SCIENCE FICTION, FUTUR, VISION, ANTICIPATION Tome 2
LA REVANCHE DE LA CRÉATURE
Revenge of the Creature
de Jack Arnold, 1955, US, 1h22, Noir et Blanc
avec John Agar, Lori Nelson, John Bromfield…
RÉSUMÉ : La créature est ramenée d’Amazonie jusqu’en Floride où les scientifiques qui l’étudient essaient de la domestiquer. Le monstre, mi-homme, mi-poisson, capturé dans l'océan, est enfermé dans un réservoir du parc national. Il s'évade, tue deux gardiens et sème la terreur.
POINTS DE VUE : La Revanche de la créature (Revenge of the Creature, 1955) est comme le film original réalisé par Jack Arnold et tourné et distribué en 3D. La version plate n’occulte en rien les qualités et l’originalité de cette suite qui confirme les talents du cinéaste Jack Arnold, peu avare en idées visuelles.
Arnold apporta une contribution non négligeable à la science-fiction moderne avec une poignée de films qui mêlaient spéculations scientifiques, considérations métaphysiques et une poésie très concrète, issue de l’observation du monde réel (voir son chef-d’œuvre L’homme qui rétrécit).
Dans La Revanche de la créature, une équipe de chercheurs capture l’homme poisson dans son environnement naturel, l’Amazonie, où il est considéré comme une force sauvage, une divinité surgie de la nuit des temps. Rapatrié en Floride, la créature amphibie est retenue prisonnière dans un parc aquatique, objet de la curiosité malsaine des médias et des touristes, tandis que des savants tentent maladroitement de l’étudier en captivité.
Le « Gill-Man » est présenté comme le chainon manquant entre le poisson et le mammifère, créature solitaire dont la puissance semble défier l’acharnement des hommes à vouloir la comprendre. La Revanche de la créature de Jack Arnold est symptomatique de l’Amérique des années 50, fière de sa supériorité technologique, forte de sa croyance inébranlable dans le progrès. Les dialogues évoquent la bombe atomique, ou les voyages dans l’espace (dans La créature est parmi nous). Ces convictions sont nuancées par le film d’Arnold, qui glorifie la beauté et la sauvagerie archaïque de sa créature, un des plus beaux monstres du cinéma fantastique. La fascination du « Gill-Man » pour une jeune et jolie ichtyologue oriente le film dans la mouvance de King Kong ou de La Belle et la Bête, notamment lors de l’enlèvement et de la traque finale.
Les scènes dans un parc aquatique de Floride rappellent que Arnold n’est jamais aussi bon que dans une forme de fantastique quotidien, lorsqu’un environnement banal devient soudainement inquiétant, investi de l’intérieur par une menace archaïque. Arnold questionne ainsi cette culture du divertissement de masse et de la domestication de la nature au cœur des parcs de loisirs. Les prises de vues sous-marines (et sous piscines) sont remarquables, presque aussi belles que dans le premier opus, et relèvent du défi technique, le film ayant été tourné avec deux grosses caméras nécessaires à l’obtention d’images en relief.
On peut parier que La Revanche de la créature et ses images saisissantes du monstre semant la panique hors de son bassin firent forte impression sur de jeunes spectateurs nommés Steven Spielberg (Jurassic Park) et John Landis (Le Flic de Beverly Hills 3), sans oublier que la médiocre troisième partie des Dents de la mer (elle aussi exploitée en 3D) se déroule également dans un parc aquatique, attaqué par le requin géant. Olivier Père.
Des explorateurs américains se rendent en Amazonie et y capturent l'homme-poisson. Ils le ramènent en Floride et l'enferment dans un aquarium où il est présenté au public et étudié par des scientifiques...
Grand spécialiste du cinéma de science-fiction américain pendant les années 1950, Jack Arnold remporte un beau succès avec L’ÉTRANGE CRÉATURE DU LAC NOIR tourné en relief pour la compagnie Universal. A la demande de celle-ci, il se met rapidement au travail pour une suite, elle aussi en trois dimensions : LA REVANCHE DE LA CREATURE. Entre ces deux œuvres, il aide Joseph M. Newman à achever LES SURVIVANTS DE L’INFINI, un autre classique de la science-fiction d'alors. Le rôle principal de LA REVANCHE DE LA CREATURE est tenu par John Agar, vedette de nombreux films fantastiques de cette période, comme TARANTULA, encore de Jack Arnold pour Universal, ou LE CERVEAU DE LA PLANÈTE AROUS de Nathan Juran. Le nageur Ricou Browning reprend le rôle de la Créature pour les scènes sous-marines. Pour les séquences hors de l'eau, le cascadeur Tom Hennesy prend la place de Ben Chapman dans le déguisement de l'homme-poisson. On remarque la présence, dans le rôle très court d'un jeune laborantin, de Clint Eastwood pour son tout premier rôle au cinéma !
À la fin de L’ÉTRANGE CRÉATURE DU LAC NOIR, nous laissions l'homme-poisson, mortellement blessé, partir à la dérive dans son lac. Ici, des pêcheurs américains le capturent et le ramènent à un aquarium aux États-Unis. Si le premier volet de cette série rappelait le début de KING KONG (l'exploration de l'île du Crâne), LA REVANCHE DE LA CREATURE évoque plutôt la seconde partie de ce classique (le singe géant est capturé, exposé à New York, et s'enfuit dans la ville en semant la terreur et la destruction). La créature du lagon noir est donc enchaînée au fond d'un bassin dans lequel les scientifiques l'étudient avec soin et les curieux viennent le contempler. Mais il finit par s'échapper et sera traqué par la police.
À partir du début des années 1950, avec l'arrivée de titres clés comme DESTINATION LUNE ou LA CHOSE D’UN AUTRE MONDE, l'épouvante traditionnelle telle que l'avait exploitée l'Universal au cours des années 30 a fait son temps et cède la place à la science-fiction hollywoodienne. Avec son monstre pathétique, la violence de ses agissements et l'absence de technologies spatiales ou extra-terrestres, L’ÉTRANGE CRÉATURE DU LAC NOIR se rapproche pourtant du fantastique des années 1930 (particulièrement de KING KONG, comme déjà mentionné).
Toutefois, par bien des aspects, les aventures de cet homme-poisson appartiennent bien au domaine de la science-fiction. D'abord, son origine n'a rien de surnaturelle : comme cela est démontré dans LA REVANCHE DE LA CREATURE, la Créature serait en fait une étape de l'évolution expliquée par Darwin, un espèce de chaînon manquant entre le poisson et l'hominidé. De plus, toute la partie filmée dans l'aquarium est d'une grande rigueur. Refusant le lyrisme, le suspense et les effets dramatiques, Jack Arnold présente l'étude de la créature comme un documentaire scientifique filmé de manière classique. Cela renforce la crédibilité et le sérieux de ce récit sans pour autant faire oublier la situation pathétique de cet être captif, subissant un dressage cruel. Nous apprécions à nouveau la splendeur des images sous-marines en noir et blanc, l'élégance de la nage de Ricou Browning et la très haute qualité du maquillage de la créature.
Pourtant, le dernier tiers du métrage, au cours duquel le monstre s'enfuit, est moins convaincant. Certes, nous retrouvons l'émouvant thème de la belle et le bête, mais celui-ci, déjà bien développé dans L’ÉTRANGE CRÉATURE DU LAC NOIR, donne une impression de redite. La fin du film, malgré une photographie nocturne toujours superbe, manque de suspense et de rythme.
En fin de compte, la qualité de la première heure du métrage, sa rigueur et la beauté intemporelle de ses séquences aquatiques, font tout de même de LA REVANCHE DE LA CREATURE une réussite honorable dans la carrière de Jack Arnold, même si elle ne fait pas partie de ses œuvres les plus accomplies. Emmanuel Denis.
COMMENTAIRE : Après la première rencontre avec une mystérieuse créature humanoïde amphibie, une nouvelle expédition est envoyée en Amazonie pour tenter de la ramener. Sa capture effectuée, elle est envoyée en Floride auprès d’une équipe de spécialistes en ichtyologie, dont John Agar et Lori Nelson. Qui tentent de nourrir la créature enchainée au fond d’un bassin dans un centre marin.
Juste avant la fin du tournage de L’ÉTRANGE CRÉATURE DU LAC NOIR, Universal avait envisagé de laisser la créature en vie à la fin du film, dans l’éventualité d’une suite. En fait, sentant le vent venir, l’écriture de séquelle commença et le tournage démarra en juillet 1954. L’ÉTRANGE CRÉATURE DU LAC NOIR fut un succès mondial phénoménal, profitant de l’explosion du marché de la 3D. Avec Jack Arnold derrière la caméra encore une fois, REVENGE OF THE CREATURE sortit en 1955, également tourné en 3D… mais une sortie dans un marché 3D déjà affadi, son exploitation fut écourtée de cette manière, seul film à sortir avec ce système cette année-là. Et principalement exploité en version plate. Ce qui n’empêcha pas le film de rencontrer également un gros succès public, entrainant une seconde séquelle l’année suivante.
Le film apparu en France le 31 aout 1956 sous le titre de LA REVANCHE DE LA CRÉATURE de manière un peu sacrifiée avec une affiche assez hideuse. Il ne remporta qu’un maigre public, à peine 50 440 entrées. Le film reste aussi connu sous le titre de LA REVANCHE DU MONSTRE.
Le costume de la créature a légèrement changé : les yeux, pour une meilleure vision du cascadeur et directeur photo sous-marin Ricou Browning, les mains palmées plus arrondies, meilleures pour la nage… Ricou Browning fut une fois encore oblitéré du générique alors qu’il en est quand même le héros!
À noter que la scène d’ouverture, au milieu des scènes de stock footage de l’Amazone, qui se révèle en fait être la Floride, on retrouve le petit frère du bateau de Nestor Palva qui revient lui aussi pour cette suite. Le tournage une fois achevé, Universal se rendit compte de la vitesse à laquelle la Créature s’attaque à tout le monde, et que le film était relativement court, même aux standards hollywoodiens des séries B. De ce fait, quelques semaines après la fin du tournage, il fut décidé de tourner un prologue avec Nestor Palva et deux chasseurs, retraçant les événements du premier film. Jack Arnold étant indisponible, le studio appela un autre réalisateur maison, Joseph Pevney (LE CHÂTEAU DE LA TERREUR, L’HOMME AUX MILLE VISAGES) pour tourner ces scènes - il demeura malgré tout non crédité au générique.
Le scénario va tout de suite dans le vif du sujet et perd très peu de temps en exposition, même si la narration réussit la description des personnages et de leurs enjeux; Sur un canevas qui rappelle inévitablement KING KONG (y compris pour la fin-fusillade) ou tout film d’humanoïde qui se prend d’amour pour la belle. Sauf évidemment pour MONSTER IN THE CLOSET et sa version homosexuelle du mythe)! REVENGE OF THE CREATURE brosse un long-métrage d’aventures fantastiques de haute volée, à un rythme soutenu qui ne s’arrête pratiquement jamais. Une durée resserrée - et encore, allongée artificiellement comme expliqué juste en avant. Il faudra passer sur quelques raccourcis du scénario, notamment sur la qualité intrinsèque de la créature de se retrouver À CHAQUE FOIS au même endroit que Lori Nelson : un don de prescience ou un scénario qui veut aller au plus vite?
La magie Jack Arnold ? Les jeux de regard entre la créature et Lori Nelson, s’observant à travers les hublots du bassin. Fascinants moments d’échange, de curiosité et de désir. Un sens de l’urgence, dans le final-chasse, mais également dans les douloureuses scènes de « dressage » de la créature.
