FANTASTIQUE, SURRÉALISME, POÉSIE, CONTE, IMAGINAIRE, LÉGENDE Tome 2
ANZU, CHAT-FANTÔME
de Nobuhiro Yamashita et Yoko Kuno, 2024, France/Japon, 1h37, Couleurs, animation
avec les voix de Mirai Moriyama, Noa Gotô, Keiichi Suzuki…
RÉSUMÉ : Anzu, chat-fantôme raconte l’histoire de Karin, 11 ans, abandonnée par son père chez son grand-père, le moine d’une petite ville côtière de la province japonaise. Celui-ci demande à Anzu, son chat-fantôme jovial et serviable bien qu’assez capricieux, de veiller sur elle. La rencontre de leurs caractères bien trempés provoque des étincelles, du moins au début... Anzu ne correspond en rien aux chats fantômes du folklore japonais : il n’est ni buveur de sang, ni effrayant. Il est au contraire très serviable, et a la charge de veiller sur Kirin.
COMMENTAIRES : ANZU, CHAT-FANTÔME de Yoko Kuno et Nobuhiro Yamashita est un peu le film de toutes les raretés. Les coproductions entre le Japon et la France ? C’est simple, ça n’existe pas. D’abord parce qu’il n’y a pas d’accord pré-établi mais aussi en raison de cultures de production très différentes et d’une certaine autarcie dans l’industrie japonaise, notamment en matière d’animation. Pour ce long métrage ce sont ainsi deux grandes sociétés qui ont trouvé un terrain d’entente, Miyu Productions (LINDA VEUT DU POULET!) et Shin-Ei Animation (la saga des DORAEMON). La rotoscopie ? Ce procédé qui consiste à relever image par image les contours d’une figure filmée en prise de vues réelle pour en transcrire la forme et les actions en animation n’est pas le plus populaire, ni le plus simple à réaliser. Il est au cœur d’ANZU, qui compte ainsi à sa réalisation, chose rare, un cinéaste de live action Nobuhiro Yamashita et une animatrice, Yoko Kuno. Enfin le manga, lui-même, n’est pas le plus identifié de la carrière de son auteur, Takashi Imashiro, plus connu pour sa saga sur Fukushima, « Colère Nucléaire ». Mais c’est aussi cet assemblage de curiosités qui donne à ANZU, CHAT-FANTÔME sa singularité dans le paysage de l’animé. Le film suit Karin, 11 ans, orpheline de mère et un peu retorse, abandonnée chez son grand-père par un papa peu fiable. Moine d’une petite ville japonaise, ce papi tout juste rencontré confie la surveillance de la jeune fille à Anzu, son chat- fantôme, un yōkai serviable, drôle, mais un peu capricieux. Malgré une trame de buddy movie un peu convenue autour d’une adolescente en mal de parents qui cherche à faire son deuil, le film l’emporte par la créativité et la beauté de son animation. Grâce à la rotoscopie, le long métrage déploie une fluidité des mouvements de caméra et un naturel dans les gestes et les attitudes des personnages qui apporte une perméabilité troublante entre animation et prise de vues réelle. Coloré, ensoleillé, chaleureux et rythmé : ANZU combine les caractéristiques de l’animé traditionnel, où l’expression des sentiments est exagérée, à la beauté d’un décor qui oscille entre l’estampe japonaise et l’ultra-réalisme teinté de pastels. Sous ses airs de récit initiatique, le long métrage est aussi une sympathique exploration du folklore japonais allant des yōkai aux Enfers en passant par la relation aux défunts. Mais la vraie star du film, il faut bien le reconnaître, est celui qui lui donne son titre : Anzu, le chat fantôme. Grand et gros matou roux à la bonhommie craquante, l’animal-esprit fait le show entre humour potache, délinquance tranquille et caractère cyclothymique. Un chat, en somme. Perrine Quennesson.
Déclinaison burlesque du mythe d’Orphée et Eurydice version mère-fille, ce long métrage qui concourt cette semaine au festival international d’animation est né d’une collaboration inédite, artistique comme financière, entre l’historique maison tokyoïte Shin-Ei Animation et le studio parisien Miyu Productions, sans qui le film n’aurait jamais pu naître.
Traditionnellement, dans le gros des animés japonais, les petites filles sont vives, débrouillardes mais jamais aussi caractérielles, mélancoliques et effrontées que Karin. Elles entament parfois des voyages initiatiques oniriques dans la splendeur des montagnes de l’Archipel après le deuil d’un parent, mais elles croisent rarement des suppôts des enfers tocards et incompétents comme des personnages de Tarantino. Il n’est pas courant non plus de voir l’animal fidèle tout dodu et kawaï qui veille sur l’enfant – ici un chat-fantôme très cool – se comporter en gentil bourrin « white trash » alignant les blagues de tonton et pissant avec décontraction contre la haie du voisin. Surtout, il est rare de voir coexister à ce point dans un même monde onirisme et prosaïsme, pastiche burlesque de franchises d’action et calme contemplation des tristesses enfantines. Mais de toute façon, aux yeux du marché japonais, rien n’est très normé dans ce Anzu, chat-fantôme, revisitation du mythe d’Orphée et Eurydice version mère-fille. Sa technique, la rotoscopie (séquences animées en dessinant image par image sur des prises de vue réelles) n’est pas courante au Japon. Son modèle de production, encore moins.
En effet, ce long métrage de Yoko Kuno et Nobuhiro Yamashita est une coproduction franco-japonaise. C’est-à-dire une anomalie. Certes, le cinéma en prise de vues réelles en compte quelques-unes (les films de Naomi Kawase, par exemple). Bien sûr, les séries animées franco-japonaises ont vécu leur heure de gloire dans les années 1970-80, avec les sagas « Il était une fois l’homme… », « Ulysse 31 » (diffusé à la télé japonaise en 1988, huit ans après la France) ou le Sherlock Holmes de Miyazaki. Mais concernant les longs métrages d’animation, ce genre d’alliage est extrêmement rare. C’est qu’historiquement, au Japon, la place des mangas et des animés dans le quotidien, toutes générations confondues, rend le marché local autosuffisant. Leurs films et séries d’animation pour adultes sont les plus vendus au monde. Vu la santé de ce « soft power », les Japonais n’ont pas besoin de se lancer dans ces montages transcivilisationnels – les «coprod inter» – nécessitant dialogue, diplomatie, compromis et adaptation à d’autres logiciels et logiques de gestion.
Et pourtant, chez l’historique studio tokyoïte Shin-Ei Animation, institution quinquagénaire qui produit notamment deux licences parmi les plus populaires du pays (Doraemon et Crayon Shin-chan), le producteur Keiichi Kondo répète à longueur d’interviews : Anzu chat-fantôme n’aurait jamais pu naître sans les Français de chez Miyu Productions (27, Linda veut du poulet !…). «Peut-être n’étais-je pas très bon pour le pitcher, confiait le producteur japonais au printemps dernier lors d’une rencontre à Annecy. Mais mon idée était toujours reçue avec un certain scepticisme, soit parce que le manga dont le film est adapté n’est pas le plus vendu au Japon, soit parce que la rotoscopie n’est pas une forme d’animation particulièrement prisée localement.» Ajoutons que le film est cosigné par une jeune réalisatrice encore peu connue, autre embûche pour franchir l’étape du «comité de production», instance typiquement japonaise établie pour limiter les risques de pertes, les coûts d’investissement s’élevant environ à 1,5 million d’euros pour une série animée de 12 épisodes. Le «comité de production» réunit donc des entreprises diverses, comme des agences de pub ou des supermarchés, notamment chargées de déterminer le potentiel de déclinaison du film ou de la série suites ou adaptations.
Emmanuel-Alain Reynal, patron de la société de production et de distribution indépendante française Miyu, rappelle que la mauvaise fortune initiale d’Anzu est loin d’être un cas isolé. Pendant longtemps, ce militant de l’animation d’art et essai se désolait de noter que l’essentiel des jeunes réalisateurs japonais dont il adorait les courts métrages en festivals finissaient par sortir des radars : après leur film de fin d’étude, les «talents» de l’Archipel produisaient un premier film professionnel puis, faute d’aide suffisante à la création et sans réelle politique des auteurs, entraient dans l’industrie par nécessité économique, devenaient techniciens ou auteurs de films de commande, sans jamais revenir à la réalisation indépendante. Depuis six ans, Miyu tente de les «faire revenir» en coproduisant des courts métrages primés depuis à Cannes, Annecy ou Berlin. Parmi ces «repêchés», une jeune réalisatrice, Yoko Kuno, une des rares artistes à travailler la rotoscopie au Japon. Son Anzu, chat-fantôme est le premier long-métrage né de la collaboration entre Miyu et Shin-Ei, ovni scruté avec stupéfaction à l’international puisque les deux studios ont non seulement coproduit (le distributeur Diaphana en France les a suivis, ainsi que Charade pour la vente internationale mais aussi Gkids, plus important distributeur américain d’animation indépendante, notamment de tous les films du studio Ghibli) mais ont aussi partagé un dialogue artistique. Les décors et la mise en couleur des personnages sont français, conçus par le directeur artistique Julien De Man (la Tortue rouge…), l’animation, elle, est japonaise. «Nos références pour les décors, c’est le peintre Bonnard, mais mêlées au regard de deux réalisateurs japonais qui nous ont parlé de la façon dont on devait sentir la lumière de l’été japonais sur telle fleur… Réussir à partager l’artistique est ce qui a le plus surpris, je crois, parce que c’est aux antipodes des habitudes au Japon. Ça a créé la curiosité.»
L’industrie japonaise a donc fini par s’intéresser au projet : Anzu chat-fantôme sortira en salles là-bas en juillet. Aussi, fort d’une réputation croissante sur l’Archipel, Miyu a pu, ces six derniers mois, vendre là-bas plusieurs de ses films français dont Linda veut du poulet !, de Chiara Malta et Sébastien Laudenbach, cristal du long-métrage à Annecy en 2023 et césar du meilleur film d’animation en 2024. D’autres coproductions franco-japonaises sont en cours sous son drapeau. À mesure qu’il rencontre tenants de la nouvelle garde et monstres sacrés de sa cinéphilie, Emmanuel-Alain Raynal nourrit l’espoir, à son échelle, de démontrer de fil en aiguille les vertus de ce modèle de soutien à la création indépendante dont tous les partis politiques français devraient s’enorgueillir. «Bien sûr que là-bas, au Japon, nous sommes incroyablement enviés.» Eve Beauvallet.
Il s’occupe de l’intendance, fait les courses et quelques excès de vitesse sur son petit scooter, répare des trucs dans le temple où il travaille. Anzu est affable, malicieux, susceptible, volontiers vanneur, il n’a rien de particulier, à part un léger détail : il n’est pas humain. C’est un « chat-fantôme », rond, gros et jaune, passé post-mortem de la condition d’animal domestique ordinaire à félin à tout faire chez le moine d’une bourgade côtière du Japon – le grand-père de Karin, 11 ans et toutes ses nattes, larguée sur place malgré elle par un père indigne, aussitôt reparti au loin régler un problème de dettes louches.
Il suffira d’attendre le 21 août prochain pour découvrir en salles ce fantasque film d’animation japonais. Centré sur la relation électrique – et néanmoins savoureuse – entre la fillette mal-aimée et râleuse et le matou magique, ce conte réalisé à quatre mains (et de multiples couleurs pimpantes et poudrées) par Yoko Kuno et Nobuhiro Yamashita livre d’abord exactement ce qu’on attend d’un dessin animé nippon indépendant : des paysages bucoliques délicatement peints pour éblouir, entre frondaisons frémissantes et rivages chatoyants, du merveilleux au cœur du quotidien – de la plus banale épicerie du coin à un peuple bigarré de divinités mineures, qui semblent autant échappées du culte shintoïste que de l’influence écrasante de Miyazaki.
Hélas, trop de magie nuit à la magie : quand la turbulente gamine s’échappe vers la grande ville, où – qui l’eût cru ? – s’ouvre un passage vers les enfers, séjour éternel de sa défunte maman, le film tourne à la course-poursuite, épuisant rififi fantastico-criard entre nos héros (chat-fantôme inclus) et une bande de démons trop moches pour être drôles ou inquiétants. Une digression fastidieuse et inutile, qui manque, un temps, de nous faire oublier l’humour abrasif et la poésie ébouriffante de cette histoire d’enfance malmenée, mais résiliente. Cécile Mury.
CRITIQUES : Fruit de la rencontre créative entre le studio d’animation japonaise, Shin-ei Animation, à l’origine de Doraemon et Crayon Shin-chan, et du studio français Miyu Productions, que l’on retrouve derrière Linda veut du poulet (lauréat du César du meilleur film d’animation 2024), Saules aveugles, et femme endormie, Anzu, chat- fantôme s’offre une première bande- annonce aux couleurs chatoyantes où le lyrisme croise la farce.
Adaptée d’un manga de Takashi Imashiro, l’histoire est celle de Karin, une jeune fille de 11 ans, abandonné par son père, criblé de dettes chez son grand-père, le moine d’une petite ville de la province japonaise. Ce dernier, demande à Anzu, son chat-fantôme de veiller sur elle.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette grosse boule de poils est loin d’être aussi kawaï que l’était Totoro dans le film d’animation, Mon Voisin Totoro de Myazaki. Anzu est l’élément comique de la bande-annonce.
Débarquant sur sa mobylette, il a tout du comportement humain : il fait à manger, mais aussi urine comme un humain et a des flatulences... comme les humains ! Un brin grossier mais rire garanti.
Avec son aide, on comprend que l’intrépide Karin va retrouver sa mère, décédée, et va tenter de la faire sortir du monde des morts. Les voilà lancées dans une aventure durant laquelle ils seront traqués par des esprits venant du monde des défunts. Espérons pour la jeune fille qu’Anzu saura lui porter bonheur comme les traditionnels Maneki-neko.
Anzu, chat-fantôme est une vision quasiment onirique avec des couleurs chatoyantes et remplies de poésie. Réalisé par Yoko Kuno et Nobuhiro Yamashita, le film sortira le 21 août au cinéma. Anthéa Claux.
Après la mort de sa mère, Karin, 11 ans, se retrouve seule avec son père, un bad boy criblé de dettes. Celui-ci laisse sa fille chez son grand-père, moine d'une petite ville de province qui habite dans un temple japonais. Là, la boudeuse et effrontée Karin fait la connaissance d'Anzu, un chat au look «kawai» des plus atypiques: Anzu est un chat-fantôme, il a 37 ans et il ne meurt jamais. Il a la taille d’un humain, il parle, se déplace sur deux pattes, possède un drôle d’humour et se révèle aussi jovial que capricieux.
Si entre eux, c’est loin d’être l’amour fou, Anzu promet toutefois de veiller sur Karin. Lors d'un périple à Tokyo, tous deux tombent sur le dieu de la misère, à qui Karin demande de l’aide pour voir sa mère décédée. Voilà alors le trio dans le royaume des morts, à affronter des démons hauts en couleurs.
Lors de la projection officielle au Festival d’Annecy, les cinéastes Yoko Kuno et Nobuhiro Yamashita ont expliqué que l’équipe était venue présenter le projet ici-même l’an passé, mais qu’il n’existait alors que cinq plans et qu’ils étaient ravis que le public puisse découvrir tous les autres plans. Ce que l’on peut dire sur ce fantasque long métrage, c’est qu’il a le mérite de sortir des sentiers battus.
Original, caractériel, burlesque: il l’est! Pourtant, malgré son humour inattendu et ses personnages improbables (champignon barbu, grenouille géante squattant un terrain de golf et autres énergumènes), ce film à l’influence évidente de Miyazaki, particulièrement du «Voyage de Chihiro», peine à convaincre. Décousu, inégal dans son rythme, «Anzu, chat-fantôme» souffre d’une trame qui se perd dans des détails anecdotiques sans parvenir à s’accrocher à un fil conducteur. Il est difficile d’éprouver de l’empathie pour les personnages, que l’on regarde évoluer de loin, sans émotion, regrettant un manque certain de profondeur dans les relations entre les uns et les autres. Dommage. Marine Guillain.
Anzu, chat-fantôme est l'adaptation d'un manga signé Takashi Imashiro, qui est le fruit d'une collaboration entre le Japon et la France. Utilisant la technique de la rotoscopie, le film a ainsi été tourné en prise de vue réelle par Nobuhiro Yamashita, pour mieux capturer mouvements et expressions de vrais acteurs, avant d'être ensuite retravaillé en animation par Yoko Kuno, la direction artistique étant assurée par Julien De Man.
Si les personnages paraissent relativement épurés, entre traits fins et aplats de couleurs, la richesse graphique provient des décors, notamment naturels, travaillés dans le détail, et des jeux de reflets (sur une table, du verre...).
Dotée d’une bonne dose de fantastique, le récit, qui reste assez enfantin, permet d’aborder la question du deuil et de l’abandon, avec des traits d’humour venant de ce personnage de chat âgé de 37 ans, qui aurait donc dû mourir il y a bien longtemps, et qui s’avère aussi têtu que râleur. Un personnage que l’on découvre comme multitâche (il fait des livraisons en scooter, pratique des massages, conduit mais n’a pas le permis...), parfaitement intégré a milieu des adultes, mais qui a surtout le don de voir les esprits, dont le fameux « Dieu du malheur » (un viellard édenté en slip...), qui s’attache à certaines personnes, provoquant leur accablement. Son rôle sera alors autant de prendre soin de Karine, dans sa quête de lien avec un père fuyant, que d’éloigner cette fatalité vers laquelle elle semble se diriger.
