brusquement (Règlement de comptes, F. Lang, 1953 ; La Peur au ventre, S. Heisler, 1955) au pittoresque de l’aventurier sympathique (La Taverne de l’Irlandais, J. Ford, 1963) ou à l’activisme glacé, presque monolithique (Les Professionnels, R. Brooks, 1966 ; Les Douze salopards, R. Aldrich, 1967) pour une bonne ou une moins bonne cause. Oscar du second rôle pour un mauvais numéro de shérif ivrogne (Cat Ballou, E. Silverstein, 1965), cet excellent acteur fut parfaitement dirigé par John Boorman dans Le Point de non-retour (1967) le nimbant enfin de la lumière « mythologique » à laquelle il aspirait visiblement (il fut d’ailleurs à l’origine du projet mais laissa ensuite Boorman travailler à sa guise), et dans Duel dans le Pacifique (1968) - où il fait jouer ses possibilités de renouvellement les plus saisissantes face à l’acteur japonais Toshiro Mifune. depuis lors, il n’a cessé d’être une vedette mais il a paru somme toute assez peu avant d’être le « porte-parole » de Fuller dans Au-delà de la gloire (1979). Gérard Legrand, 1995.
À bout portant fait partie des grands films de Lee Marvin, admirable acteur viril qui excella dans les rôles de brutes sexy (à ses débuts), de durs et d’individualistes (jusqu’à la fin), devenant avec Charles Bronson et Steve McQueen une icône masculine du cinéma américain des années 60. On ignore souvent que son impressionnante carrure d’athlète et sa gueule burinée dissimulaient des origines aristocratiques. Marvin est né en 1924 dans une famille de la haute société new yorkaise et mène une enfance dorée quoique sans réelle tendresse. Il souffre de l’amour étouffant de sa mère et du comportement distant d’un père admiré. Lee Marvin devient un jeune homme indiscipliné et rebelle, qui s’engage à dix-sept ans dans le corps des Marines lorsque la guerre éclate. Il se transforme en soldat d’élite, mais perd ses illusions sur l’héroïsme militaire durant la bataille de Saipan, une des plus meurtrières du Pacifique. Il est l’un des six survivants d’une escouade de deux cent quarante-sept hommes. Grièvement blessé, il est rapatrié en 1945 et devient deux ans plus tard acteur par accident. Il fréquente les planches de New York avant de tenter sa chance à Hollywood en 1950, où sa prestance physique et sa décontraction sont vite remarquées. Il interprète deux inoubliables fripouilles sadiques, dans Les Inconnus dans la ville de Richard Fleischer et surtout Règlement de comptes de Fritz Lang où il défigure Gloria Grahame avec du café bouillant dans un accès de colère. Cantonné dans les seconds couteaux, il accède à la célébrité grâce à une série télé, « M Squad ». Sa filmographie compte de nombreux classiques des années 60 : toujours des westerns, des polars ou des films de guerre. Il incarne le hors-la-loi Valance face à John Wayne et James Stewart dans L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford et enchaîne avec À bout portant de Don Siegel, Les Professionnels de Richard Brooks, Le Point du non retour et Duel dans le Pacifique de John Boorman, Les Douze Salopards de Robert Aldrich... Parfait dans le registre de l’action, il cabotine dans La Kermesse de l’Ouest (une comédie musicale avec Clint Eastwood) ou Cat Ballou, pénible parodie qui lui vaut pourtant le seul Oscar de sa carrière. Côté vie privée, cet anticonformiste est taraudé par les vieux démons de son expérience guerrière, en proie à un alcoolisme chronique et un caractère ombrageux. Ce séducteur se révèle longtemps réfractaire aux responsabilités conjugales pour finalement épouser son amour de jeunesse en 1970 et devenir le patriarche d’une smala d’enfants. Après L’Empereur du nord, ultime collaboration avec Aldrich, et le très beau Du sang dans la poussière de Richard Fleischer, Marvin néglige son travail et s’éloigne du monde du cinéma. En 1980, il retrouve les plateaux pour un de ses plus beaux rôles. Dans le chef-d’œuvre autobiographique de Samuel Fuller, Au-delà de la gloire, Marvin interprète de façon magistrale un mythique sergent sans nom qui mène ses jeunes recrues au combat en leur apprenant à ne pas se faire tuer. Usé par des problèmes de santé, incapable d’arrêter de boire et de fumer, Lee Marvin meurt d’une crise cardiaque à 63 ans, en 1987 après une ultime apparition dans Delta Force de Menahem Golan, production Cannon avec Chuck Norris où il remplace Charles Bronson. C’était un formidable acteur de cinéma et un homme intelligent et intègre, hanté par sa violence et ses faiblesses. Le dernier des géants. Olivier Père, 2011.
MICHEL PICCOLI 1925 - 2020
Acteur et producteur français
On dirait qu’il a toujours eu la cinquantaine : l’œil vif et le front dégarni, bougon et souriant, embourgeoisé (sans avoir rien abdiqué de son passé de militant), « bohémien de l’existence » ayant jeté l’ancre dans le cinéma français en crise des années 70, tel apparaît Michel Piccoli, pétri de talent, se refusant à vivre sur ses lauriers, ne cessant à chaque nouveau film de se remettre en question. « Quand on se met à tourner en rond, dit-il, c’est dangereux. » Alors, il joue sur plusieurs registres : tendre, cynique, narquois, loufoque, complexé… Quel rapport entre ses personnages chez Sautet, Girod et Ferreri ? « Bien sûr, je suis contradictoire, admet-il. Et de plus, en vue. Et après ? »
Il est d’abord attiré par le théâtre, et ne l’a jamais abandonné, bien qu’il n’y ait enregistré que des déboires, ou des succès d’estime, d’Orion le tueur (à la Rose Rouge) au Misanthrope (en tournée), de Phèdre (au TNP) à Allo, c’est toi Pierrot (un échec). À la télévision, il a campé un inoubliable Dom Juan, dans une mise en scène de Marcel Bluwal : le rôle lui est resté collé à la peau. À l’écran, il a débuté dans un film « engagé » : le Point du jour, de Louis Daquin (1949). Jusqu’en 1962, il tournera tout et rien : policiers parodiques (Chicago digest, P. Paviot, 1951), comédies ringardes (Tabarin, R. Pottier, 1958) et même un court métrage d’avant-garde (la Chevelure, d’Ado Kyrou, 1961). Trois oasis dans cette traversée du désert : Renoir (French Cancan, 1955) ; Chenal (Rafles sur la ville, 1958 ; la Bête à l’affut, 1959) et surtout Bunuel (la Mort en ce jardin, 1956). Avec ce dernier, la complicité est immédiate et se poursuivra longtemps (le Journal d’une femme de chambre, 1964 ; Belle de jour, 1967 ; la Voie lactée, 1969 ; le Fantôme de la liberté, 1974 ; et surtout ce titre qui lui va comme un gant : le Charme discret de la bourgeoisie, 1972). En 1963, le Doulos, de Melville, suivi du Mépris de Godard (deux rôles « à l’américaine ») le hissent d’un coup au premier rang. Désormais, il va choisir avec soin ses metteurs en scène : Costa-Gavras (Compartiment tueurs, 1965 ; Un homme de trop, 1967) ; Resnais (la Guerre est finie, 1966) ; Demy (les Demoiselles de Rochefort, 1967) ; Deville (Benjamin, 1968) et, consécration suprême, Hitchcock en 1969 (pour un film, l’Étau, qu’il juge « complètement réac » !). C’est pourtant avec Claude Sautet et Marco Ferreri, deux frères de sang qui expriment idéalement les deux versants de sa personnalité, qu’il affinera son image de marque : une image rien moins que flatteuse, mais Piccoli, comme Noiret, sait que l’antipathie, à terme, est payante. Voici donc Dillinger est mort (Ferreri, 1969), les Choses de la vie (Sautet, id.), Max et les ferrailleurs (id., 1971), Liza (Ferreri, 1972) ; la Grande bouffe (id., 1973), Vincent, François, Paul et les autres (Sautet, 1974), Mado (id., 1976).
Conscient des contraintes économiques du cinéma, et du statut privilégié du comédien « arrivé », cet homme de gauche choisit alors de se transformer en producteur indépendant. « Le métier que nous faisons, dit-il, dépend complètement de la politique et de l’économie. J’en connais qui vivent en égoïstes dans leur petit monde fermé. Moi, je ne veux pas. Je veux participer. » Le résultat, ce sera Themroc (C. Faraldo, 1973) ; la Faille (P. Fleischmann, 1975) ; Sept morts sur ordonnance (J. Rouffio, id.) ; Des enfants gâtés (B. Tavernier, 1977) ; l’État sauvage (F. Girod, 1978) ; le Général de l’armée morte (L. Tovoli, 1983). Il y laisse des plumes, mais ce sera sa fierté. En 1985, on le voit dans le rôle du général unijambiste Cafarelli, ambigu, déchiré par son amour pour deux frères (Adieu Bonaparte, Y. Chahin). Acteur aux dons multiples, il est capable à lui seul de « porter » un film et devient, avec Philippe Noiret, Jean Rochefort et Michel Serrault, l’un des comédiens les plus demandés, aussi bien au cinéma qu’à la télévision. Ses meilleurs rôles, alors qu’il aborde la soixantaine, il les doit à Michel Deville (le Paltoquet, 1986), Jacques Doillon (la Puritaine, id.), Louis Malle (Milou en mai, 1989), Nico Papatakis (les Équilibristes, 1990), Jacques Rivette (la Belle Noiseuse, id.), Jiri Weiss (Martha et moi, id.).
Michel Piccoli a épousé en 1966 Juliette Gréco. Il a obtenu en 1967 le prix de l’Académie du cinéma pour la Curée, et en 1980 le prix d’interprétation masculine au festival de Cannes pour le Saut dans le vide (M. Bellocchio). En 1976, il a publié un livre de souvenirs, Dialogues égoïstes, dans lequel il rend hommage à ses maitres, Renoir, Bunuel, Ferreri. En 1982, il retrouve Godard avec Passion et Demy avec Une chambre en ville. Agnès Varda, qui l’a dirigé dans les Créatures (1966), dit de lui : « C’est un merveilleux comédien qui sait cacher son métier parce qu’il a le don d’être simple et de parler juste. » Claude Beylie, 1995.
BIOGRAPHIE
Fils d'un violoniste et d'une pianiste, Michel Piccoli est envoyé en pension dès l'enfance. A l'occasion d'un spectacle de fin d'année, un déclic se produit chez cet adolescent introverti qui s'épanouit sur les planches. Décidant de devenir acteur à 18 ans, il prend des cours de théâtre chez Andrée Bauer-Thérond, puis René Simon. S'il apparaît à l'écran dès 1945 dans Sortilèges de Christian-Jaque et trouve un premier vrai rôle (celui d'un mineur) dans Le Point du jour en 1948, il se consacre surtout à la scène, au sein des compagnies Renaud-Barrault et Grenier-Hussenot ou encore du très novateur Théâtre de Babylone.
Remarqué dans Le Doulos et les films de Pierre Chenal, Michel Piccoli accède à la célébrité grâce au Mépris de Godard (1963), dans lequel il forme avec B.B. un couple de légende. La popularité du comédien fait un bond après son interprétation de Dom Juan dans une adaptation télévisuelle par Marcel Bluwal en 1965. Avec ses tempes grisonnantes et sa tranquille assurance, le quadragénaire enchaîne les rôles de séducteurs, donnant à plusieurs reprises la réplique à Catherine Deneuve dans La Chamade, Benjamin ou les mémoires d’un puceau (gros succès public en 1967) ou encore Belle de jour de Luis Bunuel. Avec ce dernier, il entretiendra une longue collaboration cinématographique commencée dès 1956 avec La Mort en ce jardin, suivi notamment des films Le Journal d’une femme de chambre (1964), Belle de jour (1967), Le Charme discret de la bourgeoisie (1972) ou Le Fantôme de la liberté (1974).
Alter ego de Claude Sautet dans Les Choses de la vie (1970) ou Vincent, François, Paul et les autres, subtiles chroniques qui lui assurent les faveurs du public, Piccoli met à mal son statut de vedette en incarnant un homosexuel dans La Grande Bouffe (1973), le film à scandale signé par un autre de ses cinéastes-fétiches, Marco Ferreri, puis un homme amoureux d'une poupée gonflable dans Grandeur nature. Prenant grand plaisir à jouer les escrocs (Sept morts sur ordonnance, Le Trio infernal), l'acteur excelle dans l’ambiguïté, comme en témoignent ses prestations dans Le Saut dans le vide et Une étrange affaire - deux rôles qui lui valent un prix d'interprétation, le premier à Cannes en 1980, le second à Berlin en 1982.
Citoyen engagé, producteur courageux (Le Général de l’armée morte) le comédien met sa notoriété au service de jeunes auteurs tels que Jacques Doillon (La Fille prodigue) et Leos Carax (Mauvais sang, 1986). "Il faut toujours apprendre son métier, on ne sait jamais quand on tombe sur une constellation juste, alors il faut voyager", déclare en 1986 aux Cahiers du cinéma celui qui bourlingua en compagnie de Renoir et Resnais et Chabrol, Demy et Varda, Lelouch et Tavernier. À plus de 60 ans, il trouve encore des rôles marquants : le malicieux Milou (en mai), le peintre intransigeant de La Belle Noiseuse (1991), l'étrange psy de Généalogies d’un crime ou encore l'acteur en crise de Je rentre à la maison (2001).
Mais Piccoli l'aventurier tient à se lancer un nouveau défi : après avoir tourné avec les plus grands, d’Hitchcock à Luis Bunuel en passant par Manoel de Oliveira, Piccoli veut s'essayer à la réalisation. Après deux courts métrages, il signe en 1997 le loufoque Alors voilà, suivi de La Plage noire, une réflexion sur l'exil et la liberté. La singularité du metteur en scène se confirme avec C’est pas tout à fait la vie dont j’avais rêvé, présenté en Sélection officielle à Cannes en 2005. Six ans plus tard, Michel Piccoli foule de nouveau les marches rouges de la Croisette pour défendre Habemus Papam de Nanni Moretti. Si le jury se prononce finalement en faveur de son compatriote Jean Dujardin, son interprétation d'un pape dépressif et en proie au doute lui vaut les éloges des critiques du monde entier. Habitué depuis ses débuts à faire la navette entre la France et l'Italie pour sa carrière, travaillant aussi bien avec René Clément et Jacques Demy d'un côté ou Marco Ferreri ou Vittorio de Sica de l'autre, il quitte ensuite le Vatican pour tourner avec Alain Resnais, autre grande figure du septième art avec qui il a déjà collaboré (La Guerre est finie, 1965), pour Vous n’avez encore rien vu.
En 2012, Michel Piccoli fait une dernière incursion chez Leos Carax dans Holy Motors, avant de tourner le drame belge Le Goût des myrtilles, qui sera son dernier film. Il décède le 12 mai 2020 à l'âge de 94 ans, des suites d'un accident cérébral. AlloCiné
MARCEL MOULOUDJI 1922 - 1994
Acteur, compositeur et chanteur français
Grâce à l’affection et à la protection des frères Prévert, Mouloudji connaît, enfant, les spectacles engagés du groupe Octobre et participe, en gosse déluré et sympathique, à des films tels que Jenny (M. Carné, 1936), Claudine à l’école (S. de Poligny, 1938), l’Entraîneuse (A. Valentin, id.), les Disparus de Saint-Agil (Christian-Jaque, id.) et l’Enfer des anges (id., 1939). Il est le meurtrier des Inconnus dans la maison (H. Decoin, 1942) et devient ramoneur dans Adieu Léonard (P. Prévert, 1943). Il écrit et chante avec talent et succès : les complaintes de la Maison Bonnadieu (C. Rim, 1951) et de la Vie d’un honnête homme (S. Guitry, 1953) lui doivent beaucoup. Il trouve son rôle le plus saisissant dans Nous sommes tous des assassins (A. Cayatte, id.). Raymond Chirat, 1995.
Il a débuté à 10 ans au théâtre et tourné dans plusieurs films (les Disparus de Saint-Agil ; Nous sommes tous des assassins ; la Tête des autres). Pour la chanson, ce poète des faubourgs, tendre, populaire et grinçant, a écrit notamment Comme un p'tit coquelicot, le Mal de Paris, Méfiez-vous fillettes, Un jour tu verras. Dictionnaire du Cinéma, Larousse.
JEAN-PIERRE MARIELLE 1932 - 2019
Son physique, son abattage et sa bonne santé lui ont valu d’être, de ses débuts en 1957 avec Henri Decoin (Tous peuvent me tuer) jusqu’en 1968, un des seconds plans, le plus souvent comique, le plus en vue du cinéma français, dans des films généralement peu ambitieux. Puis des cinéastes comme Jean-Daniel Pollet (l’Amour c’est gai, l’amour c’est triste, 1968) et Philippe de Broca (le Diable par la queue, 1969) lui permettent de prouver qu’il vaut mieux que cela. Il tourne beaucoup, réussit à imposer son personnage dans des rôles hauts en couleur qui n’évitent pas toujours la vulgarité : On est toujours trop bon avec les femmes (M. Boisrond, 1971) ; la Valise (G. Lautner, 1973) ; il devient une vedette à part entière avec des cinéastes comme Joël Seria (Charlie et ses deux nénettes, id. ; les Galettes de Pont-Aven, 1975), Yves Boisset (Dupont la joie, id.), Bertrand Tavernier (Que la fête commence, id.), Bertrand Blier (Calmos, 1976 ; Tenue de soirée, 1986), Claude d’Anna (Partenaires, 1984), Édouard Molinaro (l’Amour en douce, 1985). Dans Coup de torchon, de Tavernier (1981), il réussit dans un double rôle, à faire passer un fort courant d’étrangeté. On le retrouve ne 1987 dans les Mois d’avril sont meurtriers (Laurent Heynemann), en 1988 dans Quelques jours avec moi (C. Sautet), en 1990 dans Uranus (C. Berri), puis successivement dans Tous les matins du monde (A. Corneau, 1991), Max et Jérémie (Claire Devers, 1992), Un, deux, trois, soleil (B. Blier, 1993), le Parfum d’Yvonne (P. Leconte, id.), le Sourire (C. Miller, 1994). Dominique Rabourdin.
BIOGRAPHIE
Jean-Pierre Marielle se forme au Conservatoire, d'où il sort avec un deuxième prix de comédie. Là-bas, il se lie d'amitié avec Jean-Paul Belmondo et Jean Rochefort. Après quelques apparitions dans des spectacles de la Comédie-Française, il intègre la compagnie Grenier-Hussenot.
Il commence à jouer des petits rôles au cinéma à partir de 1957 (Le Grand bluff de Patrice Dally ; Tous peuvent me tuer d’Henri Decoin). Peu convaincu par son expérience cinématographique, il retourne vers les planches et le cabaret, notamment aux côtés de Guy Bedos. Mais au cours des années soixante, il obtient des rôles de plus en plus consistants pour le grand écran, notamment avec Peau de banane de Marcel Ophuls (1963), où il joue avec son ancien partenaire du Conservatoire Jean-Paul Belmondo. Il le retrouve dans la comédie Dragées au poivre la même année, puis dans le drame Week-end à Zuydcoote (1964) d’Henri Verneuik. A cette époque, Jean-Pierre Marielle joue souvent les éternels seconds, un rien séducteurs, dans des films comme Monnaie de singe (1966) d’Yves Robert ou Le Diable par la queue (1969) de Philippe de Broca.
Les années 70 débutent bien pour le comédien, puisqu'il décroche enfin des premiers rôles importants dans des films très différents : Sex-shop (1972) de Claude Berri et La Valise de Georges Lautner l'année suivante. Marielle apprécie toujours autant la comédie, comme le prouve sa participation à l'un des derniers films de Michel Audiard : Comment réussir quand on est con et pleurnichard (1974). Souvent partenaire de Philippe Noiret, Marielle joue à ses côtés dans Que la fête commence de Bertrand Tavernier en 1975. L'année suivante, il fait la connaissance d'un cinéaste qu'il retrouve ensuite à plusieurs reprises : Bertrand Blier. Ils tourneront quatre films ensemble : Calmos (1976), Tenue de soirée (1986), Un, deux, trois, soleil (1993) et Les Acteurs (2000).
Au milieu des années 70, Jean-Pierre Marielle diversifie son jeu et enchaîne avec succès les rôles de composition : un pauvre type dans Les Galettes de Pont-Aven de Joël Seria (1975), un homme pris dans la tourmente d'un triangle amoureux dans Un Moment d’égarement (1977) de Claude Berru. Dans Coup de torchon (1981), il relève le défi que lui lance Bertrand Tavernier et interprète deux frères jumeaux, tenanciers d'une maison close. Après quelques films mineurs, Jean-Pierre Marielle casse la baraque dans Hold-Up (1985) d’Alexandre Arcady, aux côtés de Jean-Paul Belmondo et de Kim Cattrall. Il se tourne ensuite vers un film plus sombre, où il joue un flic désespéré dans Les Mois d’avril sont meurtriers de Laurent Heynemann (1987).
Les années 90 commencent sous de bons auspices avec Uranus de Claude Berri et le succès surprise de Tous les matins du monde (1991) d’Alain Corneau, pour lequel l'acteur est nominé aux César. Il poursuit avec le film qui lui vaudra une seconde nomination : Max et Jérémie (1992) de Claire Devers. Mais Jean-Pierre Marielle essuie par la suite plusieurs échecs publics dans des films de Patrice Leconte (Les Grands ducs, 1996) et Bertrand Blier (Les Acteurs, 1999). En 2003, il revient au cinéma avec La Petite Lili de Claude Miller avant d'enchaîner des projets aussi divers que le délirant Atomik Circus, le retour de James Bataille (2004) des frères Poiraud ou le drame d’Yves Angelo, Les Âmes grises (2005). Il se fait également remarquer aux yeux du monde entier en incarnant le conservateur du musée du Louvre dans la superproduction américaine Da Vinci code (2006) de Ron Howard.
En 2007, il prête sa célèbre voix, à la fois grave et enjouée, au chef cuisinier Gusteau dans le film d'animation des Studios Pixar, Ratatouille, avant de tenir le haut de l'affiche de la comédie Faut que ça danse ! de Noémie Lvovsky aux côtés de Valeria Bruni Tedeschi et de Sabine Azéma. En 2008, il remporte le prix Lumière pour l'ensemble de sa carrière. Cependant, cette reconnaissance est loin de lui donner envie de prendre sa retraite ! Après quelques passages dans des docu-fictions à la télévision (Livrez-nous Grynszpan, Darwin (r)évolution), Marielle revient au cinéma dans l'univers enchanté de Micmacs à tire-larigot (2009) de Jean-Pierre Jeunet. Puis il explore le monde étrange de Jean-Teddy Filippe le temps du film Le Mystère au casting éclectique : Carole Bouquet, Alexandra Lamy et André Dussollier.
Mais la comédie n'est jamais très loin dans le parcours de l'acteur. C'est ce qu'il démontre à nouveau avec son rôle dans Pièce montée (2010), où une famille bourgeoise se dit ses quatre vérités pendant le mariage de Clémence Poésy et de Jérémie Renier. C'est dans un milieu tout à fait différent que l'on retrouve Jean-Pierre Marielle en 2012. Il se retrouve ainsi à aider une équipe de foot bretonne, dont font partie des joueurs confirmés de la comédie comme Omar Sy ou Gad Elmaleh, dans le film Les Seigneurs d’Olivier Dahan.