On passera sur une scène de torture animale gratuite et assez révoltante sur le principe (le héron saisit par la créature et entrainé sous l’eau). Tout comme le spectacle de dressage de dauphin, quelque peu impensable aujourd’hui… Mais en 1954, peu de conscience quant au règne animal, tout comme la cigarette était fun et quasi obligatoire… autres temps, autres moeurs. Surtout lorsqu’on considère la cruauté humaine envers la Créature. Puisque le scénario et la narration prend clairement fait et cause pour elle. Beaucoup de compassion dans l’œil du réalisateur, des scènes de solitude lorsqu’elle est enchainée. Le film en vient presque à excuser son envie de douceur, dans les yeux de la belle scientifique, avec un final plutôt désespéré. Reprenant par ailleurs la fin originale du premier opus.
Jack Arnold n’oublie pas son gout de l’étrange, avec les séquences des taches lumineuses (75mn16), celle de la créature s’enfonçant dans la nuit avec Lori Nelson dans ses bras, la créature épuisée marchant péniblement dans l’eau… des moments quasi iconiques. Pour un film qualifié abusivement de série B, car clairement, le budget s’avère au dessus de la moyenne ici. Tournage en Floride, utilisation de décors naturels en grosse majorité, séquences sous-marines complexes. Y compris la technique utilisée, comme des fondus-enchaînés sur de la 3D! Tout contribue à faire de cette LA REVANCHE DE LA CRÉATURE un spectacle certes d’explication d’un succès, mais unique en sa manière de délivrer un film d’aventures fantastiques au-dessus du lot, et brillamment emballé.
La violence émarge beaucoup plus dans cette suite. Les attaques de la créature, dans le bassin à son réveil, ou lorsqu’elle agresse et tue les deux jeunes hommes (Vers 72mn30)… la séquence du corps balancé contre l’arbre reste extrêmement brutale. Pour donner une idée, du niveau du meurtre du gamin dans PROPHECY : LE MONSTRE, balancé dans son sac de couchage contre aussi un arbre. Plus graphique en 1979, mais pour 1955, il s’agissait du maximum que la censure US pouvait tolérer. La Créature est montrée dans toute sa force surhumaine. Tout comme Jack Arnold utilise en miroir cette exploitation des espèces animales par l’homme, avec cette publicité géante de la créature au sein même d’un parc d’attraction aquatique. Qui ressemblerait presque à de la PLV pour un nouveau film. Fiction et réel qui se rejoignent. Francis Barbier.
LA CRÉATURE EST PARMI NOUS
The Creature Walks Amon Us
de John Sherwood, 1956, US, 1h18, Noir et Blanc
avec Jeff Morrow, Rex Reason, Gregg Palmer…
RÉSUMÉ : Une étrange créature, mi-homme mi-poisson, ne se déchaîne qu'au contact de ceux qui font le mal. Effets spéciaux de Clifford Stine.
POINT DE VUE : Le troisième épisode des aventures du « Gill-Man », réalisé un an plus tard, s’intitule La créature est parmi nous (The Creature Walks Among Us), titre qui aurait fort bien convenu à la suite de Jack Arnold.
Le cinéaste a laissé la place à John Sherwood, faiseur sans aucun génie, et le film n’a pas été tourné en 3D, sans doute par mesure d’économie. Série B plus modeste que les deux films précédents, La créature est parmi nous dispose néanmoins d’un scénario très curieux et exploite un postulat aussi passionnant qu’inattendue. Réfugiée dans les marécages des Everglades, la créature est une nouvelle fois dérangée dans sa retraite par des scientifiques entreprenants, et grièvement brûlée lors de sa capture. Un docteur découvre qu’il peut sauver le monstre en lui retirant les ouïes, ce qui aura pour effet de débloquer son appareil respiratoire et lui donner la capacité de respirer à l’air libre. De plus, lors de l’opération, le savant remarque que sous les écailles brûlées, on peut voir de la peau humaine.
La créature est parmi nous est donc un film sur la mutation d’un monstre en une nouvelle espèce intermédiaire, plus proche cette fois de l’homme que du poisson. Cette métamorphose accidentelle prive le « Gill-Man » de ses qualités amphibies, et l’empêche de rejoindre le monde aquatique qu’il dominait de sa force et de son agilité. Une évolution paradoxale qui transforme la gracieuse créature en monstre pathétique, prisonnier d’une nouvelle enveloppe physique et surtout de la société des humains, sur la terre ferme. On est désormais plus proche de Frankenstein que de King Kong, avec une créature victime de la mégalomanie d’un explorateur. Cette belle idée et les scènes de climax réussies excusent les maladresses des scènes d’introduction et de l’interprétation. Olivier Père.
LA RÉVOLTE DES TRIFFIDES
The Day of the Triffids
de Steve Sekely et Freddie Francis, 1962, GB, 1h33, Noir et Blanc
avec Howard Keel, Nicole Maurey, Janette Scott…
RÉSUMÉ : Une pluie de météorites produit un aura lumineux qui provoque la cécité de toute personne que le regarde. Comme celui-ci est d'une incroyable beauté, la plupart des gens ne peuvent s'empêcher de l'admirer, aussi 90% de la population mondiale devient aveugle. De ce chaos résulte l'évasion de quelques Triffides: des plantes carnivores qui ont la capacité de se mouvoir par elles-mêmes et d'attaquer les gens.
POINT DE VUE : Sidonis / Calysta vient d’éditer en DVD des perles de la science-fiction qui, si elles n’ont jamais atteint le statut de classique, bénéficie d’une certaine réputation auprès des amateurs du genre. C’est particulièrement le cas de La Révoltes des triffides (The Days of the Triffids, 1963) de Steve Sekely, titre demeuré inédit en France ce qui a ralenti sa notoriété chez nous mais qu’il n’est pas trop tard pour découvrir, même dans une copie qui a connu des jours meilleurs – c’est hélas la seule disponible, le film n’ayant pas pu bénéficier de la restauration qu’il mérite, et les autres versions en circulation depuis des années dans différents formats sont encore pires. Production britannique en CinemaScope et en couleur, La Révolte des Triffides compte parmi les quelques films qui permirent de parler d’un âge d’or de la science-fiction britannique à la fin des années 50 et au début des années 60, synchrone avec un renouveau du cinéma fantastique en général, avec des titres comme les deux premiers “Quatermass” ou Le jour où la terre prit feu de Val Guest. Le maître d’œuvre de La Révolte des Triffides est l’Américain Philip Yordan, connu pour de nombreux classiques hollywoodiens et en particulier certains grands westerns comme Johnny Guitare ou L’Homme de la plaine, qui produisit et écrivit cette adaptation d’un roman de John Wyndham, l’auteur du « Village des damnés » porté à l’écran trois ans plus tôt. On sait désormais que le réalisateur américain d’origine hongroise Steve Sekely qui signe le film fut aidé par Freddie Francis, spécialiste du cinéma fantastique et aussi talentueux directeur de la photographie. Si on le compare avec d’autres films de science-fiction de la même époque La Révolte des triffides surprend par son ambition et l’ampleur de son sujet, hérités du roman de Wyndham. Une pluie de météorites rend 90 % de la population mondiale aveugle, ce qui génère une succession de scènes catastrophes assez originales, et un climat apocalyptique étalé sur plusieurs pays d’Europe et bien rendu à l’écran malgré un budget qu’on devine étroit. Pendant ce temps les trifides, des plantes carnivores géantes capables de se déplacer, ont envahi la planète et s’attaquent aux humains. Cette histoire au croisement de La Guerre des mondes et de L’Invasion de profanateurs de sépultures réserve de nombreuses surprises et si l’on veut bien être indulgent au sujet des effets spéciaux et en particulier les trifides et leurs branches en caoutchouc, le film de Sekely et Francis est une sympathique réussite. Olivier Père.
LIFEFORCE, L’ÉTOILE DU MAL
Lifeforce
de Tobe Hooper, 1985, US, 1h44, Couleurs
avec Steve Railsback, Peter Firth, Mathilda May…
RÉSUMÉ : Une mission spatiale est envoyée explorer un vaisseau extra-terrestre apparemment naufragé dissimulé dans la queue de la comète de Halley. On en ramène trois êtres humains, une femme et deux hommes, apparemment en état d'hibernation. Lorsque ceux-ci se réveillent, on découvre qu'ils « vampirisent » les êtres humains en leur soutirant non leur sang, mais leur « force vitale ». Les victimes de cette ponction, pour survivre, se voient obligés de vampiriser à leur tour, donnant ainsi naissance à une épidémie...
POINT DE VUE : Au milieu des années 80 la société Cannon Group partie à la conquête de Hollywood mais aussi du cinéma européen puisqu’elle possédait des filiales en Angleterre, en France et en Italie et produisait à tour de bras des films aux budgets et aux ambitions de plus en plus mégalomanes, mais aux résultats souvent absurdes. C’est le cas en 1985 de Lifeforce – sous-titré chez nous « L’Etoile du mal » – de Tobe Hooper alors sous contrat avec la Cannon, embarqué sur ce gros film de science-fiction qui débute par la découverte d’un vaisseau spatial caché dans la queue de la comète de Haley pour finir par la mise à sac de Londres par des hordes de zombies contaminés par un virus extraterrestre – si on a bien compris après plusieurs visions l’histoire de ce long métrage qui pâtît d’un tournage chaotique, de nombreuses réécritures et de réductions budgétaires comme souvent avec la Cannon. Anachronique au moment de sa sortie, avec ses effets spéciaux foireux, ses acteurs en roue libre et ses nombreuses incohérences, Lifeforce gagne à être revu comme un avatar tardif et décadent des productions Hammer ou Amicus réalisés dix ou vingt ans plus tôt, avec une direction artistique similaire et un curieux mélange de gothique et de space opera. On peut regretter que la collaboration entre Tobe Hooper et le talentueux scénariste Dan O’Bannon ait accouché d’une telle tambouille, hésitant permanence entre le sérieux et la parodie, mais Lifeforce, à l’image de moult productions Cannon des années 80, est un plaisir coupable qui ravive la nostalgie de tous les cinéphiles qui ont dépensé beaucoup de leur précieuse jeunesse dans les complexes UGC de province.
Tobe Hopper parvient quand même à délivrer une création iconique au milieu d’un sacré fatras, celle de l’extraterrestre entièrement nue incarnée par la débutante française Mathilda May, succube de l’espace héritière des femmes vampires et autres « scream queens » de l’épouvante british, réputées pour leurs mensurations spectaculaires. Une apparition mémorable et plus impressionnante que tous les trucages mécaniques et optiques du film. Mais on reste à des années lumière de Under the Skin... Olivier Père.
PLANÈTE HURLANTE
Screamers
de Christian Duguay, 1995, Canada/US/Japon, 1h48, Couleurs
avec Peter Weller, Roy Dupuis, Jennifer Rubin…
RÉSUMÉ : 2078. Sur la planète Sirius 6B, la guerre fait rage depuis 10 ans entre le consortium du NBE et l'Alliance des mineurs rebelles. Prêt à tout pour que le carnage cesse, le Colonel Hendricksson veut négocier la paix. Mais pour atteindre le QG de NBE, il lui faut affronter les Screamers, robots souterrains autonomes et destructeurs...
POINT DE VUE : Sur la planète Sirius 6B, des survivants d'une violente guerre se terrent dans un bunker. L'arrivée d'un soldat porteur d'un message de paix les intriguent, d'autant qu'il est réduit en bouillie par les « Screamers », robots souterrains émettant des cris paralysants, fabriqués par l'homme. Et qui traquent les battements de cœurs pour ensuite tout détruire. Hendricksson (Peter Weller) se décide malgré tout à partir à la rencontre de ses opposants, accompagné d'Ace Jefferson (Andrew Lauer), seul soldat survivant d'un crash de vaisseau spatial. Mais les Screamers ont visiblement auto-évolué vers autre chose.