Récit d’un passage à l’âge adulte accéléré, Anzu, chat-fantôme s’avère attachant par son duo de personnages secondaires (dont ce chat au rire communicatif), accompagné ponctuellement de personnages secondaires déroutants (les « pi-pi » 4 cailles qu’Anzu élève, la grenouille géante...). Il insuffle un humour orienté vers les jeunes enfants, avec le personnage même d’Anzu, aux jeux de mots foireux et aux pets récurrents, comme avec les deux garçons, l’un aux yeux comme des points, l’autre comme des traits, tous deux sous le charme de Karin. Quant à l’adoption de styles graphiques différents, pour représenter un souvenir avec la mère (plus lumineux) ou une rencontre avec elle (des successions de points rouges), elles viennent enrichir un univers aux teintes rassurantes, qui met en avant la chaleur de l’été comme l’amitié naissante entre des êtres. Olivier Bachelard.
LA MALÉDICTION DES HOMMES-CHATS
The Curse of the Cat People
de Robert Wise et Gunther von Fritsch, 1944, US, 1h10, Noir et Blanc
avec Simone Simon, Julia Dean, Kent Smith…
RÉSUMÉ : Oliver et Alice Reed s'inquiètent pour leur petite fille, Amy, dont l'imagination leur paraît anormalement développée. La fillette, que ses camarades de classe rejettent, trouve refuge dans une vieille et étrange demeure habitée par une ancienne actrice, Julia Farren. Celle-ci lui offre une bague magique qui, dit-elle, exaucera son voeu le plus cher. Amy, lasse de jouer toute seule, fait apparaître une belle jeune femme qui ressemble de façon troublante à la première épouse de son père, Irena. Elle en parle à ses parents, mais ceux-ci ne goûtent guère son récit et la situation ne tarde pas à se compliquer...
POINTS DE VUE : Une petite fille solitaire trouve une amie grâce à un anneau magique. Robert Wise, qui reprenait le film pour sa première réalisation, a suivi avec délicatesse cette histoire féerique. Dictionnaire des films, Larousse.
Curse of the cat people constitue la première réalisation de l’homme qui donna naissance à quelques chefs d’œuvre : The Set up (Nous avons gagné ce soir, 1949), The day the earth stood still (Le jour où la terre s’arrêta, 1951) ou West side story (West side story, 1961). Cependant il est difficile d’attribuer ce film à Wise. D’une part ce dernier a toujours eu tendance à en rejeter la paternité considérant que sa première œuvre est Mademoiselle Fifi d’après le roman de Maupassant, qu’il réalisa en intégralité. D’autre part aucun document ne permet aujourd’hui de savoir quelles scènes ont été tournées par Wise. D’ailleurs le film est d’une telle homogénéité qu’il est difficile de différencier les styles des deux metteurs en scène. Après une rapide réflexion, l’évidence saute aux yeux: si La malédiction des hommes chats a un père, c’est Val Lewton. Ce film lui appartient à tel point qu’il impose ce titre qui, avouons le, n’a rien à voir avec le récit.
Le scénario rédigé par Bodeen ne parle ni d’homme chat, ni de malédiction ! Son histoire repose sur les fantasmes d’une enfant perdue. À travers la petite héroïne de La malédiction des hommes chat, on retrouve les névroses d’Irena dans Cat people : un manque d’amour flagrant qui débouche sur une tristesse et une incapacité à affronter le monde réel. Mais ici l’ambiguïté est plus forte que dans La féline où Irena devenait un monstre meurtrier. Dans cette séquelle au film de Tourneur le spectateur reste plongé dans un brouillard mêlant rêve et réalité. Irena l’amie de la petite fille est l’ex-femme de son père et de nombreuses photos existent encore dans la maison. Fascinée par la beauté de cette étrangère, Amy a pu utiliser son image pour créer sa fantasmagorie. De plus lors de ses apparitions, Irena est vêtue d’une robe blanche. Or dans Cat people elle ne portait que du noir. Il semble donc qu’Amy ait transformé le monstre en bonne fée. L’anecdote dit que le scénario original incluait une scène où Amy lisait un livre de contes illustré dans lequel on retrouve exactement la robe blanche d’Irena ce qui permettrait d’affirmer que ses apparitions ne reposent que sur l’imaginaire d’Amy. Souhaitant préserver le doute, Lewton a décidé que cette séquence ne serait pas tournée.
Parallèlement à ses rencontres avec "la féline", Amy se lie d’amitié avec madame Farren. Cette dernière qui lui a offert sa bague "magique" est une vieille femme qui vit avec sa fille dans une grande maison aux allures gothiques. Séduite par la petite, elle lui raconte des légendes dans une mise en scène très théâtrale : pendant l’une des séquences les plus captivantes du métrage elle se lance dans la fameuse histoire de Sleepy Hollow, le cavalier sans tête. La petite Amy est hypnotisée par sa narration, le spectateur aussi ! Cette vieille femme, pleine de tendresse pour la petite, est en revanche incapable de reconnaître sa propre fille qu’elle considère comme une étrangère. Cette relation triangulaire basée sur l’absence d’amour (Mme Farren/sa fille/Amy) est source de conflits et constitue le nœud dramatique du scénario de Bodeen. Cependant il ne faut pas s’attendre ici à une dramaturgie extrêmement complexe. Le thème de l’enfance incomprise est abordé avec beauté certes, mais avec une légèreté que l’on peut imputer à la volonté de Lewton de mettre en boîte un film qui soit avant toute chose .... efficace !
Même si son scénario est empreint d’une certaine intelligence, la beauté de Curse of the cat people repose avant tout sur la façon dont les fantasmes d’Amy ont été mis en image. Les séquences où elle rencontre Irena dans le jardin sont somptueuses. L’ambiance fantastique y est puissante et pleine de poésie : la neige qui tombe, le vieil arbre ou les grilles en fer forgé plongent le public dans un monde de féerie créé par Darell Silvera qui signera également les décors de Vaudou, Notorious ou The thing. L’harmonie entre le travail de Silvera, la caméra de Wise et la photo de Musuraca transpirent à travers ces scènes et sont à nouveau mise en évidence dans l’épisode inoubliable où Amy entend le cavalier sans tête arriver vers elle: sur un pont enneigé perdu au milieu d’une forêt elle se déplace lentement et accélère la cadence à l’approche du danger. Cette séquence qui n’est pas sans rappeler la poursuite entre Alice et Irena dans Cat people est d’une efficacité redoutable. Si l’impact sur le public est tout aussi puissant, on peut tout de même penser que d’un point de vue visuel le travail de Tourneur avait plus de charme. Ici et malgré les qualités évoquées précédemment (sur les décors notamment) il n’y a aucun travail de mise en scène significatif. Les ombres, variations de lumières, gros plans et autres techniques dont se jouait Tourneur avec brio sont ici quasiment absentes. Mais ne faisons pas la fine bouche, le travail de l’équipe technique et des réalisateurs pour créer cette ambiance fantasmagorique reste sublime. Quelques années plus tard le public retrouvera dans Night of the hunter (La nuit du chasseur, C. Laughton 1955) une ambiance relativement proche de celle qui hante le film de Wise. Aujourd’hui on peut voir en Tim Burton un des héritiers évident de ce style « Lewton » que certains qualifient de fantastico-gothique.
Malheureusement, il n’y a point d’acteur de la carrure de Robert Mitchum ou Johnny Depp dans la distribution de Lewton. Limité par le budget "B" le casting ne brille pas par le talent de ses comédiens et en dehors de la sublime Simone Simon dont Hollywood ne mesura jamais le talent, les interprétations de Kent Smith (Oliver Reed) et Jane Randolph (Alice Reed) manquent cruellement de relief. On peut tout de même noter que Julia Dean qui interprète Madame Farren est étonnante lorsqu’elle raconte l’histoire de Sleepy Hollow et que la petite Ann Carter qui joue Amy est remarquablement bien dirigée.
Les amoureux du style Lewton trouveront dans cette Malédiction des hommes chats un de ses plus beaux films. Par leur style visuel, Vaudou et La féline peuvent être préférés mais en dehors de ces deux chefs d’œuvre, le département série B fantastique de la RKO dirigé par Rogell n’aura jamais produit d’aussi beaux films. François-Olivier Lefèvre.
LA FÉLINE avait séduit le public l'année de sa sortie et représente encore aujourd'hui l'un des grands classiques du 7è Art. Consciente de ce succès, qui à l'époque l'avait sauvée de justesse de la faillite, la RKO commanda une suite au scénariste. On retrouve donc ici tous les personnages du premier volet, mais on s'interroge encore sur le titre de cette séquelle. En effet, il n'y a pas une once de malédiction et ni homme-chat, ni femme panthère, ni même une toute petite référence à la légende qui, dans LA FÉLINE, tissait la trame du scénario. Le seul lien avec la première histoire est le couple formé par Kent Smith et Jane Randolph, qui a convolé depuis en justes noces. De cette union est née une délicieuse petite fille un peu trop rêveuse, qui sera au cœur de cette nouvelle intrigue. L'enfant, fille unique du couple, éprouve des difficultés à communiquer avec ses petits camarades, et s'invente des histoires pour égayer sa solitude, ce qui n'est pas sans inquiéter son père, qui se souvient encore de la folie qui avait gagné peu à peu Irena, sa première femme. Hanté par ce souvenir, il pousse sa fille à fréquenter les autres enfants, craignant qu'elle ne sombre dans une sorte de schizophrénie fatale, comme la belle « féline ». Malgré les efforts de la petite fille, aucun enfant ne veut jouer avec elle. On connaît bien la cruauté dont sont capables les enfants, et leur méchante propension à isoler ceux qui ne sont pas comme eux. Ils trouvent Amy « bizarre » et n'hésitent pas à la montrer du doigt, à la railler et à lui signifier qu'elle dérange.
Ce film tient plus du conte pour enfants que du film d'épouvante cher à Jacques Tourneur, mais il constitue une bonne approche de l'univers des enfants. La petite fille, soucieuse de faire plaisir à son père s'invente une compagne de jeux dont elle n'arrive pas à matérialiser l'image, manquant de références acceptables. Lorsqu'elle voit une photo d'Irena, l'amie imaginaire prend son apparence féerique, et la beauté de celle-ci met l'enfant en confiance. Face à un monde qui la presse ou la maltraite, elle se réfugie dans la douceur et la tendresse de cette amie et en fait sa partenaire pour jouer dans le jardin familial. Malheureusement, les adultes ne comprennent pas grand-chose aux enfants, à moins de les côtoyer régulièrement, comme l'institutrice du film. Il n'y aura qu'elle pour dire au père que les enfants ont besoin de s'inventer des histoires et qu'il ne faut pas y voir une quelconque anomalie. Les parents ne sont pas forcément les mieux placés en ce qui concerne l'éducation des petits, et ont souvent tendance à projeter leurs propres angoisses sur leur progéniture, comme on le voit très clairement dans le film qui nous intéresse ici. La conception de la normalité du père est donc remise en question par l'institutrice, permettant de sauver l'enfant d'une mort certaine. On peut voir dans cette idée, la représentation métaphorique des conséquences d'une éducation trop pesante sur l'avenir des enfants. Par exemple, nombreuses sont les personnes qui présentent de graves troubles de la personnalité dont l'origine remonte à l'enfance. Cet aspect est d'ailleurs en quelque sorte présenté avec la famille Farren dont le personnage de la fille n'est autre que Elizabeth Russell également au générique de LA FÉLINE.
À l'époque du tournage de LA MALEDICTION DES HOMMES-CHATS, Robert Wise travaillait comme monteur à la RKO. Il côtoyait alors Orson Welles avec qui il avait travaillé sur CITIZEN KANE et LA SPLENDEUR DES AMBERSON (THE MAGNIFICENT AMBERSONS). Jugeant que le travail n'avançait pas assez vite, Val Lewton décida de remplacer Gunther von Fritsch. Il proposa à Robert Wise de passer à la réalisation. Tout d'abord hésitant et ne voulant pas froisser Gunther von Fritsch, il finit par accepter la proposition en comprenant que de toutes façons, Val Lewton mettrait une autre personne à la barre du film. Ce qui explique la présence du nom des deux réalisateurs au générique du film.
Bien que Jacques Tourneur n'ait pas contribué à la réalisation de ce film, on y retrouve les ambiances qui ont marqué nombre de ses productions, en particulier dans les jeux d'ombre et de lumière. Par contre ici, l'élément fantastique, représenté par l'apparition d'Irena, est porté à l'écran, tandis que celui qui fait référence au Cavalier sans tête est simplement suggéré par un son qui évoque la course d'un cheval mais qui s'avère tout autre chose. Au passage, on remarquera que la légende de Sleepy Hollow, qui a fait l'objet récemment de la production éponyme que l'on connaît, est un ingrédient important du scénario. Malgré un titre assez peu évocateur, ce film mérite quand même qu'on s'y intéresse un tant soit peu, ne serait-ce que pour voir à nouveau réunis les acteurs du succès de Jacques Tourneur. Nadia Derradji.
MALPERTUIS
de Harry Kümel, 1970, Belgique/France/Allemagne, 2h05, Couleurs
avec Orson Welles, Michel Bouquet, Mathieu Carrière…
RÉSUMÉ : Peu après son retour à terre, Yann, un jeune marin, part à la recherche de sa soeur. Il la retrouve à Malpertuis, la sinistre et mystérieuse demeure de son oncle Cassave. Celui-ci meurt peu après en laissant une fortune fabuleuse aux deux jeunes gens et à ses domestiques, à la condition expresse qu'ils restent à Malpertuis leur vie durant et prennent soin de ses étranges invités...
POINTS DE VUE : En 1971, Harry Kümel avait à son actif une remarquable série de réalisations produites par la télévision belge, la BRT, tels que De grafbewaker d’après Kafka, et Les lêvres rouges (1970), film d’horreur kitsch rapidement culte, où Delphine Seyrig incarnait la légendaire comtesse Bathory, lui avait assuré un début de notoriété.
Malpertuis, adapté d’un roman fantastique de Jean Ray, sera sa seule expérience dans le domaine de la grosse coproduction internationale. Une expérience douloureuse dont il aura du mal à se remettre, tant le tournage fut éprouvant, notamment en raison des caprices d’Orson Welles, et le montage de l’édition internationale échappant à son contrôle. Sa version directors cut, sortira finalement en Flandres en 1973. C’est assurément la version de référence même si la plupart des interprètes y sont doublés. Elle est désormais disponible en DVD, couplée avec la version cannoise qu’il renia.
Ce conte fantastique aux retournements de situation spectaculaires mais un peu fastidieux, variation sur le thème de la demeure hantée qui emprisonne ses habitants, souffre de sa longueur excessive et de l’emphase qui caractérise par moments la mise en scène et la direction d’acteurs.
Pourtant Kümel et son chef-opérateur Gerry Fisher ont su capter la poésie de nombreux lieux très suggestifs filmés en extérieur à Gand, Bruges ou Ostende et créer en studio un univers visuel fascinant qui clame haut et fort ses influences picturales (les symbolistes belges, mais surtout James Ensor, en particulier dans les prodigieuses scènes qui se passent dans la chambre du patriarche avec les masques blafards se détachant sur le fond noir et pourpre).
Ce formidable travail de l’image (ainsi que des costumes et des décors) permettra de passer outre le côté souvent boursouflé de Malpertuis et de se laisser séduire par ce film inclassable, riche en plans d’une puissance d’évocation scotchante, tels ceux de l’abbaye en ruine dans les brumes matinales.
Si la plupart des interprètes cabotinent allègrement, on sera sensible au charme diaphane de Matthieu Carrière, ange blond égaré dans ce chaudron infernal, et à l’époustouflante performance de Susan Hampshire dans un triple rôle. Sans oublier de truculents seconds rôles incarnés par des acteurs du cru.
De Harry Kümel on pourra préférer le fantastique plus insidieux du film suivant, le magnifique De komst van Joachim Stiller, mais il serait dommage de passer à côté de Malpertuis, un des monstres superbes de l’histoire du cinéma. Claude Rieffel.
Au milieu des années 60, L’HOMME AU CRÂNE RASÉ d’André Delvaux, un film fantastique, s'avère bien accueilli à l'étranger et provoque un certain engouement pour le cinéma belge, et surtout pour les œuvres les plus insolites provenant de ce pays. Outre André Delvaux, apparaissent des réalisateurs de films d'animation, tel Ray Goossens (PINOCCHIO DANS L’ESPACE) ou Raoul Servais (CHROMOPHOBIA). Dans ce sillage, nous trouvons encore une figure majeure du fantastique international : Harry Kümel.
Celui-ci s'intéresse d'abord au cinéma en amateur. Il tourne des courts-métrages, dont ANNA LA BONNE, produit par François Truffaut, s'inspire des œuvres de Jean Cocteau. Petit à petit, il s'oriente vers la télévision, pour laquelle il réalise des dramatiques et des documentaires dédiés à des sujets divers (WATERLOO, JOSEF VON STERNBERG : EIN RETROSPEKTIV…). Finalement, en 1969, il parvient à réaliser MONSIEUR HAWARDEN, son premier long métrage, lequel raconte l'histoire vraie d'une femme qui s'habillait en homme…
Déjà, Kümel envisage de transposer le roman Malpertuis de Jean Ray au cinéma et, pour ce faire, contacte l'éditeur parisien Eric Losfeld pour entrer en contact avec Jacques Sternberg, écrivain publié par Losfeld et qui vient d'écrire le scénario de JE T’AIME, JE T’AIME, un film de science-fiction d’Alain Resnais. Sternberg refuse la proposition de Kümel, et le renvoie vers le scénariste vétéran français ayant collaboré, entre autres, avec Clouzot (QUAI DES ORFEVRES) et Bunuel (CELA S'APPELLE L'AURORE). Ferry se montre extrêmement enthousiaste, mais le projet peine à se monter.