L'acteur s'oriente ensuite du côté du petit écran en apparaissant dans des téléfilms comme Indiscrétions ou Des roses en hiver. Il retourne un peu du côté du 7ème art en 2014 avec la comédie romantique Tu veux ou tu veux pas avec Patrick Bruel et Sophie Marceau. L'année suivante, le natif de Dijon prête sa voix caverneuse pour le film d'animation Phantom Boy avant de retourner vers la petite lucarne pour tourner un épisode de la série policière Capitaine Marleau avec Corinne Masiero. À noter que le comédien a été nommé 7 fois au César du meilleur acteur sans jamais remporter la statuette. Il déclare à ce sujet : "Les César ? J'en ai rien à foutre, je ne suis pas un acteur de tombola."
MICHEL BOUQUET 1925 - 2022
Grand acteur de théâtre, il avoue le préférer au cinéma en dépit d’une filmographie importante en quantité, sinon toujours en qualité. Mais ses interventions personnelles sont constamment remarquables, sa seule apparition pouvant conférer un instant de grâce aux films les plus médiocres. Il interrompt ses études à quinze ans, travaille comme apprenti boulanger, employé de banque, avant de suivre les cours de Maurice Escande, qui le menèrent au Conservatoire d’art dramatique. Il figure dans de nombreux films à partir de 1947, mais ce n’est que dans les années 60 qu’il s’impose dans des personnages complexes, énigmatiques et ambigus dont il s’est fait une spécialité, notamment dans les films de Chabrol. Michel Sineux, 1995.
BIOGRAPHIE
A 7 ans, Michel Bouquet est envoyé avec ses trois frères en pension, une expérience douloureuse pour cet enfant réservé qui doit affronter la cruauté de ses congénères. Alors que son père est fait prisonnier de guerre, il enchaîne ensuite les petits métiers : apprenti pâtissier, mécanicien-dentiste, manutentionnaire. Un dimanche matin, alors que sa mère le croit à la messe, il se rend chez Maurice Escande, sociétaire de la Comédie-Française, qui lui propose de suivre ses cours. Intégrant le Conservatoire en compagnie de Gérard Philipe, il devient bientôt le comédien-fétiche de Jean Anouilh.
Grand acteur de théâtre, Michel Bouquet fait sa première apparition à l'écran en 1947 dans Brigade criminelle. Très tôt dirigé par des cinéastes prestigieux (Clouzot, Gance ou encore Grémillon), il devra toutefois attendre le milieu des années 60 pour s'imposer au cinéma. Son goût pour l’ambiguïté et son air austère en font un comédien idéal pour jouer les bourgeois inquiétants chez Chabrol, avec qui se noue une longue complicité (La Femme infidèle en 1968, Poulet au vinaigre). Autre réalisateur Nouvelle vague, Truffaut le fera tourner à deux reprises : La Mariée était en noir en 1967, puis La Sirène du Mississipi. Abonné aux rôles de salauds, l'acteur incarne un commissaire impitoyable dans Deux hommes dans la ville, un redoutable patron dans Le Jouet, la première comédie de Veber, ou encore Javert dans Les Misérables d’Hossein en 1981.
Michel Bouquet, qui a toujours confié qu'il préférait le théâtre au cinéma, se fait plus rare sur les écrans à partir des années 90. Ses compositions, d'une infinie subtilité, n'en sont que plus marquantes : vieil homme qui réinvente son existence dans l'audacieux Toto le héros, premier opus du Belge Jaco van Dormael en 1990, il est le père indigne de Charles Berling dans Comment j’ai tué mon père d’Anne Fontaine, une composition glaçante qui lui vaut le César du Meilleur acteur en 2002. Après avoir proféré avec gourmandise (sur les planches puis devant une caméra) les insolents mots d'auteur de Bertrand Blier dans Les Côtelettes, il campe François Mitterrand au soir de sa vie dans Le Promeneur du Champ de Mars de Guédiguian, avec un mimétisme qui troublera jusqu'aux proches de l'ancien président. On ne peut plus en forme à 85 ans, il livre une interprétation forte d'un homme de caractère qui ne veut pas mourir, et qui veut rester indépendant malgré sa santé défaillante dans La Petite Chambre, une coproduction franco-suisse. AlloCiné
BOURVIL 1917 - 1970
Son pseudonyme est emprunté au petit village de Bourville, entre Dieppe et Fécamp, où il passe son enfance. Fils de cultivateurs, on le destine à une carrière d’instituteur ou de garçon boulanger. Mais il est passionné de musique, se produit très jeune dans les bals de campagne, fait son service militaire dans la fanfare du 2e régiment d’infanterie et participe, à la veille de la guerre, aux « crochets » de Radio-Paris, où il obtient un prix. Marqué par ses origines paysannes dans sa démarche, son accent, son rire « bête », il joue volontiers les benêts, les idiots du village. Son imitation de Fernandel dans Ignace lui vaut quelques succès et il opte, après la démobilisation, pour le cabaret. Il débute chez Carrère, en 1942, sous le pseudonyme qui lui restera. Il fait rire la France entière avec la chanson « Elle vendait des cartes postales et puis aussi des crayons… », qui sera reprise dans son premier film, la Ferme du pendu, un mélodrame « paysan » de Jean Dréville (1945). On l’entend alors à la radio dans des émissions de Jean-Jacques Vidal et de Francis Blanche, il s’affirmera un peu plus tard dans l’opérette (la Bonne Hôtesse, la Route fleurie) et au théâtre (le Bouillant Achille, de Paul Nivoix). Pendant dix ans, on ne le verra guère à l’écran que dans le même rôle d’ « imbécile heureux » de sous-Adémaï, sous des défroques de laveur de carreaux (Par la fenêtre), de brave gendarme (le Roi Pandore) ou de valet de comédie (Planchet dans les Trois Mousquetaires). Pourtant, Bourvil n’est « pas si bête » qu’on le voudrait, et gagne ses galons de vrai comédien avec Clouzot (l’amoureux transi de Miquette et sa mère) et Guitry (le gardien de musée de Si Versailles m ‘était conté). Il s’essaie même au drame avec Seul dans Paris. En 1956, c’est la rencontre au sommet avec Jean Gabin et Louis de Funès, dans le rôle du trafiquant de marché noir, un peu pleutre, un peu hâbleur, où se reconnaît le Français moyen, de la Traversée de Paris, qui lui vaut un grand prix d’Interprétation au festival de Venise. « Le rire dans la qualité, c’est ce que je voudrais pouvoir faire », déclare-t-il. Il y parviendra durant la décennie suivante, avec des personnages plus étoffés dans la Jument verte de Claude Autant-Lara, Fortunat et les Culottes rouges d’Alex Joffé, un double rôle dans Tout l’or du monde de René Clair, et surtout ses prestations insolites, presque surréalistes (pilleur d’église, professeur contestataire, sexologue en rupture de ban) chez Jean-Pierre Mocky : Un Drôle de paroissien, la Grande Frousse, la Grande Lessive, l’Étalon. Il prouve qu’il peut aussi jouer les affreux (Thénardier dans les Misérables, version 1957), les pauvres types (le Miroir à deux faces), les forestiers au grand cœur (les Grandes Gueules). ce qui ne l’empêche pas de persister dans son emploi habituel, sous la houlette de Gérard Oury (le Corniaud, la Grande Vadrouille, le Cerveau). Son meilleur rôle sera sans doute l’avant-dernier, inattendu, celui du commissaire Mattei, impassible et obstiné, dans le Cercle rouge de Jean-Pierre Melville. Pour la première fois, au générique, il porte son prénom : André Bourvil. terrassé par un cancer, il meurt quelques jours avant la sortie de ce pénultième film. Claude Beylie.
LOUIS DE FUNÈS 1914 - 1983
Acteur de cinéma et de théâtre français
Avant de devenir dans les années 60 la vedette la plus populaire du cinéma français, il fait longtemps du music-hall, du cabaret ; comme acteur comique, il reste confiné dans les rôles secondaires de très nombreux films : il est dirigé dans la Tentation de Barbizon, son premier film en 1945, par Jean Stelli ; par Sacha Guitry, dans la Poison (1951), Je l’ai été trois fois (1953) et la Vie d’un honnête homme (id.) ; par jean Loubignac dans Ah ! les belles bacchantes (1954) ou par Claude Autant-Lara, dans la Traversée de Paris (1956), où il explose dans le rôle de Jambier, le boucher trafiquant. Il a déjà tourné 112 fils lorsque Pouic-Pouic (Jean Girault, 1963) le propulse au sommet du box-office français. Cette soudaine popularité s’amplifie avec le Gendarme de Saint-Tropez (id., 1964) et surtout avec le Corniaud (1964) et la Grande Vadrouille (1966), deux films de Gérard Oury où il a comme partenaire Bourvil. Sa silhouette de petit homme irascible, ses mimiques forcées en grimaces, le jeu exaspéré qu’il avait travaillé sur les planches des cabarets assurent soudain son succès, en France et hors de France, auprès d’un public conquis à l’avance mais peu exigeant sur l’écriture des films auxquels il prête son talent comique : Fantômas (A. Hunebelle, 1964), le Grand restaurant (Jacques Besnard, 1966), les Grandes vacances (J. Girault, 1967), Oscar (E. Molinaro, id.), Hibernatus (id., 1969), l’Avare (J. Girault, 1980). On le verra ainsi animer la série des Gendarmes (6 films entre 1964 et 1982, dirigés par Jean Girault et régulièrement repris à la télévision), et porter à bout de bras des productions financièrement plus ambitieuses réalisées par Gérard Oury (la Folie des grandeurs en 1971 et les Aventures de Rabbi Jacob en 1973), puis par Claude Zidi (l’Aile ou la cuisse, 1976 ; la Zizanie, 1978). Jean-Pierre Jeancolas.
Après de modestes débuts comme pianiste et amuseur de cabaret, il mène une longue carrière d'acteur de second plan de 1945 à 1957, avant de connaître le succès sur grand écran en 1963 (Pouic-Pouic) et de triompher dans la série des Gendarme (le Gendarme de Saint-Tropez, 1964), qui le fait passer à la postérité. Parmi les films les plus importants dans sa carrière, on compte ceux de G. Oury (le Corniaud, 1964 ; la Grande Vadrouille, 1966 ; les Aventures de Rabbi Jacob, 1973), ou encore ceux de Claude Zidi (l’Aile ou la Cuisse, 1976).
Par sa verve inimitable, ses mimiques et son caractère survolté, il reste un personnage unique, symbole du comique à la française. Grâce à sa longévité au cinéma, il joue avec les plus grands comédiens, tels Bourvil, Jean Gabin ou bien Michel Galabru. Il forme un couple inoubliable avec Claude Gensac, qui a interprété sa femme dans de nombreux films (Josépha Cruchot dans la série des Gendarme). Dictionnaire du Cinéma, Larousse.
JOHNNY DEPP 1963
Le visage juvénile et la silhouette gracile de cet ancien musicien de rock lui valurent d’obtenir le rôle principal de la série télé 21 Jump Street, où sa création de jeune flic en jeans fit sensation. Au cinéma, il semble choisir très soigneusement ses rôles et ses réalisateurs, auxquels il offre un talent malléable et une grâce presque chorégraphique. Rocker endiablé (Cry Baby, J. Waters, 1990), rêveur vêtu de noir (Arizona Dream, E. Kusturica, 1992), nouveau Buster Keaton (Benny and Joon, Jeremiah Chechick, 1993), touchant et surprenant Gilbert Grape dans le film de L. Hallström (id.), il a tenu ses deux rôles les plus ambitieux sous la direction de Tim Burton. Il fut, blafard, diaphane, bardé de cuir, le visage de Pierrrot pleurant, des lames étincelantes au bout des doigts, l’inoubliable Edward aux mains d’argent (1992), touchante créature inachevée ; puis, moustachu et résolument bizarre, Ed Wood (1994), réalisateur de cinéma bricoleur et calamiteux. Dans Dead Man (1995), Jim Jarmush lui offre le rôle principal d’un curieux faux western en forme de quête initiatique. Christian Viviani.
BIOGRAPHIE
Fils d'un ingénieur et d'une femme de ménage, Johnny Depp se passionne pour la musique en assistant à un spectacle de gospel. Il rejoint alors le groupe « The Flame », qui devient « The Kids », et fait la première partie de la tournée d’Iggy Pop. Deux ans plus tard, les musiciens se rendent à Los Angeles, mais la formation ne remporte pas le succès escompté. C'est à cette période que Depp fait la connaissance de Nicholas Cage, qui lui fait rencontrer son agent. Il obtient ainsi un petit rôle dans Les Griffes de la nuit (1984) de Wes Craven.
Johnny Depp s'inscrit ensuite au « Loft Studio » de Los Angeles pour suivre des cours de comédie. Une fois sorti de l'école, il est enrôlé chez les marines de Platoon, puis connaît la célébrité avec le lancement, en 1987, de la série 21 jump street. Sa carrière lancée, il choisit de rompre avec l'image véhiculée par la télévision, celle d'un jeune acteur pour midinettes, en jouant sous la direction de John Waters dans le satirique Cry-Baby (1990). A partir de ce film, l'acteur ne cessera d'être en marge, incarnant régulièrement des personnages décalés et hors-normes. Toujours en 1990, en interprétant Edward aux mains d’argent, il entame avec le réalisateur Tim Burton une fructueuse collaboration qui se poursuivra avec Ed Wood (1994), Sleep Hollow, la légende du cavalier sans tête (1999), Charlie et la chocolaterie (2004), Les Noces funèbres (2005), film d'animation pour lequel il prête sa voix, et la comédie musicale Sweeney Todd (2008).
Prenant quelque peu ses distances vis-à-vis de l'industrie hollywoodienne, Johnny Depp collabore avec des cinéastes aussi talentueux que Emir Kusturica (Arizona dream, 1992), Lasse Hallström (Gilbert Grape, 1993 ; Le Chocolat, 2001) ou encore Jim Jarmush (Dead man, 1995). Fort de cette expérience, il passe à la réalisation en 1997 avec The Brave, qui ne remportera pas le succès escompté, et ce malgré la présence au générique de son ami Marlon Brando. De retour devant la caméra, il s'éloigne des personnages romantiques et poétiques pour jouer les flics infiltrés dans la mafia dans Donnie Brasco (1997), les journalistes déjantés dans Las Vegas parano (1998), les chercheurs de livres rares en proie au fantastique dans La Neuvième porte (1999) ou les trafiquants de drogue dans Blow (2001).
Malgré l'échec du thriller Intrusion (1999) et l'abandon du tournage chaotique de L'Homme qui tua Don Quichotte, film inachevé de Terry Gilliam qui donnera naissance au documentaire Lost in la Mancha (2003), le charismatique Johnny Depp garde la confiance des studios. Prédisposé à interpréter des films à costumes comme From Hell (2002), Neverland (2004) et Rochester, le dernier des libertins (2006), il renoue avec le succès grâce à l'ultra rentable quadrilogie Pirates des Caraïbes (2003-2011), faisant de l'incontournable pirate Jack Sparrow l'un des personnages les plus marquants du cinéma grand public. Malgré ce succès colossal, l'acteur n'oublie pas ses amis et joue ainsi les chapeliers fous pour Tim Burton dans Alice au pays des merveilles ainsi que l'une des incarnations de Tony dans L’imaginarium du Docteur Parnassus de Terry Gilliam.
Acteur caméléon, il aime changer de registre et apparaît dans le polar Public Enemies de Michael Mann (dans lequel il incarne le célèbre gangster John Dillinger). En 2010, il est manipulé par Angelina Jolie dans le thriller The Tourist, puis prête sa voix, l'année suivante, au caméléon Rango dans le film de Gore Verbinski, avant de retrouver, toujours en 2011 et treize ans après Las Vegas parano, l'univers de l'écrivain Hunter S. Thompson pour le déjanté Rhum Express. Avec le vampire Barnabas de Dark Shadows (2012), Johnny Depp ajoute encore un personnage loufoque et décalé à sa filmographie. Dans ce long métrage, tandis que son personnage découvre le monde des vivants, l'acteur retrouve son ami Tim Burton pour leur huitième collaboration.
En 2013, l'année de ses 50 ans, le comédien retrouve une fois de plus Gore Verbinski pour les besoins de l'atypique western Lone Ranger, une grosse production dont le budget avoisine les 250 millions de dollars mais qui se solde par un gros échec financier. Ses films suivants, Transcendance, Charlie Mortdecal et Strickly Criminal peinent eux aussi à trouver leur public. Depp retrouve ensuite deux personnages qui ont fait des merveilles au box office : Le Chapelier Fou (Alice de l’autre côté du miroir, 2016) et Jack Sparrow (Pirates des Caraïbes, 2017). AlloCiné
LINO VENTURA 1919 - 1987
Il suit sa famille en France en 1927 et abandonne vite ses études pour exercer divers métiers, dont ceux de lutteur professionnel et d’organisateur de combats. Jacques Becker le fait débuter (sous son véritable nom) dans Touchez pas au grisbi (1954), où il affronte Jean Gabin, qu’il rencontre à nouveau dans Razzia sur la schnouf (H. Decoin, 1955). Sa massive assurance et la sureté instinctive de son jeu lui valent quantité de rôles de plus en plus importants dans un registre qui demeurera longtemps étroitement limité aux policiers et aux gangsters. Le succès public vient avec le Gorille vous salue bien (Bernard Borderie, 1958), où il créé le rôle d’un as des Services spéciaux, que reprendra après lui Roger Hanin. Classe tous risques (C. Sautet, 1960) démontre qu’il est capable de développer un personnage en profondeur et d’évoquer aussi une certaine vulnérabilité. En 1961, Un taxi pour Tobrouk (D. de la Patellière) le consacre comme une vedette du box-office. Il campe en 1963 un étonnant chef de police dans l’adaptation de l’Opéra de quat’sous de Berthold Brecht par Wolfgang Staudte et aborde un genre nouveau, celui de films de gangsters parodique, avec les Tontons flingueurs (G. Lautner, id.) que suivront bientôt d’autres titres de la même eau. Il demeure pourtant toujours dans le même registre (celui des hommes d’action), flics, truands ou baroudeurs, qu’il tire de plus en plus - la maturité aidant - vers le désabusement et les incertitudes. En témoignent la complexité de ses relations avec Blot (Paul Meurisse) dans le Deuxième souffle (J-P. Melville, 1966), l’interrogation angoissée qu’il incarne dans Cadavres exquis (F. Rosi, 1976) ou son interprétation de l’homme pris dans une machination dont il ignore tout (Un papillon sir l’épaule, J. Deray, 1978). Jean-Pierre Berthomé, Critique et Historien de cinéma, 1995.
Son physique de catcheur (il fut champion européen de lutte) et l'assurance naturelle de son jeu ont fait de lui l'interprète idéal du film noir ou policier, où il incarne des personnages profonds, dotés d'une certaine vulnérabilité : Touchez pas au grisbi (J. Becker, 1954), Classe tous risques (C. Sautet, 1960), les Tontons flingueurs (G. Lautner, 1963), le Deuxième Souffle (J.-P. Melville, 1966), le Clan des Siciliens (H. Verneuil, 1969), Cadavres exquis (F. Rosi, 1976), Un papillon sur l'épaule (J. Deray, 1978), Garde à vue (C. Miller, 1981). Dictionnaire du Cinéma, Larousse.
ROBERT POWELL 1944
Après quelques interprétations d’intérêt secondaire dans Jeux Intimes (Secrets, Philip Saville, 1971), Running Scared (D. Hemmings, 1972), l’Esprit de la mort (The Asphyx, Peter Newbrook, id.), Asylum (R. W. Baker, id.), il accède aux rôles de premier plan dans deux films de Ken Russel, Mahler (1974), dans le rôle titre) et Tommy (1975), où il incarne l’hallucinant personnage du père assassiné. Son visage mince et son regard de visionnaire semblent bientôt le spécialiser dans les compositions à résonance mystique. C’est ainsi qu’il est le fils de Dieu dans Jésus de Nazareth (F. Zeffirelli, 1978), ange faiseur de de miracles dans Harlequin (Simon Wincer, 1980), mathématicien obsédé par les jeux du hasard et de la métaphysique et guetté par la folie dans Impératif (K. Zanussi, 1983). Cet acteur, qui excelle à jouer les personnages tourmentés (il est l’amant de Lou Salomé dans Au-delà du bien et du mal de Liliana Cavani en 1977), a su varier son registre en reprenant avec humour le rôle principal des Trente-Neuf marches (Don Sharp, 1978), remake du célèbre film d’Alfred Hitchcock. Raymond Lefèvre, 1995.
JEAN-PIERRE LÉAUD 1944
Il est le fils du scénariste Pierre Léaud et de l’actrice Jacqueline Pierreux. Son premier vrai rôle, c’est Truffaut qui le lui donne dans les Quatre Cents Coups (1959), où apparaît le personnage du jeune Antoine Doinel. « Double » mimétique, on le retrouve dans quatre œuvres de Truffaut : l’Amour à 20 ans (1962), Baisers volés (1968), Domicile conjugal (1970) et l’Amour en fuite (1979), ce qui nous vaut une suite biographique de l’adolescence à l’âge adulte. On voit Léaud dans d’autres films de Truffaut (les Deux Anglaises et le continent, 1971 ; la Nuit américaine 1973), mais aussi chez Jean-Luc Godard (Masculin féminin, 1966 ; Made in USA, 1967 ; la Chinoise, id. ; Week-end, id.). Il est également l’assistant de ces cinéastes sur divers productions. Vers la fin des années 60, le mélange de pudeur issue des films de Truffaut et d’apparente froideur voulue par ceux de Godard enferme Léaud dans une espèce de masque schizophrène qui le rend étranger, comme déphasé, à son environnement. Ce style de jeu marque, hélas, toute la future carrière de l’acteur. S’il s’avère bon porteur d’une mythologie d’époque lorsqu’il est utilisé par des auteurs dont la démarche se fonde sur une certaine distanciation (Godard, la Chinoise ; Glauber Rocha, le Lion a sept têtes, 1970 ; Rivette, Out One : spectre, 1974 ; Eustache, la Maman et la putain, 1973), il devient gênant dans les œuvres plus classiques (Aidez-moi à rêver, Pupi Avati, 1980), ou même dans les derniers films de Truffaut où il apparaît… Ce jeu maniaque s’exacerbe encore lorsqu’il interprète les films de Bernard Dubois : les Lolos de Lola (1976) et Parano (1981). Léaud impose à nouveau sa présence dans Rebelote (Jacques Richard, 1984), Détective (J-L. Godard, 1985), Ce n’est que du cinéma ! (P. Sandor, id.), Corps et biens (B. Jacquot, 1986), les Keufs (J. Balasko, 1987), la Couleur du vent (P. Granier-Deferre, 1988), Jane B. par Agnès V. (A. Varda, id.), Bunker Palace Hotel (Enki Bilal, 1989) ou J’ai engagé un tueur (A. Kaurismäki, 1990). Raphaël Bassan, 1995.
BIOGRAPHIE
Fils de Pierre Léaud et de la comédienne Jacqueline Pierreux, Jean-Pierre Léaud apparaît pour la première fois au cinéma dans La Tour, prends garde ! (1957, Georges Lampin). Mais sa carrière commence vraiment à l'âge de 15 ans après qu'il réponde à l'annonce dans France-Soir du casting des Quatre Cents Coups de François Truffaut.
Le film, qui est un succès international, est aussi l'une des œuvres fondatrices de la Nouvelle Vague dont Jean-Pierre Léaud devient, avec le personnage d'Antoine Doinel, l'un des acteurs les plus représentatifs. De l'adolescent tourmenté des Quatre Cents Coups, son personnage fétiche va évoluer et grandir à travers quatre autres films : L’Amour à 20 ans (1962), Baisers volés (1968), Domicile conjugal (1970) et L’Amour en fuite (1979). Il tourne également Les Deux Anglaises et le continent (1971) et La Nuit américaine (1973) sous la direction de François Truffaut qui l'initie même à la réalisation en le faisant travailler comme assistant sur La Peau douce en 1964.