Inspiré d'un nouvelle de Philip K. Dick, SCREAMERS est un film qui, de l'aveu de son réalisateur dans les bonus, a couté à peine plus que 5 millions de dollars,. Tourné entièrement au Québec, par des températures allant jusque -40 (ça se voit) et par une équipe toute jeune, il en résulte une série B filmée à l'énergie par un ancien caméraman (Duguay fait aussi office de son propre opérateur ici), spécialiste de la Steadycam. Sorti par Triumph Films aux USA , alors la branche « action » de la Columbia, le film se planta quelque peu malgré une importante promotion. Le film débarqua le 10 juillet 1996 en France sous le titre PLANETE HURLANTE, avec là aussi une belle campagne de communication. Malgré cela, une maigre recette de 219 000 tickets vendus dans la chaleur d'été pas encore propice aux Blockbusters.
Adapté de la nouvelle «Second Variety» de Philip K. Dick, SCREAMERS modifie quelque peu les éléments. Des années 50 du récit littéraire, le scénario fut d'abord écrit par Dan O’Bannon (ALIEN, L’INVASION VIENT DE MARS) dans les années 80 puis réécrit par Miguel Tejada-Flores (scénariste de FRANKENSTEIN ’S ARMY) en 1994. Cela catapulte l'action en 2078. Tout comme évacue l'affrontement russo-américain par celui de deux états «l'Alliance» et «Le Nouveau Bloc Economique». Mais conserve cependant l'approche bipolaire et socio-économique. Une approche équilibriste qui fonctionne encore aujourd'hui, le film gardant une résolue modernité quelques 24 ans après sa sortie. notamment sur l'impact de l'intelligence artificielle, et son message pessimiste qu'après tout, cela ne se finira pas forcément de manière positive pour l'humanité.
Le choix de Peter Weller en héros déconcerte. Dans une époque pétrie de Schwarzenegger (son opposé pour TOTAL RECALL), Stallone et autres Willis, son approche plus cérébrale apporte une fraicheur non négligeable. Surtout face à un Roy Dupuis physique, brutal, avec la particularité de citer du Shakespeare à chaque échange. L'adjonction de Jennifer Rubin, fraîche émoulue de PANICS et THE CRUSH, l'élément féminin obligatoire mais physique et équilibré de l'environnement glacial et testostéroné.
Duguay privilégie un travail physique de la caméra, n'hésitant pas à s'arnacher à sa steadycam pour donner l'aspect athlétique requis. De la séquence d'ouverture aux accents gore, montées en alternance avec la vision « screamers » des victimes et jusqu'au final batailleur, on sent la volonté de dynamiser un récit complexe - une dualité homme/machine qui repose non seulement sur une dialectique somme toute hégélienne. Mais aussi sur la nature profonde de la relation de l'homme face à lui-même. Une mise en scène mobile, utilisant à merveille la désolation glacée. De la Chute-Montmorency à des décors désolés (le film fut entièrement tourné autour de Montréal), Duguay élabore un monde perdu, sorte de western futuriste désespéré. La dégaine de Weller, anti-héros abandonné à ses fins, colle idéalement à ces choix de réalisation. Il offre un univers cohérent, ce qui s'avère assez rare dans ce type de films.
De menaces cachées en ruptures de ton, SCREAMERS sait ne pas céder aux sirènes du montage-hachis qui commençait ses ravages en cette décade 1990-2000. On pourra lui reprocher certains moments parfois inutiles à l'action, mais les auteurs prennent leur temps d'élaborer personnages et construction dramatique. Ça fait du bien, d'autant que le contenu du récit s'avère bien plus ambitieux que la majorité des films sortis pendant ces années-là.
Un élément qui perdure aussi: l'approche esthétique science-fictionnelle qui reste toujours pertinente. Qu'il s'agisse du mode de lecture des puces électroniques, de l'approche des décors en ruine et de la technologie usitée... les hologrammes ou même le casque de réalité virtuelle que porte Andrew Lauer… tout reste encore d'actualité. Y compris les aspects de paranoïa et de décadence chères à Philip K. Dick.
Le scénario donne également au spectateur un nombre assez important de petites touches délicieusement perverses. Les cris des Screamers (dont l'aspect semble recyclé d’ALIEN, un apport de Dan O’Bannon, peut-être?), leur monde souterrain où personne n'ose s'aventurer. La menace des enfants solitaires. Les lames tranchantes des robots, sectionnant membres et broyant les corps. Le plan final, jouant toujours sur l'ambiguïté qui apparait un moteur directeur du film. Mais aussi ces cigarettes rouges anti-radiations, à fumer uniquement en cas de danger. Un joli paradoxe noté par ailleurs par Ace Jefferson, tout en tirant plusieurs bouffées.
Malgré les limites imposées par le budget du film (selon Duguay : 5 millions de $, mais selon le producteur Tom Berry: 11 millions) et le spectre très large que souhaite couvrir le récit et ses implications, SCREAMERS s'en sort avec tous les honneurs. Certes, quelques défauts techniques propres aux premiers effets en CGI tirent le film vers le bas, tout comme une durée peut être excessive pour son propre bien. Sans parler de l'inévitable scène de baiser entre les deux héros, dont on aurait vraiment pu se passer.
Mais le film génère suffisamment d'action et de réflexions intelligente sur la nature de homme face à l'hostilité de l'environnement, sa propre nature et celle de sa création pour maintenir un intérêt constant. Duguay sait élaborer du suspense, indubitablement. Avec son quota de gunfights, d'explosions, de sectionnement de membres. Une vraie dynamique créative, propre à toute bonne série B, gorgée d'idées narratives et de mise en scène et portées par des acteurs éclectiques jouant au mieux les conflits qui les animent. Francis Barbier.
LOOKER
de Michael Crichton, 1981, US, 1h34, Couleurs
avec Albert Finney, Susan Dey, James Coburn…
RÉSUMÉ : Trois patientes de Larry Roberts, célèbre chirurgien esthétique, meurent dans de bien troublantes circonstances. Toutes trois, jeunes et jolies, exerçaient la même profession : cover-girl. Le médecin, rapidement soupçonné par la police, décide de mener lui-même l'enquête afin de se disculper. Il tente par ailleurs de protéger une quatrième patiente, Cindy, elle aussi cover-girl. Ses investigations le mènent à la Digital Matrix, une puissante corporation dont la spécialité est l'étude des mécanismes perceptifs. Dirigée par le mystérieux John Reston, la société, qui pourrait bien être impliquée dans cette série de drames, est à l'origine d'une étrange arme : le looker...
POINT DE VUE : Surpris par les demandes de retouches au millimètre qui lui sont demandées par plusieurs de ses clientes, un chirurgien esthétique s'avère encore plus étonné lorsqu'il apprend le décès de plusieurs d'entre elles. Il va alors mener son enquête en suivant un mannequin qu'il vient justement d'opérer selon les mêmes critères pointilleux…
Au début des années 80, Michael Crichton s'est déjà forgé un nom en tant qu'auteur de livres mais aussi de cinéaste. Après avoir réalisé LA GRANDE ATTAQUE DU TRAIN D’OR d'après son propre livre, il a le projet d'adapter Congo, un ouvrage qu'il vient alors de faire paraître. Toutefois, ce projet n'aboutira pas ce qui force Michael Crichton à trouver une solution de rechange. Il propose alors LOOKER qu'il écrit spécialement pour le cinéma. Radicalement différent de l'aventure africaine de Congo, adapté très librement une quinzaine d'années plus tard, LOOKER fait office de projet moins ambitieux. Le film n'est pas sans rappeler, par ailleurs, MORTS SUSPECTES mise en scène peu auparavant par Michael Crichton d'après un livre de Robin Cook. Que ce soit dans MORTS SUSPECTES ou LOOKER, on suit un chirurgien menant une enquête à propos des décès étranges de patients. Le parallèle ne s'arrête pas là puisque dans les deux cas, un tueur mystérieux et sans nom, poursuit le personnage principal. Ce dernier va découvrir l'existence d'une société aux activités particulières dont il visitera les installations de manière officielle avant d'y retourner en catimini. La structure de MORTS SUSPECTES et LOOKER s'avère très proche mais le sujet principal change quant à lui radicalement !
Cette fois, Michael Crichton s'intéresse aux médias et à la publicité. L'occasion pour le cinéaste d'extrapoler sur les futures technologies de l'image. Ainsi, il montre à l'écran la possibilité de réaliser un acteur de synthèse après digitalisation d'un modèle humain. Anticipation ou science-fiction au début des années 80, la technique semble aujourd'hui anodine ou, en tout cas, dans l'ordre du possible. Comme dans la plupart de ses films et ouvrages, le cinéaste truffe son intrigue de gadgets qui sont devenus aujourd'hui monnaie courante : carte d'accès magnétique, robots d'entretien… Autant d'ingrédients qui donnent à LOOKER son cachet de thriller technologique un peu en avance sur son temps. Il en est de même en ce qui concerne les thèmes principaux du film où Michael Crichton cherche manifestement à interpeller le spectateur face à l'intégration grandissante de la télévision et de la publicité dans notre quotidien. Plus de vingt cinq ans plus tard, LOOKER n'a, à ce niveau là, pris aucune ride en montrant par exemple l'image caricaturale d'un couple regardant une émission de télévision qui fini par prendre une telle importance qu'ils ignorent la présence de leur propre fille. Plus que la télévision, Michael Crichton s'intéresse aussi aux rouages de la publicité et sur les techniques très poussées utilisées par les publicitaires de manière à «contrôler» le consommateur. Bien évidemment, LOOKER grossit le trait à l'extrême jusqu'à exposer une histoire de manipulation des masses au travers de la télévision. Précurseur en ce qui concerne certaines des idées et technologies présentées à l'écran, LOOKER ouvre un peu la voie à d'autres métrages utilisant à divers niveaux le thème de la télévision. Ainsi, le complot publicitaire au cœur de HALLOWEEN III : LE SANG DU SORCIER ou l'abêtissement des masses dans INVASION LOS ANGELES utilisent des ficelles communes à ce que LOOKER présentera quelques années auparavant. Dans un registre totalement différent, on s'étonnera aussi de constater que Richard Donner proposera dans L'ARME FATALE une scène de chute mortelle très similaire à celle du film de Michael Crichton. En tout cas, si LOOKER ne se hisse pas au niveau d'une œuvre aussi radicale que VIDEODROME, on peut difficilement lui ôter son statut de précurseur dans son domaine au même titre que la satire au vitriol de Sidney Lumet, NETWORK.
Néanmoins, LOOKER peut difficilement se parer du titre de chef-d’œuvre. Le sujet sous-jacent du film s'avère plutôt bien traité mais l'intrigue en elle-même pose quelques soucis. Par exemple, il est assez difficile d'appréhender les raisons qui poussent à tuer les mannequins. Pareillement, les indices laissés par le tueur pour accuser le chirurgien d'un assassinat sont rapidement inexploités. Mais, une partie du mystère réside dans les minutes coupées au montage avant la distribution du film dans les salles. Ces passages absents ont toutefois été vus dans une version longue du film diffusés à la télévision. Là, le vilain de l'histoire expliquait ses motivations à nos deux héros avant que ceux-ci ne s'échappent par les toits. Privé de cette scène, le déroulement de LOOKER perd un peu de sa logique. La réalisation du film est, quant à elle, assez classique et ne brille pas vraiment. Heureusement, Michael Crichton se rattrape avec plusieurs idées étonnantes. Le cinéaste fournit à son tueur une arme futuriste très particulière qui donne lieu à plusieurs scènes très mémorables du film. Bien plus inspiré pour filmer ces passages, Michael Crichton déploie alors une certaine ingéniosité dans sa mise en scène. Dans le même ordre d'idée, l'épilogue dans le studio de télévision va, lui aussi, beaucoup jouer avec l'image dans l'image de façon très astucieuse pour l'époque. Ces moments d'ingéniosité visuelle couplés aux thèmes et idées développées dans le film rattrapent largement l'aspect un peu plus posé et rigide du reste du métrage.