Un producteur belge propose alors à Kümel de réaliser un film d'horreur à la mode de l'époque, mêlant vampires, érotisme et violence graphique, dans le style de ce que proposait alors la Hammer (THE VAMPIRE LOVERS) ou Jean Rollin (REQUIEM POUR UN VAMPIRE). Avec l'aide de Ferry, Kümel signe alors le script des LÈVRES ROUGES, film de vampires surréaliste qui recueille des critiques positives.
Petit à petit, la production de MALPERTUIS se met en place. Il s'agira d'une collaboration entre la Belgique, la France et la RFA, ce qui permet au film de bénéficier d'un budget, considéré alors comme important, d'un million de dollars, ainsi que d'une distribution internationale. Ayant récemment fait une petite apparition dans LA RUPTURE de Claude Chabrol, Harry Kümel recrute deux acteurs français ayant joué dans ce long métrage : Michel Bouquet et Jean-Pierre Cassel. La comédienne anglaise Susan Hampshire, alors mariée au réalisateur français Pierre Garnier-Deferre, s'ajoute à la liste des comédiens « français ». Enfin, la chanteuse Sylvie Vartan tient le rôle d'une chanteuse de bar au cours d'une scène où l'on peut reconnaître, parmi les figurants, son mari d'alors : Johnny Hallyday !
En provenance d'Allemagne, nous trouvons, dans le rôle de Jan, le jeune Mathieu Carrière, comédien germanique, comme son nom ne l'indique pas, révélé dans LES DESARROIS DE L'ELEVE TORLESS de Volker Schlöndorff. On reconnaît aussi Walter Rilla, vétéran allemand ayant écumé, au cours des années soixante, des réalisations de Harald Reini (DER FALSCHER VON LONDON ou CHAMBRE 13 d'après Edgar Wallace…) et de Jesus Franco (THE SEVEN SECRETS OF SUMURU, DER TEUFEL KAM AUS AKASAVA…).
Enfin, cette distribution inclut des comédiens flamands, comme l'actrice Dora van der Groen ou Charles Janssens (parfois considéré comme le "Bourvil belge"). Surtout, ce casting est couronné par la présence d’Orson Welles dans le rôle de Cassave, le maître de Malpertuis ! Mais Malpertuis, c'est aussi une équipe de techniciens hors du commun : le maquilleur John O'Gorman (maquilleur attitré d’Ursula Andress sur de nombreux films tels que JAMES BOND CONTRE DR. NO, LA DÉESSE DE FEU…), le compositeur George Delerue, le chef-opérateur Gerry Fisher (alors associé aux réalisations de Joseph Losey, il s'illustrera par la suite sur WOLFEN, HIGHLANDER, L’EXORCISTE III : LA SUITE…)… Kümel a réuni une véritable "dreamteam" de techniciens et de comédiens provenant du monde entier…
Jan, un jeune marin, revient dans sa ville natale, un port des Flandres, où il apprend que la maison où il est né a été détruite. Il décide alors de se rendre à Malpertuis, la maison de son oncle Cassave. Mais il se perd dans les rues du port et arrive dans le quartier chaud où, pris dans une bagarre, il est assommé. À son réveil, il se retrouve dans sa chambre de Malpertuis. Il découvre que la vaste demeure est peuplée de personnages insolites, tels un bourgeois lubrique, trois veuves passant leur temps à filer et à coudre, un géant boiteux et sa compagne…
Surtout, Jan s'éprend d'Euryale, une jeune femme magnifique qui refuse de le regarder dans les yeux. Sur le point de mourir, Cassave fait lire son testament à tous les habitants de sa demeure. S'ils veulent recevoir son colossal héritage, ils doivent vivre ensemble dans Malpertuis, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus qu'un couple survivant, ou qu'un seul survivant. Le ou les gagnants auront alors le droit de quitter la maison avec l'héritage. Après la mort de Cassave, les occupants de Malpertuis se retrouvent livrés à eux-mêmes dans cette mystérieuse demeure…
Adapter le roman Malpertuis au cinéma a tout de la gageure. D'abord parce qu'il s'agit sans doute du chef-d’œuvre de Jean Ray, lui-même une des plus belles plumes fantastiques du vingtième siècle. Ensuite, dans ce livre d'ambiance, l'écrivain génère la bizarrerie avant tout au travers de son ensorcelant style littéraire.
Harry Kümel et Jean Ferry procèdent à quelques aménagements dans le récit. La structure principale du roman, ses personnages et sa stupéfiante révélation finale, sont respectés. Néanmoins, leur approche du fantastique s'avère moins directe que celle du livre, le film MALPERTUIS cherchant plus à provoquer le malaise, l'inconfort, qu'à plonger le spectateur dans l'univers poétique et fantastique du roman.
Il en résulte que le (très beau) thème principal de « Malpertuis » ne s'avère révélé que très tard dans le métrage et, finalement, ne paraît pas réellement traité. La décadence des mythologies dans une époque tournant le dos au surnaturel, Kümel ne s'en soucie qu'assez tard, préférant développer d'autres sujets.
D'abord, à travers les trois personnages incarnés par Susan Hampshire, il se penche sur les trois visages de l'amour que rencontre Jan : l'amour innocent (quoique…) de sa sœur Nancy, l'amour érotique et physique d'Alice, et l'amour passion, absolu et fatal, d'Euryale. D'autre part, MALPERTUIS s'attarde, de façon hélas assez floue, sur la personnalité de Cassave, alchimiste et scientifique cherchant à créer la vie ou à lancer une nouvelle race de surhommes… Toute cette partie de l'intrigue manque de clarté et donne lieu à des scènes laborieuses (telles celles se déroulant chez l'empailleur Philarette).
Pourtant, MALPERTUIS n'est pas un ratage. Bien au contraire ! Si son récit prend des libertés avec le roman, la ville où démarre l'action (une cité flamande imaginaire, composée de rues d'Ostende, de Bruges et de Gand) nous plonge d'emblée dans l'atmosphère singulière des contes de Jean Ray : vieux loups de mer, cabarets mal famés, cité labyrinthique où les rues et les maisons disparaissent et apparaissent mystérieusement… La demeure de Malpertuis elle-même, fabuleux manoir riche d'interminables escaliers et d'innombrables corridors, est formidablement retranscrite en images, grâce à de superbes décors construits en studio ou recueillis dans pas moins de huit demeures réelles différentes. Enfin, la musique fascinante de George Delerue, oscillant entre le splendide et le bizarre, apporte une tonalité majestueuse à l'exploration de Malpertuis par Jan…
MALPERTUIS est aussi d'un film riche d'une distribution impressionnante. À sa tête, difficile de ne pas remarquer Michel Bouquet, transformé en un petit-bourgeois coiffé d'un chapeau melon, silhouette sortie tout droit d'une toile de Magritte et affectant des attitudes lubriques, bouffonnes et inquiétantes. Orson Welles, évidemment, apporte à Cassave une démesure jupitérienne seyant merveilleusement à cet alchimiste démiurge. Enfin, Susan Hampshire incarne formidablement les trois rôles qui lui sont dévolus et prête sa beauté tantôt ingénue, tantôt ambiguë, aux incarnations de l'amour selon Mapertuis.
S'il prend des partis pris scénaristiques parfois discutables, MALPERTUIS est, tout de même, un très beau film, une succession d'images toutes plus splendides les unes que les autres, générant une atmosphère authentiquement surréaliste et nous entraînant, bon gré, mal gré, dans l'univers unique de Jean Ray…
Toutefois, MALPERTUIS connaîtra un destin chaotique… À cette époque, Harry Kümel a pour habitude de monter ses films durant leur tournage. Or, le studio United Artists, coproducteur de MALPERTUIS, lui impose comme monteur Richard Marden, lequel ne comprend pas les intentions du metteur en scène. Les séquences trop étranges sont escamotées, des faux raccords volontaires sont éliminés…
Chose inhabituelle pour un film d'horreur (surtout à cette époque), MALPERTUIS se retrouve dans la sélection officielle du festival de Cannes, et Harry Kümel, pressé par le temps, doit apporter au festival le montage effectué par Marden, montage qu'il n'aime guère. Le film sort en France et en Grande-Bretagne dans cette version et ne connaît pas un grand succès.
À l'occasion de sa sortie en Belgique flamande, Kümel propose au producteur Pierre Levie de refaire entièrement le montage, selon ses intentions réelles cette fois-ci. Levie accepte et, durant six mois, le réalisateur reconstruit son film dans une version plus longue de 20 minutes. Néanmoins, il est impossible d'utiliser le matériel négatif ayant servi à faire la version "cannoise" de MALPERTUIS. Harry Kümel va essentiellement employer des prises alternatives pour proposer un MALPERTUIS totalement nouveau et différent !
Toutefois, ce Director's Cut (pour une fois, cette mention est totalement exacte !) ne sort pas des terres flamandes. En France, on ne découvrira le vrai MALPERTUIS qu'environ une vingtaine d'années plus tard, à la Cinémathèque Française (dans une soirée « cinéma Bis » dédiée au fantastique belge) et sur Canal +, dans le cadre de la programmation « Cinéma de Quartier ». Emmanuel Denis.
BAXTER
de Jérôme Boivin, 1989, France, 1h22, Couleurs
avec Lise Delamare, Jean Mercure, Jacques Spiesser…
RÉSUMÉ : Baxter est un chien qui pense et désire se débarrasser de la compagnie encombrante des hommes...
POINTS DE VUE : La vie de Baxter, un bull-terrier, racontée par lui-même. Malgré une mise en scène inégale, une fable fantastique originale. Dictionnaire des films, Larousse.
Sur un mode nettement sombre et sobre, Baxter est un film fantastique qui sort des sentiers battus. Le fantastique intervient ici dans le fait que le monde est perçu par un chien qui nourrit des idées contre-nature. Il ne cherche pas à provoquer le rire mais le malaise en montrant le quotidien peu folichon d’un animal qui ne trouve pas de considération tout comme il refuse les compromis. Dans le film, Baxter est un bull-terrier qui, quand il n’est pas content, sort les crocs. Il a encore en lui de tristes séquelles d’humains qui n’ont pas été sympas avec lui. Au début, il est offert à une grand-mère qui va se barricader chez elle et basculer dans la folie furieuse. Il est pris ensuite en charge par « le couple d’en face » qui passe son temps à baiser et qui, un jour, triste nouvelle pour Baxter, a un enfant (et s’il le liquidait ?). Puis, vient le tour d’un jeune gamin, fasciné par Hitler et la Seconde Guerre mondiale qui tombe amoureux d’une Stéphanie de banlieue qu’il considère comme son Eva Braun... Trois histoires en une, regroupées dans ce morose Let me be your dog qui aborde de multiples sujets à la fois ; ce qui rend par conséquent la thématique du film vaste et riche. Baxter doit également beaucoup à sa galerie de personnages savoureux qui sont tous des monstres ordinaires, tout droits échappés d’un film de Todd Solondz. Parmi les trois segments, on est en droit d’avoir des préférences. La troisième histoire, la plus longue et la plus substantielle, enregistrant les relations tordues entre Baxter et un jeune garçon, est complexe. Le cinéaste va même jusqu’à donner des penchants malsains au gamin et le fait passer pour un Hitler jeune : son sadisme lorsqu’il demande au clebs de tuer un autre garçon ; son amour pour une Stéphanie de banlieue qui ressemble vaguement à Eva Braun, et surtout quand il se met à écrire un journal rappelant évidemment Mein Kampf... L’atmosphère est délétère, oppressante, presque effrayante, parce qu’ancrée dans une réalité insupportable faite d’hypocrisie et de mensonges, de tension et de refoulement. Dans ses meilleurs moments, le film possède un lyrisme, un souffle, qui lui fait atteindre des sommets, comme lors de ce dénouement où le jeune garçon observe le couple d’en face avec leur enfant, et qui prononce soudain les mêmes paroles que Baxter. Deux êtres incompris, qui dans le fond, souffrent des mêmes traumatismes, du même manque d’amour. Romain Le Vern
Baxter pense. Il réfléchit. Il se pose des questions existentielles. Qui suis-je, où vais-je ? Il vit et observe les autres, les hommes, qu'il méprise le plus souvent, qu'il envie parfois, mais parmi lesquels il ne se retrouve pas. Jamais. Il se sent seul. Personne ne le comprend, il se sent inutile. Personne ne lui demande rien. Persuadé qu'il doit avoir un but auprès de quelqu'un, il enrage de mener une vie trop tranquille, d'abord auprès d'une vieille sans odeur, ensuite auprès d'un couple qui l'oublie à la naissance de son bébé. Bref, une vraie vie de chien. Ce n'est qu'aux côtés d'une graine de nazillon qu'il a enfin l'impression d'exister enfin.
Quand Jérôme Boivin décide de se mettre au cinéma, il ne s'attaque pas au plus facile. Il commence par s'inspirer d'un roman de Ken Greenhall dont l'échec commercial fut retentissant. Mais Boivin a envie de quelque chose de nouveau, de sortir du court-métrage et du documentaire, sur lesquels il a œuvré jusque-là. Il tente de réaliser un film policier, classique, mais il s'ennuie très vite et jette l'éponge. Il veut autre chose. Ce sera BAXTER. Ce premier film fait l'effet d'une petite bombe subversive à sa sortie, en 1988. Avec la complicité de Jacques Audiard, il a su donner à l'histoire de ce bull-terrier très terre-à-terre une dynamique étonnante, faisant du chien un héros à la fois triste et inquiétant. Baxter réfléchit tout au long du film, et la voix off de Maxime Leroux raconte à la première personne les pensées les plus intimes du chien frustré, désabusé, rancunier méprisant. Il rumine des pulsions meurtrières et sexuelles, nourrit des fantasmes de destruction qu'il reconnaîtra chez Charles, l'insupportable nazi en herbe, interprété par un tout jeune garçon, François Driancourt, acteur improvisé le temps du film.
Le personnage de Baxter est intéressant pour plusieurs raisons. Son ambivalence est troublante, en ce sens que tout au long du film, il apparaît à la fois comme un véritable chien, dont on suppose que les préoccupations sont très primaires, mais aussi comme un être humain dont l'incertitude est permanente. Deux niveaux de « lecture » du personnage sont donc compatibles, et ne se téléscopent jamais. Le chien, un bull-terrier presque repoussant, au regard fuyant apparaît comme une espèce de résidu de multiples croisements, un être victime de nombreuses manipulations génétiques. Il est laid, presque difforme et son côté voyeur le rend encore plus inquiétant. Lorsqu'il court, son arrière-train se déporte sur le côté, ses pattes courtes et grossières semblent disproportionnées par rapport à son corps. Enfin, sa tête a quelque chose d'indescriptible, sa forme (phallique ?) assortie de ses yeux en « trous de pine » a un je-ne-sais-quoi d'incroyablement obscène et vulgaire. Le casting à ce niveau-là est exceptionnel. Aucun chien n'aurait pu mieux prêter ses traits au jeu de ce débile léger qu'est le chien Baxter.
Le film pour sa part est divisé en trois actes, dont le schéma très simpliste pourrait correspondre à la naissance, la vie, la mort. Trois actes pour représenter une vie, de l'enfance, parée de son innocence, de ses questions et interprétations naïves, à l'âge adulte, où les préoccupations deviennent plus claires, les objectifs plus précis. Le chien Baxter à mesure qu'il grandit et observe le monde qui l'entoure devient plus actif, sa volonté se précise. Il sait dorénavant ce qu'il veut faire de sa vie. Il apprend aussi à mieux maîtriser ses pulsions animales, lorsqu'il trouve enfin un cadre de vie réglé par des lois et des ordres. La troisième partie du film montre un chien rassuré par les contraintes que Charles lui a imposées. Ici, l'image allégorique de la Loi est très claire. L'humain se distingue de l'animal par les lois et les interdictions qu'il a érigées. La satire sociale apparaît de plus en plus évidente à mesure que Baxter change de maître.
BAXTER est un film plein d'une rage contenue, qui laisse le spectateur mal à l'aise, à l'instar du film de Gaspar Noé, SEUL CONTRE TOUS, précédé de CARNE, même si ces derniers proposaient des images bien plus explicites et violentes. Ces films sont également assez proches du fait de leur narration et de leur propos. Dans chacun d'eux, le personnage principal raconte sa vie et livre ses pensées les plus intimes au spectateur, tandis que se déroulent des passages de sa vie. Ensuite, comme dans les films de Gaspar Noé, les scènes sont entrecoupées d'écrans sur lesquels sont inscrites des transitions dans la vie des personnages. Enfin, et pour finir ce parallèle, notons que le personnage de Baxter et celui du boucher sont identiques : ils se sentent seuls et incompris.
Ce premier essai réussi de Jérôme Boivin se déguste avec un certain plaisir et donne un point de vue inédit de la vie à travers le regard de ce chien qui se cherche. Et rappelez-vous que d'après le peintre Toussaint Nicolas Charlet, « Ce qu'il y'a de meilleur dans l'homme, c'est le chien ». Nadia Derradji.
LES POUPÉES
Dolls
de Stuart Gordon, 1987, US, 1h17, Couleurs
avec Ian Patrick Williams, Carolyn Purdy-Gordon, Carrie Lorraine…
RÉSUMÉ : Un soir d'orage, une fillette, son père et sa seconde épouse (une femme riche qui déteste sa belle-fille) trouvent refuge dans une vieille maison occupée par un vieux couple plutôt étrange, les Hardwicke. Le vieil homme est un fabricant de poupées et de pantins et la maison est pleine de ces figurines de porcelaine ou de bois. Trois autres personnes viennent à leur tour s'abriter chez les Hardwicke : un homme au tempérament plutôt enfantin et deux filles punk, lesquelles font rapidement main basse sur tous les objets qui leur plaisent dans la maison. Mais ce soir-là, les poupées vont bientôt se révéler comme étant possédées, agressives, violentes : vivantes !