C'est d'ailleurs comme assistant qu'il est engagé par Jean-Luc Godard pour Une femme mariée (1964), avant de devenir l'un des ses fidèles interprètes dans plusieurs de ses films à l'ambiance pop-art comme Pierrot le fou (1965), Made in USA (1966) ou La Chinoise (1967). Elevé au biberon de la Nouvelle Vague, il en explore au travers de son jeu décalé et souvent incompris les moindres possibilités en jouant dans des œuvres de plus en plus hermétiques. Déjà avec Deux Anglaises et le continent, mais surtout avec La Maman et la Putain de Jean Eustache, scandale et échec cuisant de 1973.
Le décès de François Truffaut survenu en 1984 semble marquer la fin d'une époque pour Jean-Pierre Léaud, symbolisée par sa dernière collaboration avec Jean-Luc Godard dans Détective en 1985. Il continue à se mettre en danger en tournant pour des auteurs tels que Benoît Jacquot (1985, Corps et biens) ou encore Catherine Breillat (1986, 36 fillette), mais s'essaie malgré tout à la comédie populaire dans Les Keufs de Josiane Balasko (1987).
Depuis 1990 et le film J’ai engagé un tueur d’Aki Kaurismaki, le comédien recouvre une certaine aura grâce à des rôles mieux pensés qui le débarrassent de son encombrante enveloppe d'Antoine Doinel. Il tourne entre autres Paris s’éveille (1991, Olivier Assayas), Pour rire ! (1997, Lucas Belvaux), Le pornographe (2001, Bertrand Bonello) et J’ai vu tuer Ben Barka (2005, Serge Le Peron), des choix s'orientant vers un cinéma d'auteur engagé voire polémique. Après une interruption de plusieurs années, l'acteur réapparaît au Festival de Cannes 2009 pour la présentation du film Visage de Tsai Ming-liang, et retrouve Aki Kaurismaki pour Le Havre en 2011, 20 ans après leur dernière collaboration sur La Vie de bohème. AlloCiné.
RAIMU 1883 - 1946
Étonnante carrière que celle qui mène ce jeune Toulonnais depuis ses débuts dans les caf’conc’ méridionaux, sous le nom de Rallum, jusqu’à la gloire de la Comédie-Française et qui le voit disparaître des écrans où il était avant tout le César de Pagnol, dans l’habit noir d’un héros dostoïevskien, amer et haineux. Le succès, qu’il trouve d’abord dans le Midi, le pousse à Paris, où le Boulevard lui fait sa place, consacrant une présence monumentale, les sonorités d’une voix que l’acteur sait instinctivement maîtriser et une force comique qui s’épanouit dans des pièces anodines ou dans des revues, plaisir d’un moment. Pagnol, qui vient d’écrire Marius, lui offre de créer le rôle de Panisse, Raimu refuse et revendique celui de César, où il se sent à l’aise, où il va jouer de sa faconde, de ses outrances et aussi de son émotion. C’est un triomphe qui lui ouvre les portes des studios, d’où il ne sortira plus seize ans durant. Au temps du muet, il avait fait de courtes apparitions à l’écran : l’Homme nu (Henri Desfontaines, 1911) et l’Agence Cacahuète (Roger Lion, 1912). Mais c’est le parlant qui en fait l’une des plus importantes vedettes françaises de son époque. Il restera marqué à jamais par la trilogie de Pagnol : Marius (A. Korda, 1931), Fanny (M. Allégret, 1932) et César (Pagnol, 1936), mais ne dédaignera pas, bien au contraire, les rires populaires et, pour les provoquer, ne reculera ni devant la charge ni devant la grosse caricature. Il en va ainsi de ses compositions dans Mam’zelle Nitouche (M. Allégret, 1931), Théodore et Cie (Pierre Colombier, 1933), Charlemagne (id., 1934), J’ai une idée (Roger Richebé, 1934), le Fauteuil 47 (Fernand Rivers, 1937) et, plus curieusement, celles de Tartarin de Tarascon (R. Bernard, 1934) et l’Arlésienne (M. Allégret, 1942). Il sait aussi pincer la corde mélodramatique avec ironie dans le Secret de Polichinelle (A. Berthomieu, 1936), avec excès dans le Héros de la Marne (André Hugon, 1938), et tenir sa partie dans les fantaisies de Sacha Guitry (Faisons un rêve, 1937 ; les Perles de la couronne, id.). Les producteurs avisés aiment à lui confier des scènes à effet, à crescendo, où la colère monte savamment, éclate, roule et tourne dans un débit tonitruant où aucun syllabe ne s’égare : Un carnet de bal (J. Duvivier, 1937), les Nouveaux riches (Berthomieu, 1938), Noix de coco (Jean Boyer, 1939), Monsieur Brotonneau (Alexandre Esway, 1939). Le feu d’artifice vocal qui clôt Monsieur la Souris (G. Lacombe, 1942) reste inoubliable. Que son allure volontiers pateline dissimule un autre bonhomme, qu’un chef de bande se maquille en bon commerçant (l’Étrange Monsieur Victor, J. Grémillon, 1938) ou en notable de petite ville (le Bienfaiteur, H. Decoin, 1942), sa performance est remarquable mais écrasante pour ses partenaires. Que, plus subtilement, l’avocat alcoolique et taciturne vole au secours de sa fille dans une plaidoirie enflammée (les Inconnus dans la maison, Decoin, id.), le résultat, convaincant, est identique. Aussi bien lorsqu’il s’amuse à jouer les Fregoli dans Théodore et Cie, le compositeur à double face de Mam’zelle Nitouche, les sosies des Jumeaux de Brighton (Claude Heymann, 1936) ou le maitre d’hôtel qui, dans Charlemagne, devient chef de tribu.
C’est cependant au soleil de Pagnol qu’il se réchauffe, se réjouit, s’émeut et que l’on oublie, en le regardant, la performance de l’acteur pour admirer la sensibilité de l’artiste. Du Bar de la Marine, d’où il regarde, tablier sur le ventre, grouiller le vieux Port, à la boulangerie qu’il veut quitter, bonnet en tête, parce qu’il meurt d’amour (la Femme du boulanger, 1938), il anime toujours les chroniques d’un temps révolu, devient le chantre de fabliaux et se nimbe, naturellement, de gravité patriarcale quand il défend le bonheur de la Fille du puisatier (1940). Ses colères étaient redoutables, moins pourtant que ce silence dur, obstiné, rancunier, hostile qui pèse sur sa dernière apparition, cet Homme au chapeau rond (P. Billon, 1946) qui s’éloigne, à jamais, dans des ruelles embrumées, vers son destin. Il n’a pas laissé de souvenirs personnels, mais a trouvé des mémorialistes en Paul Olivier, Roger Régent et Maurice Périsset. Raymond Chirat, historien du cinéma, 1995.
GÉRARD PHILIPE 1922 - 1959
Il incarna, pour la génération de l’immédiate après-guerre, l’adolescent romantique par excellence, et presque trop beau. C’est au théâtre qu’il se fait d’abord connaitre, grâce à son élégance, son charme, son sourire, sa diction un peu nasillarde, son émouvante fragilité. Il débute au Casino de Nice dans une comédie d’André Roussin, Une grande fille toute simple, puis « monte » à Paris, où il est engagé par Douking pour tenir le rôle de l’ange dans Sodome et Gomorrhe de Giraudoux. Il sera ensuite le prince blanc de Federico (d’après Mérimée), le Caligula d’Albert Camus (premier rôle vedette, premier grand succès), le poète des Épiphanies, de son ami Henri Pichette, qui va écrire, pour lui, Nucléa : autant de traits qui contribuent à forger son mythe. En 1951, il entre dans la troupe du Théâtre national populaire, et c’est une série de triomphes, toujours fondés sur une adéquation rigoureuse entre le comédien et ses personnages : Rodrigue dans le Cid (qu’il joue « à la pointe de l’épée ») ; le prince de Hombourg ; Lorenzaccio ; Richard II ; Ruy Blas ; Octave d’On ne badine pas avec l’amour, etc.
Mais, entre-temps, le cinéma l’a mobilisé, car les producteurs voient en lui le successeur tout désigné de Jean-Pierre Aumont ou de Claude Dauphin. Marc Allégret le pressent pour être Phil dans une adaptation du Blé en herbe de Colette, mais le projet n’aboutit pas (il était d’ailleurs déjà trop âgé). Après avoir fait de la figuration dans la Boîte aux rêves, Gérard Philipe (il a ajouté un e muet à son nom, « pour que cela fasse treize lettres », dit-il) débute officiellement dans les Petites du quai aux Fleurs, aux cotés d’Odette Joyeux et de Danièle Delorme. Prestation encore un peu terne, comme sera celle du Pays sans étoiles, tourné en 1946, où il entre pourtant de plain-pied dans l’univers féérique de Pierre Véry. En revanche, son interprétation « inspirée » du prince Muichkine de l’Idiot le propulse au zénith des jeunes premiers : la vedette du film, ce n’est pas Edwige Feuillère, ni Dostoievski, c’est lui. Comme l’écrit dans « Cinémonde » Jacques Doniol-Valcroze : « Il y a lui… et les autres. Un léger effort, un minuscule appel du pied, et il est devenu l’Idiot. On tremble à l’idée que l’on pourrait nous gâcher un tel talent… » Un deuxième rôle en or l’attend : celui de François, l’adolescent en révolte ouverte contre la morale bourgeoise du Diable au corps, de Radiguet. Le film scandalise les bien-pensants, mais pulvérise les records de recettes. Il vaut au jeune acteur (25 ans tout juste) le prix d’interprétation au festival de Bruxelles. Désormais, on lui propose des rôles sur mesure : Fabrice del Dongo dans la Chartreuse de Parme ; Faust dans la Beauté du diable ; le rêveur éveillé de Juliette ou la Clef des songes ; le caracolant Fanfan la Tulipe ; Julien Sorel dans le Rouge et le Noir ; enfin Till l’espiègle, le Mandrin flamand, personnage si conforme à ses voeux (mélange de panache juvénile et d’idéal progressiste) qu’il décide pour une fois d’être son propre metteur en scène (sous la supervision technique de Joris Ivens). Expérience décevante, la truculence flamande échappant à ce fils du Midi, et son humour bon enfant restant à la surface de l’épopée picaresque de Charles De Coster. Il est d’ailleurs singulier d’observer que dans presque tous les films cités, qui lui ont valu sa réputation la plus flatteuse, la mise en scène est pauvre, voire inexistante - tout se passant comme si Gér ard Philipe avait besoin, pour briller, d’une toile de fond incolore, devant laquelle il pût trôner seul, comme à la scène.
Il existe cependant un autre aspect de Gérard Philipe, plus inquiétant, plus complexe, et mieux accordé, semble-t-il, aux exigences de l’écran : paradoxalement, le public l’apprécie moins dans ces rôles ambigus, où il est pourtant remarquable. Nous pensons au lieutenant dépravé de la Ronde, traînant son ennui et sa débauche triste ; au médecin déchu des Orgueilleux (où il en fait presque trop en sens inverse) ; à l’étrange et fascinant Monsieur Ripois, fugueur cynique vivant aux crochets des femmes mûres ; au peintre rongé par l’alcool et le mal de vivre de Montparnasse 19 ; ou encore à l’Octave Mouret de Pot-Bouille, nageant avec aisance dans les eaux troubles de l’hypocrisie bourgeoise. On peut préférer, et de loin, ce personnage de dandy pervers à la gravure de mode au teint lisse et à l’âme pure dont les midinettes des années 50 avaient fait leur idole : non seulement pour le travail de composition qu’il exige de l’acteur (plutôt porté sur les héros « positifs »), mais aussi pour la maitrise dont ont fait preuve, pour le coup, ses metteurs en scène. Ophuls, Clément, Duvivier, Becker entre autres. Vadim lui-même a rarement été aussi bien inspiré qu’en lui confiant le rôle du machiavélique Valmont dans ses Liaisons dangereuses 1960.
Gérard Philipe avait épousé, en 1951, Nicole Fourcade, qui prit dès ce moment-là le nom d’Anne Philipe et retraça dans un récit les derniers moments de son mari, décédé à l’âge de 37 ans : le Temps d’un soupir (1963). Claude Beylie, critique et historien du cinéma, 1995.
JEAN GABIN 1904 - 1976
Enfant de la balle (ses parents, Joseph Gabin et Hélène Petit, sont des vedettes de café-concert), il exerce divers métiers (cimentier, vendeur de journaux) avant d’embrasser, à partir de 1922, la carrière théâtrale. Il fait ses débuts comme figurant aux Folies-Bergère et au Vaudeville, puis effectue un tour de chant en province et apparaît dans une opérette aux Bouffes-Parisiens, où il chante et danse avec Mistinguett la Java de Doudoune. Ses autres partenaires sont Dranem, Lucien Baroux et le clown Dandy : avec ce dernier, il paraît pour la première fois à l’écran, dans deux sketches muets. Mais c’est avec le parlant qu’il va s’affirmer, dans des rôles de bons ou mauvais garçons (Paris-Béguin, Cœur des lilas), poussant parfois la romance (J’aime les grosses dames de 125 kilos, dans Méphisto), puis fixant progressivement un personnage, plus rude, de cabochard au grand cœur, dans la lignée de George Bancroft et de Spencer Tracy. Charles Spaak, l’un de ses scénaristes, le décrit « à l’aise dans les bagarres, champion de tous ceux qui n’ont guère eu de chance et qui luttent pour des causes simples : la liberté, l’amour, l’amitié ». Plus qu’un acteur : un mythe. Plus vigoureux que Pierre Richard-Wilm, plus sensible qu’Albert Préjean, ses rivaux dans ce registre, il a la chance de travailler avec les meilleurs cinéastes de l’époque, Renoir, Grémillon, Duvivier, Carné. Tour à tour légionnaire, truand, officier, déserteur, cheminot, ouvrier marqué par le destin, il figure, selon André Bazin, « le héros tragique par excellence du cinéma français d’avant-guerre », une sorte d’Œdipe roi en salopette, cristallisant tous les espoirs et les échecs de son temps. « Il suffit, écrit Jean Piverd, que cette silhouette de brute follement vraie traverse l’écran pour que soit créé un climat. Jean Gabin ne joue pas. Il existe. » Et Jean Renoir de préciser : « L’étendue des émotions que peut fournir Gabin est immense, tout son art est de n’en donner que l’essentiel. »
La guerre va bouleverser cette carrière prestigieuse. Après avoir triomphé dans la Grande illusion et la Bête humaine, il gagne les États-Unis, en 1941, où il interprète deux films médiocres. Combattant des Forces françaises libres, il est de retour à Paris en 1946, mais ne retrouve pas de sitôt un rôle à sa mesure. Renonçant à tourner le film que Jacques Prévert et Marcel Carné avaient conçu pour lui, les Portes de la nuit, il s’égare dans la convention et le mélodrame (Martin Roumagnac, Miroir), revient au théâtre (la Soif, de Bernstein), va tenter sa chance en Italie (Au-delà des grilles). Dans ce que l’un de ses exégètes, Claude Auteur, appelle sa « traversée du désert », une oasis : le Plaisir, de Max Ophuls, où il campe un paysan normand étonnant de naturel. Il retrouve la faveur du public en jouant le truand embourgeoisé de Touchez pas au grisbi, sous la direction de Jacques Becker, que suivent French Cancan, de Jean Renoir, et la Traversée de Paris, de Claude Autant-Lara. C’est le point de départ d’une seconde carrière : les tempes blanchies, la silhouette épaissie, il joue désormais les flics bonnasses, les « présidents », les « pachas », voire les « vieux de la vieille », des rôles sur mesure que lui façonnent Michel Audiard ou Pascal Jardin et que dirigent (sans génie) Gilles Grangier, Denys de la Patellière ou Henri Verneuil. L’un de ses plus gros succès des années 60 sera Mélodie en sous-sol, où il a pour partenaire Alain Delon. Il se lance dans la production en fondant, avec Fernandel, la « Gafer » (de Gabin et Fernandel). Son chant du cygne sera le Chat, d’après Georges Simenon, où il est un pathétique retraité de banlieue muré dans son silence et sa haine de l’autre (Simone Signoret)… Ses dernières années, il les passe surtout dans sa ferme et son haras de Normandie. Un ultime film, de routine, clos sa carrière en 1976 : l’Année sainte. Mais, derrière le vieil homme bougon, il est resté jusqu’à la fin celui dont Jacques Prévert a célébré « le regard toujours bleu et encore enfantin » :
Jean Gabin
acteur tragique de Paris
gentleman du cinéma élisabéthain
dans la périphérie du film quotidien.
Claude Beylie, critique et historien du cinéma, 1995.
En 1937, Gabin n’est pas simplement un acteur célèbre comme Raimu, Bernard Blier ou Charles Boyer, mais déjà un mythe. Un mythe qui s’est constitué dans les deux années qui précèdent avec les deux succès réalisés par Julien Duvivier, La Bandera (1935) et Pépé le Moko (1937). Au départ, il n’était même pas Gabin, mais Gabin fils. C’est son père, déjà connu au music-hall sous le nom de Gabin, qui l’a poussé en 1922 malgré lui sur les planches, lui transmettant ce nom. On le remarque au début des années 1930 dans des films aux titres d’ailleurs significatifs : Paris-Béguin (Genina, 1931), Tout ça ne vaut pas l’amour (Tourneur, 1931), Cœurs joyeux (Schwarz et Vaucorbeil, 1932)...
Et petit à petit, de chanteur de revue à succès et jeune premier de cinéma, Gabin devient un personnage de l’imaginaire social. Là où Bernard Blier incarne le Français moyen en qui chacun reconnaît ses lâchetés, Gabin est celui que voudrait être une majorité du public français (masculin du moins). Le personnage de François Paradis dans le Maria Chapdelaine de Duvivier avait préparé ce Gabin-là dès 1934 : évidemment sympathique, fraternel, courageux, cœur tendre immédiatement amoureux de Maria, mourant tragiquement en rejoignant celle-ci... Il y manquait le côté « mauvais garçon » que lui apporte La Bandera, où Gillieth a tué un salaud « qui ne méritait pas de vivre ».
Le mythe de toute star impliquant une équivalence entre la vie du personnage cinématographique et celle de l’homme, ou plutôt celle que le public aime que l’on prête à l’homme, Gabin en fournit la matière dans une série d’articles du magazine « Pour vous », intitulés « Quand je revois ma vie » publiés juste à la sortie de La Bandera. « Il me fallait de la brutalité, j’aimais ça ! », écrit-il, avant d’ajouter qu’il ne s’était jamais aperçu du mauvais caractère de Duvivier, devenu son ami lors du tournage de Maria Chapdelaine, « sans doute parce que j’ai moi aussi un sale caractère. » Traduisons en termes positifs : une nature rebelle et virile et une forte personnalité. « Amitié virile, force, violence », commente Ginette Vincendeau. Mais on ne peut limiter Gabin à un simple phénomène sociologique : l’image type de l’ouvrier du Front populaire auquel un public, également « populaire », adhérerait sans réserve. Beaucoup de commentateurs, dont André Bazin, ont souligné le caractère tragique du mythe Gabin, contradictoire avec l’optimisme de 36. La violence que Gabin ne peut contenir au début de La Bandera, dans Pépé Le Moko et Le Jour se lève (Carné, 1939), à la fin de Gueule d’amour ou de la version noire de La Belle équipe (Duvivier, 1936), est le moteur de son destin : « C’est presque toujours dans un moment de colère que Gabin appelle le malheur sur lui, déclenchant le piège fatidique qui causera inévitablement sa mort » (Bazin). Autre grand succès du tandem Renoir-Gabin après La Grande illusion, La Bête humaine (1937) le confirme. Chaque film du Gabin des années 1930 s’achève en effet par une forme de suicide (voir la fin de Pépé). Le mythe Gabin a la singularité de reposer sur la mise en cause d’un autre mythe, plus universel, celui de la virilité. Le phénomène est évident dans les deux films qu’il tourne pour Jean Grémillon. Le fier spahi qui défile au début de Gueule d’amour (1937) est détruit par la « garce » entretenue (Mireille Balin). Le « Patron » de Remorques (1941) n’est plus rien à la fin du film, ayant sacrifié la femme qu’il n’a pas su aimer vraiment à une double idée de la virilité (le monde des hommes de la mer, la passion idéalisée pour une inconnue)... Le jeu « naturel » de Gabin est, si on y regarde bien, une posture : Je suis « moi », dit-il à chaque apparition, une « nature » qui ne ment pas. Il est ainsi prisonnier de son personnage viril, au sens sexuel comme social du terme, avec son charme et ses limites.
Après la guerre, le film qui lui fait retrouver le succès, Touchez pas au grisbi (Becker, 1953), le replace dans ce monde d’hommes qui jouent aux durs et où l’amitié virile croit pouvoir triompher des « garces »... Ensuite, le public, et l’homme Gabin lui-même vont s’habituer au retour de ce « naturel » fabriqué, avec ses colères programmées. La posture devient imposture et ne subsiste du mythe que le patriarche autoritaire, omniscient, misanthrope et bien sûr misogyne... Dossier « La Grande Illusion ».
JEAN MARAIS 1913 - 1998
Il a véritablement fait partie de la mythologie du cinéma français à partir de 1943. Sa rencontre avec Jean Cocteau, qui le lance au théâtre juste avant la guerre et lui fait oublier ses courtes apparitions, confinant souvent à la figuration, dans les films de L’Herbier (l’Aventurier, 1934 ; le Bonheur 1935 ; les Hommes nouveaux, 1936), donne soudain à sa carrière l’ampleur que réclamaient son prestige physique et son ardente volonté de bien faire. Il tâtonne dans ses premiers rôles (le Pavillon brulé, J. de Baroncelli, 1941 ; le Lit à colonnes, Roland Tual, 1942) mais se révèle souverainement avec l’Éternel retour (J. Delannoy, 1943), sur un scénario et des dialogues de Cocteau. Dès lors, coqueluche de la jeunesse, il profite pleinement des rôles que l’écrivain écrit pour lui (la Belle et la Bête, Cocteau, 1946 ; Ruy Blas, P. Billon, 1948 ; l’Aigle à deux têtes, Cocteau, id. ; les Parents terribles, 1949, id. ; Orphée, id., 1950 ; le Testament d’Orphée, id., 1960 ; la Princesse de Clèves, Delannoy, 1961). Sa prestance, qui lui permet de se parer avec magnificence, son sourire éclatant, un don évident de sympathie font de lui l’Amant, le Héros, le Redresseur de torts (Aux yeux du souvenir, Delannoy, 1949 ; le Secret de Myerling, id., id. ; Nez de cuir, Y. Allégret, 1952 ; Julietta, M. Allégret, 1953 ; Élena et les hommes, J. Renoir, 1956 ; Nuits blanches, L. Visconti, 1957). Sorti d’une gravure romantique, il figure Edmond Dantès (le Comte de Monte Cristo, Robert Vernay, 1955) et il ressuscite Louis XV de la plus séduisante manière (Si Versailles m’était conté…, S. Guitry, id.). Payant de sa personne, il donne, à partir de 1957, une nouvelle impulsion aux aventures et aux péripéties de cape et d’épée sous la direction de G. Lampin (La Tour, prends garde, 1958), de R. Gaspard-Huit (le Capitaine Fracasse, 1961) ou de H. Decoin (le Masque de fer, 1962), mais surtout d’André Hunebelle (le Bossu, 1959 ; le Capitan, 1960 ; le Miracle des loups, 1961 ; les Mystères de Paris, 1962). De la même manière et avec le même réalisateur, il rajeunit le roman populaire en bondissant à travers les exploits de Fantômas (1964), Fantômas se déchaîne (1965) et Fantômas contre Scotland Yard (1966). Dans Peau d’Âne enfin (J. Demi, 1970), il compose avec bonhomie un roi débonnaire de conte de fées. Il a mené parallèlement une intéressante carrière théâtrale et s’est également consacré à la peinture, qui fut sa première vocation, et à la sculpture. Raymond Chirat, historien du cinéma, 1995.
ll est lancé au théâtre par Jean Cocteau, qui le choisit pour jouer les Chevaliers de la Table ronde (1937), les Parents terribles (1938), la Machine à écrire (1943), l'Aigle à deux têtes (1946). Il devient une grande vedette de l'écran français : l'Éternel Retour (1943), la Belle et la Bête (1946), les Parents terribles (1949), Orphée (1950), Julietta (1953), le Bossu (1959), la Princesse de Clèves (1961), la série des Fantomas (1964-1966), Peau d'Âne (1970). Dictionnaire du Cinéma, Larousse.