Sur tous les films qu'il a pu réaliser, Michael Crichton a souvent eu la chance de s'entourer de grandes figures hollywoodiennes confrontées à des acteurs plus jeunes qui deviendront parfois très connus par la suite. Ben Gazzara et E.G. Marshall face à Martin Sheen dans PURSUIT, Yul Brynner dans MONDWEST, Richard Widmark confronté à Geneviève Bujold et Michael Douglas dans MORTS SUSPECTES, Sean Connery et Donald Sutherland pour LA GRANDE ATTAQUE DU TRAIN D’OR… Dans le cas de LOOKER, il va opposer deux grands acteurs d'horizons différents. Le Britannique Albert Finney se retrouve ainsi face à l'Américain James Coburn dont la carrière l'a mené devant les caméras de John Sturges, Sam Peckinpah ou Sergio Leone. Face à ces deux grands acteurs, le reste du casting a bien du mal à s'imposer que ce soit Susan Dey, Leigh Taylor-Young ou encore Tim Rossovich en tueur patibulaire décidément pas très doué. L'interprétation reste honnête et donne au passage l'occasion de découvrir Susan Dey dans le plus simple appareil lors d'une séquence technologique sur fond de musique classique. Le reste de la bande originale, composé par Barry De Vorzon, sera bien plus synthétique voire très connoté années 80 sans que cela soit véritablement gênant pour ce film dont les thèmes n'ont rien de daté ! Antoine Rigaud.
COMMENTAIRE : Après le mystérieux décès de plusieurs mannequins, un médecin, spécialisé dans la chirurgie esthétique, est appelé à s'intéresser de près aux agissements d'une énigmatique société, la Digital Matrix ... De bien étranges recherches sur la perception humaines s'y déroulent ainsi que l'élaboration d'un inquiétant revolver paralysant : le « Looker »…
Je gardais un très bon souvenir, quoiqu'un peu inégal de LOOKER, celui d'un film doté de chutes de rythme, mais avec des moments virtuoses, une histoire riche en thèmes sous-jacents, et un final assez mémorable, et je ressors de LOOKER plus de 20 ans après, avec exactement les mêmes sentiments mêlés. Ça commencerait presque comme un giallo, avec ces femmes modèles qui se font assassinées l'une après l'autre, et le premier meurtre, d'une beauté plastique à couper le souffle, au sein de l'appartement dominant un building renforce l'impression de giallo impérial dont le postulat serait sommes toutes assez proche d'une « Tarentule au ventre noire » avec ces clientes d'un institut de beauté qui se font inciser l'estomac. Presque, car le film va vite bifurquer ailleurs (ce qu'il fera à deux, trois reprises encore ensuite), et avec une maestria et un art de la mise en scène bien supérieur au giallo mentionné.
À la vision de LOOKER, on peut même regretter que son réalisateur / écrivain ait délaissé le cinéma pour s'adonner aux « Jurassics », car celui-ci ayant livré peu de films, mais souvent de qualité, de MONDWEST à MORTS SUSPECTES (deux grands souvenirs télévisuels de la fin des années 70), pour en arriver à celui-ci, c'est un cinéma fantastique intéressant et cohérent que ce dernier nous livra, avant deux derniers films plus contestables, dont un RUNAWAY, L’ÉVADÉ DU FUTUR assez pâle et parfois même ridicule ainsi qu'un PHYSICAL EVIDENCE assez ennuyeux et empesé avec un non moins empesé Burt Reynolds, juste avant l'andropause et la chute de carrière qui l'accompagna. Ceci dit, on n'en voudra pas trop à son réalisateur de cette baisse de régime n'allant finalement que de paire avec le début d'une main mise par les grands studios (se voulant toujours plus gros), signant ainsi en l'arrêt de mort d'une certaine liberté créatrice dans une optique désormais toute mercantile, et rares sont ceux qui alors ont réussi à déjoué cela, même en montant leurs propres studios, certains, comme on sait, ont même dû les hypothéquer pas longtemps après.
On pourrait même presque voir ce LOOKER comme l'une des dernières grandes réussites du Thriller futuriste (avant l'incontournable BLADE RUNNER), et je me risquerai de l'affirmer si j'avais tout vu, tout entendu, tout compris de l'évolution de ce cinéma là. Le film de Crichton a au moins une grosse qualité, celle de ne pas paraître ridicule en 2007. S'il y a bien quelques accents trop eighties, notamment dans le thème principal qui fait office de générique de début et de fin, aux accents parfois rock FM dépassé et proche de la ringardise, en revanche la partition globale du film due à Barry de Vorzon (LES GUERRIERS DE LA NUIT) colle parfaitement au film et à sa dimension encore hypnotique aujourd'hui. Assez proche dans son côté "New Age" d'une partition de Tangerine dream pour LE CONVOI DE LA PEUR de William Friedkin par exemple. Bref, elle fonctionne et tout en datant le film néanmoins, elle contribue et à sa réussite et à sa modernité puisqu'en adéquation avec le monde futuriste à la Orwell ici dépeint.
Au niveau graphique, il n'y a pas grand-chose à redire, car LOOKER regorge de scènes absolument splendides. À cet égard, les vingt dernières minutes sont remarquables de beauté et d'intelligence tant dans la mise en scène, que dans ses décors et sa photographie. On notera en passant un final que je qualifierai de miroir transparent, avec l'action en train de se jouer qui se fond dans le décorum factice fait de décors et d'êtres reconstitués par ordinateur, insufflant alors beaucoup d'humour dans un suspense très savamment dosé. Ces dernières scènes emportera assez sûrement l'adhésion, elles sont formidablement bien agencées et une fois de plus très belles.
Idem pour tout ce qui touche aux images sur ordinateur, on les croirait sorties d'un film récent. On notera aussi qu'elles font par moment penser à TRON qui sera fait l'année suivante, et somme toute, la beauté plastique du film paraît même logique et en adéquation avec celle des femmes ici victimes de leur propre image. D'ailleurs dans ce beau film légèrement visionnaire, le miroir tient une place primordiale, autant imagée que littérale et c'est avec des cadrages savants que Michael Crichton nous délivre son propos, multipliant alors très souvent ses protagonistes, les multipliant par deux, pour montrer la double facette dont elles sont ou seront victimes. D'un côté, le modèle, de l'autre son image, enfin celle que le grand groupe télévisuel - Digital Matrix - essaie de s'approprier pour la réinventer définitivement, et la supplanter au vivants, allant toujours plus loin dans son but de perfection et de lissage vocal et facial, pour encore mieux manipuler les masses.
L'idée des yeux laser hypnotiques via l'écran de télé est une idée amusante, même si un peu démonstrative. D'ailleurs la charge pourra sembler parfois un peu lourde, dans sa vision manipulatrice des masse-médias mercantiles et dans un tout univers paranoïaque fait de caméras de surveillance à tout va. Pourtant, on ne peut pas dire que la critique à la limite de la provocation, n'a pas rejoint la réalité et ce, à tous niveaux.
Autre point fort du film avant d'arrêter là, les acteurs y sont épatants. Albert Finney est un acteur qui peut tout jouer - on le retrouve la même année dans un grand film d'épouvante, WOLFEN), mais le grand James Coburn en pourriture du système et au service du gouvernement fait également forte impression. Leigh Taylor-Young (SOLEIL VERT) est crédible et inquiétante, Susan Dey livre une prestation tout à fait honorable.
Bref, si le film après une remarquable entrée en matière, s'essouffle un peu, et si il y a ça et là quelques relents New-Wave un peu trop marqués qui prêteront à sourire, il s'agit d'un film très prenant et rempli d'humour, et recèle l'un des tueurs les plus stupides qu'on ai pu voir au sein d'un thriller SF... d'aucun diront que c'est parce qu'il est moustachu. Mallox.
LES MAÎTRES DU TEMPS
de René Laloux et Moebius, 1982, France/SUISSE/RFA, 1h18, animation, Couleurs
RÉSUMÉ : Le fils d'un explorateur interstellaire est abandonné sur la planète Perdide, infestée de frelons géants. Un essaim de frelons a attaqué et tué le père de Piel. Mais Jaffar, à bord de son vaisseau spatial, aidé d'un vieux navigateur et de deux gnomes télépathes, fonce vers la planète pour sauver son ami.
POINT DE VUE : En 1973, LA PLANÈTE SAUVAGE, le premier long-métrage d'animation réalisé par René Laloux, connaît un grand succès. Ce succès est d'abord critique : l'œuvre est retenue pour la sélection officielle du Festival de Cannes (exceptionnel pour un film d'animation, d'autant plus qu'il s'agit d'un titre de science-fiction), et il y reçoit même le Prix Spécial. De plus, c'est un succès public conséquent, qui connaît une certaine renommée à l'étranger. Toutefois, c'est plutôt Roland Topor (co-scénariste et concepteur du graphisme) qui reçoit les lauriers, d'autant plus qu'il était alors une personnalité fort en vue, notamment pour son travail au sein du collectif artistique de tradition surréaliste qu'il a fondé avec Alejandro Jodorowski, Arrabal et Jacques Sternberg : le « Groupe Panique », qui vient de voir son travail récompensé par une exposition au Grand Palais en 1972.
Laloux ne recueille donc pas vraiment les fruits de son travail. Il s'engage pourtant, avec le producteur Michel Gillet, dans la production d'une série télévisée de six dessins animés de science-fiction d'une heure chacun, inspirés par six romans de Stefan Wul. Chaque épisode doit voir sa direction artistique confiée à une illustrateur de la revue pionnière de bande-dessinée pour adultes "Métal Hurlant". Jacques Dercourt, producteur pour la télévision, est contacté, et s'attache au projet. De fil en aiguille, on se réoriente vers un long-métrage destiné au cinéma : LES MAÎTRES DU TEMPS. Il s'agit d'une adaptation de « L’Orphelin de Perdide », roman de science-fiction publié en 1958 par le français Stefan Wul (Pierre Pairault, de son vrai nom), par ailleurs auteur de « Oms en Série », dont LA PLANÈTE SAUVAGE est une transposition.
La conception du graphisme est confiée à Jean Giraud, alias Moebius, qui, comme Druillet ou Caza, est un des dessinateurs vedettes de "Métal Hurlant". L'influence de cette revue se fait alors sentir jusqu'aux USA, et Moebius a déjà travaillé sur plusieurs projets de cinéma. Avec plusieurs autres noms liés à cette revue (dont Giger), il œuvre sur une adaptation du roman "Dune" par Jodorowski, à la fin des années 1970. Ce projet extrêmement ambitieux n'aboutit pas suite au désengagement de son producteur. Néanmoins, un scénariste attaché à cette entreprise, un certain Dan O’Bannon (réalisateur, plus tard, du RETOUR DES MORTS-VIVANTS), se souvient d'eux lorsqu'il travaille sur la préparation d’ALIEN de Ridley Scott. Il glisse leurs noms à ce réalisateur, qui les contacte. Toutefois, l'implication de Moebius sur ce titre sera mineure, surtout si on la compare à l'apport de Giger. Par contre, son travail sera utilisé avec plus de soin sur le visionnaire TRON de Steven Lisberberg, où il crée des costumes et des véhicules, et dessine le story-board de certaines séquences.
L'auteur de romans policiers Jean-Patrick Manchette rédige l'adaptation de "L'Orphelin de Perdide", tandis que Moebius effectue, en collaboration avec Laloux, un story-board complet du film. Si LA PLANÈTE SAUVAGE a été réalisé avec la coopération d'une équipe tchèque, la confection des MAÎTRES DU TEMPS se fait, pour des raisons de coût, en Hongrie. Toutefois, cette genèse est douloureuse, notamment à cause d'un travail qui progresse trop lentement et d'équipes fournissant des séquences de qualité inégale. La musique est composée par Jean-Pierre Bourtayre (l'auteur du générique de l'émission "Champs-Élysées" !), tandis que les paroles des deux chansons sont écrites par Jacques Lanzman. Le casting des voix françaises est constitué essentiellement d'acteurs travaillant pour la télévision et le doublage, mais on trouve aussi, pour le maître de cérémonie Xul, le grand acteur Alain Cuny (LES VISITEURS DU SOIR de Marcel Carné...).