POINTS DE VUE : Dolls (1987) a été produit par Empire pictures, la boîte de production indépendante du prolifique Charles Band. Il s’agit surtout d’un film de Stuart Gordon, auteur des excellentes adaptations de Lovecraft, Re animator et From beyond, et plus grande révélation de ce mini studio spécialisé dans la série B de science-fiction et de fantastique.
Mais Dolls est aussi l’histoire d’un compromis. Son scénariste souhaitait rendre hommage aux films d’horreur d’antan. Charles Band voulait quant à lui orienter l’histoire de poupées tueuses vers le gore, à la façon de Re- animator, alors que Stuart Gordon entretenait l’idée d’un conte plus traditionnel pour adultes. Le résultat de ces trois influences est une œuvre à plusieurs facettes, qui dépasse aisément le statut de simple série B horrifique.
Dans Dolls, on suit d’une part une famille recomposée avec deux parents et une enfant de sept ans, Judy, et d’autre part deux adolescentes rebelles, au look punk de la Madonna des années 80, prises en auto-stop par un jeune adulte, Ralph. Tous ont été piégés par un orage et vont se réfugier dans un manoir qui va servir essentiellement de décor au film, évoquant l’œuvre d’Agatha Christie. Il est intéressant de savoir que par souci d’économie, Charles Band, roi de la débrouille, a utilisé les décors de From beyond, en Italie, autre film mis en scène parallèlement par Stuart Gordon, mais qui sortira quelques mois plus tôt.
Le fameux manoir, qui fait clairement référence aux classiques du genre de par son ambiance gothique, est tenu par deux personnes âgées, faussement avenantes, qui collectionnent de nombreuses poupées. Ce refuge est évidemment fatal car les poupées s’animent et sont bien décidées à trucider les intrus. Le piège se referme progressivement sur ces adultes qui n’imaginent pas le danger que représentent ces jouets d’un autre temps, loin de la percée des jeux électroniques, à la mode dans les années 80.
Le réalisateur Stuart Gordon fait preuve dans son film d’un humour bienvenu. Cela lui permet par exemple de critiquer de façon amusante le comportement de mégère de la belle-mère de cette famille recomposée, digne d’un récit de Perrault, interprétée par Carolyn Purdy-Gordon, l’épouse du cinéaste, aussi vue en médecin dans Re-animator et From Beyond. Le sort funeste qui lui est réservé reste un véritable régal pour le spectateur. Il en sera de même pour l’ensemble des mises à mort, aussi variées et originales soient-elles, elles demeurent toutes caractérisés par une bonne dose d’humour létal.
Au-delà de l’aspect comédie horrifique, Dolls s’avère être à la hauteur du conte pour adultes que souhaitait réaliser Stuart Gordon. Les personnages sont des artefacts de ce type de récit et l’on y retrouve la morale propre à ces histoires pour bambins, puisque seuls les adultes ayant gardé leur âme d’enfant peuvent repartir vivants.
Près de 30 ans après sa sortie, le film distille toujours un charme imparable, notamment grâce à une mise en scène soignée, utilisant les décors avec efficacité. Le tout est bien ficelé et ne pèche jamais par le rythme, alors que la durée se conforme à la taille resserré du conte : Dolls ne dure que 77 minutes, générique de fin compris.
Si ce film n’est pas le plus connu de son auteur (malgré son succès en VHS dans les années 80 et même une distribution en salle, il a été quelque peu oublié), il n’en demeure pas moins un valeureux hommage au fantastique à l’ancienne, empreint d’une nostalgie de l’artisanal salvatrice en pleine ère de l’électronique roi. Si Gordon envisagea une suite, c’est sous la forme de la série des Puppet Master, toujours produit par Charles Band, que l’exploitation des poupées animées se poursuivit.
Incontestablement, Dolls, qui est largement supérieur à la franchise increvable des Puppet Master, mérite d’être (re)découvert. Nicolas Bonnes.
Par une nuit d'orage, un couple et sa petite fille échouent sur une route de campagne. Leur voiture en panne, ils décident de se rendre vers une maison qui se trouve non loin de là. Plus tard, ils seront rejoints par deux jeunes adolescentes rebelles et un automobiliste pataud qui les avait pris en stop.
Un point de départ classique que l'on retrouve dans d'innombrables films. On prend une poignée de personnages que l'on place ensemble dans un endroit inquiétant dans lequel ils n'auraient probablement jamais mis les pieds de leur propre chef. Pourtant, cette bicoque n'est pas habitée par un croque-mitaine. Seulement par un couple de personnes âgées qui sont aussi affables qu'inquiétantes. Plus préoccupé par le bien-être de la petite fille, le vieil homme, qui s'avère être un créateur de poupées, cache un secret que l'on découvrira petit à petit en visitant la maison, en compagnie des divers protagonistes.
Si l'on avait déjà vu auparavant au cinéma des poupées maléfiques ou des pantins assassins, DOLLS les place dans un environnement qui leur est propre. La maison des petits vieux étant plus une maison de poupées à grande échelle qu'une habitation conventionnelle. Les poupées du titre, il y en a ! Partout et dans toutes les pièces. Mignonnes, il vaut tout de même mieux ne pas empiéter sur leur territoire. Comme lorsque les deux jeunes décérébrées font le ménage sur une commode pour y placer leur radio-cassettes. Plus tard, les petites poupées de porcelaine, chassées un moment, reprendront leur place avec un sourire bien plus inquiétant que toutes exactions gores. Parce que DOLLS en contient des effets sanglants. Mais ils ne sont pas l'élément essentiel. Le film raconte une histoire et ne joue pas la surenchère du gore. Une option qu'aurait pu prendre facilement le réalisateur compte tenu de ses travaux précédents.
L'histoire de DOLLS est assez maligne. Le bien et le mal sont représentés de manière claire et établie. Mais il ne s'agit pas ici de placer les nouveaux venus face à des créatures maléfiques et d'attendre la fin du film en organisant une élimination progressive. Encore que ? En tout cas, DOLLS fait assez penser aux contes de fées. Bien qu'il soit ici vraiment cruel. Les mauvais parents et les personnes mal élevées connaîtront la fin qu'ils méritent. Alors que ceux qui sont foncièrement gentils et ont bon cœur, en sortiront, sans trop se poser de question, avec un futur moins sombre. DOLLS nous dit aussi en gros que le monde des adultes est mauvais... Une corruption dont les enfants ne sont pas atteints. Le mal n'y est donc pas représenté tel qu'on aurait pu le croire. Pas plus que la maison ni ce qu'elle renferme ne contient le véritable mal. Le personnage de la petite fille fantasme au tout début avec son imagination fertile et naïve la fin de sa belle-mère. Un fantasme qui finira par prendre corps au contact de deux petits vieux défenseurs des cœurs purs.
Stuart Gordon restera à jamais le réalisateur de RE-ANIMATOR. Un premier film qui fut un tel succès que toute son œuvre aura été par la suite jugée dessus. Pourtant, s'il est de bon ton de cracher sur ce réalisateur, sa filmographie recèle bien plus que des nanars indigestes. Du tout ! Car on peut déjà citer plusieurs titres qui s'avèrent être de solides films de genre. FROM BEYOND, plus ou moins incompris au moment de sa sortie... Son Christophe Lambert, FORTRESS. Plus récemment un délirant et décalé SPACE TRUCKERS dont on ne comprend même pas pourquoi il n'a pas eu droit à une sortie en salles dans nos contrées. Ou le DOLLS dont on vous parle ici... Il est intéressant de noter que trois des films cités ont été réalisés à la même période pour Empire, la boite de production de Charles Band, et sous la houlette du producteur Brian Yuzna. Une équipe gagnante qui se disloqua rapidement pour diverses raisons.
DOLLS n'est pas un chef-d’œuvre mais qui, malgré des images parfois excessivement gores, nous présente une petite histoire croquignolette et savoureuse. Christophe Lemonnier.
L’AUTRE
The Other
de Robert Mulligan, 1972, US, 1h45, Couleurs
avec Uta Hagen, Diana Muldam, Chris et Martin Udvarnoky…
RÉSUMÉ : Dans une ferme du Connecticut, deux jumeaux, Nils et Holland, passent une enfance heureuse et ensoleillée. Leur père est mort et leur mère étant malade, c’est leur grand-mère Ada qui s'occupe d'eux, celle-ci leur enseigne « le jeu ». Un rituel étrange qui consiste à se transformer en objet ou animal par le seul pouvoir de la pensée. Débute alors une série d’accidents de plus en plus macabres : leur cousin s'empale sur une fourche, la voisine meurt bizarrement, la grange où Nils est enfermé brûle. Mais Holland, son frère, existe-t-il vraiment ? N'est-ce pas lui qui lui donne vie, puisqu'il paraît que Holland est mort depuis des années ?
POINTS DE VUE : Un très étrange et raffiné film fantastique de la part d'un cinéaste qui semblait très loin de préoccupations de cet ordre. Ce film joue du contraste entre une esthétique rétro au climat chaud et ensoleillé et une intrigue en demi-teintes, avec quelques effets spectaculaires évoquant très justement l'univers de l'enfance, qui vient mettre sa part d'ombre sur ce climat. Ce fantastique, de caractère plutôt européen, évoque aussi l'univers du grand écrivain Nathaniel Hawthorne. L'horreur y vient plus de la suggestion que de la figuration. Stéphan Krezinski.
C’est un classique secret du cinéma fantastique. Secret ne veut pourtant pas dire que L’Autre (The Other, 1972) est un film underground, ou une série Z uniquement connue des amateurs de bizarreries cinématographiques. L’aura de mystère qui l’entoure ne tient pas à ses conditions de production, ni à sa forme relativement classique, mais à rien d’autre que son sujet et les espaces mentaux dans lesquels il a osé s’aventurer. L’Autre est signé Robert Mulligan, cinéaste trop discret qui compta parmi les nouveaux talents du cinéma américain apparus dans les années 60. Sa carrière est inégale mais on lui doit quelques grandes réussites comme Du silence et des ombres (adaptation du roman Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur de Harper Lee) et L’Homme sauvage (western violent et désenchanté sur la question indienne), tous deux interprétés par Gregory Peck, et un grand succès commercial au début des années 70, Un été 42 rendu célèbre par la musique de Michel Legrand. Comme d’autres films de Mulligan, L’Autre est une pastorale américaine, une tranche d’Americana située dans la campagne du Connecticut, l’été 1935. Le film est tiré d’un roman de Tom Tryon, acteur qui s’était reconverti dans l’écriture après quelques déconvenues professionnelles, notamment son expérience traumatisante sur le tournage du Cardinal de Otto Preminger, où il tenait le rôle principal. Mulligan s’intéresse de nouveau à l’Amérique rurale, et à l’enfance, ses peurs et ses zones d’ombres. Il opte pour un style en contrepoint du fantastique traditionnel. L’atmosphère lumineuse et le cadre paisible d’une petite communauté agricole loin des tourments de la ville ne font que souligner l’horreur et le malaise qui suintent de l’histoire qui nous est contée. L’Autre est bâti autour de deux tabous : la mort d’un enfant – ici un jeune garçon et un nourrisson tués d’une manière atroce – et aussi l’enfance meurtrière, l’innocence pervertie. Sans jamais sombrer dans le Grand-Guignol, L’Autre nous confronte à des terreurs secrètes. Un enfant y est hanté par le souvenir de son frère jumeau maléfique, un monstre au visage angélique qui continue à vivre dans son esprit, et dont il perpétue les actes. La mise en scène du dédoublement de personnalité de l’enfant est des plus subtiles, et distille longuement le doute sur l’existence des deux enfants.
L’Autre fut réalisé avant que le cinéma fantastique ou d’horreur ne sorte de la marginalité et n’acquièrent les honneurs des budgets importants et des cimes du box-office – L’Exorciste, La Malédiction. Il survient aussi avant que des cinéastes comme John Carpenter, Brian De Palma ou David Cronenberg ne modernisent les mythes fantastiques. Avec son esthétique rétro et son traitement intimiste, L’Autre n’obtint pas les faveurs du grand public mais gagna rapidement ses galons de classique de l’étrange. La photographie couleur de Robert Surtrees et la superbe musique de Jerry Goldsmith contribuèrent à son excellente réputation auprès des cinéphiles. Olivier Père.
COMMENTAIRE : C’est la vision du Rosemary’s Baby de Roman Polanski qui donna l’idée à Tom Tryon d’écrire un roman d’épouvante. Le Visage de l’autre paraît en 1971 et reçoit d’emblée un accueil critique et public très favorable, ce qui confortera rapidement Tryon dans l’idée de persévérer dans cette voie littéraire et le poussera à abandonner définitivement la comédie. Il écrira rapidement l’adaptation de son roman pour le grand écran, espérant même pourvoir le réaliser. Si le scénario porte la patte de Tryon, le film n’aurait pas été le même sans la sensibilité de Robert Mulligan.
Souvent classé comme film fantastique - ce sera d’ailleurs la seule incursion du réalisateur dans un genre où l'on ne l’attendait pas vraiment -, le film de Mulligan ne se rattache au genre qu’à travers ce « grand jeu » auquel excelle Niles et que lui a appris sa grand-mère. Ce "jeu", consistant pour l’enfant à se substituer à un animal voire à un être humain en se projetant directement dans son esprit, un peu à la manière d’un chamane, sera la seule concession réellement fantastique du film.
Mulligan expliquait : « J’ai cherché à visualiser le traumatisme d’un enfant qui vit d’avantage par son imagination que dans le réel. » De fait, c’est cette imagination, stimulée par ce jeu initié par Ada pour le protéger d’un traumatisme dont on saura la teneur plus tard, qui sera l’élément déclencheur de tous les drames. Dès le départ, Mulligan brouille les cartes en montrant littéralement le produit de cette imagination, comme dans cette scène où Niles vole dans l’esprit de corbeau ou même les scènes avec son frère Holland. Dans une autre interview, il dira : « Je veux mettre le public dans le corps du garçon avec ce plan et faire de l’expérience du film, du début jusqu’à la fin, une expérience subjective. »
Cinéaste sensible à défaut d’être virtuose, Mulligan était de par son caractère humaniste et son empathie envers ses personnages probablement l'un des mieux placés pour aborder l’histoire de Tryon. Sa mise en scène plus discrète et subtile que vraiment « classique » est pourtant plus recherchée qu’il n’y paraît. Pour saisir l’importance de L’autre, il faut bien comprendre que, en 1972, ce procédé fut si révolutionnaire qu’il divisa la critique. Montrer à l’écran un personnage qui n’existe que dans l’imagination schizophrénique d’un tiers est devenu monnaie courante, mais peut-être ne serait-ce pas le cas si L’autre n’avait pas ouvert la voie.
Mulligan traduit à merveille l’effervescence de l’enfance, ses jeux au travers d’un montage serré, d’une multitude de plans sans temps morts. Il y a une volonté d’immerger le spectateur dans le monde de l’enfance. Ce n’est qu’à partir du premier accident que le film ralentit son rythme progressivement pour, petit à petit, installer un climat anxiogène où l’ombre d’un nouvel et inéluctable drame se promène constamment tandis qu’on découvre au travers de divers flash-back ou au détour d’une ligne de dialogue les événements terribles qui se sont déroulés peu de temps auparavant.
Mulligan montre peu l’horreur, mais elle n’en est que plus terrifiante. Au-delà du drame horrifique, L’Autre, plus qu’un film sur la gémellité est un formidable film sur le deuil. C’est pour aider Niles à surmonter un deuil que Babouchka, comme il l’appelle, va lui enseigner « le grand jeu ». La mère, elle, semble submergée par le deuil, incapable de faire face à la réalité de la mort de ceux qu’elle aime.
Bien que producteur exécutif du film, Tryon n’appréciera pas l’adaptation que Mulligan fit de son scénario. Pourtant le film fonctionne. Le montage, l’ambiance maléfique qui s’installe peu à peu, en même temps qu’un certain malaise chez le spectateur à mesure qu’il se rend compte que rien ne semble arrêter Niles, concourent à faire du film une réussite qui a peu à envier à La Malédiction de Richard Donner, pour ne prendre qu’un exemple relativement contemporain.
Mais L’Autre ne serait pas ce qu’il est sans la fraîcheur de ses deux interprètes principaux, Chris et Martin Udvarnoky dont ça restera le seul film. Fraîcheur et relative innocence de Niles qui contraste avec la froide détermination et l’emprise que peut avoir Holland. Les deux enfants sont en effet impressionnants de justesse et de naturel. L’interaction des deux frères (que l’on ne voit jamais ensemble à l'écran) fonctionne à merveille et est certainement l'une des grandes idées du film. L’autre grande réussite d’un casting dépourvu de stars est certainement Uta Hagen qui interprète magnifiquement la grand-mère des enfants.
L’insidieux passage mené entre une photographie très lumineuse qui s’accorde à la candeur des enfants et une atmosphère ténébreuse terriblement angoissante se fait avec une subtilité telle que, là encore, L’Autre s’impose comme un modèle incontournable pour toutes les générations d’amateurs de films d’horreur.
LE LOCATAIRE
The Tenant
de Roman Polanski, 1976, France, 2h05, Couleurs
avec Roman Polanski, Isabelle Adjani, Melvyn Douglas…
RÉSUMÉ : Trelkovsky, un homme timide et réservé, visite un appartement vacant pour le louer. Lors de la visite, la concierge lui apprend que Simone Choule, l'ancienne locataire, a voulu se suicider sans raison apparente, en se jetant de la fenêtre de l'appartement. Après le décès de l'ancienne locataire, il emménage. Il va vite s'apercevoir que tous ses voisins ont un comportement étrange. Et certains commencent même à le harceler...
POINTS DE VUE : Avec ses limites, et sans arriver complètement à équilibrer l'humour et le fantastique paranoïaque, le Locataire reste une grande réussite, où l'auteur fait une création inspirée, dans cet appartement rendu si présent qu'on croit en sentir l'odeur. Stéphan Krezinski.