GARY COOPER 1901 - 1961
Fils d’un magistrat qui est aussi un propriétaire terrien, il reçoit, en Angleterre puis au Wesleyan College du Montana, une solide éducation. Mais ses études d’agriculture correspondent mal à sa vocation : désireux de devenir caricaturiste, il part pour la Californie. Il y sera représentant, jusqu’en 1925, date de ses débuts au cinéma : il figure alors comme cow-boy dans une dizaine de films. Le hasard veut qu’en 1926 on lui confie un petit rôle dans Barbara la fille du désert, où il se fait assez remarquer pour obtenir un contrat avec la Paramount, pour laquelle il tournera plus de trente films entre 1927 et 1940.
La figure de Cooper se définit aussitôt dans un double contexte. D’une part, une série de modestes westerns dont il est la vedette (Arizona Bound ou Au service de la loi) fait de lui, avec la même rudesse physique, l’héritier de William S. Hart. Cooper continuera fidèlement d’incarner un cow-boy, non seulement dans des épopées sur l’Ouest qui deviendront de plus en plus prestigieuses, mais aussi dans des comédies comme Madame et son cow-boy, des romances comme l’Intrigante de Saratoga, ou des revues où il joue son propre rôle (It’s a Great Feeling). Ce pôle constitue l’assise emblématique de son personnage : un homme simple et franc, laconique et obstiné, dont la traditionnelle ingénuité exclut toute méchanceté, sinon toute faiblesse.
D’autre part, suivant une progression plus lente, il acquiert une belle réputation d’acteur : dans Wings, on louera son aisance ; dans Beau Sabreur, entreprise désargentée, il est pour la première fois le protagoniste d’une aventure éloignée de la Frontière ; Mariage à l’essai lui permet de s’essayer à la comédie ; Betrayal le transforme en artiste peu scrupuleux. Un stéréotype menace toutefois : celui du vertueux militaire qu’on ne se lasse pas de lui faire jouer. Cœurs brûlés, l’Adieu au drapeau et même Sergent York se souviendront d’ailleurs de cette représentation pour la distordre. Mais le parlant libère Cooper des clichés. Sa haute taille, la simplicité et la lenteur de ses gestes, la tranquillité de sa voix et de son débit lui suffisent alors pour composer une effigie familière, qui appartient au même registre que celle d’une pléiade d’acteurs de sa génération : Gable, Tracy, Cary Grant ou Cagney. Très maitrisé, leur jeu ne recourt ni à des attitudes symboliques ni à une expression délicate et continue des nuances, il n’illustre pas les thèmes obligés de la passion et ne détaille pas les profondeurs imprévisibles de la personne, mais se contente de définir un caractère par rapport à une situation. Cela n’était guère possible avant que les personnages ne deviennent vraiment des sujets parlants.
Professionnel consciencieux, capable d’interprétations de plus en plus riches et délicates, Cooper ne s’efface jamais derrière son personnage. D’abord l’image emblématique de l’aventurier de l’Ouest garde une présence allusive dans plus d’un héros : le provincial fourvoyé des Carrefours de la ville, le romanesque Peter Ibbetson, le millionaire candide de l’Extravagant Mr Deeds peuvent passer pour des avatars de l’homme de la nature, tandis que l’architecte individualiste du Rebelle ou l’officier opiniâtre de Condamné au silence transposent le cavalier solitaire. Mais surtout la présence physique de Cooper ne se laisse jamais ignorer. Le premier mérite de son jeu est de nous convaincre de la réalité charnelle de son personnage. Cela tient sans doute à sa stature, mais aussi aux rapports vrais qu’il entretient avec les objets qui l’entourent : dans le décor, ce corps immense trouve toujours une assise, il s’établit. D’autre part, ses gestes harmonieux entrainent tout son être : ils n’ont jamais l’aspect désincarné d’un signal ; leur inhabileté ne laisse pas le seul rendement les définir. Enfin, un curieux contraste oppose sa silhouette élégante et élancée à un visage mince et fort découpé ; il en résulte que son individualité s’affirme aussi bien par ses traits singuliers que par son impressionnante taille.
Le jeu de l’emblème et de l’effigie produit une figure d’autant moins simple que l’image de l’homme d’action doit être incarnée par une personne évidemment lymphatique, ce qui donne à tous ses gestes une tournure méditative. L’attitude la plus fréquente de l’acteur, en raison de ses relations avec autrui, consiste à conserver la tête inclinée : ainsi se dessine le paradoxe d’un aventurier réfléchi, d’un conquérant timide. On ne saurait douter de sa portée politique, dans un monde où la modération n’était pas une vertu qu’on dût demander aux vainqueurs. Comme la retenue de ses mouvements et de son expression est l’indice d’une grande réserve, Cooper peut enfin colorer d’ironie, plus ou moins, toutes ses interprétations. Second paradoxe : le héros le plus respectable d’Hollywood est aussi, et parfois en même temps, le personnage le moins respectueux. Vera Cruz fait l’usage le plus complet de ces paradoxes qui intéressent toute la carrière de l’acteur : son aptitude à la comédie ne lui vient par exemple ni d’une vivacité ni d’une invention bouffonne, mais d’une certaine malice qui s’exerce aussi bien contre lui-même que contre son entourage. la parfaite transparence de ses yeux bleus dénie toute expression immédiate de la passion : les mobiles du personnage deviennent ainsi plus lointains et plus graves. Ce regard innocent, presque rêveur, marque volontiers le secret, mais son incertitude nonchalante n’exclut pas l’humour.
Dans la première partie de sa carrière, les rôles les plus romanesques (l’Adieu au drapeau, Peter Ibbetson) utilisent la singularité physique de cette figure, tandis que les films d’aventure (les Trois lancers du Bengale) continuent à s’appuyer sur l’élégance du cavalier. Mais Cooper n’est pas seulement une présence captivante : sous la direction de Mamoulian, de Borzage ou de Vidor, mais d’abord de Sternberg, le prestige évasif se change parfois en trouble ; les comédies de Lubitsch montrent l’étendue du jeu de l’acteur. Si sa sobriété et son impassible dignité l’aident à incarner les héros exemplaires de De Mille, son personnage évolue à l’approche de la guerre : sa sincérité devient plus pathétique (l’Homme de la rue, Pour qui sonne le glas?) ; sa candeur, plus embarrassée (Sergent York, Boule de feu). À l’poque où son visage cesse d’être émacié, ses rôles gagnent en gravité, même dans l’épopée (l’Odyssée du docteur Wassel, Cape et Poignard, les Conquérants d’un Nouveau Monde) ou la comédie (Ce bon vieux Sam). Alors se dessine un lutteur idéaliste, profondément étranger au monde qui l’entoure : le Rebelle ou les Aventures du capitaine Wyatt tirent parti en ce sens de la rupture physique que marque le corps de Cooper. Les westerns de Zinneman, De Toth ou Hathaway laissent apparaître un vieillissement à la faveur duquel le visage et les interprétations vont se nuancer. Incarnant souvent un homme sur qui pèsent d’injustes accusations, Cooper traduit la lourdeur du passé et de la culpabilité. Sensible dans Ariane, il sera particulièrement touchant dans l’Homme de l’Ouest et la Colline des potences, vieilli, ridé et entaché par la faute, mais d’une indomptable bonne volonté.
Il meurt en 1961, d’un cancer. Alain Masson.
BIOGRAPHIE
Gary Cooper, de son vrai nom Franck James Cooper, est né le 7 Mai 1901, à Helena, dans l'état du Montana. Il grandit en Angleterre où il reçoit une solide éducation. Pendant la première guerre mondiale, il retourne aux Etats-Unis travailler dans le ranch de son père et se destine par la suite à des études d'agriculture. Mais, rapidement, il s'aperçoit que ce domaine ne l'attire aucunement et il décide de partir pour la Californie, où il se passionne pour le dessin, et en particulier pour les caricatures. Il essaye de faire publier les siennes dans différents journaux, mais arrive difficilement à en vivre.
Il cherche alors à mettre à profit ses talents de cavalier en devenant figurant à cheval dans de nombreuses œuvres. Il enchaîne ainsi les apparitions, et face à l'émergence de son succès, décide de changer de prénom. En effet, n'étant pas le seul à s'appeler Franck Cooper à Hollywood, il remplace son prénom par celui de Gary. Il doit ce pseudonyme au nom de la ville de Gary, située dans l'Indiana, d'où était originaire son agent.
En 1926, il obtient un rôle dans le film de Henry King, Barbara, fille du désert, où il est remarqué par la Paramount. Il tourne alors dans de nombreux films pour la compagnie et l'arrivée du parlant change considérablement son parcours. Sa voix claire et apaisante, sa lente élocution, lui permettent de composer de nouveaux personnages. En outre, il marque l'écran par sa présence physique incroyable : grand (il mesurait 1m91), ayant une démarche posée et des gestes simples, il occupe l'espace de manière captivante partout où il passe. Son premier film parlant est un western intitulé The Virginian réalisé par Victor Fleming. Il tourne ensuite dans Cœurs brûlés, où il partage l'affiche avec Marlene Dietrich. Il développe également sa palette de jeu et se montre très impressionnant dans divers registres : le drame donc (citons aussi Peter Ibbetson), l'aventure (les Trois lanciers du Bengale) et la comédie (La Huitième femme de Barbe Bleue). C'est en 1936 que se construit véritablement son personnage d'américain au grand cœur, avec l’Extravagant Mr Deeds de Frank Capra. Son interprétation lui vaut sa première nomination aux Oscars. Mais c'est le film Sergent York, qui lui apporte en 1941, son premier Oscar du Meilleur Acteur.
À la fin de sa carrière, il effectue un retour dans les grands westerns, avec des films comme les Aventures du capitaine Wyatt, Vera Cruz de Robert Aldrich, l’Homme de l’Ouest, et bien sûr le Train sifflera trois fois avec Grace Kelly, qui lui permet d'obtenir son second oscar.
Gary Cooper était l'un des acteurs les plus doués de sa génération. Sa filmographie est l'une des plus impressionnantes de l'Histoire du cinéma : Ernst Lubitsch, Josef von Sternberg, King Vidor, Frank Capra, Fritz Lang, Billy Wilder, Raoul Walsh, Henry Hathaway, Cecil B. DeMille (avec qui il tourne son premier film en couleurs, les Tuniques écarlates) s'y succèdent. Mais il a connu aussi des rendez-vous manqués : par deux fois, il refusa de tourner avec Alfred Hitchcock, qui lui avait proposé les rôles principaux de Correspondant 17 (1940) et la Cinquième colonne (1942), ce qu'il regretta par la suite. Il dit non également pour le personnage de Rhett Butler dans Autant en emporte le vent, le film lui paraissant d'avance un échec.
Homme droit et sincère, il comptait parmi ses amis l'écrivain Ernest Hemingway, qu'il avait rencontré en 1940, et avec qui il entretint une forte amitié. Il figura d'ailleurs au générique de deux films inspirés des romans de l'auteur : A Farewell to Arms (1932) (un triomphe) et Pour qui sonne le glas (1943). Il était également très ami avec James Stewart et Pablo Picasso, qu'il admirait profondément.
Grand séducteur à la vie sentimentale mouvementée, Gary Cooper a considérablement marqué le cinéma américain. A travers lui, c'est toute son histoire qui défile. Il a joué dans 107 films, dont seulement 16 étaient en couleurs, et dont 14 étaient muets. En 1961, affaibli par la maladie, Gary Cooper ne pourra pas aller recevoir l'Oscar d'honneur qui lui est remis par la prestigieuse académie du cinéma et envoya James Stewart, bouleversé par l'absence de son ami, le chercher pour lui. Quelques semaines plus tard, le monde entier apprit la mort de l'acteur, six mois après celle de Clark Gable. Une mort qui marqua la fin d'une immense star, d'une célèbre figure du septième art, et avec lui, la fin d'un certain âge d'or du cinéma hollywoodien. AlloCiné
« Gary Cooper »
Nombreux sont les acteurs de western, mais rares ceux qui furent de vrais cow-boys. Gary Cooper aurait pu se vanter de l’avoir été dans sa jeunesse, mais il était de tempérament modeste. L’inoubliable interprète du Train sifflera trois fois et de L’Homme de l’ouest ne s’est d’ailleurs pas illustré dans ce seul genre : de la comédie sentimentale au film de guerre, de l’aventure exotique à la parodie, il a apporté son aura naturelle à tous les genres qu’il a touchés, toujours avec cette générosité prompte à mettre en lumière ses partenaires, qu’elles se nomment Claudette Colbert, Barbara Stanwyck, Grace Kelly ou Audrey Hepburn. Et ce n’est pas pour rien que 60 ans après sa mort, il reste un modèle pour de nombreuses vedettes d’aujourd’hui. “Américain par excellence”, dans le meilleur sens de ces termes, celui qui fut L’Extravagant Mr. Deeds (Frank Capra) et le Sergent York (Howard Hawks), fut également l’ami de grands écrivains, Hemingway en tête. Et si Clark Gable a été le “roi”, John Wayne, le “duc”, Gary Cooper méritait bien de se voir enfin décerner le titre de prince. livre « Gary Cooper, le prince des acteurs » de Adrien Le Bihan.
LE CINÉMA AMÉRICAIN PAR EXCELLENCE
L'image du « cavalier de l'Ouest » vertueux et héroïque reste attachée à Gary Cooper, même si un quart seulement de sa carrière fut consacré au western. Pour toute une génération de cinéphiles des années 1950 et 1960, pour lesquels le western fut, selon l'expression d'André Bazin, « le cinéma américain par excellence », il incarne l'ex-shérif Kane de High Noon (Le train sifflera trois fois, 1952), de Fred Zinneman. Au péril de sa vie, celui-ci reprend son étoile de shérif pour sauver une ville dont les habitants avaient renoncé à faire respecter la loi. Dès qu'il atteint une certaine notoriété, et quel que soit le genre du film, Cooper symbolise l'esprit américain tel qu'il est issu de la mentalité pionnière : un difficile équilibre entre la probité, puisée dans un fond de puritanisme incontournable, voire de chasteté quasi mystique, et les nécessités de la conquête – l'esprit de la frontière –, qui exigent courage, force, violence le plus souvent contenue.
Un héros au naturel
Frank James Cooper, dit Gary Cooper, est né le 7 mai 1901 à Helena (Montana), où son père, Charles Cooper, fils de fermiers anglais, avait émigré en 1885 et étudié le droit parallèlement à son emploi de mécanicien, jusqu'à devenir juge. Comme son frère aîné Arthur, Frank est envoyé avec sa mère en Angleterre pour ses études. Au retour, il se montre surtout passionné d'art et de dessin. Le succès de ses caricatures dans le journal local le pousse à se rendre en 1923 en Californie. Son expérience de cavalier lui permet d'obtenir des rôles de figurants dans des westerns. Il prend alors le prénom de « Gary ». La chance survient en 1926, avec The Winning of Barbara Worth (Barbara, la fille du désert), de Henry King, où il remplace l'acteur-vedette new-yorkais.
Cette prestation digne et émouvante vaut à Gary Cooper un engagement à la Paramount jusqu'en 1940. La légende veut qu'en signant son contrat, il se soit juré de ne jamais accepter d'incarner un personnage dont le comportement lui serait étranger. Par droiture sans doute, mais aussi parce qu'il sentait qu'il en serait incapable, n'étant pas assez bon acteur pour cela. Selon Frank Capra, Cooper était convaincu qu'il existait « une énorme différence entre l'acteur qui joue des rôles variés à l'infini et l'homme qui, comme lui-même, se contente d'exprimer à l'écran son caractère naturel ».
En 1927, il tourne des westerns où il pourrait succéder à la première star du genre, William S. Hart (« le justicier aux yeux clairs »). Mais il est remarqué dans deux des premiers films sur les pilotes de guerre de William A. Wellman : un rôle secondaire émouvant dans le célèbre Wings (Les Ailes, 1927), et le héros de The Legion of the Condemned (Les Pilotes de la mort, 1928), où il obtient un énorme succès. Dans Beau Sabreur, de John Waters, il endosse l'uniforme de la Légion étrangère, préfigurant le légionnaire Tom Brown de Morocco (Cœurs brûlés, 1930) de Josef von Sternberg. Sa partenaire est Evelyn Brent, que Sternberg avait dirigée en 1927 dans Underworld (Les Nuits de Chicago).
Une autre facette de la personnalité de Gary Cooper, celle du séducteur, – « l'idole des femmes » selon la publicité de la Paramount –, apparaît dès 1927, dans Children of Divorce (Les Enfants du divorce) : une gageure, puisque le réalisateur Frank Lloyd en fait un « cow-boy amoureux » !
The Virginian (Le Virginien, 1929), de Victor Fleming, va fixer la silhouette de Cooper en cowboy, le rôle qu'il dit avoir préféré de toute sa carrière. Le roman d'Owen Wister, très célèbre aux États-Unis et plusieurs fois adapté à l'écran en attendant de donner lieu à une série télévisée mondialement connue, décrit ainsi le « Virginien » : « Il y avait là un jeune et svelte géant, nonchalamment adossé contre le mur, plus beau que toutes les images. Il portait un chapeau mou aux larges bords qu'il avait rejeté en arrière, et il avait le pouce négligemment glissé dans son ceinturon, lequel reposait en diagonale jusqu'à sa hanche. » S'y ajouteront une élégance naturelle tant morale que physique, que l'on retrouvera dans le personnage d'Enrique dans The Texan (J. Crom [...] Universalis.
LOUIS JOUVET 1887 - 1951
Quand on aborde le palmarès cinématographique de celui qui s’est placé haut dans les manifestations théâtrales de son époque, il faut faire abstraction de tout ce qui est justement contexte scénique. Oublier le directeur, le metteur en scène, l’ambassadeur de l’art français, pour ne se souvenir plus que de son image sur l’écran. Les rapports de Jouvet avec le cinéma étaient dépourvus de tendresse, on l’a suffisamment répété, et pourtant le cinéma l’a honoré et respecté, a multiplié ses rôles (20 personnages de 1935 à 1940) et les a taillés à ses mesures afin que, s’y sentant à l’aise, il y fasse montre de qualités uniques qui eussent pu devenir des défauts irréparables. L’homme possède une personnalité peu commune, une autorité sans réplique et sa haute taille, sa minceur élégante, la fascination d’un visage aux yeux glauques et à la bouche sarcastique, sa diction célèbre souvent imitée, jamais retrouvée, concourent à une image de marque qu’il entretient jusqu’à son dernier film. On peut distinguer en gros quatre catégories de personnages entre lesquels il va sans arrêt zigzaguer : les dévoyés, les policiers, les grands seigneurs et les originaux à tous crins. Dans la première catégorie, on trouve le baron russe des Bas-Fonds (J. Renoir, 1937), le tenancier sentimental d’Un carnet de bal (J. Duvivier, id.), le marlou de Hôtel du Nord (M. Carné, 1938), les trafiquants plus ou moins louches mais qui gardent dans leur déchéance de l’allure et du détachement (Forfaiture, M. Lherbier, 1937 ; la Maison du Maltais, P. Chenal, 1938 ; le Drame de Shanghai, G. W. Pabst, id.), enfin le misérable charretier de la mort condamné à errer dans l’au-delà (la Charrette fantôme, (Duvivier, 1940). Les rôles de policier mettent en valeur son sens aigu de l’observation qui lui permet de camper en traits simples et définitifs des êtres qui traînent, bien cachés, des soucis quotidiens, un passé amer et un cœur qui s’ignore. C’est l’inspecteur de l’Alibi (Chenal, 1937), le commissaire perplexe de Entre 11 heures et minuit (H. Decoin, 1949), le policier fatigué de Une histoire d’amour (Guy Lefranc, 1951) et l’inoubliable Antoine (Quai des Orfèvres, H-G. Clouzot, 1947), qui demeure sans doute sa création la plus humaine et la plus sensible. Citons pour mémoire le chef de la police de Sérénade (Jean Boyer, 1940), où il aborde à ses risques et périls les fanfreluches du film viennois. Les mots de grand seigneur recouvrent un certain nombre de personnages qui n’appartiennent pas tous à la noblesse mais se différencient du commun par leur distinction, leur désinvolture hautaine, le coupant de leurs affirmations, leur ton incisif, leur coup d’œil narquois. Nous y trouvons le moine délégué par la Sainte Inquisition (la Kermesse héroïque, J. Feyder, 1935), M. de Rœderer s’inclinant devant la reine de France à l’aube de la Révolution (la Marseillaise, Renoir, 1938). Cercleur, précepteur si parisien d’une altesse balkanique (Éducation de prince, Alexandre Esway, 1937), le compositeur célèbre qui se heurte au démon de midi (Les amoureux sont seuls au monde, Decoin, 1948) et quatre figures de premier ordre : le professeur d’Entrée des artistes (M. Allégret, 1938), le Don Juan vieilli et machiavélique de la Fin du jour (Duvivier, 1939), le meneur de jeu qui sait tirer les marrons du feu dans Volpone (M. Tourneur, 1941) et l’ex-bourgeois lyonnais qui se prépare à savourer une vengeance froide (Un revenant, Christian-Jaque, 1946). C’est parmi ses rôles de composition qu’on trouve le plus de déchets. L’amusement ou l’agacement qu’il éprouve à animer tel ou tel fantoche le conduit facilement à l’outrance et à la caricature (Topaze, L Gasnier, 1932 ; Mister Flow, R. Siodmak, 1936 ; Untel père et fils, Duvivier, 1945 ; Copie conforme, J. Dréville, 1947 ; Miquette et sa mère, H-G. Clouzot, 1950 ; Lady Paname, Henri Jeanson, id.). Il y a heureusement d’éblouissantes exceptions : Knock, qu’il réalise lui-même avec R. Goupillères en 1933 ; Lévèque de Bedford dans Drôle de drame (Carné, 1937) ; l’espion marchand de pastèques dans Mademoiselle Docteur (G. W. Pabst, id.) ; le déporté qui ne veut surtout pas oublier, dans Retour de Jean, épisode de Retour à la vie (H-G. Clouzot, 1949). Exception aussi, le contrebandier de Ramuntcho (René Barberi, 1938), mais cette fois par manque de couleur et de relief. Louange suprême, on continue de dire un film de Jouvet comme on dit un film de Gabin. Raymond Chirat.
JEAN-LOUIS BARRAULT 1910 - 1994
Acteur, metteur en scène et directeur de théâtre français
Engagé à l’Atelier par Dullin en 1931, il s’y voit confier ses premières mises en scène cinq ans plus tard. En 1931, il rencontre Étienne Decroux, qui l’initie au mime, se lie avec Artaud et le groupe surréaliste et fait ses débuts au cinéma. Il poursuivra dès lors deux carrières, l’une au théatre en compagnie de Madeleine Renaud, qu’il épouse en 1940 et avec qui il fonde six ans plus tard la Compagnie Renaud-Barrault, l’autre au cinéma dont il se désintéressera peu après les Enfants du Paradis. Il est pourtant l’un des premiers à utiliser des projections cinématographiques dans sa mise en scène du Christophe Colomb de Paul Claudel (1953).