Sur la planète Perdide, Claude, accompagné par son jeune fils Piel, fuit, à bord d'un véhicule tout-terrain, une menaçante nuée de frelons extra-terrestres. Leur course est interrompue par un accident. Claude, gravement blessé, envoie Piel se réfugier dans les dolons, une forêt très dense où l'enfant sera à l'abri des insectes tueurs. Il lui confie un micro émetteur-récepteur, qu'il présente au garçon comme son ami Mike. Il lui recommande de suivre tous les conseils que Mike lui donnera. Juste avant d'envoyer Piel dans les dolons, il adresse à son ami Jaffar, un pilote intergalactique, un message de détresse le suppliant de rester en contact avec le petit garçon par l'intermédiaire du micro. Jaffar reçoit le message avec retard, sans doute après la mort inévitable de Claude. Il prend contact avec le petit Piel et, avant de partir pour Perdide, lui donne quelques conseils de base avec l'aide d'une passagère, Belle. Mais, le prince Matton, autre passager du vaisseau et compagnon de Belle, voit d'un mauvais œil ce changement de direction imprévu. Jaffar décide, avant toute chose, de se rendre sur Devil's Ball, la planète où vit Silbad, un vieux flibustier de l'espace qui a bien connu Perdide, afin de lui demander de l'aide...
Même si elle respecte fidèlement le déroulement des évènements de "L'Orphelin de Perdide", son adaptation prend tout de même quelques libertés. D'abord, l'épisode de Gamma 10 n'a pas vraiment de rapport avec ce qui se passe dans le livre : Jaffar n'y était pas prisonnier d'un peuple d'hommes-oiseaux obsédés par la conformité et l'unité, mais par une plus banale bande de pirates interstellaires menée par un chef cruel. Les deux petits extra-terrestres télépathes Jad et Yula ont été ajoutés, afin de commenter et d'expliciter l'action et ses implications, comme un espèce de chœur antique. Surtout, un changement de taille est opéré : en effet, le livre de Wul n'aurait pas pu s'appeler LES MAÎTRES DU TEMPS pour la bonne raison que ces personnages n'existent pas dans "L'Orphelin de Perdide". Dans le roman, le rebondissement final était expliqué d'une autre façon, liée au voyage intersidéral et à la vitesse de la lumière.
LES MAÎTRES DU TEMPS est en effet basé essentiellement sur un voyage à travers l'espace, voyage mené par Jaffar, présenté comme un pilote indépendant et courageux, qui visite deux planètes, à savoir Devil's Ball, puis Gamma 10, tandis qu'il cherche à atteindre Perdide, sur laquelle l'attend Piel. Une des grandes réussites du film est sa description de ces mondes différents, auxquels on peut ajouter, à la fin du métrage, la base des maîtres du temps. Chaque univers a sa personnalité propre, que recréent avec un luxe de détails et d'invention inouï les décors créés par Moebius. Devil's Ball est un endroit idyllique, imposant et apaisé, mais aussi désert et silencieux, tandis que Gamma 10 est aride et hostile. Ces atmosphères singulières et ce dépaysement fantastique est encore renforcé par un excellent travail sur les « paysages sonores », à savoir les ambiances créées à partir de bruitages électroniques par Pierre Tardy et Christian Zanesi. Enfin, cette réussite est encore mise en valeur par le rythme que Laloux donne à son film. Refusant de céder à la précipitation, il sait faire le choix de la contemplation et laisse au spectateur le temps de savourer les sidérantes inventions visuelles de Moebius.
L'environnement le plus réussi des MAÎTRES DU TEMPS est sans doute la forêt des dolons, sur Perdide, dans laquelle se déroulent les aventures de Piel, livré quasiment à lui-même dans un univers à la fois merveilleux et dangereux. Sa faune et sa flore forment un ensemble cohérent, d'une invention éblouissante, tandis que le personnage de Piel, très vulnérable et découvrant un univers totalement inconnu et rempli de surprises, est très attachant. Ses déambulations dans cette forêt de grosses lianes rouges constituent sans doute les passages les plus extraordinaires et les plus réussis des MAÎTRES DU TEMPS.
Les aventures des adultes peuvent paraître, en comparaison, un peu moins accomplies, notamment au niveau technique. Ainsi, l'animation de certains personnages comme Jaffar, Belle ou Matton, n'est pas totalement satisfaisante. Néanmoins, le récit est mené à un bon rythme, et l'aventure sur Gamma 10, même si elle peut paraître un peu hors-sujet par rapport au récit principal, est heureusement intéressante grâce à son propos intelligent et son originalité visuelle.
Par rapport à LA PLANÈTE SAUVAGE, LES MAÎTRES DU TEMPS offre une approche de la science-fiction visuellement plus technologique et, donc, plus « réaliste », s'inscrivant, par certains aspects (les vaisseaux spatiaux), dans une tradition cinématographique plus classique. Cela n'enlève rien aux qualité d'invention du film, et lui donne même un ton peut-être plus abordable. Pourtant, à sa sortie, certains journalistes lui ont reproché d'avoir des visées familiales, voire de sacrifier certaines ambitions artistiques afin de toucher, horreur suprême, un public d'enfants !
LES MAÎTRES DU TEMPS est effectivement un dessin animé abordable pour les jeunes spectateurs, qui ont constitué, depuis sa sortie, une grosse part de son public. Mais Laloux respecte le public, y compris les enfants dont il parle comme de « poètes en pleine ouverture » dans un entretien de cette époque. Il fait alors le choix de l'intelligence et de l'émotion, et refuse toute concession à la vulgarité et à la mièvrerie. Beaucoup plus tourné vers la poésie, l'émerveillement et la contemplation que vers le bruit ou l'action, LES MAÎTRES DU TEMPS réussit un des paris les plus difficiles en offrant une œuvre exigeante, satisfaisant à la fois les adultes et les enfants. À ce titre, il se range aux côtés de chefs-d'œuvre rares, comme LE ROI ET L’OISEAU.
Dès lors, le caractère inégal de l'animation, qui allie le meilleur (Perdide) au moins bon (l'intérieur du vaisseau), paraît négligeable au vu d'un ensemble aussi original et attachant que LES MAÎTRES DU TEMPS. Sa conception s'est étagée de 1977 à 1982, à partir d'un pays (la France) où l'industrie du cinéma d'animation était si moribonde que la réalisation d'un long métrage aussi ambitieux aurait été, pour quelqu'un d'autre que René Laloux, une mission impossible. Malgré des contraintes matérielles évidentes, il a réussi à faire des MAÎTRES DU TEMPS un film magnifique, émouvant, qui, au même titre que son inoubliable plan final, reste à jamais gravé dans l'esprit et le cœur de ses spectateurs.
Par la suite, Laloux adapte encore un classique de la littérature fantastique française : "Gandahar, Les Années Lumières", le premier roman de Jean-Pierre Andrevon. Ce projet, que Laloux préparait depuis les années 1970 avec le dessinateur Caza, se concrétise, non sans de nombreuses difficultés, en 1988 sous le titre GANDAHAR. Le 14 mars 2004, alors que le DVD français des MAÎTRES DU TEMPS est sur le point d'être distribué en magasin, on apprend le décès de René Laloux. Si sa carrière n'a pas été aussi profuse qu'on l'aurait voulue, il a néanmoins réussi à consacrer sa carrière uniquement au fantastique et à l'animation dans l'industrie cinématographique française, qui leur est, hélas, peu favorable. Avec ses trois longs-métrages, dont la renommée est internationale, il est, avec Méliès, le seul maître du cinéma de science-fiction à avoir œuvré dans le pays de Jules Verne. Emmanuel Denis.
MÉTAL HURLANT
Heavy Metal
de Gérard Potterton, Jimmy T. Murakami, Pino Van Lamsweerde, John Bruno, John Halas, Paul Sabella, Harold Whitaker, Jack Stokes, Barrie Nelson et Julian Harris, 1980, Canada, 1h30, animation, Couleurs
RÉSUMÉ : Série de petites histoires dont la vedette est le Loch-Nar, une sphère lumineuse aux pouvoirs maléfiques.
POINT DE VUE : METAL HURLANT découle indirectement du magazine français. En fait, la chose est un peu plus complexe. Donc, à la base, il y a bel et bien METAL HURLANT. Un magazine atypique pour les années 70 puisque l'on pouvait voir s'y mêler articles rock ou cinéma et surtout beaucoup de bande-dessinée. Ce qui était une démarche différente, c'était l'idée de faire un magazine pour adultes autour de la bande-dessinée. Les américains passent par là et décident que l'idée des petits français est plutôt bonnes. Une version américaine est alors éditée sous le nom de HEAVY METAL. Le magazine fait un tabac aux Etats-Unis et c'est alors que l'idée de faire un dessin-animé voit le jour. Le résultat fut, à l'image du magazine, un dessin-animé différent de ce que l'on pouvait voir à ce moment-là. Une fois le film sorti en France, son titre original de HEAVY METAL redevint alors tout naturellement celui du magazine original. La boucle était bouclée !
Le film est composé de plusieurs sketches. Ce qui retranscrit assez bien l'architecture du magazine. Celui-ci était en effet composé d'histoires courtes et d'autres plus longues à suivre sur plusieurs numéros. Ainsi, dans le film, comme c'était le cas dans le magazine, on change d'univers, d'ambiance, d'aspect visuel et de mode narratif au gré des différentes histoires.
Les techniques d'animation ont bien évolué depuis le début des années 80. Il faut d'ailleurs dire que même à l'époque, le dessin animé n'avait rien d'exceptionnel d'un point de vue technique. À sa décharge, faut-il ajouter qu'il a été terminé à la hâte ? Alors, il est clair qu'à présent, le film souffre des années qui ont passé. Certains segments ont une animation qui peut sembler amateur. D'autres n'ont pas vraiment pris une ride tel que CAPITAINE STERNN.
Ce qui pour moi me fait redécouvrir à chaque fois le film avec le même plaisir, c'est la musique. Tout comme le titre original du dessin-animé, la musique est à l'avenant. C'est ainsi que nos oreilles peuvent y croiser Sammy Hagar, Trust, Blue Oyster Cult, Devo, Cheap trick, Black sabbath...
L'univers du film est, il faut bien l'avouer, macho à outrance. Les hommes sont grands et forts. Les femmes plantureuses et bien pourvues côté poitrine. Le sexe et la violence y sont gratuits ou presque. De ce fait, il y a un côté qui peut paraitre vulgaire. Pour ma part, je reste sur le souvenir que j'avais pu avoir lors de sa première sortie en salle alors que j'étais moi-même un lecteur du magazine en question. Fatalement, je suis gêné à présent par ce gros décorum machiste. Au delà de ça, on trouve tout de même un style et un humour très particuliers qui font de ce film une exception. Et ce malgré toutes ces faiblesses.
Pendant que nous y sommes, on peut faire un rapprochement troublant entre METAL HURLANT (le film) et celui de Luc Besson : LE CINQUIEME ELEMENT. Un grand nombre d'éléments auraient tendance à faire croire que le réalisateur français se serait très largement inspiré du film. Surtout de l'épisode avec HARRY CANYON. Le personnage principal du film s'appelle Corben. Une consonnance pas inconnue puisqu'il s'agit du nom de l'un des dessinateurs phares de METAL HURLANT (BD et Film). Etc...