Succombons une fois n’est pas coutume aux délices du dithyrambe devant ce qui semble être le film le plus effrayant au monde : Le locataire de Roman Polanski (1976) est un authentique cauchemar, dans lequel un homme gauche et réservé, affecté à un service d’archives, s’installe dans un appartement où le voisinage semble particulièrement étrange. Tourné en très peu de temps, Le locataire, considéré à tort comme une relecture narcissique de Répulsion, est un modèle de sobriété et d’efficacité, qui titille la fibre parano enfouie en chacun de nous et provoque chez le spectateur plein de frayeurs indicibles, traumatisantes.
Des bruits indistincts dans votre appartement, la sensation d’être épié par des voisins laconiques qui vous fixent avec insistance, la solitude, l’angoisse, la folie du personnage vous contaminent petit à petit, sans nécessairement qu’on s’en rende compte, jusqu’au dernier plan inoubliable.
Cette histoire sera renouvelée, telle une boucle jamais finie, un cercle infernal, et les prochaines victimes sont parmi nous. Un cauchemar, une abomination. Si vous ne l’avez toujours pas vu ce chef-d’œuvre, vous n’imaginez pas la chance que vous avez de le découvrir ! Romain Le Vern.
Trelkovsky (interprété par Roman Polanski sans être crédité au générique), d’origine polonaise, travaille dans un service d’archives et se lie difficilement avec ses collègues. Il visite un appartement inoccupé dans un quartier populaire de Paris et la concierge lui apprend que la locataire précédente s’est jetée par la fenêtre quelques jours auparavant. Trelkovsky s’installe dans l’appartement. Mais il est bientôt victime de multiples vexations de la part de ses voisins...
Le Locataire, d’après le roman de Roland Topor, Le Locataire chimérique publié en 1964, est une vision oppressante de Paris et un des films les plus convaincants jamais réalisés sur la schizophrénie. Il s’agit du chef-d’œuvre maudit de Roman Polanski – le film fut incompris et sous-estimé au moment de sa sortie, avant d’être considéré parmi les meilleurs de son auteur. Le Locataire n’est pas proprement parlé un film d’horreur et c’est pourtant un film terriblement angoissant, une plongée dans la folie à vous glacer le sang, avec des images atroces et dérangeantes qui s’inscrivent à tout jamais dans votre cerveau. Polanski, comme Hitchcock ou Kubrick, est passé maître dans l’art de capturer le spectateur pour le conduire exactement là où il veut.
Le cinéaste parle avant tout de l’anxiété d’être un étranger dans une grande ville, seul et en proie à l’hostilité de tous. Ce qui commence en inventaire des tracas de la vie de locataire à Paris – tapage nocturne, voisins malveillants, concierge acariâtre et propriétaire menaçant – se transforme peu à peu en délire paranoïaque.
Une pétition pour faire expulser de l’immeuble une vieille femme au nom arménien, les remontrances et les insinuations en tous genres dont est victime Trelkovsky font ressurgir dans Le Locataire les spectres de la Collaboration, d’autant plus que Trelkovsky est d’origine juive et que son statut d’étranger lui est sans cesse rappelé...
À l’intérieur de la filmographie de Polanski, Le Locataire s’inscrit dans la continuité de Répulsion et de Rosemary’s Baby. Fictions hantées de l’enfermement, du dédoublement de personnalité et de la persécution, les trois films montrent le glissement progressif de la réalité vers le cauchemar. Mais dans Le Locataire, Polanski opte franchement pour le grotesque et l’humour noir et crée un personnage qui n’est dangereux que pour lui-même, sadomasochiste et névrosé qui va endosser la défroque de la précédente locataire et subir jusqu’à l’autodestruction le harcèlement de son voisinage et les hallucinations qui en résultent. La dimension comique et grinçante du Locataire est accentuée par les choix de Polanski qui mélange de manière inattendue des vieilles gloires hollywoodiennes (Shelley Winters, Melvyn Douglas vu chez Lubitsch ou Cukor, Jo Van Fleet) dans des rôles inquiétants et la nouvelle génération des comédiens comiques français du Café de la Gare et du Théâtre du Splendid dans des apparitions bouffonnes (Josiane Balasko, Michel Blanc, Gérard Jugnot, Romain Bouteille, Rufus...) sans oublier Bernard Fresson et Isabelle Adjani dans des contre-emplois surprenants.
À Londres (Répulsion) et New York (Rosemary’s Baby) succède Paris du temps du trou des Halles, capitale en travaux débarrassée de sa séduction touristique et plongée dans une atmosphère glauque et lugubre. Tous les clichés de la ville lumière sont balayés, l’appartement de Trelkovsky se situe dans les quartiers populaires du Nord de la ville mais Polanski parvient aussi à rendre inquiétants les quais de Seine et les jardins du Luxembourg. Fidèle à sa réputation de perfectionniste attentif aux moindres détails artistiques et techniques, Polanski préféra reconstituer en studio l’immeuble et sa cour afin d’y régler avec plus de liberté de complexes mouvements de caméra et des perspectives truquées. Le Locataire dont la photographie est signée Sven Nykvist, est le premier long métrage à utiliser la grue Louma, notamment pour son sinueux plan d’ouverture, qui n’est pas sans rappeler les célèbres plans séquences de Orson Welles comme ceux de La Soif du mal. Olivier Père.
COMMENTAIRE : Trelkovsky, employé polonais timide et craintif, devient le locataire d'un appartement dont la précédente occupante s'est suicidée en se jetant par la fenêtre. Se sentant de plus en plus observé et harcelé par ses voisins, il en vient à imaginer un complot destiné à le pousser à attenter à ses jours.
Premier film tourné en France par Polanski, Le Locataire, dont la photographie est signée Sven Nykvist, chef-opérateur attitré de Bergman, est aussi le premier long métrage sur lequel est utilisée la grue Louma, qui permit le fameux plan-séquence d'ouverture.
LES VISITEURS DU SOIR
de Marcel Carné, 1942, France, 2h, Noir et Blanc
avec Arletty, Alain Cuny, Jules Berry, Marie Dea…
RÉSUMÉ : Mai 1485. Le baron Hugues marie sa fille Anne au chevalier Renaud, dans un beau château fort tout blanc, tout neuf. Cette situation idyllique agace le Diable qui déteste le bonheur des gens. Il délègue deux de ses créatures, Gilles et Dominique, pour créer le désordre et semer la haine. Gilles doit séduire Anne, Dominique se réserve le baron et le chevalier. Or, Gilles et Anne déjouent le complot diabolique et s'aiment vraiment. Le Diable, furieux, arrive au château pour reprendre en main la situation.
POINTS DE VUE : Il y a d'abord toute la tendresse fleur bleue, toute la poésie populaire et subtile de Prévert et cette idée simple : l'amour est plus fort que tout, le diable lui-même est terrassé par la puissance des enfants qui s'aiment. D'autres aphorismes, d'autres idées poétiques jalonnent ce beau film à la fois historique et fantastique. Ses personnages sont devenus des symboles. Les trucages, très simples (ce sont les meilleurs), font beaucoup d'effet. Un laideron devient une belle fille « comme par enchantement », un bal d'apparat se fige pour permettre aux héros de vivre quelques heures hors du temps. L'image est splendide et Jules Berry cabotin en diable. C'est une de ses meilleures performances. Gilbert Salachas.
Jacques Prévert est peut-être le poète de l’ordinaire, mais il est aussi le poète de l’extraordinaire. Il ne faut pas oublier qu’il a fait partie du groupe des Surréalistes entre 1925 et 1930 et tous ses textes sont imprégnés de surréalisme. Quelques fois, dans un texte très réaliste comme "La Crosse en l’air", très lié à l’actualité de l’époque de 1936, apparaissent un oiseau et un chat merveilleux qui vont se lier aux autres personnages. Prévert aime le merveilleux, le fantastique. Cet amour du fantastique de Carné a rejoint quelque chose de profond chez Jacques Prévert. Le recours au Moyen Âge permet de dire des choses sur l’époque sans en avoir l’air. Ça a été réussi puisque la presse collaboratrice a été plutôt favorable au film à commencer par Lucien Rebatet qui avait dit beaucoup de mal des films précédents de Carné et Prévert. Comme Rebatet est une sorte d’oracle, à l’époque, pour tout ce qui est collaboration, les autres suivent... C’est très malin de la part de Rebatet qui récupère un film, on était alors dans une époque où la plupart des films étaient des navets qui faisaient l’apologie du nazisme, là on se retrouve avec un joyau qu’il faut donc récupérer au profit du pouvoir... Le film dit bien entendu tout l’inverse de ce que prône le pouvoir et certains critiques s’en sont aperçus... Danièle Gasiglia Laster
COMMENTAIRE : « Marcel Carné est motivé par l’envie de réaliser un cinquième film à partir d’un scénario de Jacques Prévert. Il souhaite également diriger l’acteur Alain Cuny qu’il a remarqué au Théâtre de l'Atelier alors qu’il jouait Orphée dans Eurydice de Jean Anouilh : « Il avait une très belle voix, grave, prenante. Son seul défaut était un débit assez lent, comme s’il s’écoutait parler, joint à un accent chantant sur certaines fins de phrases ». Carné lui fait passer des essais pour le rôle du musicien de Juliette et la Clé des songes (abandonné à cette époque). Enfin, le réalisateur est excédé par les interdits de Vichy et par la censure qui sévit en France. Repliée sous le couvercle de l’Occupation, la production cinématographique se doit en effet d’être intemporelle si bien que les auteurs ne peuvent être des témoins de leur époque, à moins qu’ils ne le fassent en teintant le tout de propagande. D’un commun accord, il est donc décidé de s’évader dans un autre siècle et/ou un autre genre pour conserver une entière indépendance. Carné et Prévert songent d’abord à reprendre un projet qui est en gestation depuis 1940 mais dont l’entrée en guerre du pays avait sonné le glas : Le Chat botté de Perrault, dans lequel le chat devait être interprété par Maurice Baquet. Trauner avait même commencé à réaliser des maquettes, reprises pour Les Visiteurs du soir. C’est finalement l’évasion dans le Moyen Âge qui sera la solution de rechange adoptée pour se donner la liberté d’aller à contre-courant. »
Pourtant, le film pourrait bien être en lien beaucoup plus étroit avec l'actualité de l'époque, contrairement à ce que pouvait laisser croire cet apparent refuge dans le passé. Danièle Gasiglia-Laster a bien montré les rapports de ce film avec son temps : la date donnée dès le début du film (1485) nous donne, si on l'inverse, 5 août 41... Quant à la fin du film — le cœur des deux amants changés en statues continuant à battre — il est très éclairant de la mettre en parallèle avec un poème de Prévert écrit plusieurs années plus tôt, La Crosse en l'air (1936) : « où il avait déjà utilisé cette métaphore du cœur que rien ne peut détruire pour évoquer la résistance à Franco. Ce cœur, c'était « le cœur de la révolution », ce cœur écrivait-il, « que rien...personne ne peut empêcher d'abattre ceux qui veulent l'empêcher de battre... de se battre... de battre. »
Dans le contexte de l'Occupation, les spectateurs avertis ont saisi la parabole de la guerre, le baron Hugues représentant Pétain, son château le régime de Vichy et le diable, les Allemands ; les deux amants, statufiés à la fin (mais dont les cœurs battent toujours) renverraient à la Résistance." Extrait de Carole Aurouet : "Jacques Prévert, portrait d'une vie".
LE MORT QUI MARCHE
The Walking Dead
de Michael Curtiz, 1936, US, 1h06, Noir et Blanc
avec Boris Karloff, Edmund Gwenn, Marguerite Churchill…
RÉSUMÉ : Un savant parvient à ranimer un condamné exécuté sur la chaise électrique dont on s'était aperçu qu'il était innocent. Il a dès lors la faculté de rendre fous ceux qui l'ont fait condamner.
COMMENTAIRE : Un politicien véreux proche de la pègre, est condamné par un juge intègre, pour des malversations. Les gangsters proches de l'édile corrompu organisent le meurtre du juge et font porter le chapeau à un pauvre musicien au chômage. Des témoins pourraient l 'innocenter, mais les gangsters les menacent. Ils se décident à parler, mais trop tard. Ellmann, le musicien, est exécuté sur la chaise électrique...
Le docteur Beaumont le ramène à la vie grâce à une technique de son invention. Revenu d'entre les morts, il n'est plus le même. Le regard hagard, traînant péniblement sa carcasse, il ne se rappelle plus d'aucun événement antérieur à son réveil miraculeux. Ellmann parvient à jouer de la musique comme auparavant, reconnaît ses ennemis, mais ne se rappelle pas des faits ayant entraîné son exécution. Même revenu d'entre les morts, on cherche encore à le manipuler, que ce soit le procureur pour arrêter les malfaiteurs, ou le docteur Beaumont pour lui soutirer les secrets de l'au-delà.
De plus, pour se protéger, la pègre cherche à l'abattre une nouvelle fois ! Ellmann erre égaré dans ce monde qu'il ne comprend pas. Entouré partout où il se rend d'un aura surnaturel, il sème malgré lui une terreur mortelle parmi les gangsters.
Michael Curtiz refuse d'aborder le fantastique en passant par une ambiance gothique et brumeuse. Il rend, par son style nerveux, l’état d'excitation de la vie urbaine, ralentit son tempo pour exprimer la nature surnaturelle d'Ellmann. Il souligne le décalage complet, le contraste saisissant entre le monde des vivants, plein de bruit et d'activité, et la lenteur hagarde de ce zombie aux gestes et aux pensées rythmées par le temps des morts. On admire de magnifiques séquences, telle la mise en œuvre expressionniste du processus inventé par Beaumont pour ramener Ellmann à la vie, au milieu des superbes décors d'un laboratoire bourré de dispositifs électriques. La magnifique scène au cours de laquelle Ellmann reconnaît ses bourreaux et les dévisage avec intensité durant un concert de piano, est un sommet de l'art de Michael Curtiz et du jeu dramatique de Boris Karloff.
MERLIN L’ENCHANTEUR
The Sword in the Stone
de Wolfgang Reitherman, studios Disney, 1963, US, 1h20, Couleurs, animation
RÉSUMÉ : Depuis longtemps, l'Angleterre est plongée dans la guerre. Au centre de Londres, une épée magique, scellée dans une enclume, attend qu'un être d'exception vienne la retirer. Celui qui réussira cet exploit deviendra roi. A quelques lieues de là, le jeune Arthur, un orphelin surnommé Moustique, travaille dans les cuisines de Sire Hector. Au cours d'une partie de chasse avec Kay, le fils de son maître, il échoue dans la cabane de Merlin l'enchanteur. Avec son compagnon Archimède le hibou, le mage décide d'entreprendre son éducation...
POINT DE VUE : « Celui qui retirera l’épée de cette enclume deviendra souverain légitime du royaume d’Angleterre. » Dans le continuum des classiques Disney, on aurait tendance à oublier Merlin l’Enchanteur (1963), coincé entre Les 101 Dalmatiens et Le Livre de la jungle. Pourtant, faites l’expérience, lancez le titre de ce dessin animé drôlement médiéval à la cantonade et, soudain, tout le monde se souvient : l’épatant duel de sorcellerie entre Merlin et l’affreuse Madame Mim, la scène où la cuisine du jeune Moustique (Arthur, de son vrai blase, et futur roi d’Angleterre) se met en fonction « autolavage » ou encore celle où Merlin fait ses bagages (point de vue contenance, à côté, le sac de Mary Poppins, c’est de la rigolade).
À revoir le film de Wolfgang Reitherman (réalisateur et animateur Disney du premier âge d’or des studios, membre de la légendaire équipe des Nine Old Men), on l’adoube pour d’autres raisons. Les chansons, d’abord, comme C’est c’qui fait qu’tout tourne rond, ou le ballet jazzy de la vaisselle : elles sont l’œuvre des frères Sherman qui entamaient là une fructueuse collaboration avec Disney, avant de signer les tubes de Mary Poppins, Les Aristochats ou Le Livre de la jungle. Mais aussi les dialogues astucieux (« Archimède, tu te noies dans tes principes », lance Merlin à son hibou) et l’usage savoureux des anachronismes (quand l’Enchanteur boude, il se téléporte à « Saint-Trop’, une cité balnéaire qui sera à la mode dans très longtemps »). Et, enfin, le message, toujours bon à faire passer aux enfants : la culture, c’est le pouvoir. Tu l’as dit, Merlin. Guillemette Odicino, 2021.
COMMENTAIRE : Merlin l'Enchanteur est adapté de l'œuvre de T.H. White. Walt Disney tire son long-métrage du premier livre de la série, publié en 1938, L'épée dans le roc. Il y revisite bien sûr la légende du roi Arthur en associant à l'aventure, l'humour et la magie.
L'époque est à l'économie. L'ambition artistique doit désormais faire face aux réalités financières. Si l'enthousiasme des artistes n'est pas à remettre en cause, celui des financiers de la Walt Disney Company, Roy Disney en tête, est franchement entamé. En 1961, les studios ont produit dix-sept Grand Classiques qui plombent les comptes avant d’être rentables. Ils sont longs et couteux à produire si bien que leurs recettes sont souvent moindres à leurs débuts. La Walt Disney Company, d'après ses financiers, vivrait tout à fait correctement avec son catalogue et l'organisation de ressorties régulières. Pourquoi dépenser inutilement de l'argent ? Walt Disney résiste farouchement à cette conception radicale : il juge que la sécurité financière de ses studios passe par les long-métrages animés et que le public ne comprendrait pas l'arrêt de l'activité. En revanche, il accepte d'en ralentir le rythme de sortie pour passer à un film tous les quatre ans contre deux auparavant.