Son physique dicte ses emplois : sa maigreur, son regard enflammé le condamnent aux étudiants faméliques, bohèmes de préférence, aux puritains illuminés ou aux grands hommes consumés par un feu dévorant (Bonaparte, Berlioz, Dunant, Louis XI !). Dans ses meilleurs rôles, c’est avec son corps qu’il joue et c’est de lui qu’on se souvient, passant du numéro de mime admirablement expressif des Enfants du Paradis (repris dans le Dialogue des carmélites) aux contorsions grimaçantes d’Opale dans le Testament du docteur Cordelier. Et puis il y a Krantz, le tueur de bouchers de Drôle de drame, où Barrault utilise toutes ses ressources, vocales, faciales et gestuelles, pour donner une manière de quintessence de son art. Jean-Pierre Berthomé.
Élève de Charles Dullin, puis acteur dans la troupe de l'Atelier (1931-1935), il suit les cours de mime d'Étienne Decroux, puis monte quelques spectacles d'avant-garde : Numance, de Cervantès (1937), avec des décors d'André Masson dont il gardera le taureau bucrane comme emblème de sa future compagnie ; la Faim, d'après Hamsun (1939).
Entré à la Comédie-Française (1940), il y crée le Soulier de satin (1943) de Paul Claudel, auteur qui restera une de ses préoccupations constantes de metteur en scène (Partage de midi, 1948 ; Tête d'or, 1959 ; Sous le vent des îles Baléares, 1972).
Avec sa femme, Madeleine Renaud, qu'il a rencontrée en tournant pour Allégret Hélène (1936), il fonde en 1946 une compagnie, installée au théâtre Marigny jusqu'en 1956 puis itinérante, prend la direction du Théâtre de France (1959-1968), crée le théâtre d'Orsay (1972), puis dirige, à partir de 1981, le théâtre du Rond-Point.
À travers l'interprétation d'auteurs classiques (Eschyle, Shakespeare, Molière, Racine) ou contemporains (Beckett, Genet, Ionesco, Duras), il recherche un langage dramatique de plus en plus « corporel » et viscéral, dans la lignée d'Artaud (la Tentation de saint Antoine, 1967 ; Rabelais, 1969 ; Jarry sur la Butte, 1970), sur lequel il réfléchit dans ses essais (Réflexions sur le théâtre, 1949) et ses souvenirs (Journal de bord, 1961 ; Souvenirs pour demain, 1972 ; Saisir le présent, 1984).
Au cinéma, il a interprété notamment Drôle de drame (1937) et les Enfants du paradis (1944) de Marcel Carné. Dictionnaire du Cinéma, Larousse.
DAVID CARRADINE 1936 - 2009
Fils de John Carradine. Il a eu un immense succès à la TV dans la série Kung Fu, ce qui a considérablement obscurci son talent, réel, d’acteur. Il alterne des silhouettes thématiques dans des films inspirés de la bande dessinée (la Course à la mort de l’an 2000, de Paul Bartel, en 1975) et les compositions plus complexes où il excelle : Bertha Boxcar (M. Scorses, 1972), En route pour la gloire (H. Ashby, 1976), l’Œuf du serpent (I. Bergman, 1977), le Gang des frères James (W. Hill, 1980), Rio Abajo (Jose Luis Borau, 1984), Comme un oiseau sur la branche (John Badham, 1990). Il est aussi l’auteur complet d’une œuvre attachante, You and Me (RÉ 1972 ; 1975), qui prouve d’indéniables qualités de cinéaste. Christian Viviani.
BIOGRAPHIE
Fils aîné de l'acteur John Carradine, frère de Keith Carradine et Robert Carradine. David Carradine suit des études musicales au Collège d'Etat de San Francisco et se découvre une vocation de comédien en participant comme musicien aux spectacles de la section d'art dramatique de son université. Il rejoint alors une compagnie de répertoire shakespearien, dans laquelle il acquiert sur le tas les bases de son futur métier.
Après avoir rempli ses obligations militaires, David Carradine travaille comme dessinateur publicitaire à New York puis renoue avec la scène théâtrale en interprétant The Deputy à Broadway et en donnant la réplique à Christopher Plummer dans The Royal hunt of the sun. Fort de ces succès, il retourne à Hollywood pour apparaître dans son premier film, Taggart (1965) de R. G. Springsteen et participer à la série Shane (1966) avant de tenir aux côtés de Barbara Hershey la vedette du premier long métrage de studio de Martin Scorsese, Bertha Boxcar (1972).
La même année, il crée le personnage de Kwai Chang Caine pour la série télévisée Kung fu. Développée à l'origine par et pour Bruce Lee, ce feuilleton connaît un succès instantané, remportant au cours de sa première saison pas moins de sept citations à l'Emmy. Connu du grand public, David Carradine revient au cinéma en incarnant le chanteur compositeur libertaire Woody Guthrie dans En route pour la gloire (1976) de Hal Ashby. Cette prestation lui vaut le prix du National Board of Review et une citation au Golden Globe.
Remarqué par le réalisateur Ingmar Bergman, David Carradine décroche en 1977 le rôle d'un trapéziste juif américain dans L’œuf du serpent. Trois ans après, il retrouve ses deux frères Keith et Robert pour le tournage du Gang des frères James (1980), un western de Walter Hill. En 1981, il s'essaie à la réalisation avec Americana, un drame qu'il interprète lui-même et qui remporte le Prix du public à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes.
Les années 80 sont moins florissantes pour l'acteur qui enchaîne à vitesse grand V des séries B comme Lone Wolf McQuade (1983) avec Chuck Norris, Rio abajo (1984) aux côtés de Victoria Abril ou encore Armed response (1986), où il donne la réplique à Lee Van Cleef. David Carradine renoue temporairement avec le succès en se lançant aux trousses de Mel Gibson dans la comédie d'action Comme un oiseau sur la branche (1990), mais replonge aussitôt dans des productions destinées directement au rayon vidéo. En 2002, Quentin Tarantino lui offre un rôle en or, celui du criminel Bill, chef du Détachement des Vipères Assassines, auquel est confrontée Uma Thurman dans Kill Bill et sa suite, Kill Bill : Volume 2. Il décède lors du tournage de son dernier film, Stretch, réalisé par Charles de Meaux. AlloCiné
DONALD PLEASENCE 1919 - 1995
Son abondante filmographie commence en 1954 avec le Vagabond des îles (Muriel Box). Son hallucinante interprétation du clochard édenté dans The Caretaker (C. Donner, 1963) fait de lui l’un des meilleurs acteurs de composition de son pays. D’un film à l’autre, Donald Pleasence change de visage et de silhouette, mais il se spécialise volontiers dans les personnages excentriques et inquiétants : le mari humilié de Cul-de-sac (R. Polanski, 1966), le traître du Voyage fantastique (R. Fleischer, id.), le trafiquant d’armes du Soldat bleu (R. Nelson, 1970), le surveillant de T.H.X. 1138 (G. Lucas, 1971), le médecin alcoolique d’Outback (T. Kotcheff, id.), le psychiatre diabolique de la Nuit des masques (J. Carpenter, 1978), le président des États-Unis de New York 1997 (id., 1981), l’entomologiste paralysé de Phenomena (D. Argento, 1985). En 1991 il apparaît dans deux productions aussi dissemblables que Dien-Bien-Phu de P. Schœndorffer et Ombres et brouillard de Woody Allen, confirmant ainsi son goût de l’éclectisme et du transformisme. Parmi ses nombreux rôles à maquillage, on retient surtout son étonnante apparition en Himmler dans l’Aigle s’est envolé (J. Sturges, 1976). Raymond Lefèvre, 1995.
Il débute sur les planches en 1939 dans les Hauts de Hurlevent. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il devient membre de la British Old Vic Company de Laurence Olivier et poursuit une carrière théâtrale avant de se lancer dans le cinéma, en 1954, avec le Vagabond des îles (Muriel Box). La Grande Évasion (John Sturges, 1963) lui apporte une renommée internationale. Dès lors, il participe à de grandes productions telles que la Nuit des généraux (1966), On ne vit que deux fois (1967). Il incarnera aussi bien un mari humilié dans Cul-de-sac (Roman Polanski, 1966) qu'un psychiatre diabolique dans la Nuit des masques (John Carpenter, 1978), ou encore le président des États-Unis dans New York 1997 (Carpenter, 1981). C'est en 1991 qu'il interpréta l'un de ses derniers grands rôles dans Ombres et Brouillard de Woody Allen. Dictionnaire du Cinéma, Larousse.
BRAD PITT 1963
Après des études journalisme, il s’oriente vers le cinéma, où se prestance physique, son charme et un talent d’acteur sobre lui valent rapidement le succès, tant public que critique. il avait déjà quelques films derrière lui quand son rôle de dragueur dans Thelma et Louise (R. Scott, 1990) le fait remarquer. Mais c’est son interprétation très mesurée dans le beau film de Robert Redford Au milieu coule une rivière (1991) qui l’a vraiment lancé. Si la jeunesse l’a accepté avec enthousiasme dans le pourtant médiocre True Romance (T. Scott, 1993), il était cependant infiniment meilleur en vampire mélancolique au regard embrumé et aux longs cheveux élégamment ramassés en catogan dans Entretien avec un vampire (N. jordan, 1994). Légendes d’automne (Edward Zwick, id.) a confirmé l’attachement du grand public pour l’image romantique de Brad Pitt. Christian Viviani, 1995.
BIOGRAPHIE
Brad Pitt passe sa jeunesse à Springfield, dans le Missouri, avant de poursuivre ses études à l'université de Columbia où il décroche un diplôme de journalisme. Il s'installe alors à Los Angeles et suit des cours d'art dramatique dans l'atelier de Roy London. Son aisance naturelle et son charisme lui ouvrent les portes de la télévision. On le voit dans des séries telles 21 Jump Street (1987) ou des téléfilms comme Trop jeune pour mourir (1990, avec Juliette Lewis, qui sera sa compagne pendant les trois années suivantes.
Parallèlement, il débute au cinéma dans Neige sur Beverly Hills (1987), puis dans la comédie romantique Happy together (1989). Une chance s'offre alors à lui : William Baldwin ayant renoncé à Thelma et Louise, il hérite en 1991 du rôle bref, mais capital, de l'irrésistible auto-stoppeur qui dévalise Geena Davis.
Dès lors, Brad Pitt alterne les entreprises originales (Johnny Suede, Cool word), avec des œuvres lyriques et romanesques. Sous la direction de Robert Redford, il incarne ainsi le frère du héros de Et au milieu coule une rivière (1992), amoureux de la nature et artiste de la pêche au lancer mais promis à une mort prématurée. Il interprète également le fils préféré d’Anthony Hopkins dans Légendes d’automne (1994) d’Edward Zwick, un rôle pour lequel il obtient une nomination aux Golden Globes. Il est enfin la victime à demi consentante et le compagnon d'errance de Tom Cruise dans Entretien avec un vampire (1994) de Neil Jordan.
Par ailleurs, il tente de casser son image de jeune premier romantique en acceptant des emplois beaucoup moins séduisants, mais lui permettant d'explorer d'autres facettes de son talent : le tueur en série hirsute et crasseux de Kalifornia (1993), le drogué de True romance (1993) ou l'écologiste fou de L’Armée des douze singes (1995). Sa quête constante d'une plus grande complexité l'amène à refuser certains rôles qu'il estime trop schématiques, comme Le Saint (échu finalement à Val Kilmer), au profit de personnages lui permettant d'exprimer des aspects plus sombres de sa personnalité. Seven (1995), de David Fincher, qu'il tourne avec sa nouvelle compagne Gwyneth Paltrow, en fait un policier intrépide et déterminé, mais aisément manipulé par un diabolique assassin. Dans Sleepers (1996) de Barry Levinson, il est un jeune et brillant assistant du procureur qui orchestre sa vengeance contre ses anciens gardiens de prison. Puis, face à Harrison Ford, il incarne un terroriste de l'I.R.A. dans Ennemis rapprochés (1997).
Par la suite, Jean-Jacques Annaud l'imagine en Heinrich Harrar, l'alpiniste autrichien dont la vie fut transformée par ses Sept ans au Tibet (1997) et la rencontre du Dalaï-Lama. Ce rôle lui vaut d'être interdit d'entrée en Chine. L'année suivante, Martin Brest lui propose d'incarner la Mort elle-même, face à Anthony Hopkins, dans Rencontre avec Joe Black. Brad Pitt retrouve ensuite David Fincher pour un film très controversé, Fight club (1999) avec Edward Norton, pour lequel son salaire atteint les 20 millions de dollars. Après Snatch (2000) et Spy game (2001), il retrouve Julia Roberts, sa partenaire du Mexicain, dans Ocean’s eleven (2001), film qui marque son entrée dans le cercle de Steven Soderbergh et George Clooney, et ses suites (Ocean’s 12, Ocean’s 13). Apparu le temps d'un clin d’œil dans la première réalisation de ce dernier, Confessions d’un homme dangereux, Brad Pitt revient en 2004 sur le devant de la scène cinématographique en tenant le rôle du guerrier Achille dans la fresque épique Troie.
Sur le tournage du film d'action Mr and Mrs Smith (2005), il fait la rencontre d’Angela Jolie, avec qui il forme désormais l'un des couples les plus médiatisés de la planète. Il n'en oublie toutefois pas sa carrière d'acteur et remporte en 2007 la coupe Volpi du meilleur acteur à Venise pour son interprétation de Jesse James dans l’Assassinat de Jesse James d’Andrew Dominik. Il se distingue ensuite en alternant les genres : de la comédie avec Burn After Reading des frères Coen au fantastique avec l’Étrange histoire de Benjamin Button, où il retrouve pour la troisième fois David Fincher. Attirant décidemment les réalisateurs prestigieux, il se voit confier l'un des rôles principaux du film de guerre de Quentin Tarantino, Inglourious Basterds. Sept ans après Sinbad pour les studios Dreamworks en 2003, il prête de nouveau sa voix pour un film d'animation, dans le rôle de l'ennemi juré de Megamind. Au printemps 2011, il est à l'affiche du très attendu The tree of Life (Palme d'or au festival de Cannes) de Terrence Malick où il joue le père autoritaire de Sean Penn, puis enfile son survêtement d’entraineur de baseball pour Le Stratège.
Fin 2012, Brad Pitt joue le personnage principal du violent Cogan : Killing Them Softly, un gangster chevronné et pragmatique. Ses films suivants témoignent une fois de plus de son éclectisme puisqu'il se frotte aux zombies dans World War Z, campe un soldat aguerri dans Fury et se livre à une romance avec Marion Cotillard dans Alliés.
Brad Pitt est également fondateur et maintenant seul propriétaire de la société de production Plan B Entertainment, créée en 2002. Il a ainsi produit de nombreux films, dont Charlie et la chocolaterie de Tim Burton (2004), les Infiltrés de Martin Scorsese (2006), Kick-Ass de Matthew Vaughn (2010) ou encore l'oscarisé 12 Years A Slave de Steve McQueen. AlloCiné.
SACHA PITOEFF 1920 - 1990
Fils de Georges et Ludmilla Pitoëff, il a comme eux une longue carrière d’homme de théâtre, ayant joué et monté notamment Ibsen, Synge, Pirandello, Pinter, Gorki et surtout Tchekhov, son auteur et son univers de prédilection. Sa silhouette longiligne, son visage d’ascète et sa voix grave ont été trop peu utilisés à l’écran : par Clouzot dans les Espions (1957), Autant-Lara dans le Joueur (1958), Alain Resnais surtout dans l’Année dernière à Marienbad (1961 ; il y est le maître du jeu, aux allures de spectre), plus récemment Michel Deville, dans le Dossier 51 (1978, sa voix seulement), et Dario Argento, dans Inferno (1979). Claude Beylie, 1995.
Le fils de Georges Pitoëff et Ludmilla est le mari « M », personnage énigmatique, dans le film L'Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais. Il interprète Frédéric Joliot-Curie dans le film Paris brûle-t-il ? de René Clément ou le premier ministre dans Peau d'Âne de Jacques Demy.
Remarquable par son physique émacié et sa maigreur, Sacha Pitoëff avait également une diction singulière et une voix grave qui le conduiront souvent à jouer des personnages inquiétants à la limite de la folie (son physique le rapproche de Laurent Terzieff avec lequel il est souvent confondu). Figure du théâtre parisien des années 1960, il créa sa propre troupe théâtrale avec laquelle il monta des textes de Jean Genet, Ionesco, Hugo Claus, Robert Musil, Anna Langfus, etc., reprit également une partie du répertoire de son père ; Anton Tchekhov notamment La Mouette avec Romy Schneider et Oncle Vania, ainsi que Les Trois Sœurs, au Théâtre de l'Œuvre dans les années 1950. De 1961 à 1967, il dirige le Théâtre Moderne dont il a l’usufruit et où il emploie entre autres acteurs son épouse Luce Garcia-Ville et Romy Schneider. En 1967 il obtient son plus grand succès en jouant et mettant en scène Henri IV de Luigi Pirandello avec Claude Jade dont c'est le premier grand rôle. Au cinéma, il commence sa carrière dans les années 1950 dans le film à sketch de Claude Autant-Lara, Les Sept Péchés capitaux. Il est cantonné le plus souvent dans des seconds rôles d'espions, ou de tueurs comme celui de John Felton dans Les Trois Mousquetaires de Bernard Borderie. On le voit dans les années 1960 et 70 à la télévision française dans La Poupée sanglante de Marcel Cravenne ou dans des seconds rôles dans la série Arsène Lupin. À la fin de sa carrière il joue aussi au cinéma dans des films d'horreur, comme Inferno. Accentuant sa légende d'acteur incontrôlable qui avait su jouer et mettre en scène de façon remarquable « Henri IV » de Pirandello, il souffre de profondes crises dépressives à la fin de sa vie et doit renoncer au théâtre et au cinéma. Sacha Pitoëff a été professeur à l'École d'art dramatique de la rue Blanche (aujourd'hui ENSATT) où il a eu comme élèves Gérard Depardieu, Jean-Roger Milo, Jean-Pierre Thiercelin, Niels Arestrup... Wikipedia.
MICKEY ROONEY 1920 - 2014
Fils de comédiens, il monte sur scène avant l’âge de deux ans et débute au cinéma à six. De 1927 à 1933, il est le héros d’une cinquantaine de courts métrages et adopte le nom de son personnage, Mickey McGuire, qu’il change en 1932 pour celui de Mickey Rooney. Il est un Puck plein de vitalité et d’humour dans le Songe d’une nuit d’été (M. Reinhardt et W. Dieterle, 1935), mais c’est la MGM qui le consacre vedette avec quinze films, où il incarne Andy Hardy de A Family Affair (G. B. Seitz, 1937) à Love Laughs at Andy Hardy (Willis Goldbeck, 1947), un adolescent préoccupé de voitures et de filles mais attaché avant tout aux valeurs familiales. DE 1937 à 12944, il va devenir l’une des vedettes les plus populaires des États-Unis - en 1939, il est en tête du box-office - et sera le symbole de la jeunesse. Il sait tout faire : danser, chanter, mimer, faire rire, charmer. Il sait compenser sa petite taille et sa rondeur par un étonnant dynamisme et une vitalité à toute épreuve. Parmi ses meilleures réussites : Capitaines courageux (V. Fleming, 1937), Des hommes sont nés (N. Taurog, 1938), The Adventures of Huckleberry Finn (R. Thorpe, 1939), la Jeunesse d’Edison (Taurog, 1940), Et la vie continue (C. Brown, 1943), le Grand National (id., 1944). Associé huit fois à Judy Garland dans la série des Andy Hardy, il joue avec elle trois musicals endiablés de Busby Berkeley : Place au rythme (1939), En avant la musique (1940) et Débuts à Broadway (1941). Sa carrière décline après la guerre et il trouve ses meilleurs rôles avec son ami Richard Quine dans une série de comédies militaires et surtout un étonnant petit policier, Drive a Crooked Road (1954), qui annonce à bien des égards la réussite de l’Ennemi public (D. Siegel, 1957), où il est un gangster psychopathe. Citons encore la Rafale de la dernière chance (H. W. Koch, 1959), The Private Lives of Adam and Eve (1960), qu’il co-réalise avec Albert Zugsmith, Diamants sur canapé (B. Edwards, 1961), Skidoo (O. Preminger, 1968), Rachel’s Man (Moshe Misrahi, 1975). Il a dirigé seul My True Story (1951), film dans lequel il n’apparait pas. Marié huit fois, il a eu notamment pour épouses Ava Gardner (de 1942 à 1943) et Martha Vickers (de 1949 à 1951). Jean-Pierre Berthomé, 1995.
BIOGRAPHIE
Mickey Rooney, de son vrai nom Joe Yule Junior, est né à Brooklyn de parents acteurs. D'abord connu sous le nom de Mickey McGuire puis de Mickey McBann, il fait ses débuts à l'écran alors qu'il n'est âgé que de 15 mois. Entre 1927 et 1933, il tourne 50 épisodes d'une série où il joue son propre rôle : Mickey McGuire, rôle qui le rend célèbre aux États-Unis. Dès 1934, il signe un contrat avec la MGM et suit des cours de théâtre dans la célèbre école de Madame Lawlor, réservée aux enfants "stars". Il y rencontre notamment Judy Garland, avec qui il partagera l'affiche à plusieurs reprises. Le jeune Mickey Rooney devient une star du petit écran, et s'impose définitivement grâce à ses rôles de Mickey McGuire et d'Andy Hardy. Son incroyable carrière est lancée.
Le jeune homme joue dans de nombreux longs métrages durant les années trente, mais sa performance la plus remarquée, il la doit au rôle de Puck dans Le Songe d’une nuit d’été de William Dieterle en 1935. Il décroche deux ans plus tard le rôle d'Andy Hardy, dont le premier volet s'intitule La Famille du Juge Hardy, de George B. Seitz. Un personnage qu'il incarnera pendant dix ans.
En 1938, il reçoit un Oscar spécial pour sa "contribution significative à personnifier à l'écran l'esprit de la jeunesse". Le 10 janvier 1941, l'acteur épouse Ava Gardner avec qui il échange un sourire dans la scène finale de Débuts à Broadway de Busby Berkeley. Les deux acteurs divorceront deux ans plus tard. Ava Gardner est la première des huit femmes de Mickey Rooney. En 1938, il joue aux côtés de Spencer Tracy dans Men of Boys Town et poursuit son ascension avec Les Aventures d’Huckleberry Finn de Richard Thorpe, en 1939, où il tient le rôle principal et achève de construire sa renommée avec Le Grand National de Clarence Brown en 1944. L'acteur atteint le sommet de sa carrière pendant la Seconde Guerre mondiale, mais c'est surtout son personnage d'Andy Hardy qui lui permet de rester omniprésent sur le petit écran et dans le cœur du public. Car si le public le chérit, Mickey Rooney rencontre les mêmes problèmes que les autres enfants stars : il a du mal à s'imposer en tant qu'adulte.
Parallèlement au cinéma, il monte, en 1954 son propre show télévisé, "The Mickey Rooney Show" et fait la tournée des théâtres et des clubs jusque dans les années soixante. En 1957, il est L’Ennemi public dans le film de Don Siegel, et joue dans Diamants sur canapé de Blake Edwards aux côtés d’Audrey Hepburn, en 1961. En 1963, il tourne pour Stanley Kramer dans Un monde fou fou fou fou où il retrouve Spencer Tracy et tourne un second film sous la houlette de Kramer en 1977, La Théorie des dominos.