Luc Besson réfute toute influence du dessin-animé. En fait, il ne l'aurait même pas vu. Alors, troublantes coïncidences ou mauvaises foi ? Difficile à dire ! Christophe Lemonnier.
COMMENTAIRE : Produit par le Canadien Ivan Reitman (le papa de SOS Fantômes) et réalisé par le Britannique Gerald Potterton, ce dessin animé de SF polisson et spectaculaire s'impose toujours, plus de 40 ans après sa sortie, comme l'une des œuvres les plus cultes des années 1980. Une source d'inspiration pour de nombreux créateurs. Mélange d'érotisme, de fantasy et de science-fiction, Metal hurlant (Heavy Metal en VO) fut initié à l'époque pour retranscrire au cinéma l'univers du fameux magazine français de bande dessinée créé en décembre 1974 par Philippe Druillet, Mœbius, Jean-Pierre Dionnet et Bernard Farkas. La route fut tortueuse, mais, à l'arrivée, cette version animée d'un journal totalement tourné vers le rêve est une belle réussite, qui a probablement incarné le dernier souffle de la révolution contre-culturelle à l'aube de l'ère Reagan.
Revoir Métal hurlant, quatre décennies après sa sortie, donne d'ailleurs le vertige. Cette œuvre foisonnante composée de six sketchs contient en effet tout ce que le cinéma hollywoodien actuel rejette en bloc, à savoir un cocktail de « sexe, drogue et rock'n'roll », mais aussi de violence, propre à effrayer toutes les ligues de vertu. Sa liberté d'esprit et son insouciance, sa légèreté et son audace font l'effet d'une rafraîchissante bouffée d'oxygène dans l'étouffant puritanisme ambiant. On croise en effet dans Métal hurlant des héroïnes désirables et sexy que les auteurs prennent plaisir à déshabiller, des extraterrestres cocaïnomanes et lubriques, des robots dragueurs aux grandes oreilles et des reines nymphomanes. Le tout est saupoudré d'une bonne dose d'humour et d'une tonitruante BO entre hard rock et heavy metal (forcément). Un pur film-fantasme pour tous les geeks pubères du début des années 1980, en somme. En 1981, personne n'avait jamais signé de long-métrage d'animation réservé aux adultes, à l'exception de Ralph Bakshi (avec Fritz le chat en 1972, d'après la BD de Robert Crumb), de René Laloux (avec La Planète sauvage en 1973) et du Belge Picha (avec Tarzoon, la honte de la jungle, interdit aux moins de 18 ans en 1975). Et dans un secteur dominé par le politiquement correct familial des productions Disney, Métal hurlant fit, dès sa sortie, figure de bruyant pavé dans la mare.
Chacun de ses six segments propose une histoire à part, dans des genres aussi divers que le space opera, le polar, l'heroic fantasy, le récit de guerre, l'épouvante et la SF parodique. Un fil conducteur relie toutes ces histoires : le Loc-Nar, une sphère verte venue de l'espace qui sème la destruction dans toute la galaxie. Symbolisant le Mal absolu, cette boule douée de parole corrompt en effet tous les personnages du film et fait la liaison entre les différents récits.
L'ultime sketch du film, « Taarna », est sans doute le plus beau et le plus majestueux. Il raconte l'épopée d'une princesse qui chevauche un étrange volatile et cherche à venger son peuple massacré par un tyran. Vingt-cinq minutes de fantasy enchanteresse ! Pour ce sketch, les dessinateurs ont utilisé la rotoscopie, technique d'animation qui consiste à redessiner, image par image, des séquences filmées en prises de vues réelles avec des comédiens. Jamais auparavant un dessin animé n'avait rassemblé d'ailleurs autant de variétés d'histoires, de thèmes, de styles de dessin et d'animation, en usant de différentes techniques. Miracle : l'ensemble forme un tout assez cohérent, grâce à l'étroite supervision de Gerald Potterton. Réalisateur anglo-canadien qui avait déjà travaillé comme animateur sur le dessin animé des Beatles Yellow
Submarine (1968), Potterton a dirigé neuf autres confrères pour chacun des segments de Metal hurlant. Et au final, le film a été conçu par soixante-dix animateurs venus de quatorze pays différents ! Des artistes travaillant dans des studios d'animation situés à Londres, Paris, Toronto, Montréal, Los Angeles...
Au rythme de 24 images par seconde (ou plutôt de 720 dessins par minute), ils sont parvenus à élaborer en un an et demi ce long-métrage produit par Ivan Reitman, le futur réalisateur de SOS Fantômes. Certains acteurs et humoristes, comme John Candy, Harold Ramis ou Eugene Levy, ont également prêté leur voix à certains personnages animés lors de la postsynchronisation. Elmer Bernstein a composé une superbe partition pour le film en utilisant notamment des ondes Martenot, un instrument de musique électronique. La bande originale réunit aussi la crème des groupes de hard rock et de heavy metal pour illustrer les images délirantes de ce cartoon : Black Sabbath, Blue Öyster Cult, Cheap Trick, Devo, Donald Fagen (du groupe Steely Dan), Grand Funk Rail- road, Sammy Hagar, Journey, Nazareth, Stevie Nicks (la chanteuse de Fleetwood Mac) et même les Français de Trust ont sonorisé ce monument graphique ! Le film a connu un beau succès aux États-Unis (il a rapporté plus de 20 millions de dollars), mais il a laissé un souvenir un peu amer aux fondateurs de la revue « Métal hurlant »…
Au milieu des années 1970, ce magazine tricolore révolutionne le neuvième art. Trimestriel devenu mensuel, il apparaît comme un véritable laboratoire d'où sont sortis de grands noms de la BD, parmi lesquels Philippe Druillet. Grand fan de ce dernier, George Lucas en personne devient accro à « Métal hurlant ». Ridley Scott aussi. La fascination exercée par la légendaire revue traverse bientôt l'Atlantique. Leonard Mogel, le riche propriétaire du magazine humoristique « National Lampoon », sorte de « Hara-Kiri » américain, décide de racheter les droits de « Métal hurlant » afin de le publier aux États-Unis. En avril 1977, le premier numéro de son édition américaine d'Heavy Metal fleurit dans les kiosques. Mais Mogel ne compte pas en rester là et ambitionne de décliner la marque. En qualité de producteur exécutif, il souhaite financer un long-métrage d'animation qui servirait de vitrine au magazine.
Dans son autobiographie coécrite avec Christophe Quillien, « Mes moires », parue en 2019 chez Hors collection, Jean-Pierre Dionnet, le cofondateur et rédacteur en chef de « Métal hurlant », relate l'affaire : « Au départ, les Américains songeaient à adapter au cinéma des histoires publiées dans le journal français, comme « Le Rail » de François Schuiten et Claude Renard ou bien « The Long Tomorrow » de Dan O'Bannon et Moœbius [qui influencera plus tard au cinéma le look de Blade Runner]. Ils nous proposaient une somme ridicule et un pourcentage sur les bénéfices. Notre avocat a demandé d'emblée le double et le pourcentage sur le « gross budget », c'est-à-dire le budget brut. Les Américains sont venus passer quelques jours à Paris. Nous avons discuté, argumenté, pinaillé, bataillé, mais l'affaire ne s'est pas conclue. Et ils ont fait appel à d'autres artistes. [...] C'est dommage. Le rendez-vous a été manqué de peu. »
Secrétaire de rédaction puis rédacteur en chef du magazine de 1976 à 1985, Philippe Manœuvre déclare, dans l'ouvrage de Gilles Poussin et Christian Marmonnier, « Métal hurlant, la machine à rêver », paru en 2005 : « Dionnet s'est engueulé avec les Américains. Il avait un très mauvais avocat qui n'était pas spécialiste du cinéma et il n'a pas su gérer avec Hollywood. Ils ont décidé de faire le film avec des illustrateurs canadiens et des dessinateurs américains. Résultat : à côté de ce que ça aurait pu être, c'est moyen. » Le dessinateur Jean Giraud (alias Mœbius) ajoute : « Jean- Pierre a mené les négociations. Peut-être ne les a-t-il pas menées si bien que ça ou trop bien. Toujours est-il que nous nous sommes aperçus un jour que le film était fini, sans nous. Et c'était un peu dur. [...] Nous aurions pu les attaquer. Mais plutôt que de nous tuer la santé à prendre des avocats et intenter des procès, nous nous sommes dit que nous pourrions négocier un accord avec eux de façon à ce que le titre du film ne soit pas Heavy Metal, mais Métal hurlant, lors de sa sortie au cinéma en France. Nous avions imaginé que ce serait la consécration de notre journal. »
Plus tard, un second film fut envisagé avec des dessins de Schuiten, Mœbius et Druillet. Mais il ne vit jamais le jour... Il a fallu attendre la diffusion de la série télévisée « Métal Hurlant Chronicles », entre 2012 et 2014, pour découvrir douze courts-métrages fantastiques français tirés de BD parues dans le magazine « Métal hurlant ». Un bel hommage à la revue, mais qui n'est pas près d'effacer notre souvenir de l'incroyable film de Gerald Potterton. David Mikanowski.
MALEVIL
de Christian de Chalonge, 1980, France/Allemagne, 1h59, Couleurs
avec Michel Serrault, Jacques Dutronc, Jacques Villeret…
RÉSUMÉ : À une époque indéterminée, dans le Sud de la France, Emmanuel, maire d’un petit village et propriétaire du château de Malevil, se rend dans sa cave afin de lire tranquillement une lettre de son fils parti en Australie. Il est alors interrompu par quelques concitoyens accompagnés du pharmacien et du vétérinaire, qui souhaitent lui soumettre un problème d'aménagement local. Sont également présents : Momo, un jeune homme un peu attardé, et La Menou, sa mère, servante du domaine. Soudain, une terrible et bruyante déflagration les projette tous à terre, détruisant une bonne partie du cellier d’Emmanuel. Une chaleur insupportable s'abat alors sur les lieux. Tout ce remue-ménage cesse curieusement quelques minutes plus tard. Les rescapés restés longtemps sans rien dire commencent à émerger et se décident à sortir pour constater l’étendue des dégâts. Dehors, tout n’est que ruines et désolation...
POINT DE VUE : Malevil s’intéresse à l’après d’une catastrophe et ce dans une veine réaliste. On le découvre avec la poignée de survivants sortant de la cave un décor carbonisé. Ils errent hagards, désemparés, tels des morts en sursis. Pas de musique, juste le souffle du vent, le silence qui s’est emparé de la Terre, la catastrophe ayant emporté jusqu’aux cris des oiseaux. Au bout d'une vingtaine de minutes de ce régime, Comte suggère que « l’on pourrait peut-être se remettre à parler ? » Se remettre à vivre donc, à refaire société.
Les sept survivants - le groupe initial récupérant le vétérinaire et Evelyne, une jeune fille devenue aveugle suite à la vision du flash de l'explosion - sortent de leur coma et se remettent à l’ouvrage. D’abord enterrer les morts et se débarrasser des cadavres d'animaux. Puis faire l’inventaire des victuailles, de la pharmacie, récupérer tout ce qui peut leur être nécessaire alentours. Et puis penser au futur et planter les premiers semis. Le film décrit tranquillement la réorganisation des survivants. Christian de Chalonge choisit de ne quasiment rien montrer des relations entre les personnages, tout passe par les actions, tout est terre-à-terre, concret. Il faut survivre et tous semblent oublier leurs propres êtres pour se concentrer sur cet unique objectif.