Walt Disney choisit la sécurité financière et artistique que portait en soi Merlin l'Enchanteur, clairement influencé par la politique de restriction budgétaire. Ainsi le long-métrage réduit considérablement les détails et les aventures épiques de l'histoire. Moustique, qui subit cinq transformations dans le roman, n'en connait plus que trois dans le film (poisson, écureuil et oiseau). Quant à la magie, elle se fait discrète, servant juste à transformer le jeune homme ou déplacer des objets. En réalité, le récit de Merlin l'Enchanteur se consacre uniquement à l'éducation du jeune garçon destiné à être roi. Le film marque un virage dans les productions Disney qui prennent avec lui, et ce jusqu'à la fin des années 70, la fâcheuse habitude de ne plus construire de solides histoires mais de se contenter de lier entre elles, plus ou moins avec bonheur, des scènes fortes.
La volonté d'économie ne touche pas Merlin l'Enchanteur que dans son histoire, elle vient également perturber son animation, il s'enlise dans un copier-coller ronronnant. Son style graphique est ainsi le même que son prédécesseur. Il en sera d'ailleurs de la sorte jusqu'aux années 80. Les effets spéciaux sont quasiment absents. Des séquences valent toutefois le détour. La tour du Mage dans le château, en particulier lors de la nuit d'orage, est bluffante tout comme l'exploration de la vie aquatique à l'occasion de la transformation en poisson du maître et de son élève. Les décors reprennent la technique inaugurée pour Les 101 Dalmatiens et devient la règle chez Disney pour deux décennies. Les formes sont arbitraires, les couleurs, seules peintes et les lignes noires Xerox délimitant les contours, rajoutées séparément.
Merlin, affublé d'une vaste robe bleue, revêt un aspect anguleux dont une longue et espiègle barbe blanche venant appuyer le trait. Il aime montrer sa « science » et en particulier sa connaissance du futur. Ce travers est l'occasion rêvée de servir des anachronismes amusants, bien intégrés au monde moyenâgeux. Magicien, il n'utilise son art que pour arriver à ses fins. L’apparence de Moustique va figer chez Disney la représentation des adolescents pour plusieurs décennies. Il est ainsi maigre et anguleux, dispose d'une mèche rebelle, et d'une tête disproportionnée par rapport à son corps. Il brille par sa maladresse, et s'il est dynamique et plein d'entrain, il conserve une opinion très humble de lui-même ce qui n'est pas sans poser de problèmes avec le vieux magicien.
Le hibou Archimède est, à n'en pas douter, l'un des personnages les plus forts du film. Cet oiseau bourru et irascible marque les esprits par sa drôlerie. Sa relation avec Merlin n'est pas en reste dans son succès public. Toujours prompt à le contredire, lui envoyant des répliques assassines, doutant sans cesse de l'omniscience de son maître, il est l'archétype même du bougon.
Madame Mim aurait pu marquer de son empreinte Merlin l'Enchanteur si elle n'avait pas été confinée à une séquence beaucoup trop courte. Elle est digne des plus grands vilains de Disney. Sorcière, grosse et laide, elle est une méchante à l'état pur. Elle se transforme à volonté pour toujours emporter la mise. Elle reste toutefois plus amusante que réellement effrayante. La bataille de sorcellerie qu'elle engage avec Merlin reste l'un des passages les plus réussis du film. La scèneoù ils s'affrontent à coups de transformations en tous genres est l'occasion rêvée pour les artistes de se livrer à des inventions visuelles et des trouvailles d'animation remarquables. Les différentes mutations vont ainsi crescendo et finissent en apothéose par la transformation en dragon de la sorcière et la parade de Merlin. Un morceau d'anthologie !
La Critique américaine est étonnamment gentille avec Merlin l'Enchanteur. Le public sera conquis modestement. La presse française, elle, plus circonspecte. Les résultats commerciaux du film lui ouvre la porte de deux ressorties, respectivement, en 1972 et 1983. Non admis au panthéon des meilleurs films d'animation, Merlin l'Enchanteur mérite néanmoins on titre de Grand Classique Disney. Il reste le coup de cœur silencieux de générations entières de spectateurs.
LA BELLE AU BOIS DORMANT
Sleeping Beauty
d’Eric Larson, Wolfgang Reitherman, Les Clark, supervisé par Clyde Geronimi, 1958, US, 1h15, animation, Couleurs
RÉSUMÉ : Dans un pays imaginaire, au XIVe siècle, le roi Stéphane et sa femme rêvent d'avoir un enfant. Un jour enfin, leur rêve se réalise, et ils prénomment leur petite fille « Aurore ». Ils organisent alors une fête à laquelle sont conviés tous les habitants du royaume. Hubert, le roi d'une contrée voisine, se joint à l'assistance, et leur présente son jeune fils, le prince Philippe. Soudain, trois marraines-fées apparaissent. Elles sont venues offrir chacune un don à la petite princesse Aurore : Flora, à la robe rose, la dote d'une beauté incomparable ; Pâquerette, à la robe verte, la dote d'une voix mélodieuse. Quand Pimprenelle, à la robe bleue, s'apprête à formuler son don, un grand souffle de vent se fait entendre. Un éclair zèbre la salle du trône, et la terrifiante et méchante sorcière Maléfique, fait son apparition, vite rejointe par son fidèle corbeau Diablo. Pleine de rancune de ne pas avoir été invitée à la fête, elle se venge de cet affront en jetant un mauvais sort à la petite princesse Aurore : en grandissant, elle deviendra gracieuse et belle, et aura pour elle l'amour et la dévotion de chacun. Mais, avant le jour de ses seize ans, elle se piquera le doigt au fuseau d'un rouet, et en mourra. Pimprenelle, qui ne peut conjurer totalement le mauvais sort, l'adoucit. Au lieu de mourir, la princesse Aurore tombera dans un profond sommeil d'où seul le baiser d'un prince pourra la tirer…
POINT DE VUE : Il était une fois une douce Aurore condamnée. Une obscure Maléfique entêtée. Trois petites fées colorées délivrant un prince enamouré. Il était une fois un royaume Disney où ne régnaient point encore la 3D et le second degré. Les couleurs éclatent sur les pourpoints des chevaliers et les parures des destriers. La chanson Mon amour, je t’ai vu au beau milieu d’un rêve coule comme de l’eau de rose, que l’on peut juger sirupeuse ou juste assez sucrée.
Tout « conte » fait, on peut préférer Cendrillon, réalisé pourtant neuf ans auparavant, où la fantaisie l’emporte sur le romantisme. Mais, au moins, cette Belle au bois dormant nous rouvre les portes de l’enfance. De ses rêves de barbe à papa et de ses dragons, aussi, qui nous forçaient à demander de laisser une petite lumière allumée au moment du coucher... Guillemette Odicino, 2020.
COMMENTAIRE : C'est le dernier long-métrage d'animation produit par Walt Disney à être basé sur un conte de fées (après sa mort, le studio est revenu au genre avec La Petite Sirène), ainsi que le dernier long métrage d'animation type celluloïd de Disney à être encré à la main avant que le processus de xérographie ne prenne le relais. En terme de prouesse technologique dans l'art de l'animation cinématographique, c'est le premier long-métrage d'animation a faire usage du format d'image de 70mm (ou SuperTechnirama 70) afin de donner à l'écran un élargissement total sur les scènes du film (processus qui sera repris pour Taram et le chaudron Magique (1985). La production se déroula durant les années 1950 : Début des travaux en 1951, doublage des personnages en 1952, et animation de 1953 à 1958 (enregistrement de la bande son en 1957). Dans un souci de recherche graphique, Disney fait appel au début des années 50 à Eyvind Earle pour concevoir non seulement les décors du film mais également le style caractérisant le long-métrage tout entier. Pour répondre aux exigences, ce dernier crée un "style d'inspiration moyenâgeuse" amenant une véritable différenciation, dès la première image. Le choc visuel est évident.
Eyvind Earle adopte un graphisme basé sur l'entre-choc permanent de lignes verticales et horizontales, appliqué aux bâtiments, plantes ou rochers. La représentation des arbres, arborant un feuillage à la coupe carrée ou rectangulaire, est l'exemple type de la solution visuelle recherchée. La rigueur du trait s'accompagne également d'un foisonnent de détails et couleurs. L'implication pour obtenir un résultat parfait est telle que les décors demandent un temps jamais utilisé jusqu’alors chez Disney. Chaque plan est ainsi une véritable œuvre d'art digne des plus grands artistes. Le travail est d'autant plus remarquable que Earle est le tout premier artiste, dans l'histoire des studios Walt Disney, à avoir marqué de son empreinte un film tout entier.
Même l'aspect des personnages s'en est trouvé changé. Afin de ne pas jurer avec les décors, les animateurs ont été priés de privilégier le même style linéaire et vertical. S'ils gagnent à cette occasion en stylisation, les personnages reculent en capital sympathie. Pas facile d'emporter l'adhésion des spectateurs quand on se voit privé de toute rondeur et bonhomie. La belle au bois dormant trie dès lors son public, se présentant aussitôt comme une œuvre destinée aux adultes plutôt qu'aux enfants.
Le personnage d'Aurore résume à lui seul ce grand écart permanent. Devenue Rose lorsqu'elle est cachée dans la forêt par les fées, la jeune princesse est esthétiquement une parfaite réussite. Son apparence est due au magnifique travail de Marc Davis, qui s'est inspiré de l'actrice Audrey Hepburn. Mais Aurore pêche, en revanche, par son manque total de personnalité qui la rend, malgré elle, froide et distante. Passive, d'une gentillesse absolue, elle accepte sans broncher le destin qui la force à s'unir à quelqu'un qu'elle connait à peine. Dès lors, l'ingénue apparait mièvre voire insipide. Pour bien comprendre, il faut se replacer dans le contexte de l'époque et le relier à la condition de la femme américaine des années 50. Aurore est, en fait, tout simplement l'idéal féminin d'alors. Disney ne fait que suivre la société et continuera d'ailleurs à le faire pour toutes ses autres princesses, qui épouseront toujours l'évolution des mœurs.
Le prince Philippe est, comme sa promise, confié à Milt Kahl. Les personnage princiers ont toujours posé des difficultés aux artistes chez Disney qui se sont, jusqu'alors, toujours résignés à en minimiser les apparitions. Dans La belle au bois dormant, la pirouette est impossible, même si le Prince voit son rôle réduit par rapport au conte de Charles Perrault. Ne pouvant plus reculer, Kahl envisage, dans un premier temps, d'utiliser, pour animer le personnage masculin, un rotoscope. Ce procédé permet, de décalquer les mouvements à partir d'un film tourné avec de vrais acteurs singeant la scène prévue en animation. Le résultat est loin d'être satisfaisant. Le personnage obtenu prend un air par trop efféminé. L'animateur décide de se laisser guider à l'instinct. L'initiative est heureuse et permet au Prince Philippe d'adopter définitivement une allure convaincante et sympathique. Pour mieux dessiner les contours du personnage, la décision est prise de lui adjoindre une relation d'égal à égal avec son cheval, Samson, et rendre, au passage, le duo plus attachant.
La sorcière Maléfique est assurément le personnage le plus marquant du casting. Animée comme Aurore par Marc Davis, elle détient toute l'étendue du talent de son créateur. Dans le club des Vilains, elle est l'un des membres les plus charismatiques. Son aspect est à lui seul très inquiétant. Drapée dans une longue robe noire, elle arbore fièrement des cornes de diable, revendiquant, par là même, son appartenance aux forces du Mal. Elle est d'autant plus effrayante que son apparence macabre contraste avec la beauté de son visage, d'une finesse absolue. Mais l'apparence n'est pas le seul trait de sa méchanceté. Maléfique est odieuse par caprice et prétexte. Elle cherche à faire payer aux autres l'affront de ne pas avoir été invitée. Le point culminant du personnage est sans aucun doute sa transformation en dragon. Sa mutation affiche une crédibilité exemplaire tant le féroce animal est l'extrapolation ultime des traits du personnage humain initial. À cet instant précis, son caractère terrifiant est magnifié et finit de convaincre l'auditoire de sa noirceur. Son combat contre le prince Philippe, symbolisant comme rarement la lutte du bien contre la mal, reste aujourd'hui encore un grand moment du cinéma d'animation, dont la puissance a marqué l'inconscient de générations de spectateurs à travers le monde.
Le scénario de La belle au bois dormant est le point faible du film, il ne se passe pas grand chose dans le récit, qui prend son temps pour installer l'action. La critique reste hermétique. Il est reproché au film, sa froideur, sa mièvrerie et son arrogance. Les professionnels américains du cinéma ne lui accordent d'ailleurs qu'une "timide" nomination pour l'Oscar de la meilleur musique. En France, l'accueil de La belle au bois dormant marque un tournant dans l'attitude de la presse et de l'intelligentsia envers Disney. Il constitue le début de ce qui sera constant : une critique systématique de tous les produits de la firme, accusés sans cesse des mêmes maux, le plus marquant étant l'infantilisation supposée du public. La belle au bois dormant est implacablement boudé. Walt Disney comprend à cette occasion que les contes des fées n'ont plus la côte. Avec le temps, les critiques s'adoucissent peu à peu, puis lui reconnaissent son juste rang de véritable chef d'œuvre. C’est l'un des plus beaux films de Walt Disney. Si son histoire et ses personnages manquent un peu de profondeur, il fait chavirer le cœur des spectateurs par la beauté de ses images, la magnificence de sa musique et l'inspiration de certaines scènes. La belle au bois dormant est tout simplement un Grand Classique du septième art !
BLANCHE NEIGE ET LES SEPT NAINS
Snow White and the Seven Dwarfs
de Walt Disney, supervisé par David Hand, 1937, US, 1h23, Couleurs, animation
RÉSUMÉ : Il était une fois une méchante reine qui, chaque jour, interrogeait son miroir magique : « Miroir, qui est la plus belle en mon royaume ? ». Un jour, le miroir lui répond : « La princesse Blanche-Neige ! ». La reine entre alors dans une violente colère, ordonne à son garde-chasse d'emmener la jeune fille dans la forêt et de la tuer. Celui-ci, au dernier moment, n'en a pas le courage et laisse fuir Blanche-Neige. Terrorisée, elle est recueillie par les animaux de la forêt ; ils la mènent à la maison des sept nains, qui travaillent dans une mine de diamant. Blanche-Neige s'installe, met de l'ordre et devient l'égérie des nains : Prof, Simplet, Dormeur, Joyeux, Timide, Atchoum et Grincheux. Mais la reine, apprenant par son miroir que Blanche-Neige est encore en vie, utilise ses sortilèges pour se changer en vieille femme et lui apporter une pomme empoisonnée qui la plonge dans un sommeil cataleptique. Les nains arrivent trop tard et poursuivent la sorcière qui tombe dans un précipice. Puis ils enferment Blanche-Neige dans un cercueil de verre, mais le prince charmant la réveillera d'un baiser.
POINTS DE VUE : La production de Blanche-Neige – premier dessin animé de long métrage sonore et en couleurs – fut une véritable épopée. Entreprise par Walt Disney malgré le scepticisme et l'ironie de toute la profession, sa réalisation dura quatre ans et mobilisa toutes les inventions techniques dont le « cartoon » avait bénéficié depuis une décennie : la bande sonore et le Technicolor, bien sûr, mais aussi le procédé Multiplane et le Rotoscope inventé par les frères Fleischer pour les Voyages de Gulliver. Mais, surtout, il réunit une équipe d'artistes hors pair. Si des comédiens ont servi de modèles pour Blanche-Neige et le prince charmant, le film doit son succès international à la création géniale des sept nains, tous différents et si vivants, et à l'impressionnante métamorphose de la méchante reine en vieillarde contrefaite. Le romantisme de l'idylle avec le prince charmant, proche de la mièvrerie, subsiste en filigrane, mais il est contrebalancé par l'astucieuse alternance entre les scènes cocasses avec les nains et celles, se rattachant au fantastique et à l'épouvante, où intervient l'effrayante sorcière.
Les studios Disney, après le succès phénoménal de Blanche-Neige, commencèrent à produire régulièrement des longs métrages du même type, mais dont la naïveté et la poésie s'estompèrent peu à peu, ne retrouvant jamais cet équilibre miraculeux entre les différentes composantes du spectacle. C'est sans doute pourquoi Blanche-Neige a gardé une place de choix dans l'univers enfantin et, plus que tout autre, marqué son imaginaire. Gérard Lenne, 1995.
Une date dans l’histoire du cinéma : le premier long métrage d’animation. Sa douce héroïne, sa sorcière effrayante, ses nains burlesques inspirés d’un conte des frères Grimm font partie de l’inconscient collectif de plusieurs générations. La réalisation fut un véritable défi. Prédisant un désastre financier, les milieux de Hollywood avaient surnommé le projet « la folie Disney ». Comme dans les contes de fées, tout s’est terminé par un succès mondial.
Perfection de l’animation, classicisme des dessins, somptuosité des couleurs. Dès sa projection à Hollywood, le film fut salué comme un chef-d’œuvre. Le 23 février 1939, lors de la cérémonie des Oscars, Disney reçut des mains de Shirley Temple une statuette accompagnée de sept autres, plus petites. L’inscription disait : « À Walt Disney, pour Blanche-Neige et les sept nains qui a charmé des millions de spectateurs, marqué une étape capitale dans le domaine du cinéma et ouvert une nouvelle voie au dessin animé. » Que dire de plus ? Télérama, 2019.
COMMENTAIRE : C’est avec ce film que l’esprit Disney verra le jour. Chacun des films qui suivront respecteront des critères incontournables que l’on découvre pour la première fois ici. Blanche Neige et les Sept Nains, aujourd'hui, pièce maîtresse de l'industrie cinématographique toute entière, constitue en effet le premier long métrage d'animation sonore et couleur de l'histoire du 7e art.