Très actif, l'acteur participe à de nombreux spectacles : télévision, cabaret ou théâtre où il débute en 1979 avec Sugar Babies. Il tourne dans des films aux sujets variés, films d'aventures, films policiers, mais également des films pour enfants, comme Peter et Elliot le dragon en 1977. Mickey Rooney s'essaie au doublage avec, entre autres, Rox et Rouky (1981), de Richard Rich, Les Bisounours (1985), de Arna Selznick et Babe, le cochon dans la ville (1999), de George Miller. L'acteur multi-facette reçoit, en 1983, un Oscar d'honneur pour l'ensemble de sa carrière.
En 1990, la série télévisée L'Etalon noir (1990-1993) le remet sur le devant de la scène. Mickey Rooney fait alors son retour au cinéma, mais dans des seconds rôles, notamment en 1998, dans le film Animals de Michael Di Jiacomo. L'acteur poursuit, dès lors sa carrière, et est en 2007, à l'affiche de La Nuit au musée de Shawn Levy, où il joue aux côtés de Ben Stiller. Il retrouve ce dernier en 2008, dans Tonnerre sous les tropiques. L'un de ses derniers rôles avant son décès, survenu le 6 avril 2014, à l'âge de 93 ans. Laëtitia Forhan, AlloCiné.
PAUL MEURISSE 1912 - 1979
Ses débuts artistiques se situent au commencement de la Seconde Guerre mondiale et, dans son premier film : Vingt-Quatre Heures de perm’ (M. Cloche, 1945, RÉ : 1940), on le voit dans un extrait de son tour de chant. La protection d’Édith Piaf consolide sa situation, il tourne avec elle Montmartre-sur-Seine (G. Lacombe, 1941) et compose un personnage flegmatique, avare de ses sourires et de ses paroles, pince-sans-rire et bon garçon (Défense d’aimer, R. Pottier, 1942 ; la Ferme aux loups, id., 1943). Sa personnalité bien définie, il la modifiera peu dans les années suivantes. Tantôt gangster (Macadam, Marcel Blistène, 1946 ; l’Ange rouge, Jacques Daniel Norman, 1948 ; Impasse des Deux Anges, M. Tourneur, id.), tantôt flic (Inspecteur Sergil, Jacques Daroy, 1947 ; Sergil et le dictateur, id., 1948 ; Sergil chez les filles, id., 1951), il s’accommode de petites comédies, de vagues reconstitutions historiques. Carné le réclame, mais la Fleur de l’âge (1947) reste inachevé. Clouzot lui offre un rôle grand-guignolesque dans les Diaboliques (1954) puis celui d’un ténor du barreau (la Vérité, 1960), et Meurisse y dépense son humour à froid. Il tourne avec Lautner la série des Monocle, qui est une charge contre les films d’espionnage. Franju (la Tête contre les murs, 1958), Duvivier (Marie-Octobre, id.), Renoir (le Déjeuner sur l’herbe, 1959), Carné (Du mouron pour les petits oiseaux, 1962), Melville (l’Armée des ombres, 1969) mettent en valeur son grand talent, qui faisait de lui une vedette du théâtre parisien. Raymond Chirat, 1995.
PIERRE CLÉMENTI 1942 - 1999
Il suit les cours d’art dramatique du Vieux Colombier et joue sur des scènes d’avant-garde. Ses débuts au cinéma sont modestes, et, si Visconti lui donne un petit rôle dans le Guépard (1963), ce n’est que grâce à Bunuel (Belle de jour, 1967 ; il est l’amant sadique de Catherine Deneuve) et à Deville (Benjamin, 1968 ; il est le héros candide que l’on initiera aux jeux de l’amour) qu’il conquiert la renommée. Il est dès lors plus ou moins catalogué dans les personnages insolites ou marginaux, auxquels sa maigreur et son regard confèrent une sorte de présence illuminée. Il retrouve Bunuel (la Voie lactée, 1969) et tourne à nouveau avec des Italiens : Bertolucci (Partner, 1968 ; le Conformiste (1971), Pasolini (Porcherie, id.), Cavani (les Cannibales, 1969), mais aussi avec Glauber Rocha (Têtes coupées) et Milos Jancso (La pacifista, 1971) et des « avant-gardistes » français : Philippe Garrel (le Lit de la Vierge, 1968 ; la Cicatrice intérieure, 1971), Yvan Lagrange (la Naissance, la Famille, id.). On le retrouve, avec la même présence dans Sweet Movie (D. Makavejev, 1974), l’Affiche rouge (F. Cassenti, 1976), la Chanson de Roland (id., 1978), le Pont du Nord (J. Rivette, 1982), Exposed (James Toback, 1983), Il est difficile d’être un Dieu (P. Fleischman, 1990). Il est lui-même l’auteur de quelques films de style underground et psychédélique : Visa de censure (1976), New Old (1979), Soleil (1989) et d’un curieux film de politique-fiction À l’ombre de la canaille bleue (1978-1985). On le retrouve en 1994 dans le rôle principal d’un thriller grec, Présumé suspect (Ipoptos politis), de Stelios Pavlidis. Marcel Martin, 1995.
BIOGRAPHIE ET INFORMATIONS
Né le 28 septembre 1942 à Paris, d'un père inconnu et d'une mère corse dont il porte le nom, devait sa vocation de comédien à un éducateur de la maison de correction où il avait été envoyé à 13 ans, qui lui fit lire et enregistrer des poésies. Pierre Clémenti est l'une des figures les plus marquantes du cinéma contestataire des années soixante et soixante-dix. Il suit tout d'abord les cours de Charles Dullin, les cours d'art dramatique du Vieux Colombier et du Centre de la rue Blanche à Paris, puis fait ses premiers pas au théâtre dans Il faut passer par les Nuages sous la direction de Jean-Louis Barrault, avant de rejoindre la troupe de Marc'O (Les Bargasses, Les Idoles...). Avec ses premiers cachets, il s'offre une caméra avec laquelle il tournera ses propres films, sorte de journal intime filmé qui donnera Ce n'est qu'un début la révolution continue... (1968), Visa de censure, New Old, À l'ombre de la canaille bleue et Soleil, qui fera partie intégrante de sa pièce Chronique d'une mort retardée jouée au Festival d'Avignon et produite par Pierre Bergé. Fidèle à ses convictions, celui qui refuse aussi bien le Satyricon de Fellini que la Prisonnière de Clouzot distribue ses cachets aux clochards et habite une chambre de bonne. Sa carrière d'acteur se déroule sous la direction des plus grands réalisateurs, dans plus de 80 films dont Les Idoles de Marc'O, Le Guépard de Luchino Visconti, Belle de jour de Luis Bunuel, Benjamin ou Les Mémoires d'un puceau de Michel Deville et Nina Campaneez, Le Conformiste de Bernardo Bertolucci, Porcherie de Pier Paolo Pasolini, Le Lit de la Vierge de Philippe Garrel, jusqu'à son dernier film Marrakech Express de Gillies MacKinnon avec Kate Winslet, l'actrice principale de Titanic. Il a également lu de nombreux textes et pièces radiophoniques pour France Culture. Pierre Clémenti est décédé d'un cancer du foie le 27 décembre 1999 à l'âge de cinquante-sept ans en laissant une œuvre fondamentale à redécouvrir. (Source : Folio, Babelio)
LON CHANEY 1883 - 1930
Fils de parents sourds-muets, Lon Chaney dut vite apprendre à s’exprimer avec son visage et son corps. Son frère étant propriétaire d’un théâtre, il devint acteur et finit par tenter sa chance à Hollywood. Il débuta en 1913 et se trouva dans de nombreux westerns, où sa mine patibulaire le limitait aux emplois de traîtres. Il continua dans les rôles subalternes jusqu’en 1919. Cette même année, il fut pour la première fois dirigé par Tod Browning dans The Wicked Darling, et il impressionna dans sa création de faux mendiant difforme dans The Miracle Man (G. Lane Tucker). L’aspect physique du jeu de Chaney, ses contorsions et ses acrobaties frappèrent autant que son masque tragique. Désormais grande vedette, sa carrière se divise en deux parties. À l’Universal, jusqu’en 1925, il fut un acteur de composition, aux limites du fantastique, sans vraiment pouvoir imposer pleinement son univers. On retiendra The Light in the Dark (C. Brown, 1922), Oliver Twist (F. Lloyd, 1922), où il est un sautillant Fagin, Notre-Dame de Paris (The Hunchback of Notre Dame, Wallace Worsley, 1923) et le Fantôme de l’Opéra (R. Julian, 1925), deux honorables superproductions dans lesquelles triomphe son sens absolu du maquillage, et surtout The Penalty (Worsley, 1920), histoire de gangster cul-de-jatte, qui est sans doute son film le plus personnel de cette période. À la MGM, il imposera l’originalité de son univers avec plus de force (Tell it to the Marines, G. Hill, 1927). Outre les films dirigés par Browning (le Club des trois, 1925 ; l’Oiseau noir, 1926 ; la Route de Mandalay, 1926 ; Londres après minuit, 1927 ; L’Inconnu, 1927 ; Le Loup de soie noire, 1928 ; le Talion, 1928), il atteint son sommet dans deux magnifiques mélodrames du cirque : le symboliste Celui qui reçoit des gifles / Larmes de clown (V. Sjöström, 1924) et le pathétique Ris donc, paillasse (H. Brenon, 1928). Si l’on veut bien admettre qu’un comédien n’a pas besoin d’être forcément réaliste, on doit considérer Chaney comme un très grand acteur, au jeu totalement cinématographique, conçu pour le détail et le gros plan. Artiste et poète, véritable créateur, ses interprétations nous entraînent dans une dimension seconde. Sa mort l’a fait entrer dans la légende. En 1930, après son seul film parlant, le remake du Club des Trois (The Unholy Three) de Jack Conway, il est atteint d’un cancer des cordes vocales qui l’empêche de parler. Comme si le destin avait décidé de vouer Lon Chaney au silence. Il est l’auteur de l’article « Maquillage » de l’Encyclopedia britannica. Christian Viviani, historien du cinéma, 1995.
F. MURRAY ABRAHAM 1939
Quand F. Murray Abraham obtint l’Oscar pour sa création magistrale du tragique Salieri, rongé de jalousie et de remords, dans Amadeus (Milos Forman, 1984), beaucoup se sont demandé d’où il sortait. Il avait cependant une carrière cinématographique et théâtrale conséquente : il avait débuté en 1971 et avait déjà joué les seconds couteaux dans Scarface (Brian de Palma, 1983). Depuis, dans le Nom de la Rose (Jean-Jacques Annaud, 1986) ou dans le Bûcher des vanités (Brian de Palma, 1990), il a continué d’afficher la même discrétion et le même talent. Au milieu de prestations toujours inventives, même si le rôle relève du cliché (sombre traître, très souvent, comme dans Last Action Hero, John McTiernan, 1993), retenons le mystérieux professeur d’escrime de Par l’épée (By the sword, J. P. Kazan, 1993), figure d’abord sombre puis émouvante, et toujours discrète, comme F. Murray Abraham lui-même. Christian Viviani, historien du cinéma, 1995.
D'origine arabe, F. Murray Abraham est d'abord un comédien de scène. Il multiplie dans les années 70 les apparitions à l'écran : au cinéma (Les Hommes du président, The Big fix), à la télévision (Kojak) et dans les spots publicitaires (pour Fruit of the loom). Son premier rôle marquant reste celui de l'agent infiltré dans Scarface (1983) de Brian de Palma. Deux ans plus tard, il remporte l'Oscar du Meilleur second rôle masculin pour sa prestation du compositeur Salieri dans Amadeus (1984).
Spécialisé dans les personnages profondément antipathiques, il est le grand inquisiteur du Nom de la Rose (1986), le maire fourbe de New York dans Le Bûcher des vanités (1991),- un film qu'il désavouera par la suite et au générique duquel il refusera d'apparaître -, le chasseur de SDF de Que la chasse commence ! (1994), le Al Capone de Dillinger and Capone (1995) et le machiavélique professeur Cyrus Kriticos de 13 fantômes (2002).
Lorsqu'il se positionne du côté du "Bien", il est le compagnon de cellule de Tom Selleck dans Délit d’innocence (1989) ou le Dr. Gates, à qui l'on doit les créatures de Mimic (1997). Ayant également quelques comédies à son actif, parmi lesquelles Maudite Aphrodite (1995) ou encore Les Muppets dans l’espace (1999), il intègre en 2004 le casting prestigieux du Pont du roi Saint-Louis. AlloCiné.
ALFRED ABEL 1879 - 1937
Après divers métiers, il se consacre au théâtre et, dès 1913, au cinéma sous l’impulsion d’Asta Nielsen. Parmi les nombreux films qu’il a tournés, on ne peut guère retenir que ses collaborations avec Fritz Lang (Docteur Mabuse, Metropolis) et avec Murnau (La Terre qui flambe, Phantom, les Finances du grand-duc). Il y a imposé un personnage élégant et distingué, toujours plein de dignité et d’humanité et souvent condamné à être la victime des méchants. On l’a vu aussi dans l’Argent de L’Herbier et dans le pamphlet antimilitariste la Mort invisible de Mikhaïl Doubson. Il a réalisé lui-même trois films : Narkose (1929), Glückliche Reise (1933) et Alles um eine Frau (1935), où l’on décèle l’influence des grands maîtres avec lesquels il a travaillé, Murnau et Lang.
Marcel Martin, critique et historien du cinéma, 1995.
PATRICK DEWAERE 1947 - 1982
Patrick Dewaere appartient à la génération d’acteurs issue du café-théatre, qui renouvelle le jeu cinématographique, voire la mise en scène chez certains réalisateurs, comme le reconnaît, par exemple, Alain Corneau. Avec Gérard Depardieu, Miou-Miou et quelques autres, il expérimente au café-théatre, à la fin des années 60, de nouvelles approches de la réalité, et restitue les comportements d’une société radicalement transformée. L’irruption de ces acteurs dans le cinéma français, quelques années plus tard, contribuera à l’avènement d’un nouveau réalisme. Patrick Dewaere (qui avait, durant son enfance, déjà tourné plusieurs petits rôles à l’écran) et Gérard Depardieu, après quelques apparitions plus ou moins remarquées, deviennent célèbres, du jour au lendemain, en raison de leur performance dans le film de Bertrand Blier, les Valseuses (1974), qui fixe pour longtemps le stéréotype du loubard de la périphérie urbaine. Cette étiquette leur collera un peu trop longtemps à la peau, avant qu’on ne s’aperçoive qu’ils peuvent faire autre chose et pratiquement tout exprimer de la sensibilité des années 70. Pour cette raison, somme toute sociologique mais aussi à cause du niveau de ses interprétations, on reverra les Valseuses ou bien Adieu poulet, où il donne une image criante de vérité d’un jeune inspecteur de police, F. comme Fairbanks, portrait d’un ingénieur que le chômage et l’indifférence conduisent à la folie, ou Série Noire, transposition, dans la banlieue parisienne des années 80, de l’univers dément de l’écrivain américain Jim Thompson. Patrick Dewaere se suicide en 1982. Michel Sineux, Dictionnaire du cinéma, Larousse, 1995.
Formé au café-théâtre, il a contribué à l'émergence d'un nouveau réalisme et marqué de sa forte personnalité la génération des années 1970 (les Valseuses, B. Blier, 1974 ; Lily aime-moi, Maurice Dugowson, 1975 ; la Meilleure Façon de marcher, Claude Miller, 1976 ; le Juge Fayard dit « le Shérif », Yves Boisset, 1977 ; Série noire, Alain Corneau, 1979 ; Un mauvais fils, C. Sautet, 1980 ; Hôtel des Amériques, A. Téchiné, 1981). Dictionnaire du Cinéma, Larousse.
JEAN-PAUL BELMONDO (1933 - 2021)
Fils du sculpteur Paul Belmondo et d’une mère artiste-peintre. Après une scolarité turbulente marquée par la découverte de la boxe, qu’il pratiquera longtemps en amateur, il est tenté par la carrière d’acteur et passe une audition peu concluante devant André Brunot. Après avoir débuté sur scène dès 1950 avec une tournée dans les hôpitaux de Paris (rôle du Prince de la Belle au Bois Dormant), il prépare le Conservatoire chez Raymond Girard et passe le concours d’entrée en 1951. Il en sortira le 1er juillet 1956, plébiscité par ses camarades de promotion contre le jury, qui ne lui décernera qu’un premier accessit pour Amour et Piano de Feydeau et un second accessit pour Les Fourberies de Scapin.
Son ascension sera rapide, puisqu’en 1960 il devient du jour au lendemain une star grâce à son interprétation de Michel Poicard dans À bout de souffle, qui révèle en même temps au public le critique et cinéaste Jean-Luc Godard. Parmi ses apparitions à l’écran avant cette date charnière, deux titres sont à retenir : À double tour (Claude Chabrol, 1959) où, par sa présence, il vole la vedette aux têtes d’affiche, et Classe tous risques (Claude Sautet, 1960).
Né avec la Nouvelle Vague, dont il est l’une des mascottes, Belmondo modifie l’image rationnelle du jeune premier. Par son physique et par sa technique de jeu, il permet le mélange des genres. Il aborde la tragédie comme la comédie avec une désinvolture où se mêlent indissociablement le cynisme et la sincérité, composantes d’un certain nouveau romantisme, rose ou noir, qu’annonçait un Laurent Terzieff, dans Les tricheurs (Marcel Carné, 1958), où figurait déjà Belmondo. Il semble d’ailleurs pouvoir tout jouer et, jusqu’en 1963, il est sollicité pour collaborer, en France, mais aussi en Italie, avec des cinéastes alors aussi prestigieux qu’Alberto Lattuada (La Novice, 1960), Peter Brook (Moderato Cantabile, 1960), Mauro Bolognini (La Viaccia, 1960), Vittorio de Sica (La Ciociara, 1960), Philippe de Broca (Cartouche, 1961), Jean-Pierre Melville (Léon Morin, prêtre, 1961 ; Le Doulos, 1963 ; L’Aîné des Ferchaux, 1963). L’étendue de son registre est telle qu’on le compare alors à Humphrey Bogart, James Dean, James Cagney, Jean Gabin, Michel Simon ! Un physique unique qui met en cause les canons du charme et de la beauté, des rôles qui soulignent une fragilité existentielle contrastant avec une vitalité anarchique font de Belmondo une étoile unique, un acteur charismatique.
Mais, peu à peu, cette spontanéité créatrice sera cultivée trop systématiquement par l’acteur, qui paraît de plus en plus soucieux de n’en conserver que l’extériorité et de la figer en image de marque. Sa cote lui permet d’intervenir de plus en plus aux divers niveaux de la production des films, dont les artisans (scénaristes, dialoguistes, réalisateurs) sont choisis par affinités, et plus pour pérenniser des modèles ayant fait leurs preuves sur le public que pour explorer des voies nouvelles ou élargir son registre. Pierrot le fou (Jean-Luc Godard, 1965) constitue, de ce point de vue, la dernière audace de l’acteur. Dix ans plus tard, l’échec de Stavisky (Alain Resnais, 1974) semblera le conforter dans sa volonté de se tenir à l’écart de toute nouvelle entreprise expérimentale. Son attitude sera parfois critiquée à cet égard et ses activités de producteur (Cerito films) comparées négativement à celles de son rival Alain Delon. Belmondo se veut vedette populaire et travaille régulièrement depuis 1964 avec des cinéastes (Philippe de Broca, Henri Verneuil, Georges Lautner) et des comédies (la « bande à Bébel ») qui l’aident à broder les variantes d’un stéréotype, résultante souriante mais aseptisée des quelques rôles majeurs qui auront fait son personnage dans les premières années de sa carrière (Classe tous risques, Cartouche, Le Voleur) : alternativement policier ou gangster, simultanément voyou, s »docteur, anarchiste, redresseur de torts. Faux marginal, il incarne en réalité certaines valeurs simplistes et conservatrices d’ordre, de virilité agressive, voire de muflerie bon enfant, dont l’efficacité cathartique sur son public paraît peu contestable si l’on en juge par le succès de Docteur Popaul, L’Héritier, L’Animal, Flic ou voyou, Le Guignolo ou Le Professionnel.
Auteur d’une autobiographie, Trente ans et vingt-cinq films, Belmondo a été de 1963 à 1966 président du Syndicat des acteurs français. En 1987 puis en 1990, il remonte sur les planches dans Kean et Cyrano de Bergerac (mise en scène de Robert Hossein). Michel Sineux.
Il acquiert en 1991 le Théâtre des Variétés qu'il revend en 2004. Au début des années 2000, des problèmes de santé l'ont contraint à se retirer du cinéma et des planches, si l'on excepte un film sorti en 2009. Pour l'ensemble de sa carrière, il reçoit une Palme d’honneur au cours du Festival de Cannes 2011 puis un hommage de l'académie des César pour l'ensemble de sa carrière, lors de la cérémonie des Césars 2017. Wikipédia.
TOSHIRO MIFUNE
1920-1997
ou la conquête de la sagesse Jean-Pierre BERTHOMÉ - POSITIF n°445 - mars 1998
L’occident a découvert Toshiro Mifune en 1951 avec RASHOMON, le premier véritable succès international d’Akira Kurosawa. Rien d’étonnant que sa prestation d’acteur brille d’un éclat singulier dans ce film dont l’action principale ne mobilise que trois personnages d’importance sensiblement équivalente. En bandit de grand chemin violeur et peut-être assassin, demi- nu, hirsute, il exsude une énergie irrépressible, une animalité primitive qui l’opposent en tout point aux êtres socialement contraints qui croisent son chemin. Il n’a alors que trente ans, mais c’est déjà son cinquième rôle majeur pour Kurosawa, à qui il devra le meilleur d’une carrière qui fait de lui le seul acteur japonais depuis Sessue Hayakawa à s’être réellement imposé à l’étranger.
C’est par hasard - il en fait le récit dans un long entretien recueilli par Hubert Niogret pour Positif - qu’il devient acteur après la guerre qui a décimé sa génération. Photographe de formation, il est engagé comme technicien par la Toho, la plus grande société de production cinématographique du Japon, avant d’y réussir - d’extrême justesse, précisera-t-il - un concours de recrutement de nouveaux talents destinés à combler le manque de jeunes comédiens. Presque aussitôt, c’est la rencontre avec Kurosawa qui lui confie l’un des deux rôles principaux de L’Ange ivre (1948). Minable gangster tuberculeux, il s’y oppose avec furie au médecin ivrogne qui veut le sauver malgré lui, et meurt violemment d’avoir voulu reconquérir sa dignité humaine dans un monde inhumain. Son interprétation fiévreuse, extrêmement physique, déjà marquée de nombreux maniérismes et cependant toujours instinctive, proclame à la fois l’inexpérience et la prodigieuse assurance d’un amateur surdoué que Kurosawa prétend avoir renoncé à diriger pour ne pas étouffer sa vitalité : « Je n’avais aucune idée qu’il pouvait faire cela. Ses réactions sont si rapides. Si je lui dis une chose, il en comprend dix. La plupart des acteurs japonais sont l’opposé de cela et je voulais le voir cultiver ce don. »
De leur collaboration exceptionnelle naîtront seize films en autant d’années, seize films d’une étonnante diversité qui épanouissent le talent du comédien jusqu’à ce que, enfin, son chemin se sépare du maître. De la période « contemporaine » des débuts de Kurosawa, il faut retenir surtout Chien enragé et le portrait par Mifune, brûlant d’intensité inquiète, du jeune policier lancé à la poursuite du voleur de son pistolet, partagé entre les deux miroirs que lui tendent le collègue plus expérimenté et le gangster qu’il aurait tout aussi bien pu devenir. Après Rashomon vient une suite quasi ininterrompue de chefs-d’œuvre, le plus souvent en costume, dont le plus éclatant est sans nul doute Les Sept Samouraïs où Mifune incarne avec truculence Kikuchiyo, le faux samouraï recruté pour compléter le groupe et qui forme le lien naturel avec la communauté de paysans qu’il a abjurée.