Si le récit évolue par la suite, le film conserve tout du long cette ambiance taiseuse et sèche installée dans la première partie. Pas de pathos, pas d'émotion. Ainsi l’utilisation de la musique est très parcimonieuse avec seulement deux ou trois passages composés par Gabriel Yared. Peu de dialogues également, et lorsqu’il y en a, ils sont dénués de toute poésie, purement factuels et descriptifs. Même les personnages sont très peu développés et n'appellent pas à l'identification. Rien dans le film ne joue finalement sur notre empathie, comme si après l'apocalypse les affects n'avaient plus leur place dans une société qui cède à un pragmatisme total : cultiver, manger, protéger le groupe, défendre son territoire, perpétuer l’espèce. Et dans ce dernier cas, même l'amour n'a plus son mot à dire, les couples étant froidement identifiés d’un simple « untel ira bien avec unetelle. » Les esprits critiquent ne manqueront pas de faire remarquer que tout cela est finalement peu différent de notre société actuelle. Que sans le vernis de la culture, des arts, des pensées, nous ne sommes que des bêtes toutes occupées à survivre. Il y a de ça dans le nouveau monde Malevil, mais dans un même temps le film montre que l’un des premiers réflexes des survivants est de retrouver un semblant d’organisation sociale. Comte déclare que plus rien ne lui appartient, que tout ce qui reste est à partager entre les survivants, mais le groupe en vient très vite à reconduire le modèle social qu’ils connaissaient avant la catastrophe en le ré-instaurant dans son rôle de dirigeant de la communauté.
La vie repart ainsi, cahin-caha. Une vingtaine de minutes passent et les abeilles reviennent. Une génisse met bas. Mais le soleil ne perce toujours pas la couche de nuages et la pluie se fait attendre. Enfin elle arrive, et avec elle les premières notes de musique du film. Et les rires et les jeux. Puis ce sont les premiers rayons du soleil et Evelyne qui très symboliquement retrouve la vue au même moment. C’est le nouveau printemps du monde, la renaissance, les premières pousses bientôt suivies des premières récoltes. Mais d’autres n’ont pas eu la chance de reconstruire quelque chose et bientôt le groupe de Comte subit des pillages par des hommes retournés à un état quasi primitif. La vie reprend son cours et avec elle l’éternelle ritournelle de la lutte et de la mort. C’est la première échauffourée, les premiers coups de feu tirés pour se défendre et défendre leur pitance. Et les remords que l’on étouffe bien vite en se persuadant que l’on n’avait pas le choix...
Cette découverte d’autres survivants et le conflit qui s’ensuit sont les prémices de la principale confrontation du film. Alors que le roman propose au lecteur plusieurs rencontres avec des sociétés post-apocalyptiques ayant chacune pris un chemin différent, le film se cantonne à la secte menée par Fulbert (Jean-Louis Trintignant), dit « le directeur », un dictateur illuminé qui alors que la vie renaît dehors maintient ses ouailles enfermées dans un tunnel de voie ferrée, les tenant prisonnières de son monde, de son rêve. Fulbert et ses sbires font régner la terreur, enfermant les réfractaires, abusant des femmes, faisant répéter ad libitum qu'ils sont les derniers survivants et les élus du nouveau monde. Forcément, Fulbert voit d’un mauvais œil l’apparition du groupe de Comte dont le simple fait d’exister remet déjà en cause le culte qu’il a imposé et donc son autorité.
Si le groupe d'Emmanuel représente une forme de République, Fulbert incarne bien évidemment le fascisme. Ceci étant, la première n'est pas exempte de torts et n'est pas présentée comme une société parfaite : il n’y a pas eu de véritable élection mais la désignation du possédant (l’aristocrate Comte) comme leader naturel et surtout elle protège ses frontières et ses maigres biens avec des fusils, chassant les nécessiteux et se recroquevillant sur elle même. Mais bon, Fulbert est tellement excessif, démoniaque, que l’ennemi demeure clairement identifié et la confrontation inévitable. Il faut libérer le peuple asservi et trancher la tête de l’hydre. La renaissance et déjà la guerre. La scène de combat qui ne manque pas de s’ensuivre est aussi courte que ratée. Mais si de Chalonge n’est clairement pas à l’aise dans ce type d’exercice, il parvient toutefois avec très peu de moyens (quinze figurants et trois fusils) à évoquer les tranchées de 14-18 et le maquis de 39-45 comme pour montrer la répétition sans fin des guerres. La rixe cacochyme est donc vite bouclée, la guerre contre le tunnel remportée par Malevil et les deux communautés réunies. La paix règne, les cultures abondantes, les couples formés et Evelyne enceinte. Seule la mise à mort de Fulbert sans sommation ni jugement apporte une note discordante dans cette image d’Épinal. Une note discordante qui annonce la grande dissonance finale. Car surgissent bientôt du ciel des hélicoptères et les habitants de Malevil se retrouvent embarqués aux côtés d’autres survivants secourus qui ne sont autres que ces primitifs qu'ils avaient auparavant chassés à coups de fusils. La zone est déclarée interdite et les hélicoptères les emportent avec leur honte et leur culpabilité...
Pas forcément toujours abouti (la parabole est un peu lourde, l’interprétation aussi parfois, comme Trintignant qui ne peut pas faire grand-chose d’un personnage qui n’est qu’un archétype), Malevil n’en demeure pas moins une précieuse expérience d’anticipation à la française. Précieuse car rare mais aussi parce qu'il y a une attention et un soin qui ne sont pas si courants lorsque le cinéma hexagonal tente l’expérience du genre. Le film bénéficie ainsi de ses très beaux décors et de la qualité de sa photo. Jean Penzer joue admirablement sur une palette très réduite de couleurs, créant un éternel crépuscule, travaillant sur des clairs-obscurs et une lumière diffuse et douce qu’il modèle magnifiquement. Quant aux décors de Max Douy, ils sont simples mais très évocateurs, imposant très efficacement une ambiance et prenant souvent seuls la charge du récit, ce qui permet à Christian de Chalonge des ellipses qui rendent le film efficace et trépidant malgré le rythme posé qu’il lui impulse. Olivier Bitoun.
COMMENTAIRE : Maire de Malevil et viticulteur, Emmanuel Comte est en train de déguster son vin en compagnie de quelques hôtes lorsqu'une monstrueuse explosion ravage la région toute entière. La cave du château de Malevil préserve les œnologues amateurs mais la chaleur extérieure les contraint cependant à rester cloîtrés plusieurs jours. Lorsqu'ils pourront enfin ressortir, ce sera un monde nouveau, désolé et ruiné, qui s'offrira à eux. Le petit groupe ne perdra cependant pas espoir et entendra bien utiliser les compétences de chacun pour tenter de recréer une société nouvelle. Déjà délicate, la tache sera rendue plus complexe encore par l'apparition d'autres survivants se livrant au pillage…
Né en 1908, l'écrivain Robert Merle a essentiellement consacré sa plume à l'écriture de romans à résonance politique et/ou sociale. L'homme se montre à ce titre particulièrement intéressé par les mécanismes d'un fonctionnement collectif, la réflexion de groupe et plus largement la vie en microsociété. Il rédigera ainsi «Derrière la vitre» qui sera la vision romancée du «siège» mené à l'Université de Nanterre en mars 1968. Toujours sur base de faits réels, Merle livre en 1986 «Le jour ne se lève pas pour nous», un récit traitant de la vie des sous-mariniers. Mais l'auteur use aussi avec talent de la fiction pour créer les circonstances et façonner les environnements qui lui permettront de se livrer à ses études comportementales de groupe. «Les hommes protégés» relate par exemple les méfaits de l'encéphalite 16 qui décimera les hommes et mènera à la création d'un pouvoir féminin et féministe extrêmement virulent. En 1962, «L'île» décrit pour sa part un groupe de mutins qui tente de re-créer une société sur une île perdue. Dix ans plus tard et sur un postulat finalement assez proche, Robert Merle nous offre «Malevil», un pavé de plus de 600 pages dans lequel l'écrivain brosse le portrait d'individus survivant à une apocalypse nucléaire…
Fruit d'une collaboration Franco-Allemande, l'adaptation cinématographique «Malevil» rejoint les salles françaises le 13 mai 1981. Le résultat ne sera pas du goût de tous, à commencer par Robert Merle qui renie le film et refuse de trouver son nom au générique. Il faut dire que pour sa mise en image, le scénariste Pierre Dumayet et le réalisateur Christian de Chalonge ont grandement élagué et simplifié le roman. «Malevil» perd ainsi le village de Courcejac et la famille de l'Etang. Avec eux, ce sont deux microsociétés qui disparaissent et donc deux manières d'appréhender l'Homme livré à lui-même. Sur grand écran, Malevil se montre en outre moins subversif et n'aborde que peu les problèmes touchant à la perpétuation de la race ou la remise en question de certains «fondements» de notre société comme par exemple la monogamie. La religion ne sera que peu évoquée au sein du métrage et l'aspect très politisé du livre sera repoussé au second plan. La galerie de personnage sera bien évidemment revue à la baisse et le récit globalement simplifié. Enfin, l'épilogue du film se détachera totalement de celui du roman, sonnant définitivement le glas de ce Malevil qui sera jugé comme une bien décevante adaptation.
Ne soyons cependant pas dupe et convenons qu'un format de deux heures ne pouvait retranscrire fidèlement un roman aussi ambitieux que «Malevil». Si Malevil déçoit donc logiquement en tant que transposition de l'œuvre de Robert Merle, il s'avère en revanche plus que recommandable en tant que film. En effet, Pierre Dumayet et Christian de Chalonge nous livrent ici une apocalypse remarquable à laquelle survivent quelques passionnants personnages et idéaux. Sur le plan visuel tout d'abord, Malevil est une franche réussite qui nous confronte à des paysages aussi désolés que tangibles, lesquels vaudront du reste un César à Max Douy. Nos campagnes sont ainsi vidées de toutes vies, enveloppées d'une épaisse brume noire et nos solides bâtisses centenaires ne sont plus que ruines. Rarement les conséquences d'une apocalypse auront été aussi palpables et proches de nous que dans Malevil. Les moyens mis en œuvre sont à ce titre d'une simplicité qui rime avec efficacité : Un dialogue anodin nous glisse que le lit d'une rivière s'est déplacé, un personnage renoue avec le passé via différents bibelots chargés de poussière, la végétation semble brûlée, la terre retournée…
Bien évidemment, ces travaux de mise en scène et la photographie de Jean Penzer ne seraient rien sans une poignée d'acteurs pour les mettre en valeur. Là encore, Malevil se montre à la hauteur en affichant un casting français des plus étonnants. Michel Serrault, Maire de Malevil, se voit ainsi secondé par Jacques Dutronc en électricien et Jacques Villeret en idiot du village. En face de cette petite communauté se dresse Jean-Louis Trintignant, tout simplement bluffant dans le rôle du dictateur Fulbert. Ensembles, ces acteurs donnent corps au métrage de Christian de Chalonge et à ses ambitions profondément humaines, voire sociologiques. Car bien qu'estompé, l'héritage de Robert Merle se fait indiscutablement sentir dans Malevil. Les idéologies sont indissociables des personnages et l'organisation en micro-sociétés antagoniques offre au film toute sa richesse thématique. Jamais pesant ou moralisateur, aucunement «auteurisant» ou caricatural, le métrage de Christian de Chalonge se contente en réalité d'exposer trois types de communautés et de les faire vivre. La gestion des ressources sera bien évidemment l'un des facteurs essentiels au développement de tous mais bien vite, des considérations plus «humaines» entreront en ligne de compte. Les notions très relatives de «bien» et de «mal» referont alors surface au coeur d'un monde privé de lois. La raison sera donc celle du plus juste, du mieux organisé ou tout simplement du plus fort.