La genèse du film remonte à 1934. Walt Disney voulait que son studio se consacre à une activité plus prestigieuse et plus rentable que les courts-métrages. Il n'était pas convaincu du caractère pérenne de ses productions. La mode passée, il craignait par-dessus tout, une bouderie du public. Le succès présent, aussi grand soit-il, des Mickey Mouse et des Silly Symphonies ne constituait pas en effet une assurance. Dès lors, l'idée d'un long-métrage traversa l'esprit du Maître au point d'en devenir bientôt une obsession. Seul contre tous, Disney était persuadé qu'un film d'animation mettrait sa compagnie à l'abri du besoin et pour longtemps. Ainsi, un fameux soir de 1934, il réunit toute son équipe et lui annonce le défi qu'il souhaite voir relever. Il raconte le film avec détails et précise la manière dont il le conçoit. Il en fredonne même certaines des chansons. Blanche Neige et les Sept Nains était assurément déjà vivant dans la tête du papa de Mickey.
Le chantier est à la hauteur de son ambition. Son studio vit, pour l’occasion, une véritable révolution culturelle. Tout y passe. Le budget, déjà colossal pour l'époque explose ! L'effectif, quadruple passant de 200 à 800 personnes. Les techniques de création, la façon de concevoir l'histoire, la qualité de l'animation : tout est réformé pour tendre vers l'excellence. Walt Disney, grand ordonnateur de cette mue, invente un nouveau style de management. Il développe ainsi un système de "récompenses" : moins facile qu'il n'y parait ! Les équipes ont en effet dû réapprendre à travailler. Là où les séries produites jusqu'alors par le studio demandaient un déroulement rapide du récit, Blanche Neige et les Sept Nains se devait d'être développé à l'extrême, mais sans jamais tomber dans les longueurs et autres errances de la narration. Le rythme se devait d'être préservé, les gags approfondis et les personnages développés. Disney, aux commandes, n'hésite d'ailleurs pas à user des ciseaux, tant pis si le travail est déjà trop avancé. Des scènes entières se retrouvent simples "rushes" au motif qu'elles ralentissaient l'histoire principale.
Blanche Neige et les Sept Nains nécessite aussi de développer de façon exceptionnelle la qualité de l'animation tout comme les effets spéciaux. Les nains accèdent vite et logiquement à leur apparence finale tandis que Blanche Neige, la Reine ou le Prince donnent, eux, du fil à retordre à leur concepteur. Le développement des personnages des nains est assurément l'une des plus grandes réussites du film. La grande originalité du long-métrage est de les avoir dotés de personnalités bien trempées, résumées par leur seul nom. Et c'est là où réside la marque de fabrique Disney ! Deux nains surtout (résultat du travail exceptionnel réalisé par les artistes de Disney) : Grincheux, connaît une évolution dans ses sentiments envers la jeune fille, qui passent du rejet à l'adoration, tellement bien retranscrite qu'elle émeut le spectateur. Simplet, porte sur ses frêles épaules les ressorts comiques du film. L'idée de génie est de l'avoir rendu muet lui faisant endosser, le rôle de pantomime.
Le film puise donc sa force dans la crédibilité de ses personnages principaux. La Princesse parait ainsi réelle. Son animation témoigne d'ailleurs, à elle seule, des immenses progrès réalisés en à peine trois ans. Face la jeune fille pure, le contraste se veut total avec la Reine. Certes, elle est tout aussi belle mais la douceur a laissé la place à la froideur tandis que la pureté cède devant sa noirceur implacable. Sa méchanceté ressort jusque dans ses traits et trouve une apogée caricaturale dans sa transformation en méchante sorcière. Le film devient alors réellement effrayant : les décors sont morbides, les effets spéciaux spectaculaires. Le tout premier Disney prend son public à rebrousse-poil et n'hésite pas à susciter la peur. Tout le génie est ici : emmener le spectateur là où il ne s'y attend pas ! Le Prince, pour sa part, doit se contenter du strict minimum. Ses apparitions sont rares, se limitant à quelques scènes en début et fin de film. Il faut dire qu'il a donné bien du mal aux artistes Disney. Son personnage reste assurément le talon d'Achille du film tout entier.
Blanche Neige et les Sept Nains demande trois ans de travail. Alors que tout Hollywood parle du chantier et raille "La folie de Disney", le papa de Mickey tient bon. Il reste persuadé de sa capacité à élever le cinéma d'animation au rang d'art à part entière. Et il gagne son pari ! Le film est ainsi nommé pour l'Oscar de la meilleure musique et Walt Disney reçoit un Oscar spécial, des mains de Shirley Temple pour son audace.
Blanche Neige et les Sept Nains est un film éternel. Le premier des grands dessins animés de Walt Disney, un trésor inestimable, aucune œuvre d'animation n'était parvenue à capter aussi bien l'imagination et toucher le cœur des gens à travers le monde.
LE GOLEM
Der Golem
de Paul Wegener et Carl Boese, 1920, Allemagne, 1h06, Noir et Blanc, muet
avec Paul Wegener, Albert Steinrück, Ernst Deutsch…
RÉSUMÉ : Dans le Prague du XVIe siècle, le rabbin Loew, à la fois philosophe et magicien, qui a vu dans les étoiles l'annonce d'un grand danger pour les Juifs, fabrique une statue d’argile dans laquelle il place le précieux « mot de vie », le tétragramme sacré du nom de Dieu, pour sauver le peuple juif. Il donne alors vie à une colossale statue de glaise, le Golem. Le Golem a une force prodigieuse mais il ne doit s'en servir que pour une mission pacifique. Peu de temps après, l'empereur Rodolphe II publie un décret interdisant aux Juifs l'accès de la ville. Ceux-ci doivent quitter la ville avant la fin du mois. Au même moment, la fille du rabbin, Myriam tombe amoureuse de Florian, un courtisan de l'empereur. Rabbi Loew montre le Golem à l'empereur. L'empereur demande au rabbin de prouver sa magie. Celui-ci montre à l'empereur et à sa cour une vision de l'exode des Juifs. Cette vision fait rire les courtisans quand soudain, le bâtiment dans lequel l'empereur, le rabbin, le golem et les courtisans sont, commence à s'effondrer. Le Golem sauve alors la vie de l'empereur et des courtisans en portant tout le monde hors de l'immeuble. En reconnaissance, les Juifs ne sont pas chassés de la ville. Le Golem tombe amoureux de la fille du rabbin que celui-ci lui refuse. Il se dresse alors contre son créateur. Le Golem sème alors la terreur dans le ghetto juif. Une fillette innocente lui tend la pomme de la réconciliation. Souriant pour la première fois, il retourne à la poussière.
COMMENTAIRE : Situé dans le ghetto juif de Prague médiévale, le film commence avec le rabbin Loew, le chef de la communauté juive de la ville, lisant les étoiles. Loew prédit un désastre pour son peuple. Le lendemain, l'empereur romain germanique signe un décret royal déclarant que les Juifs doivent quitter la ville avant la nouvelle lune.
Loew commence à créer un énorme monstre en argile, le Golem, à qui il donnera vie pour défendre son peuple. Dans une procédure magique élaborée, Loew convoque l'esprit Astaroth et l'oblige, selon les textes anciens, à dire le mot magique pour donner la vie. Le Golem se réveille… Paul Wegener, longtemps acteur de théâtre chez Max Reinhardt, adapta le roman de Gustav Meyrink, Le Golem, par trois fois au cinéma. Les deux premières versions restent aujourd’hui quasiment invisibles ; l’une est fragmentaire et l’autre perdue. Aussi est-ce celle de 1920, co-réalisée avec Carl Boese, qui est passée à la postérité. « C’est avec ce film que j’ai pénétré dans le domaine du cinéma pur. Tout y dépend de l’image, d’un certain flou où le monde fantastique du passé rejoint le monde du présent. » (Paul Wegener). L’allure de son héros, une imposante créature d’argile à la marche lente et lourde, mais aussi son ambivalence, puisque de protecteur de la communauté juive à Prague, le Golem devient son assaillant, fascine aussi parce qu’il est tour à tour figé (statue d’argile) et en mouvement (interprété par Paul Wegener lui-même). La performance d'acteur de Wegener dans The Golem est subtile car il joue une force de la nature sans conscience ni émotion. Le Golem n'est capable que de force brute ; donc la violence est inévitable. Il apprend rapidement qu'il peut rester en vie s'il refuse de laisser quiconque enlever l'amulette et il repousse donc quiconque essaie de l'enlever. Le film eut une longue postérité au cinéma. Et donna naissance à bien d’autres figures prométhéennes et attachantes, et notamment à un monstre : la créature du docteur Frankenstein.
POINT DE VUE : Ce film, remake d’un film réalisé en 1914, est une transposition d’une ancienne légende juive. Son thème fondamental est la révolte de la créature contre le démiurge et l’échec de l’homme qui veut égaler Dieu en créant à son tour la vie. Le film est dominé par l’impressionnant décor du ghetto, où les innombrables maisons aux murs inégaux semblent animées d’une vie propre. Cette sensation rattache le film au mouvement expressionniste, où le thème de la « maison vivante » revient souvent. La scène où le Golem se laisse attendrir par la petite fille est touchante et préfigure une scène du Frankenstein de Whale. L’apparition de la gigantesque tête démoniaque qu’évoque le rabbin Löw pour créer le Golem est saisissante. Saisissante mais aussi intelligente et humoristique, la scène où le rabbin visualise le futur pour l’empereur Rodolphe II, en se servant d’une boîte magique qui envoie des images sur un écran blanc, avec la parfaite apparence de la réalité. Stéphan Krezinski, 1995.
LE CRI DU SORCIER
The Shout
de Jerzy Skolimowski, 1978, GB, 1h27, Couleurs
avec Alan Bates, Susannah York, John Hurt…
RÉSUMÉ : Au cours d'un match de cricket qui se déroule dans une institution psychiatrique, l'écrivain Robert Graves fait la connaissance de Charles Crossley, un pensionnaire étrange présenté comme très intelligent. Alors qu'ils sont tous les deux dans une cabane à compter les points de la partie, Crossley entreprend de lui raconter son histoire. Grand marcheur, il dit avoir voyagé pendant dix-huit ans en Australie où il apprit la magie d'un sorcier aborigène et acquit un pouvoir terrible, le cri de terreur qui provoque une mort instantanée...
POINTS DE VUE : Une fois posé le pouvoir irrationnel de Charles, celui de tuer par un cri, toute l’intrigue se déroule avec une logique sans faille, où tout est vraisemblable, hormis le postulat de départ. Dictionnaire des films, 1995.
Très étrange Cri du sorcier (The Shout, 1978) réalisé en Grande-Bretagne par Jerzy Skolimowski. Étrange est le mot, même si les notions d’étrangeté et de bizarre étaient régulièrement questionnées et illustrées à l’époque par des réalisateurs comme Nicolas Roeg ou Ken Russell – pour ne citer que les deux plus célèbres mages de l’étrange et du psychédélisme au sein du cinéma commercial britannique – auxquels on pense parfois en regardant le film. L’étrange était donc un genre en soit dans les années 70, dans les pays anglo-saxons et un peu partout dans le monde. Le Polonais Jerzy Skolimowski était l’un des héros des nouveaux cinémas surgis aussi bien en Europe qu’au Brésil (Glauber Rocha) ou au Japon (Nagisa Oshima) après la Nouvelle Vague française. Sa carrière erratique marquée par l’exil connaîtra cependant des sommets réalisés à Londres (Deep End en 1970, Travail au noir en 1982) et un remarquable retour aux affaires après dix-sept ans d’absence derrière la caméra (Quatre Nuits avec Anna et Essential Killing). Radical dans sa démarche de cinéaste, Skolimowski au contraire de Godard n’a jamais voulu définitivement rompre avec le cinéma traditionnel, capable de passer de récits expérimentaux à des adaptations littéraires à la lisière de l’académisme. Le Cri du sorcier correspond à ce qui pouvait s’imaginer de plus avant-gardiste dans les 70’s au sein du cinéma « mainstream » – le film est le deuxième produit par Jeremy Thomas, interprété par des vedettes du cinéma anglais. En s’inspirant d’une nouvelle de Robert Graves, Skolimowski se rapproche ici du fantastique, sans jamais exploiter le filon du film d’horreur pourtant fertile en Angleterre depuis les productions Hammer et d’autres séries B à l’approche plus moderne. Ses références sont plutôt du côté de la magie et de l’ésotérisme, et d’autres formes artistiques. Les passages les plus fascinants du film concernent le travail du personnage interprété par John Hurt qui compose de la musique bruitiste – magnifiques plans sur la fabrication de sons – et les citations explicites de la peinture de Francis Bacon qui traversent le film. Le Cri du sorcier, à la fois mental et physique, torturé et inquiétant, propose une équivalence convaincante de l’œuvre de Bacon sur grand écran. L’importance des paysages – le tournage se déroula dans la campagne du Devon, au bord de la mer – et des éléments naturels dans Le Cri du sorcier font même penser au land art.
Sur le plan psychologique, Le Cri du sorcier – qui n’est pas vraiment (et seulement) un film sur la folie malgré les apparences – aborde le thème du couple, inlassablement disséqué par les grands cinéastes modernes.
Lors d’un match de cricket dans une institution psychiatrique, un mystérieux patient, Crossley (Alan Bates), raconte son histoire : de retour d’un séjour de dix-huit ans chez les Aborigènes australiens – où il découvrit la sorcellerie et tua ses deux enfants – il investit la maison, et la vie des Fielding, un couple anglais sans histoires. Menaçant ceux-ci d’user de son « cri du Sorcier », censé tuer quiconque l’entend à la ronde, il prend possession de la demeure du couple, à la fois fasciné et répugné par cet homme au charisme et aux pouvoirs captivants...
Le film rejoint alors des préoccupations au cœur du cinéma de Skolimowski et – ça tombe bien – du cinéma anglais : les rapports de soumission et de domination dans le cercle intime et, par extension, entre les différentes classes sociales. Le couple formé par Susannah York et John Hurt appartient à la bourgeoisie intellectuelle, ramolli par le confort et l’ennui, Crossley est un individu à la puissance animale, sorte de gourou sans secte capable de déclencher le désir des femmes et la crainte des hommes. Cette étude de l’invasion d’un couple éteint et sans libido par un corps viril constitue la meilleure part d’un film qui bouscule les théories féministes en vogue à l’époque – Skolimowski n’a jamais donné dans le politiquement correct et on peut voir en Crossley une projection sauvage du cinéaste et de son infiltration nihiliste du cinéma anglais. Olivier Père, 2015.
De l’aveu de Jerzy Skolimowski, Le cri du sorcier est sûrement son film préféré, c’est aussi un de ses plus étranges. Mené par un casting de premier choix, une cinématographie utilisant au mieux les décors côtiers anglais et un montage expérimental, il fait se côtoyer croyances aborigènes, psychiatrie et psychédélisme pour un cocktail à mi-chemin entre horreur et huis clos psychologique.
Basé sur un court récit du poète et romancier anglais Robert Graves, paru en 1929, Le cri du sorcier (The Shout) bénéficie dans les mains de Jerzy Skolimowski d’une adaptation totalement hantée. Troisième film tourné en Angleterre pour le cinéaste polonais proche de Andrzej Wajda et Roman Polanski, ce long métrage porte avec lui tout un esprit et un langage cinématographique propres aux années 1970 et au post- psychédélisme. On peut d’ailleurs le voir souvent comparé au Ne vous retournez pas (1973) de Nicolas Roeg pour l’ambiance angoissante et l’histoire décousue, voire incompréhensible, et The Wicker Man (1973) de Robin Hardy pour son rapport à la magie occulte et aux croyances païennes. Du fait que le personnage de Charles Crossley (Alan Bates) ait appris à maîtriser son cri qui tue auprès des Aborigènes, on peut aussi y voir des échos aux films australiens de Peter Weir de l’époque. Les décors de dunes peuvent, quant à eux, évoquer les errances dans le désert du film La cicatrice intérieure de Philippe Garrel. On pourrait même faire des liens avec le courant des home invasion movies de ces années-là, avec toujours ce thème du couple bourgeois contre un être vagabond, brutal, aux intentions troubles, qui pénètre leur espace intime. À cela, vous ajoutez deux musiciens de Genesis pour la bande-son et vous avez un pur produit des seventies. Pas étonnant que Le cri du sorcier se retrouve du coup dans la collection MasterClass de chez Elephant Films dédiée à cette décennie prolifique. Un film totalement implanté dans son temps n’en est pas moins original pour autant. Skolimowski nous le prouve brillamment.
Quelques mots d’abord sur la structure : l’histoire débute dans un hôpital psychiatrique où est organisée dans les jardins un tournoi de cricket. Jeu typiquement british : le regard du réalisateur impose d’emblée une étrangeté avec ces médecins qui jouent avec leurs patients et des voisins du village. Cet aspect folklore local et clichés de la campagne anglaise va être présent tout au long du film, créant un décalage avec le récit totalement fantastique qui va s’y dérouler. L’auteur Robert Graves (Tim Curry du Rocky Horror Picture Show) arbitre le match en compagnie d’un malade, Charles Crossley, qui pendant la mi -temps va lui raconter un récit lié à un des joueurs qui aurait aimé une femme. Une scène onirique avec un Aborigène vêtu en amiral et muni d’un os pointu sert de transition. On part ensuite à le rencontre du couple formé par Anthony Fielding (John Hurt) et sa femme Rachel (Susannah York). Anthony est un musicien passionné par l’électronique et les sons concrets qu’il retravaille dans son home studio où l’on trouve une reproduction d’une peinture de Francis Bacon sur le mur. En parallèle, il gagne sa vie en jouant l’orgue à l’église, lieu où il peut retrouver son amante. Malgré ce petit à-côté, il semble mener une vie paisible et heureuse avec sa compagne, jusqu’à ce que le vagabond Crossley s’incruste dans leur vie privée afin de lancer son maléfice et prendre le rôle du maître de maison. Dans le montage, les deux temps de narration se mêlent, avec aussi un rapport à l’ellipse, voire au plan subliminal. Le sens devient alors plus complexe et le spectateur est amené à avoir sa propre interprétation : récit allégorique, fantastique, délires d’un fou, réflexion sur la recherche sonore ? Le cri du sorcier c’est tout cela à la fois.