Après son étonnante composition de Vivre dans la peur (1955 ; il y est un vieillard obsédé par l’angoisse d’une apocalypse atomique), Mifune démontre l’étendue d’un talent désormais discipliné en incarnant avec une sauvagerie hallucinée le Macbeth du Château de l’araignée (1957), puis le général de La Forteresse cachée (1958) qui inverse son personnage des Sept Samouraïs. Cette fois, c’est le vrai samouraï qui se déguise en paysan pour escorter une princesse jusqu’à la sécurité d’une frontière amie, et son jeu, tout en retenue, plein de noblesse et d’humour sarcastique, contraste avec le comique picaresque des deux vrais paysans qu’il a obligés à les accompagner. Après les immenses succès populaires de Yojimbo (1961) et de Sanjuro (1962), puis la rigueur géométriquement tendue d’Entre le ciel et l’enfer (1963), la collaboration des deux hommes s’achève sur un dernier chef-d’œuvre, Barberousse (1965). Dans les trois films précédents apparaissait déjà Tatsuya Nakadai, l’interprète à venir de Kagemusha et de Ran.
Il ne faudrait pourtant pas réduire une filmographie riche de plus de 130 titres à ce que nous en connaissions en Occident ni à cette association privilégiée avec un créateur de génie. Mifune a interprété 22 films pour le seul Hiroshi Inagaki, réalisateur des grands succès que furent les trois épisodes de La Légende de Musashi (1954-1955) ou Le Pousse-pousse (1958). Après avoir contribuer à renouveler le film de samouraï en y introduisant un humour qui lui faisait singulièrement défaut et une primauté de l’individu qui va contre toutes les traditions du genre, il participe à le reconstruction de celui-ci en tournant des films qui contestent violemment l’ordre implacable du bushido comme Samurai Assassin (1965) de Kihachi Okamoto ou Rébellion (1967) de Masaki Kobayashi, voire en prêtant son prestige à ses développements quasi parodiques comme Zato-Ichi et Yojimbo (1970) d’Okamoto ou en réalisant lui-même L’Héritage des 500 000 (1963).
Dès 1961, on l’avait vu en paysan mexicain paillard et ivrogne dans Animas Trujano d’Ismail Rodriguez. Après sa séparation d’avec Kurosawa, il entame une carrière internationale d’une dizaine de films, souvent prestigieux, qui le voient travailler avec John Frankenheimer (Grand Prix, 1966) ou Steven Spielberg (1941, 1979). On n’en retiendra guère - à défaut de sa très professionnelle prestation de samouraï égaré en Arizona face à Alain Delon et Charles Bronson dans Soleil rouge (Terence Young, 1971) - que sa superbe présence dans Duel dans le Pacifique (1968) de John Boorman, fable inspirée où il dispute à Lee Marvin la maîtrise dérisoire d’un îlot désolé. On n’a vu que récemment en France son dernier film, La Mort d’un maître de thé (1989) de Kei Humai. Il y faisait preuve d’une noblesse grave qui met un beau point final à une carrière d’exception.
EDWARD G. ROBINSON
« The little man »
PIERRE EISENREICH
POSITIF n°473-474 - juillet-août 2000
Aborder ce domaine secret qu’est l’interprétation de l’acteur et son activité intérieure demande d’apprécier des points de vue, que le cinéma tente de rendre indissociables. On le sait, la construction d’un personnage repose sur l’expression individuelle de l’acteur, que doivent simultanément diriger et enregistrer le réalisateur et sa caméra. Quel est alors le réel apport de l’acteur vis-à-vis de son metteur en scène, et vice versa ? Il demeure très difficile de l’établir si ce n’est au moyen de témoignages, généralement rares du fait du caractère intime de cette collaboration. Une autre solution est à priori envisageable pour comprendre ce travail artistique : il suffit d’écouter sa sensibilité de spectateur pour éprouver les différents registres sensoriels convoqués par le comédien pour l’existence du personnage. À partir de cet instant, on peut expliquer, en partie, les options de mise en scène, sachant qu’elles ne se bornent pas uniquement à un choix d’échelle de plan ou de mouvement de caméra, mais font aussi intervenir le costume, la coiffure, les accessoires, l’éclairage, l’intonation de la voix, etc. Voyons comment cette exploration peut dévoiler quelques techniques appliquées par un acteur tel qu’Edward G. Robinson (1893-1973 ; né Emmanuel Goldenberg, à Bucarest, Roumanie). La description de son jeu se limitera à quelques films de sa riche et exceptionnelle carrière, et permettra de révéler différents styles appartenant à des cinéastes qui, pour la plupart, sont considérés à juste titre comme des maîtres du septième art.
Une des interprétations les plus emblématiques de Robinson fut celle de Barton Keyes dans Assurance sur la mort (1944) de Billy Wilder, non pas pour son assiduité dans le film (il avait un second rôle), mais pour la compréhension qu’a eu Wilder de sa technique d’acteur. Selon le biographe Alan L. Gansberg : « Bien que sa (petite) taille fut un problème pour Wilder, qui ne souhaitait pas minimiser la stature de Robinson, aucun angle de caméra ne pouvait contenir son interprétation de Barton Keyes. Il dominait chaque plan où il apparaissait. » L’astuce employée par le cinéaste fut de prier sur la grande clarté du jeu de Robinson, pour lui laisser dédoubler son personnage et intensifier ainsi sa présence. Afin d’incarner cet inspecteur de compagnie d’assurances, Robinson eut d’abord recours à un sens fortement évocateur : le goût. Son personnage, ulcéré par les doutes qu’occasionne son enquête, ne cesse de nommer « le petit homme » qui se réveille en lui, métaphore de son intuition douloureuse et illustration de ce goût amer qu’il entretient avec les nombreux cigares qu’il fume. L’omniprésence de cet être intérieur devient encore plus représentative grâce à la chaînette d’une montre pendant des deux poches de son gilet. Le bijou, qui semble sortir de son ventre, rythme les mouvements de ses gestes et donne l’impression d’équilibrer son dédoublement, comme si le corps de Keyes était le balancier d’une pendule avalée, qui oscille entre sa conscience et le monde extérieur.
Ce procédé métonymique, fruit d’un rare souci du détail, coutumier des grands cinéastes, demande bien sûr à ces derniers de connaître parfaitement les potentialités et la personnalité de leurs acteurs. Il semble que John Ford, avec Toute la ville en parle (1935), ne se soit pas contenté de cette exigence, comme on le verra, mais ait intégré à sa mise en scène le personnage mythique de Rico, créé par Robinson dans Le Petit César. Cet hommage paraît amplement justifié lorsqu’on apprend que l’acteur fut le véritable créateur de Rico, qui marquera et influencera à jamais le genre policier et la représentation du gangster, au même titre que James Cagney dans L’Ennemi public (1931), également produit par Warner Brothers. Au départ, le personnage de Rico n’était pas destiné à Robinson, à qui l’on réservait un second rôle (celui d’Otero, finalement attribué à George E. Stone). Il « débarqua » dans le bureau du principal collaborateur de Jack Warner. « Devant Wallis, Robinson, le cigare à la main, fulminait et rageait, usant d’un accent de la rue, à travers sa diction théâtrale habituellement impeccable. L’homme qui se tenait devant Wallis était le Petit César (Robinson portait un pardessus noir, un feutre mou et une écharpe de soirée blanche). » Sous la direction de Mervyn LeRoy, il inventa un prototype de héros moderne, issu d’une image tragique du self-made-man américain. Le Petit César raconte l’ascension sociale d’un petit truand et sa chute. On y reconnaît déjà plusieurs thèmes qui intéresseront plus tard Lang et Hawks : l’idée d’un homme qui réclame sa propre justice, refusant tout fatalisme, et celle d’un personnage animé par une telle volonté de puissance qu’il ne peut plus aimer les femmes, par peur de céder à sa libido, au point de dévoiler une homosexualité latente.
Mais l’interpétation de Rico permet surtout d’observer l’avènement d’un style de jeu qui marquera des acteurs tels que Lee J. Cobb et Al Pacino. La scène où Rico vient se présenter au caïd Vettori (Stanley Fields) offre la possibilité de comparer deux techniques d’acteur. D’un côté, la forte expressivité de Stanley Fields témoigne de son héritage du muet ; face à Rico, il éprouve bien un sentiment de peur sans pour autant lui donner une réelle intensité ; il montre plus qu’il ne vit. De l’autre, Robinson emprunte une technique d’intériorisation qui lui permet d’exprimer soudain un sentiment avec une très grande violence. Cette technique s’adapte autant à une scène dialogue qu’à une scène muette lorsque l’acteur doit « habiter » son regard. Rico a beau voir pour la première fois Vittori, déjà il le hait. Robinson n’est pas démonstratif, bien que sa haine intense transparaisse dans ses yeux. La présence de son sentiment se fonde sur une détestation totale de Vettori à cause de son apparence (la vue et le toucher), parce qu’il doit puer (l’odorat), que sa voix est désagréable (l’ouïe), et qu’il est révulsif de l’embrasser ou de le lécher (le goût). Ayant à l’esprit tous ces registres sensoriels, passant de l’un à l’autre avec une très grande rapidité, Rico apparaît gonflé d’une énergie intérieure qui le transforme en boule de nerfs. Ce mouvement rotatif des différents sens fantasmés s’appelle la motilité. Certains acteurs, tels Clint Eastwood, Mickey Rourke ou encore Christopher Walken, en ont fait leur spécialité. Cette technique fonctionne aussi avec un sentiment d’attirance pour traduire l’état amoureux ; elle peut être modérée pour jouer l’amitié ou bien annulée pour évoquer l’indifférence.
Avec Toute la ville en parle, Ford s’est véritablement inspiré de Rico pour construire le personnage de Mannion, un caïd, sosie d’un petit employé dénommé Jones. Robinson incarne les deux rôles et a conservé quelques tics du Petit César pour jouer le gangster : une élocution nerveuse et laconique, un index dégainé comme un révolver vers son interlocuteur. Ford y propose une réelle réflexion sur l’image de Robinson en tant que personne physique confrontée à une célébrité qui le dépasse. Il n’hésite pas à se servir de la laideur (séduisante) de son acteur, pour filmer une identité menacée par la médiatisation d’une image criminelle. En effet, Jones est confondu avec Mannion. Ford insiste sur les traits avachis du visage de Robinson. Sa mollesse apparente semble être maintenue par sa paire de lunettes. Lorsqu’il observe son reflet dans le pupitre de sa machine à écrire, son image fond littéralement pour s’aplatir et transformer son visage en un rictus haineux, copiant le portrait de Mannion publié dans le journal. Dans la scène d’inauguration, un bain fumant attendait déjà Jones, prêt à le « liquéfier ». La mise en scène de Ford s’est avant tout construite à partir de la physionomie de Robinson pour, dès le début du film, annoncer la destruction possible de l’intégrité de son personnage.
Cette forme d’altération corporelle captiva également Delmer Daves Hawks et Walsh. Avec La Maison rouge (1947), Daves offrit à Robinson le rôle d’un fermier hanté par un crime commis quinze ans auparavant, dans une forêt dont il est le propriétaire. Sa lutte meurtrière l’a gratifié d’une jambe de bois, comme si cette prothèse était le morceau d’un arbre, témoin de son meurtre. La mise en scène de Daves maudit et culpabilise le personnage de Pete Morgan, dont l’interprétation de Robinson sera le point névralgique du film. On reste admiratif devant un rôle capable d’évoquer une telle poétique de l’espace. Le regard halluciné de Pete n’est que la projection de forces destructrices qui sévissent autour de sa ferme. Le jeu de Robinson contient alors toute l’atmosphère tragique et semble justifier les différents choix de décor, comme s’ils étaient l’incarnation de ses angoisses et de ses pulsions meurtrières. Hormis Peter Lorre dans la fameuse scène du procès de M le maudit, on a rarement vu une interprétation aussi intense d’un être terrassé par son inconscient. Cette parenté avec l’acteur d’origine hongroise reste d’ailleurs très marquante, au point qu’un cinéaste tel que Raoul Walsh ait confondu dans ses souvenirs Robinson et Lorre à propos de L’Entraîneuse fatale (1941). Ce très beau film de Walsh épouse exactement la structure dramatique du Harpon rouge (1932) de Hawks. Robinson y incarne, dans ces deux œuvres, un homme qui, à la suite d’une blessure - métaphore de la perte de sa virilité -, se marie par convention à une femme trop belle pour lui. Sa vie conjugale tourne alors au drame. La claudification de Hank (L’Entraîneuse fatale) et le crochet de Mascarenhas (Le Harpon rouge) sont la condamnation de la libido de ces deux rustres qui ont considéré les femmes comme un faire-valoir social et érotique. Avec l’interprétation volubile de ces deux personnages, mais surtout celle du Portugais Mascarenhas, Robinson annonçait sa formidable prestation dans La Maison des étrangers (1949) de Mankiewicz. Son rôle de patriarche sicilien émigré aux États-Unis, devenu un banquier opulent, est déjà précurseur de tous les rôles de parrain de la cosa nostra (y compris le Vito Corleone joué par Brando) qui inspireront tant Coppola et Scorsese. Mankiewicz a osé donné toute son importance à la sensualité du personnage de Gino Monetti. Comme avec Huston pour Key Largo (1948), Robinson apparaît pour la première fois dans son bain, aussi à l’aise dénudé que dans son costume trois-pièces. Ces deux derniers cinéastes n’ont pas oublié l’animalité particulièrement forte que pouvait incarner cet acteur, capable de devenir simultanément un homme très cultivé, à l’instar du cinéaste Maurice Kruger dans Quinze jours ailleurs (1962), ou du secrétaire d’État Carl Schurz dans Les Cheyennes (1964).
À l’opposé de cette truculence, Robinson a accepté avec Welles et Lang d’aborder le registre d’un non-jeu. Le Criminel (1946), La Femme au portrait (1944) et La Rue rouge (1945), favorisent tellement la focalisation zéro du récit, c’est-à-dire le point de vue omniscient du cinéaste sur des personnages ignorant leur destinée, que Robinson s’est visiblement plié à une direction qui gomme les reliefs émotionnels. Dans Le Criminel, Wilson, son personnage de détective opérant pour la Commission d’enquête des crimes de guerre, sert de pivot au récit d’espionnage et agit comme un observateur qui tente de masquer les plus longtemps possible son identité. Son jeu, en apparence distant, feint génialement la myopie dans une épicerie, dont la vitrine permet de surveiller toute la ville, Robinson y démontre une froideur scientifique qui a mesuré toute l’horreur instrumentalisée des nazis.
Lang, dans La Rue rouge mais surtout dans La Femme au portrait, réduit Robinson à un élément de sa mécanique implacable, celle d’une réalisation totalement vouée à un enchaînement de cause à effet. Richard Wanley et Chris Cross peuvent toujours s’émouvoir de leur cauchemar ou de leur passion tragique, le spectateur, quant à lui, reste terrifié par leur situation d’impuissance. Et ce n’est rien, quand on imagine comment fut grande l’humilité de Robinson pour avoir accepté, avec ces deux protagonistes, ce fameux système de mise en scène ! C’était sans doute, là, la principale qualité de cet acteur hors norme, celle qui révèle un peu plus l’homme masqué par son noble métier.
ROBERT MITCHUM
1917-1997
Le phénomène de l’invisible par MICHEL CIEUTAT
Positif n °441 - novembre 1997
S’il est un acteur qui fut exceptionnel dans l’histoire du cinéma américain de l’après-guerre ce fut bien Robert Mitchum. Exceptionnel par son physique et son jeu découlant directement de ce dernier, exceptionnel par sa thématique singulière car fondée sur une série d’antinomies, exceptionnel également par son comportement d’ « utopiste anarchique », selon son expression, au sein de l’industrie hollywoodienne.
Un physique ambigu. Grand (1,85 m) et d’allure massive (90 kilos), se tenant toujours très droit, le torse bombé, la démarche lente mais sûre, il appartenait manifestement à cette catégorie de héros positifs dont John Wayne demeure encore aujourd’hui le plus symbolique représentant. Mais son visage au profil gréco-romain, contrarié par un nez brisé, des joues relativement émaciées, une fossette à la Kirk Douglas perdue au milieu d’un menton en galoche, une lèvre supérieure quasi absente et surtout des yeux souvent mi-clos lui conféraient un air moins orthodoxe, qui avait été jusqu’à lui valoir le qualificatif de « monstre » de la part de ses premiers employeurs. Doté, en outre, d’une belle voix de baryton (dont il dut rehausser le niveau pour en atténuer les résonances inquiétantes), Mitchum présentait donc des atouts morpho-psychologiques contradictoires qui allaient lui permettre de forger un personnage ambigu, très vite en parfaite harmonie avec l’Amérique de son temps.
Mais, plus que sa thématique, c’est surtout son style de jeu qui allait rapidement le démarquer de ses aînés et contemporains, et en faire une star d’exception. Naturellement lent et paresseux, d’une décontraction à toute épreuve, Mitchum se déplaçait, s’exprimait et regardait d’une manière quasi monolithique. Rien dans son comportement n’était jamais ajusté, affecté ou appuyé. En toutes circonstances il paraissait juste. Son jeu était d’une telle sobriété que certains de ses réalisateurs reconnaissaient volontiers qu’il fallait parfois « le pousser » à en faire un peu plus pour que ses personnages continuent de conserver leur exceptionnalité (cf. les propos de John Huston et de Sydney Pollack à son sujet). D’autres croyaient même qu’il ne faisait rien, comme Richard Fleischer qui, demandant à Mitchum, sur le tournage de Bandido Caballero (1956), de lui fournir une réaction en gros plan, ne put admettre que son interprète la lui avait effectivement donnée qu’en visionnant les rushes ! Indolent au possible, mais professionnel jusqu’au bout des ongles, il ne croyait qu’en la spontanéité (il n’aimait pas répéter), le jeu naturel, instinctif (il détestait les metteurs en scène - qu’il qualifiait d’acteurs frustrés - qui lui disaient quoi penser, ainsi que tous ses partenaires qui étaient passés par la Méthode. Il pensait que son métier n’était qu’un « job » parmi d’autres, qui lui permettait agréablement de nourrir sa famille, de voyager gratuitement et distraire les spectateurs. Robert Mitchum n’a par conséquent jamais « joué » un seul de ses rôles. Il n’a fait qu’être lui-même en respectant les limites de sa crédibilité personnelle à l’écran. « J’ai tout joué, aimait-il dire, à l’exception des nains et des travestis ! »
Une filmographie inégale. Sans vocation particulière (il vint au cinéma parce que jouer sur scène avec sa sœur lui avait laissé auparavant un bon souvenir), il accepta un nombre considérable de rôles pour des raisons généralement non artistiques, plutôt par soumission (sous contrat pendant dix ans à la RKO où il fut vite typé, il ne sut jamais dire non à Howard Hugues) et facilité (ayant créé sa propre compagnie, DRM Production, en 1955, il ne produisit jusqu’en 1960 que des films de série et d’autres guère plus originaux, jamais par souci culturel. Mitchum d’ailleurs fuyait quiconque osait s’enquérir de ses techniques de jeu, de ses états d’âme sur un métier qu’il avait toujours refusé de prendre au sérieux. Non parce qu’il était insensible au domaine artistique, mais parce qu’il rejetait tout milieu reposant sur des effets artificiels de représentation. Jouer, disait-il volontiers, est « une profession ridicule et humiliante ». En revanche, il avait un goût prononcé pour l’écriture - il a pratiqué la poésie toute sa vie, secrètement - qui l’amena à rédiger une histoire dont il tira (avec James Atlee Phillips et Walter Wise) le scénario de La Route de la fraude (Arthur Ripley, 1958) et assura aussitôt la production une fois libéré de la RKO. Il s’intéressait de même au chant et interpréta des chansons dans six de ses films. En 1957, il signa un contrat chez Capitol Record qui lui fit rencontrer le succès (on le compara à Bing Crosby) avec, entre autres titres, « Calypso I Like So ». Mais ces penchants n’étaient avant tout que des distractions, ses ambitions artistiques n’ayant jamais dépassé le stade de l’amateurisme éclairé ou celui du passage à l’acte professionnel éphémère.
Sur les quelques cent vingt-cinq films qu’il a interprétés, l’histoire du cinéma n’en retiendra donc qu’un petit nombre. Un seul d’entre eux est devenu un classique : La Nuit du chasseur de Charles Laughton (1955), le film fort justement préféré de l’acteur. Une trentaine d’autres resteront cependant dans les mémoires. Un bilan peut-être court en œuvres de qualité, mais qui s’équilibre parfaitement quand on ne considère que la seule prestation de l’acteur, car nombreux sont les films de piètre qualité où Mitchum nous sort de la torpeur par sa seule présence, toujours à la fois imposante et discrète (voir la dernière scène du Jour le plus long, due à Anfrew Marton, 1962, où il se rend compte, l’espace d’un équarquillement d’yeux et contrairement à ce qu’il redoutait, qu’il a bien encore un cigare dans sa poche : il y a là du génie dans son timing naturellement dosé et dans sa mimique pratiquement keatonnienne !).
Un personnage au-delà des normes. Grâce à son physique ambigu, un corps tout en puissance surmonté d’un visage au regard attentionné (il tient sa tête souvent penchée vers la droite), inquisiteur (il affiche des petits yeux qui peuvent être foudroyants) autant qu’indolent (ses lourdes paupières lui donnent un air éternellement peu concerné), Mitchum a très vite excellé dans les rôles de personnages marqués par le destin pour avoir œuvré de manière négative ou mystérieuse dans le passé. Il est donc précocement devenu celui qui ne pouvait plus être pour avoir commis l’irréparable. Ainsi, ses erreurs passées nuisaient considérablement à ses nouveaux objectifs. La fatalité pouvait réduire au néant ces derniers. Il fut aussi fort logiquement, à plusieurs reprises, un faux coupable qui éprouvait beaucoup de mal à se disculper.
Fatalisme qui se manifesta sous plusieurs formes de comportement, toutes aussi pessimistes les unes que les autres. Il apparut tel un solitaire désabusé, enclin à l’alcoolisme et surtout au cynisme (une douzaine de rôles, dont celui des Indomptables de Nicholas Ray, 1952). Il afficha régulièrement son insatisfaction, sa lassitude, sa foi en le relativisme, et cela jusqu’à son ultime prestation majeure sur le grand écran (Dead Man de Jim Jarmusch en 1995), s’adonnant facilement à l’errance, aux choix incertains. D’où, de temps à autre, ses rencontres précipitées avec la mort, comme dans Le Médaillon de John Brahm, 1946 (il s’y suicide)...
Une imagerie propre à l’après-guerre qui était celle aussi d’un Burt Lancaster, d’un Kirk Douglas, celle d’un pionnier qui avait perdu sa quête et qui ne pouvait accepter l’idée qu’il ne la retrouverait plus dans les décennies à venir. Il était celui qui devait porter le poids de la victoire des Forces alliées acquise au prix d’atrocités (Dresde, Hiroshima). Il devait par conséquent faire pénitence en souffrant, tout d’abord au combat, puis, plus tard, quand l’heure de la difficile réinsertion dans la vie civile sonnait (Amoureuse, Edward Dmytryk, 1946 ). Pour les mêmes raisons, il dut subir des rossées masochistes (Fini de rire, John Farrow, 1951) qui se répétèrent lorsque l’Amérique des années soixante-dix sembla entamer son déclin. Son amertume le fit parfois changer de camp à l’heure où les tirs se devaient d’être réajustés (Les Combattants de la nuit, Tay Garnett, 1960). Son désarroi l’amena alors en toute logique à louvoyer entre le Bien et le Mal (L’Enfer des tropiques, Robert Parrish, 1957), se laissant aller plusieurs fois au mal absolu (Les Nerfs à vif, Jack Lee Thompson, 1962), parfois même en falsifiant les apparences (cf. ses quatre hommes d’église fort peu recommandables dans La Nuit du chasseur, Cinq Cartes à abattre (Henry Hattaway, 1968), La Colère de Dieu (Ralph Nelson, 1972) et The Conspiracy de Stanley Kramer, 1985). Aspect très noir de son personnage qui, associé à celui très libertaire de sa vie privée, surexploité par la presse, contribua beaucoup à sa popularité. Avant William Holden, il fut la première grande incarnation du « Vilain Américain », celui qui, de plan Marshall en guerre de Corée, manipulait trop les affaires des autres, remettant en cause l’image pure de son pays jusqu’ici perçu comme messianique.