Mais nous l'avons dit, Malevil n'a rien d'un film pollué par la bonne morale ou de «saines valeurs». Ainsi, le clan des «héros» n'est pas constitué de Saints et le pillage, par exemple, sera immanquablement puni de mort. Le recours à la violence sera du reste assez récurrent et nous rappellera que nous sommes là dans l'évocation d'un univers violent et barbare, fruit d'une remise à zéro causée par la folie des Hommes. Assez nihiliste dans son propos, Malevil s'offre par ailleurs un final des plus pessimistes, jetant un regard assez désabusé, voire désespéré, quant à la société dans laquelle nous vivons. Là encore, le refus du spectaculaire laisse place à la justesse des images et à la simple appréciation du spectateur. Via ces quelques plans, Christian de Chalonge clôt son film de la meilleure manière qui soit, se payant le luxe d'un (quasi) sans faute et nous offrant par là même l'un des plus beaux film de science-fiction qu'ait connu le paysage cinématographique hexagonal… Xavier Desbarats.
LA JETÉE
de Chris Marker, 1962, France, 29mn, Noir et Blanc
avec Davos Hanich, Hélène Chatelain, Jean Négroni…
RÉSUMÉ : Ceci est l'histoire d'un homme marqué par un souvenir d'enfance ». Cette histoire nous est racontée par un narrateur dont la voix accompagne une succession d'images fixes. Enfant, le héros se rend souvent avec ses parents à l'aéroport d'Orly. Un jour, il assiste à un événement dramatique qui va le marquer, mais qu'il ne comprendra que plus tard. Un homme meurt sous les yeux d'une femme dont il gardera en mémoire les traits. Puis la Troisième Guerre mondiale survient qui détruit toute la surface de la Terre. À Paris, les survivants se réfugient dans les sous-sols. Le héros, prisonnier dans un camp souterrain sous Chaillot, est alors le cobaye de scientifiques qui cherchent à l'envoyer dans le passé pour établir un corridor temporel afin de permettre aux hommes d'autres époques de transporter des vivres, des médicaments et des sources d'énergie, bref d'« appeler le passé et l'avenir au secours du présent »...
POINTS DE VUE : Ce film où les hommes ne peuvent être sauvés que par leur avenir, où un enfant voit mourir devant lui l’adulte qu’il sera, échappe à toute explication « rationnelle ». Comme le héros, le spectateur est convié à un voyage dans le temps, dont il ne sort pas indemne : au bout de la Jetée, c’est son espace mental, fait d’images d’amour et de mort, qu’il aura traversé.
La profonde émotion qui se dégage de ce court métrage n’est pas étrangère à sa forme même. cette succession de photographies, d’où le récit surgit progressivement grâce au commentaire d’une voix anonyme, nous fait sentir l’immobilité d’un monde sans avenir. Dans ce monde figé, où les images mentales ne sont que des « instantanés », il suffit d’un seul mouvement pour que renaisse la vie : il viendra de la femme ouvrant les yeux pour regarder autour d’elle. Dans cette transformation de la fixité en mouvement, du révolu en devenir, c’est aussi le passage de la photographie au cinéma qui est représenté. François Jost, 1995.
Unique film de fiction (en réalité de science-fiction) réalisé par Marker, La Jetée est un court métrage de 28 minutes désigné sous l’appellation de « ciné-roman » par son générique. Il est constitué d’images photographiques fixes, comme un diaporama, à l’exception d’un plan très bref où l’on voit l’actrice Hélène Châtelain, personnage féminin principal du film, battre des paupières. Cette forme originale invente une nouvelle écriture cinématographique poétique et musicale, qui parvient à créer une impression de mouvement ou de ralenti sans avoir recours à des images animées. Chaque plan est un photogramme qui évoque l’idée de souvenir, de trace arrachée à l’oubli ou à la mort. La voix-off omniprésente confère à l’ensemble une dimension littéraire.
« Ceci est l’histoire d’un homme marqué par une image d’enfance. » Film sur la mémoire, les souvenirs et le sentiment de « déjà vu », La Jetée imagine des voyages dans le temps provoqués par une drogue sur des cobayes humains, afin d’établir un corridor temporel qui permettrait de sauver la planète ravagée par la Troisième Guerre mondiale. Réalisé dans le contexte de la Guerre froide et de la menace atomique, La Jetée combine des préoccupations politiques et écologiques à une histoire d’amour vécue lors des brefs sauts dans le temps du voyageur. Les séjours dans le passé dévient de leur objectif initial pour se concentrer sur une femme, qui hante les souvenirs de l’homme. La Jetée est un film hanté par la guerre, l’idée de catastrophe associée au XXème siècle, mais aussi par le cinéma. Les promenades du couple évoquent celles de Vertigo – l’un des films préférés de Marker – avec la reprise de l’image du tronc coupé d’un séquoia millénaire, image forte qui permet d’inscrire la participation individuelle d’un être humain à un temps global, et suggérer la possibilité d’une boucle temporelle. Chef-d’œuvre à part dans l’histoire de la modernité cinématographique, joyau parmi les trésors que recèlent l’œuvre protéiforme et multimédia de ce grand voyageur de la pensée et des espaces intimes qu’était Chris Marker, La Jetée n’a jamais cessé d’inspirer les auteurs de science-fiction et de bande dessinée, les artistes, cinéastes et musiciens, à la manière d’une matrice inépuisable. Olivier Père, 2018.
L’ARMÉE DES 12 SINGES
Twelve Monkeys
de Terry Gilliam, 1995, US, 2h10, Couleurs
avec Bruce Willis, Madeleine Stowe, Christopher Plummer…
RÉSUMÉ : Nous sommes en l'an 2035. Les quelques milliers d'habitants qui restent sur notre planète sont contraints de vivre sous terre. La surface du globe est devenue inhabitable à la suite d'un virus ayant décimé 99% de la population. Les survivants mettent tous leurs espoirs dans un voyage à travers le temps pour découvrir les causes de la catastrophe et la prévenir. C'est James Cole, hanté depuis des années par une image incompréhensible, qui est désigné pour cette mission.
Quelques survivants se terrent dans des catacombes. L'un d'eux, James Cole, est expédié directement en 1996, année du cataclysme, afin de comprendre l'implication dans l'affaire d'une mystérieuse organisation, l'"Armée des douze singes". Cole espère aussi percer le mystère du rêve qui le hante depuis l'enfance : la mort violente d'un homme dans un aéroport. Il finit par comprendre que Jeffrey Goines, un fou paisible, est la clef de l'énigme. Il est, en effet, à la fois le fils d'un célèbre biologiste qui travaille sur les souches virales et le chef secret de l'"Armée des douze singes"...
POINTS DE VUE : En l'an 2035, 99 % de la population mondiale a été anéantie par une mystérieuse épidémie, survenue en 1997. Les survivants, réfugiés dans des sous-sols glauques, croupissent dans des cellules grillagées. Afin de découvrir l'origine de la catastrophe, des savants utilisent un cobaye humain - James Cole - en le propulsant dans le passé. L'homme est hanté par une image récurrente et indéchiffrable - une course-poursuite mortelle. S'agit-il d'un rêve ou d'un souvenir ? Son voyage lui apportera peut-être la réponse...
Vaguement inspiré de La Jetée, de Chris Marker, ce voyage kafkaïen dans le temps équivaut à un « trip » délirant aux confins du rêve et de la réalité, entre raison et démence. Avec le concours malheureux de Kathryn, Cole précipite la catastrophe en voulant l'éviter. Mélange d'éléments high-tech et de ferraille moyenâgeuse, architecture monumentale aux circonvolutions évoquant celles d'un vaste cerveau malade, le décor de l'an 2035 participe de ce délire poétique. Bruce Willis est d'une sobriété impeccable et Madeleine Stowe dégage une fragilité envoûtante. Ce thriller suffocant est enfin une belle histoire d'amour, tragique et cruelle. Jacques Morice, 2007.
Un homme du futur est envoyé dans le présent pour tâcher de comprendre comment cinq milliards d’humains ont été tués par un virus d’origine inconnue. L’Armée des douze singes combine de manière originale deux thèmes majeurs de la science-fiction : les voyages dans le temps et les visions post-apocalyptiques, mêlés à une fugace rencontre amoureuse.
L’Armée des douze singes convoque plusieurs souvenirs de spectateurs. Son existence même est intimement liée au souvenir d’un film en particulier. Le film est né du désir du producteur Robert Kosberg (qui débuta sa carrière avec Commando de Mark L. Lester) d’adapter à Hollywood le génial court métrage La Jetée, réalisé en 1962 par Chris Marker. David Webb Peoples (Blade Runner, Impitoyable) est l’auteur du scénario original, qui développe l’histoire de La Jetée en respectant son idée centrale : une scène décisive vue par un homme à deux âges de sa vie, de deux points de vue différents. Un paradoxe temporel permettra en effet au personnage principal des deux films d’assister enfant à sa propre mort, sans le savoir mais en demeurant hanté par ce souvenir fugace.
Terry Gilliam n’avait pas vu le film original de Marker avant le tournage. Le réalisateur de Brazil apporte au projet son univers visuel foisonnant et parfois surchargé sans pour autant dénaturer la force et l’originalité du scénario. L’Armée des douze singes s’enrichit au contraire de nouvelles strates de références cinéphiles. Les douze singes du titre renvoient au Magicien d’Oz, et Gilliam cite un autre chef-d’œuvre de l’histoire du cinéma sur le thème du « déjà vu », Vertigo d’Alfred Hitchcock – qui était le film préféré de Chris Marker.
L’Armée des douze singes permet d’apprécier Bruce Willis et Brad Pitt dans des registres inhabituels. Le premier y apparait plus vulnérable que dans les films d’action qui ont fait sa gloire tandis que le second bouscule son image de beau gosse dans le rôle d’un activiste psychotique. Le film offre aussi à la belle Madeleine Stowe, en psychiatre prise en otage par le voyageur du futur, l’un de ses meilleurs rôles. Olivier Père, 2018.
MATANGO
de Ishiro Honda, 1963, Japon, 1h30, Couleurs
avec Akira Kubo, Kumi Mizuno, Kenji Sahara…
RÉSUMÉ : Les survivants d'un naufrage échouent sur une ile étrange peuplée d'hommes-champignons.
POINT DE VUE : Inoshiro (ou Ishirô) Honda (1911-1993), l’un des proches collaborateurs de Akira Kurosawa tout au long de sa carrière (réalisateur de seconde équipe et responsable des effets spéciaux, jusqu’au génial Rêves), fut également l’auteur de nombreux films de science-fiction, dont le très célèbre et magnifique Godzilla (Gojira, 1954) qui illustrait le traumatisme et la terreur atomiques subis par le peuple japonais, suivi de ses nombreuses suites ou déclinaisons. Son nom est indissociable du cinéma fantastique japonais d’après-guerre, au même titre que Terence Fisher en Grande-Bretagne ou Mario Bava en Italie. Matango (1963) échappe au folklore coloré du « Kaiju Eiga » (« films de monstres ») pour explorer des contrées plus noires de la SF, grâce à des effets spéciaux plus subtils et une intrigue plus adulte. Longtemps inédit en France, Matango a fait fantasmer des générations de cinéphiles, avant d’être enfin visible à la Cinémathèque française et à la télévision dans les années 90 puis en DVD. Les amateurs ne furent pas déçus. Sous ce titre énigmatique au parfum d’exotisme se cache un superbe film d’aventures dans lequel des naufragés découvrent l’existence de mystérieux hommes champignons. Honda s’est sans doute souvenu des moisissures géantes qui poussaient déjà dans les paysages insolites du « Voyage au centre de la terre » de Jules Verne. Ces créatures animées d’intentions incertaines donnent au cinéaste l’occasion d’incartades psychédéliques bienvenues. On se souviendra longtemps des visions provoquées chez un des héros par une indigestion d’hypholomes hallucinogènes. Mais surtout, au-delà de son esthétique de bande dessinée et de ses rebondissements de serial, le film s’achève par une réflexion angoissée sur la monstruosité. Qui, des hommes champignons reclus sur leur île ou des êtres anonymes entassés dans des villes tentaculaires, connaît l’existence la plus inhumaine ? Olivier Père, 2012.
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