Dans une scène, Rachel reprend même la posture du corps que l’on voit affiché dans le studio de son époux. Anthony est un musicien en quête. Il expérimente mais ne trouve pas. Crossley lui fait d’ailleurs remarquer que sa musique est "stérile", vide et sans âme. L’idée de stérilité est aussi reprise sur un plan littéral car on sent que le couple n’arrive pas à avoir d’enfants alors que Crossley souligne qu’il a tué tous les siens après les avoir mis au monde. À travers un long périple initiatique dans les dunes et loin de la civilisation, le sorcier va lui faire entendre son cri tueur, ce son terrifiant qu’Anthony va ensuite essayer de reproduire avec tout son matériel high tech. Malgré tout l’équipement qu’il possède, il n’arrive pas à trouver cette force émotionnelle. Sa quête artistique fait ainsi écho aux propos de Francis Bacon qui était fasciné par le cri et stipulait qu’il cherchait à "peindre le cri plutôt que l’horreur". Associée à des représentations torturées, charnelles, dérangeantes, l’œuvre de Bacon cherchait à faire hurler la chair. Les bouches ouvertes devenaient chez lui des ouvertures vers l’enfer comme dans les représentations traditionnelles. Le cri peut être ainsi vu comme une descente aux enfers pour le personnage d’Anthony (une vie amoureuse qui se disloque) mais qui peut aussi signifier son entrée progressive vers une meilleure compréhension de l’"âme", cette chose impalpable que tout artiste cherche à faire émerger. Le titre du film de Skolimowski fait aussi bien sûr référence à la fameuse peinture d’Edvard Munch.
Alan Bates acquiert rapidement une dimension supra humaine. Vêtu d’un long manteau noir et d’une chevelure hirsute, il ressemble à ces figures noires et tyranniques de la littérature romantique anglaise. Dans un rôle assez proche de celui qu’il jouait dans Le vent garde son secret (Whistle Down the Wind, 1961), il joue de son regard froid et impose son pouvoir sur ce couple, suçant leur âme à l’image d’un vampire. Ce processus, théâtral au possible, peut même amener une certaine forme de comique et de décalage dans son côté excessif. Sans jouer sur les effets faciles du cinéma d’horreur, le film en reprend pourtant de nombreux codes. Crossley incarne la figure maléfique par excellence. Alors qu’Anthony est dans l’église, il l’attend à l’extérieur, mettant en cause sa foi chrétienne. On retrouve encore ici cette fascination typique des années 1970 pour la sorcellerie, l’occultisme, le chamanisme, les os pointés. En faisant appel aux Aborigènes, c’est surtout le contraste entre l’ancien et le moderne qui est souligné, et aussi cette idée de la persistance des vieilles croyances et des rites magiques. L’omniprésence et la grandeur de la nature mis en parallèle avec les intérieurs parfois étriqués de la maison des Fielding participe de cette même mise en lumière. Le cri du sorcier joue, voire abuse, des symboles. Ce n’est pas un hasard non plus si l’on voit des gros plans de paons. Au Moyen Âge, ceux-ci pouvaient symboliser l’immortalité alors qu’au Moyen-Orient, ils représentaient la dualité psychique de l’homme. Bref, à ce jeu-là le film est assez fort et pourra satisfaire les amateurs de décryptages d’images. L’aspect halluciné de l’ensemble vient, quant à lui, d’un fait simple : Skolimowski et son producteur Jeremy Thomas en gros consommateurs d’herbe, étaient constamment sous l’effet de la drogue. Le flou entre le réel et l’imaginaire dépassait ainsi le simple cadre de l’histoire. Au final, le personnage d’Anthony devra croire pleinement au pouvoir magique des pierres pour sauver son couple. En même temps, Skolimowki finit par poser la question du cinéma comme acte magique en soi avec sa capacité à manipuler et à ensorceler le spectateur.
Récompensé par le Grand Prix du Jury à Cannes en 1978, le film fut tourné dans le comté de Devon et fut aussi marquant de par son aspect sonore qui utilisait pour la première fois le système Dolby. L’importance de la musique chez Skolimowski ne fait aucun doute ni son intérêt pour les avant-gardes de son époque (la bande originale de Deep End assurée par CAN). Anecdotes amusantes : c’était au départ David Bowie qui avait été prévu pour la musique. Hélas, au bout de dix minutes, celui-ci s’est endormi lors de la projection. Ensuite, Procol Harum ont commencé à travailler dessus mais cela ne fonctionnait pas. C’est au final deux des musiciens de Genesis (pas Phil Collins je vous rassure !), Tony Banks et Mike Rutherford, qui s’y collèrent accompagnés de Rupert Hine (qui composera plus tard la musique du teenage movie Better Off Dead... !). Quant au fameux cri, après plusieurs essais, c’est Skolimowski lui même qui s’est époumoné pour le produire. Il fallait qu’il dure vingt-trois secondes et ce n’était pas évident du tout. À l’époque, Diamanda Galàs aurait pu l’y aider mais elle n’était pas encore assez connue. Skolimowski a donc failli y laisser sa peau et ses cordes vocales mais il l’a fait, tellement bien que la police a débarqué chez lui croyant à une catastrophe ou un assassinat.
Le cri du sorcier est donc un classique des années 1970, une oeuvre fantastique qui utilise avec brio le son et le montage pour nous convier à un sentiment d’inquiétante étrangeté. Les cadrages sont originaux, filmant parfois au plus près des acteurs totalement investis. En revanche, si vous souhaitez une narration limpide, il faut préciser que de nombreuses zones d’ombre demeurent. La tension sexuelle n’est pas exploitée à son maximum. Les motivations de Crossley ne sont jamais explicitées et la cohérence n’est pas toujours au rendez-vous. Comment Anthony retrouve-t-il cette pierre magique enfouie dans le sable ? Qui Rachel identifie-t-elle vraiment sous ce drap mortuaire ? On pourrait continuer ainsi mais bien sûr là n’est pas le but et l’intention de Skolimowski. Son film est formellement inventif, jouant sur la perception et la magie du médium. Le visionnage du Cri du sorcier est une expérience magique, hypnotique, terrifiante, jusqu’au final tout simplement magistral, où tout ce travail sur le son et cette partition musicale finissent dans un crescendo apocalyptique. Maxime Lachaud, 2015.
C’ÉTAIT DEMAIN
Time After Time
de Nicholas Meyer, 1979, US, 1h52, Couleurs
avec Malcolm McDowell, David Warner, Mary Steenburger…
RÉSUMÉ : Un savant britannique, inventeur d'une machine à explorer le temps, part à la poursuite du redoutable Jack l'Eventreur, qui parvient à échapper à la police.
POINTS DE VUE : Jack l’Éventreur s’enfuit dans la machine à explorer le temps de H. G. Wells. Parti à sa poursuite, ce dernier le retrouve à San Francisco en 1979 et le renvoie dans la nuit des temps avant de regagner son cher XIXe siècle ! Un premier film très réussi. Dictionnaires des films, 1995.
L’affrontement de Malcolm McDowell et de David Warner est réjouissant, mais le film vaut surtout pour son charme et son intelligence. La confrontation entre le gentleman du XIXe siècle et celui de notre époque est source de quiproquos cocasses et un peu mélancoliques.
La scène où Wells débat de féminisme avec la jolie employée de banque qui a bien voulu l’aider est à la fois juste et sensible : tout à coup, les deux personnages de cette fable fantastique s’incarnent et, derrière le sourire amusé, pointe l’émotion... Aurélien Ferenczi, 2019.
PINOCCHIO
de Walt Disney, supervisé par Ben Sharpsteen et Hamilton Luske, 1940, US, 1h17, animation Couleurs
RÉSUMÉ : Voilà des années que Geppetto, un marionnettiste de génie, a appris à vivre seul, en compagnie de ses marionnettes. Un jour, devenu bien vieux, il décide de sculpter un garçonnet qu'il nomme Pinocchio. Une nuit, la Fée Bleue se présente devant le pantin et lui donne la vie. Pinocchio n'est pourtant pas encore tout à fait un vrai garçon. Pour le devenir, il devra apprendre les leçons de la vie, à commencer par l'interdiction de mentir. Pour l'aider dans ses épreuves, il est guidé par Jiminy Cricket, qui joue le rôle de sa conscience...
POINT DE VUE : Pour répondre au rêve d’un vieux sculpteur de marionnettes, la Fée Bleue donne la vie à sa dernière création, Pinocchio, qui va connaître une incroyable série d’aventures.
Pinocchio (1940), morceau de bois qui prend vie d’un coup de baguette magique en même temps qu’il s’anime sous les coups de crayon de quelques prodiges : voilà pour la métaphore et le mythe, qui depuis a largement éclipsé le roman de son géniteur, Carlo Collodi. Deuxième long-métrage d’animation des studios Disney, c’est d’ailleurs d’abord une histoire de père : celle de Geppetto, vieux sculpteur, vieux garçon, qui prie le ciel qu’on lui donne son petit bonhomme à lui. Difficile à son âge, surtout quand on est seul, mais les Évangiles ont déjà rapporté des miracles... Voilà donc la bonne fée qui vient exaucer le vœu de l’artisan, en donnant une âme au pantin. Pour qu'il devienne un authentique petit garçon, il lui faudra toutefois affronter bien des épreuves, et sans mentir... L’histoire est connue : accompagné de Jiminy Cricket, Pinocchio se perd sur les chemins de traverse, appâté par des marchands de rêves aux intentions bien peu louables. On a dit ce Pinocchio cruel, et c’est un peu vrai. Le film, sombre et punitif, réprime les élans buissonniers, la vie de bohème et quelques mensonges bien innocents. On inflige à l’étourdie marionnette des transformations corporelles, une mise aux fers et, dans une scène aussi cauchemardesque que célèbre, de vraies oreilles d’âne. On pourrait y voir un manuel d’éducation en forme d'épouvantail sordide. C’était là plutôt le projet du roman de Collodi, qui détestait les enfants. Chez Disney, ces chères têtes blondes sont toujours d’abord victimes de la séduction des adultes, profiteurs et sournois. Et puis, tout finit bien, évidemment. C’est une quête d’identité, un voyage à l’épreuve des effets pernicieux de l'argent et de la représentation, auxquels on n’oppose efficacement que le retour au foyer, par nature protecteur : thèmes matriciels pour Frank Capra, qui en fera son chef-d’œuvre (La vie est belle, 1946) et, bien plus tard, Spielberg, avec le très mélancolique A.I. Intelligence artificielle (2001). C’est aussi, peut-être, et contre Collodi, un appel à rester un enfant aussi longtemps que possible. Ce que la firme aux grandes oreilles a su perpétuer jusqu’à aujourd’hui, faisant feu de tout bois. Conte de l’éloignement souffrant parfois de son côté erratique, Pinocchio reste une splendeur de l’animation, à l’équilibre entre toutes les audaces et la volupté de son trait. Joseph Boinay, 2021.
L’ABOMINABLE DOCTEUR PHIBES
The Abominable Dr Phibes
de Robert Fuest, 1971, GB, 1h35, Couleurs
avec Vincent Price, Joseph Cotten, Hugh Griffith…
RÉSUMÉ : Phibes tue, suivant un rituel transposé des sept plaies d’Égypte, les membres d’une équipe médicale.
POINTS DE VUE : Humour et esthétisme s’organisent autour de la figure mythique de Vincent Price. Dictionnaire des films, 1995.
Cinéaste, scénariste et décorateur anglais, Robert Fuest est surtout connu pour avoir réalisé un petit classique du cinéma bis, L’Abominable Docteur Phibes (The Abominable Dr. Phibes) en 1971.
Dans ce titre de gloire de la société American International Pictures, fameuse pour ses adaptations de Poe signées Roger Corman et familière des coproductions avec l’Angleterre, un scientifique transformé en momie indestructible se venge des chirurgiens responsables de la mort de sa femme adorée en accomplissant une série de meurtres bizarres et sadiques inspirés des dix malédictions d’Égypte – rats, sauterelles, grêle, etc. Transposées dans la bonne société britannique, ces plaies prennent des tournures aussi funestes qu’inattendues. Fuest s’est emparé du projet en lui insufflant un ton humoristique, et en accordant un soin particulier à la direction artistique. Malgré son budget modeste, le film bénéficie de décors extraordinaires d’inspiration Modern Style et Art déco – l’action est censée se dérouler dans les années 30. L’Abominable Docteur Phibes est l’un des premiers exemples de films d’horreur parodiques, qui insiste beaucoup sur les clins d’œil macabres et les effets de distanciation. Mais ce sont surtout ses qualités visuelles qui retiennent encore aujourd’hui l’attention. Certaines séquences sont hallucinantes, notamment l’ouverture dans le repaire de Phibes, mélange de cabaret et de crypte. L’orchestre d’automates actionné par Phibes, qui joue de l’orgue avec grandiloquence, évoque à la fois Le Fantôme de l’opéra et de L’Homme au masque de cire (déjà interprété par Vincent Price dans la version d’André de Toth).
Ce récit sanguinolent de vengeance et d’amour fou, avec sa forme répétitive, ses scènes proches de la pantomime et ses incartades psychédéliques, entérine sur un mode joyeux la décadence du cinéma fantastique classique.
Le succès du film engendrera une suite toujours réalisée par Fuest, Le Retour de l’abominable docteur Phibes en 1972, sympathique mais inférieure à l’original, tandis que Théâtre de sang de Douglas Hickox reprendra – toujours avec Vincent Price – le même principe dans le monde du théâtre : un cabot déchu se venge des critiques qui l’avaient assassiné – au sens propre et figuré – en s’inspirant des morts violentes dans les pièces de Shakespeare. Olivier Père, 2020.
UN CHIEN ANDALOU
de Luis Buñuel, 1928, France, 17mn, Noir et Blanc
avec Pierre Batcheff, Simone Mareuil, Luis Bunuel, Salvador Dalí…
RÉSUMÉ : Tout commence sur un balcon où un homme aiguise un rasoir... La suite est une série de métamorphoses surréalistes. Un homme sectionne l’œil d’une jeune fille. Un nuage passe devant la lune. Huit ans après. Un cycliste tombe accidenté dans la rue. La jeune fille lui porte secours et l’embrasse...
POINTS DE VUE : Un coup d’essai qui fut un coup de maître et l’une des très rares réussites du surréalisme cinématographique. Buñuel et Dalí matérialisent leur image du désir masculin et ses différentes phases oedipiennes. Le jeune homme qui se jette sur la femme aux appas maternels va trouver devant lui tous les obstacles dressés par la société et par la femme elle-même. Les images associent le thème de la « castration » du désir et sa relance à jamais interminable jusqu’à la métaphore finale des corps dévorés par les insectes. Michel Marie, 1995.
Buñuel et son complice Salvador Dalí braquent leur caméra sur l’inconscient comme personne ne l’avait fait avant eux. Surgissent des images d’une violence et d’une beauté inaltérables, pour un film dont le point de départ fut deux rêves des jeunes artistes : une lune coupée par un nuage et un œil tranché au rasoir pour Buñuel, des fourmis sortant de la paume d’une main pour Dalí. Les images blasphématoires, sexuelles ou délirantes du film n’ont aucune valeur symbolique, malgré les nombreuses interprétations auxquelles elle donneront lieu, elles sont juste issues directement de l’inconscient des auteurs du film, qui font du surréalisme de manière instinctive (ils ne seront adoubés par le mouvement poétique français qu’après la projection du film à Paris.)
Un chien andalou est certes l’œuvre de deux hommes, amis qui se quitteront et ne se reverront plus. Mais Un chien andalou est avant tout l’entrée fracassante de Luis Buñuel un jeune espagnol révolté et provocateur, dans l’histoire du cinéma. Quand on lui demanda après l’une des premières projections la signification du film, Buñuel répondit : « c’est une invitation au meurtre et au viol ! » Son célèbre prologue offre une image fameuse : un œil tranché au rasoir. C’est le cinéaste lui-même qui exécute cet acte sacrilège, commis sur une jeune femme. Tout un programme : d’une part Buñuel montre l’immontrable, le jamais vu, une image obscène, un gros plan presque pornographique, en bon lecteur de Sade ; d’autre part, en crevant un œil, Buñuel s’attaque à la pulsion scopique qui est au cœur de tout spectateur de cinéma. Le regard sera souvent stimulé puis empêché dans les films de Buñuel. On ne comptera plus les personnages d’aveugles antipathiques, les blessures réelles ou fantasmées à l’œil (l’épingle glissée dans une serrure dans El, la plume aveuglant un policier dans La Mort en ce jardin) ou tout simplement une porte se fermant sur une scène érotique, privant le spectateur d’un plaisir voyeuriste (Tristana par exemple.)
De voyeurisme, de frustration et de jouissance, de sexe et de rêve il en est encore question trente-huit ans plus tard dans Belle de jour (1967), adaptation et appropriation par Buñuel et son scénariste Jean-Claude Carrière d’un roman assez classique de Joseph Kessel. On y voit même une étrange boîte d’un client japonais dont le contenu, invisible pour le spectateur, dégoûte Séverine (Catherine Deneuve). Une boîte qui rappelle celle d’Un chien andalou, accrochée au cou du personnage masculin puis abritant une main coupée. Buñuel suggère dans Belle de jour davantage qu’il ne montre, son cinéma est devenu moins agressif mais il n’a rien perdu de son mystère ni de son pouvoir subversif, ni de sa beauté surréaliste. Olivier Père, 2013.
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