Image pure et forte qu’il véhicula avec le même manque d’emphase que dans ses emplois moins conventionnels. En effet, il fut aussi un chef de file, un « leader » efficace : West of the Pecos d’Edward Killy en 1945, L’Aventurier du Kenya (au titre original - Mister Moses - des plus significatifs) ou La Route de l’Ouest d’Andrew McLaglen en 1967. Il interpréta des médecins dans Voyage sans retour (John Farrow, 1950), La Sorcière blanche (Henry Hathaway, 1953), She Couldn’t Say No (Lloyd Bacon, 1954) et surtout dans Pour que vivent les hommes de Stanley Kramer en 1955, dans la grande tradition américaine de l’occultation de la mort.
Attitude constructive que l’on retrouve dans ses personnages de détectives (Le Grand sommeil, Michael Winner, 1978), et plus particulièrement dans ceux qui en toutes circonstances sont à la recherche de la vérité, une vérité qui, politiquement, était celle des libéraux dénonçant l’antisémitisme (Feux croisés, Edward Dmytryk, 1947) et le droit de vivre des minorités ethniques.
Ultime image, celle de la virilité. Sans pouvoir d’argent manifeste, Mitchum a très souvent compensé ce manque d’attrait matériel par la séduction physique. Preuve en fut donnée d’une quadruple manière par les responsables de son iconographie. Tout d’abord, dès qu’il devient une vedette, comme il se devait à Hollywood, le « love interest » lui fut imposé comme repos du guerrier, de Lame de fond (Vincente Minelli, 1946) à Yakuza (Sydney Pollack, 1975). Ensuite les producteurs de la RKO, puis leurs successeurs décidèrent de renouveler presque systématiquement ses partenaires féminines de film en film (il joua effectivement rarement avec la même actrice en cinquante-trois ans de carrière : deux fois avec Angie Dickinson, Rhonda Fleming, Jane Greer, Susan Hayward, Rita Hayworth, Shirley MacLaine, Sarah Miles, Jane Russell et Teresa Wright ; trois fois avec Deborah Kerr et Jean Simmons, ce qui lui octroya le privilège de se retrouver en face de vingt-sept autres comédiennes), cela afin d’augmenter et de conserver intact son pouvoir « sexy » à travers le temps. Enfin, par opposition à son côté romantique vulnérable, on lui donna aussi maintes occasions d’être brusque, voire violent avec les femmes, comme dans La Nuit du chasseur, Les Nerfs à vif ou Cérémonie secrète (Joseph Losey, 1968). Cette dernière dimension, quasi animale, lui valut aussi l’obligation ici et là d’exhiber ses puissants pectoraux (Passions sous les tropiques, Rudolph Maté, 1953). Manière efficace de le démarquer d’un John Wayne et de le rapprocher d’un Errol Flynn, autre on-conformiste notoire.
Un colosse rusé. Séducteur triomphant, Mitchum a cependant été plusieurs fois la proie des femmes à une époque où, après leur avoir confié des rôles prépondérants durant la Seconde Guerre mondiale, celles-ci devaient, selon les producteurs, voir leur pouvoir diminué une fois le conflit achevé. Mitchum, comme Lancaster ou Clift, fit les frais de cette nouvelle politique misogyne dans des films comme Un si doux visage et, plus tard, Madame Croque-Maris (Jack Lee Thompson, 1964) où il est détruit par ses compagnes. Dans d’autres comme Dieu seul le sait (John Huston, 1957), il les protège au point de s’aliéner son besoin d’indépendance légendaire. De ce fait, il devenait, vulnérable sentimentalement après l’avoir été physiquement. D’où sa forte dimension moderne qui lui permettra de perdurer.
Colosse au pied et au cœur d’argile, Robert Mitchum avait tendance à attirer la violence, puis éprouvait de nombreuses difficultés à s’en débarrasser, à l’image même de son pays condamné à être belliqueux au nom de la Liberté et de la Démocratie en danger dans le monde. Il n’était en fait rien d’autre qu’un survivant aux amères victoires, en particulier sur le plan militaire où elles étaient laborieuses et dont il ne tirait aucune fierté (Torpilles sur l’Atlantique,Dick Powell, 1957), des victoires qui se révélaient être de simples soulagements. D’où son air constamment las, celui du héros fatigué, ou plutôt, dans son cas, de l’anti-héros usé. Mitchum, des Forçats de la gloire (William A. Wellman, 1945) à Dead Man, incarna l’archétype de l’Américain qui se rendit progressivement compte que son pays avait atteint son apogée au milieu du XXe siècle, et qui dès lors ne pourrait plus que difficilement se maintenir à ce niveau-là. D’où cette autre image du chasseur chassé qui caractérisa Mitchum assez régulièrement. Traqueur d’animaux (Massacre pour un fauve, Phil Karlson, 1963) ou d’hommes (La Nuit du chasseur, Les Nerfs à vif...) il était tout aussi souvent recherché par d’autres, à tort ou à raison. Et il lui arrivait même d’être les deux à la fois, comme dans La Griffe du passé et Torpilles sous l’Atlantique, la chasse ou le fait d’être chassé représentant sans nul doute cette quête incertaine de soi - comme il le disait d’ailleurs dans Celui par qui le scandale arrive : « Ce que l’homme s’en va chasser ,c’est lui-même » - sans, la plupart du temps, y parvenir pleinement. D’où, peut-être, ce recours à cette autre quête, celle qui fait entrer Robert Mitchum dans l’histoire du cinéma et le situe aux côtés de William S. Hart, Buster Keaton, Greta Garbo, Alan Ladd et aujourd’hui, Bronson, Eastwood, Stallone et Schwarzenegger, celle de ces acteurs au visage volontairement peu expressif, qui en appellent à une participation active des spectateurs afin qu’ils puissent saisir cette vérité intérieure qui leur échappe. Une expression de l’invisible qui, paradoxalement, débouche sur le phénoménal. Robert Mitchum fut l’un des maîtres en cette matière insaisissable. D’où, très certainement, son sempiternel laconisme sur sa profession, et ses trois aphorismes, parmi de nombreux autres, que nous nous permettons de juxtaposer en hommage à cette magnifique humilité mitchumienne : « On ne me fera jamais croire qu’il puisse exister quelque chose comme un grand acteur », car « le plus difficile sur un plateau, c’est de trouver une chaise » pour « une vieille pute (qui) ne baise pas pour le plaisir ! »
BRUCE LEE
Nom de naissance : Lee Jun Fan
Pseudos : Little Dragon Lee, Siu-Lung Lee
Nationalité : Américain
Né le 27 novembre 1940 (San Francisco, Californie, USA) Mort le 20 juillet 1973 à l’âge de 32 ans (Hong Kong)
Né à San Francisco, c’est pourtant à Hong Kong que Bruce Lee passe son enfance. Dès son plus jeune âge, il apparait dans les films de son père, modeste comédien, mais n’y voit pas alors une vocation, et préfère se consacrer à l’apprentissage des arts martiaux. Au cours de son adolescence, il tombe dans la petite délinquance et fréquente des gangs de quartier. Inquiète des mauvaises influences qui l’entourent et des répercussions sur son avenir, sa mère décide de l’envoyer aux États-Unis pour continuer ses études.
A Seattle, Bruce Lee se passionne pour la philosophie et continue de pratiquer les arts martiaux, créant même sa propre école fondé sur un style qu’il a développé lui-même. Il participe alors à de nombreux combats et subit de graves blessures qui l'affecteront physiquement. Abandonnant la compétition, il se plonge alors à corps perdus dans la lecture d’écrits théoriques pour perfectionner ses connaissances. Ses apparitions dans des représentations et le succès de son école attirent alors l’attention des producteurs d’Hollywood et, après plusieurs apparitions dans des séries, il décroche enfin un rôle important : celui de Kato dans la série Le Frelon vert, adaptée d’un feuilleton radiophonique. Le feuilleton ne rencontre pas un gros succès (une saison à peine), mais permet au comédien débutant de crever l’écran, et de se faire connaître. Désirant faire carrière au cinéma mais conscient qu’il lui sera très difficile d’obtenir des rôles principaux en Amérique, il décide alors de retourner en Chine.
Repéré par le célèbre producteur Raymond Chow, il décroche alors le premier rôle de Big Boss, dans lequel il incarne un jeune immigré confronté à la mafia locale en Thaïlande. Ce premier essai porte déjà l’empreinte du style de Bruce Lee, dont le style de combat porte vers le haut ce long-métrage à petit budget. Pourtant, le résultat final ne lui convient pas, et il s’oppose à plusieurs reprises au réalisateur Wei Lo lors des prises de vue. Les deux hommes collaborent pourtant à nouveau sur La Fureur de Vaincre, non sans que l’acteur ne se soit assuré d’un contrôle artistique, en supervisant notamment les chorégraphies des combats. Le film en lui-même remporte un succès immédiat et est depuis considéré comme culte. Bruce Lee devient alors une star.
Dès lors, les propositions se multiplient et lui permettent de développer ses propres projets. Avec La Fureur du dragon, il écrit, joue et met en scène, tout en supervisant les chorégraphies. Dans ce nouveau film, il démontre de nouveaux aspects de son talent, notamment pour les situations comiques tout en s’assurant de choisir les meilleurs angles pour mettre en valeur son style unique de combat. Dans une scène d’anthologie, il affronte un jeune occidental alors inconnu du grand public, un certain Chuck Norris qui aura par la suite la carrière qu’on lui connait. C’est à nouveau un succès qui permet à Bruce Lee de se consacrer à des œuvres plus ambitieuses.
Il commence alors la réalisation d’un film au cours duquel il affronterait de nombreux adversaires en adoptant les différents styles de combat qu’il connaît mais interrompt le tournage pour tourner son premier film américain, sous la direction de Robert Clouse : Opération dragon. À son retour à Hong Kong, il espère reprendre le tournage de son film mais décède soudainement le 20 juillet 1973 : l’autopsie conclut à une mort des suites d'un œdème cérébral causé par une allergie à un médicament. Aujourd’hui encore, de nombreuses rumeurs continuent d’alimenter le mythe sur les réelles causes de cette mort. Les images de son film seront finalement utilisées pour former un long-métrage, Le Jeu de la mort, au cours duquel Bruce Lee est remplacé pendant la majeure partie du film par une doublure. Reste quelques scènes inoubliables de combats, et notamment un face à face mythique entre la star et l'un de ses élèves, l’ancienne star de NBA Kareem Abdul-Jabbar. (AlloCiné)
Mort en pleine ascension à l’instar de James Dean, il a depuis suscité une admiration grandissante auprès des spectateurs et incarné une source d’inspiration pour bon nombre de comédiens du cinéma d’arts martiaux comme Jackie Chan, Jet Li et Donnie Yen, et de réalisateurs comme Rob Cohen (Dragon, l’histoire de Bruce Lee), Stephen Chow (Shaolin Soccer) et Quentin Tarantino (Kill Bill). Bruce Lee repose au cimetière de Lake View à Seattle, aux côtés de son fils Brandon (décédé lors du tournage de The Crow.
Je n'aspire ni à posséder ni à être possédé. Je n'aspire plus non plus à atteindre le Paradis. Et plus important encore à mes yeux, je ne crains plus l'Enfer.
"Bruce Lee"
JAMES STEWART 1908-1997
POSITIF - CHRISTIAN VIVIANI (novembre 1997)
On peut systématiquement résumer l’histoire des acteurs du cinéma américain en opposant ceux qui ont défini les critères d’un certain classicisme à ceux qui les ont remis en question. L’opposition semble facile et réductrice d’une question qui demeure vaste, complexe et multiforme : elle réclame immédiatement de nombreuses nuances. Ainsi l’on est frappé de constater à quel point les derniers sont redevables aux premiers en ce qui concerne la plasticité du visage et du corps, l’art de la litote et la recherche scrupuleuse du naturel. On en arrive même à penser que, quel que soit leur génie (immense), les Montgomery Clift ou Marlon Brando qui ont éclos à la fin des années quarante sont plus prisonniers d’une époque que les Gary Cooper, Cary Grant ou Spencer Tracy qui ont traversé avec nonchalance, sans souci de mode ni de temporalité, deux, trois, voire quatre décennies.
DANS LA TRADITION CLASSIQUE
Bien évidemment, James Stewart faisait partie de ceux-là. De tous, il eut même la carrière la plus longue et la plus éclatante. En fait, James Stewart est peut-être l’acteur de cinéma qui aura eu, toutes nationalités et tous styles confondus, la filmographie la plus brillante : il fut dirigé par Frank Capra, George Cukor, Ernst Lubitsch, Anthony Mann, Alfred Hitchcock, John Ford, William Wellman, Henry King, Frank Borzage, Cecil B. DeMile, Billy Wilder, Otto Preminger, Richard Quine, Robert Aldrich, Don Siegel, pour ne mentionner que les plus illustres. Qui pourrait en dire autant ? Par ailleurs, à trois reprises il a entretenu avec un cinéaste (Frank Capra, Alfred Hitchcock, Anthony Mann) une complicité artistique privilégiée que, en général, un acteur particulièrement chanceux trouve une fois dans sa carrière. Chacun de ces cinéastes a donné à Stewart au moins un rôle qui reste l’un des sommets de son art en même temps que de l’art de l’acteur cinématographique tout court (La vie est belle de Capra, Vertigo d’Alfred Hitchcock, L’Appât d’Anthony Mann, pour ce qui me concerne). Cependant, les grands instants chez Stewart ne limitent guère à ces trois grands cinéastes : il ne fut jamais médiocre ou simplement moyen, et il fut magnifique, entre autres, chez Lubitsch (The Shop Around the Corner), Ford (L’Homme qui tua Liberty Valance) ou Preminger (Autopsie d’un meurtre). Si bien que chaque spectateur peut avoir son Stewart préféré sans que quiconque puisse battre ce choix en brèche au nom d’une très improbable objectivité. Une fois que l’on aura parlé de l’exceptionnelle qualité de la carrière, ce qu’on a pas manqué de faire au moment où cette silhouette si familière nous a quittés, il reste encore à évoquer l’essentiel : l’acteur, hypernerveux mais limpide, hypersensible mais ignorant jusqu’au sens du mot emphase. Et il reste également à constater l’inexplicable : cette histoire d’amour avec la caméra - tarte à la crème bien pratique en attendant que quelqu’un arrive à nous dire pourquoi -, comme on le chante chez Stephen Sondheim, « You either have it, or you ain’t », on l’a ou on ne l’a pas.
James Stewart est bien de la même école que les Spencer Tracy (il débuta en 1935 en lui donnant la réplique dans The Murder Man de Tim Whelan), les Cary Grant (ils partagèrent en 1940, avec un brio inouï, l’affiche de la star principale, Katharine Hepburn, de The Philadelphia Story de George Cukor) ou les Gary Cooper (auquel il succéda comme figure westernienne emblématique). La thématique (les idiosyncrasies de l’Amérique moyenne, les ambiguïtés de l’Histoire) ou le ton de la comédie où il excelle, comme Grant, et qui colore de manière parfois inattendue ses prestations dramatiques, comme dans L’Homme qui en savait trop ou Vertigo) les rapprochent. Cependant James Stewart est totalement étranger à un élément prépondérant qui crée l’unité chez les trois autres : l’impassibilité. Spencer Tracy est un roc contre lequel les actrices hypersensibles viennent se heurter (Kate Hepburn). La raideur de Cary Grant mériterait à elle seule un développement tant elle est, paradoxalement, expressive (sa manière de s’assoir sur un accoudoir, les pieds posés sur le siège d’un divan, impeccablement droit, dans Cette sacré vérité de Leo McCarey, sans parler de ses prestations chez Hawks). La minéralisé de Gary Cooper, qui n’avait pas échappé à Jean-Luc Godard du temps où il écrivait des choses sensées, place d’emblée son jeu dans une sphère atemporelle, mythique. Apparemment, James Stewart enfreint cette constante classique par un jeu où l’émotion affleure et où le pathos, souvent sollicité, émerge avec une expressivité que d’autres auraient contrôlée plus sévèrement.
LA VOIX ET LA MAIN
Les caractéristiques du jeun de James Stewart sont bien connues. On évoquera, à titre d’exemple, ce qu’il fait de sa voix et de sa main. Dès The Murder Man, il casse la règle sacro-sainte du « respect de la réplique » que Hollywood avait héritée de Broadway : il n’hésite pas à laisser une phrase en suspens ou à trébucher sur un mot, l’extrême mobilité de son visage venant tout naturellement combler les vides laissés dans le texte. cette caractéristique aboutit à un résultat notable : il excelle dans les scènes de téléphone, morceaux de bravoure généralement dévolus aux actrices (Femmes de Cukor les enchaîne avec fièvre) ; il sait mieux que quiconque faire comprendre au spectateur celui que, au bout du fil, on n’entend pas. Ce trait met en lumière la sensibilité presque féminine de l’acteur, généralement absente des grands classiques (Tracy) ou en tout cas très refoulée (Cooper, Grant). La voix des acteurs hollywoodiens classiques est basse, bien posée, toujours contrôlée, afin de renforcer l’image solide d’une virilité rassurante. Celle de Stewart est plus haut perchée et dérape facilement sous la pression d’un contexte émotionnel trop intense. Le recours au trémolo, qui a fait le bonheur des imitateurs (ainsi le gardien de parking du Privé de Robert Altman), aurait pu ramener Stewart à un héritage théâtral daté qui pouvait lui nuire. Il n’en est rien, car, si la voix de Stewart tremble, ce n’est jamais uniquement sous le coup du pathos : la colère s’y mêle et la fait sortir de ses gonds, provoquant les splendides envolées qui ont émaillé sa carrière. On pense évidemment au discours marathon de Monsieur Smith au Sénat, récité à la fin dans un filet de voix, au bord de l’épuisement, mais avec une conviction jamais prise en défaut. Cette voix qui continuait jusqu’à l’extinction total était le signe même de la sincérité. Dans son autre grand rôle oratoire (Autopsie d’un meurtre), elle a un outil qui peut se mettre au service du mensonge ou de l’artifice, afin de garantir l’issue visée par l’avocat. Très justement, dans ce dernier rôle manque un détail capital qui ailleurs vient raccrocher, par le biais, le pathos à la virilité : la mâchoire qui se crispe dans la colère, que l’on retrouve tout au long de L’Appât, ou dans le corps à corps avec Kim Novak aux bouleversants derniers instants de Vertigo.
Stewart sait également utiliser son long corps anguleux avec une invention et une virtuosité qui ne contredisent jamais le naturel. La taille du corps n’est pas chez lui une force : elle le gêne. Stewart est sans doute l’acteur qui a le plus été filmé en contre- plongée. Mais, bien loin de renforcer sa puissance (comme le laissent entendre certaines grammaires cinématographies très normatives), la contre-plongée accuse l’inconfort de Stewart dans le cadre et fige à jamais son image dans la gaucherie, voire la névrose : la manière dont Capra filme le discours final de Monsieur Smith au Sénat est à cet égard révélatrice car elle accuse l’effort de Stewart pour rester debout malgré la fatigue, et annonce l’imminence de son effondrement. On pense aussi aux scènes de comédie, par exemple ses longues jambes qui l’encombrent pour s’assoir à même le sol dans le restaurant marocain de L’Homme qui en savait trop, ou, dans le même film, ses efforts désastreux pour manger le couscous avec les doigts, ou encore sa baignade nocturne avec Kate Hepburn dans The Philadelphia Story. Mais il faut aussi se souvenir de ses jambes écartées, fermement soudées au sol rocheux, quand, dans Les Affameurs, il jure à Arthur Kennedy de le retrouver où qu’il aille. Les mains de James Stewart sont particulièrement expressives. Dans les moments d’angoisse, il baisse le regard et mord son poing, comme pour réprimer un sanglot (Fenêtre sur cour, L’Appât). Moins ostensiblement, sa main longue et fine intervient quand il perd connaissance (James Stewart est l’acteur américain qui a le plus souvent perdu connaissance) : au bout de son bras arrondi, elle vient se placer comme une parenthèse au-dessus de sa tête inanimée mais figée dans la douleur (Monsieur Smith au Sénat, Vertigo).
LE MYTHE DU DOUTE
Contemporain et égal d’acteur s qui ont incarné la permanence, chargés par là de donner une forme mythique au besoin qu’avait l’Amérique de se rassurer, James Stewart a d’emblée personnifié le doute, puis l’opacité. Sa gaucherie a naturellement suscité bon nombre de personnages de Candide, notamment chez Capra. Mais c’est surtout à partir de la fragilisation de cet idéalisme, dans le fondamental et inépuisable La vie est belle, que Stewart a acquis une stature mythique et paradoxale : lui qui est revenu de la guerre couvert d’honneur sera désormais le visage et la silhouette de l’Amérique de l’après-guerre. Celle qui, d’abord, doute d’un bon droit qui jusque-là lui semblait une certitude. Ensuite, autour des films d’Anthony Mann, celle qui refoule dans le secret le déchirement originel (père assassiné, frère meurtrier, compagne assassinée et peut-être violée) : cette phase culmine dans Vertigo qui, comme La vie est belle, raconte l’effritement du mythe américain de la seconde chance. Vient enfin l’Amérique contemporaine, celle qui a digéré le mensonge et définitivement obscurci jusqu’au souvenir du traumatisme originel : c’est l’avocat Biegler qui domine parfaitement la feinte et la tromperie (Autopsie d’un meurtre), ou un autre avocat, Ranson Stoddard, symbole de l’Amérique en progrès, tout à coup confronté au mensonge originel qu’il avait préféré ignorer (L’Homme qui tua Liberty Balance).
Dans ce dernier film, aussi fondamental que l’ont été La vie est belle et Vertigo, John Ford a l’idée magnifique d’opposer Stewart à John Wayne, créant le portrait complexe et nuancé d’une Amérique double, dont la part d’ombre et la part de lumière sont condamnées à aller de pair. James Stewart y donnait l’impression d’avoir pleinement rempli le rôle qui lui avait été assigné depuis un demi-siècle. Les films qui viendront après ne seront pour la plupart que des tentatives d’acharnement thérapeutique sur un type de cinéma désormais révolu (Vincent McEveety, Andrew McLaglen, Henry Koster et consorts essayant vainement de poursuivre le cinéma de Capra et de Ford). Digne, irréprochable, James Stewart n’a pourtant jamais cessé de leur donner le meilleur de lui-même, acteur admirable quelles que soient les circonstances. Certains rôles sont d’ailleurs emblématiques malgré la médiocrité de la réalisation : potentat à cigare dans Les Naufragés du 747 de Jerry Jameson ou vieillard à l’agonie dans Le Grand Sommeil de Michael Winner. On voudra plutôt retenir sa dernière rencontre, brève mais inoubliable, avec un cinéaste digne de ce nom et un acteur de sa propre envergure : c’est lui qui, médecin, doit annoncer à John Wayne qu’il est en train de mourir d’un cancer dans le passionnant Dernier des géants de Don Siegel. Comme s’il s’agissait d’un post-scriptum à L’Homme qui tua Liberty Valance.
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