LA FRACTURE SOCIALE À L’ÉCRAN

Films et séries abordent désormais de front le gouffre grandissant entre ultra-riches et gens modeste… Les méchants, les salauds appartient à la grande bourgeoisie matérialiste et sans états d’âme qui empêche la population de vivre comme elle l’entend et lui impose des choix selon les critères financiers. Quand une catastrophe arrive, les inégalités sociales apparaissent encore plus révoltantes. Aujourd’hui, partout sur la planète, la fracture économique se creuse, de plus en plus vite : 10% de la population détenaient plus de 75% des richesses mondiales en 2021. Et parmi eux, 1% concentrait 40% de ces richesses. Le problème est tellement alarmant que le cinéma, et la fiction en général, s’en mêle et le place au premier plan.

Bong Joon-ho subvertit et complexifie de mille façons le thème du gouffre entre riches et pauvres. La famille défavorisée infiltre la famille aisée – en usurpant les places de domestiques et de précepteurs ; un sous-sol profond de la belle demeure révèle aussi l’existence clandestine d’une humanité encore plus misérable, dont la condition relativise celle des imposteurs (Parasite). « De prime abord, on a l’impression que les pauvres vont parasiter les riches. Mais plus on avance, plus on se rend compte que les pauvres s’introduisent chez les riches parce que ces derniers le veulent, et que, sans chauffeur, sans gouvernante, ils seraient incapables de vivre », explique le cinéaste (dans la revue Positif, en juillet 2019).

Dans cette lutte de classes, la violence tue, les deux « camps » sont frappés. Mais seuls les dominés sont renvoyés à l’obscurité et à l’empêchement.

Interpellé sur ses propres origines sociales, le maître coréen se présente comme issu de la classe moyenne, et suggère que cette équidistance l’aide à se projeter chez les pauvres comme chez les riches. La précision n’a rien de superfétatoire : elle est même au cœur du film français récent le plus pertinent sur la fracture sociale, Ouistreham (2022), d’Emmanuel Carrère, d’après le livre de Florence Aubenas. Où une intellectuelle aisée (Juliette Binoche) se fait passer pour une femme de ménage afin de témoigner des éprouvantes conditions de travail et de vie d’une brigade de nettoyage à bord des ferries trans-Manche. « J’ai abordé ces questions de déontologie et de morale de façon frontale, dit Emmanuel Carrère (à L’Humanité, en janvier 2022), dans la scène où l’héroïne se fait démasquer par la conseillère de Pôle emploi, lui disant que, quand elle en aura marre, elle pourra rentrer chez elle, dans un appartement qu’on imagine confortable, rempli de livres […]. Le film se termine d’une façon amère, mais je ne voulais pas d’un happy end, laissant entendre qu’avec la chaleur humaine et la bonne volonté, toutes les barrières seraient surmontables. Eh bien non, la lutte des classes existe. »

Dans le livre « Dialogue sur l’art et la politique » (avec l’écrivain Édouard Louis), le vétéran britannique Ken Loach reconnaît n’avoir eu, dans sa longue carrière, qu’un seul film massivement vu par les classes populaires, Kes (1969), mais il dit se battre désormais en ce sens. « Pour mes deux deniers longs métrages, Moi, Daniel Blake (Palme d’or 2016) et Sorry We Missed You (2019), nous avons organisé beaucoup de séances dans des salles de réunion syndicale, des églises ou de petits espaces au-dessus des pubs… Tout cela dans des régions et des villes où les gens ne fréquentent pas les cinémas d’art et essai – qu’il y en ait un ou non à proximité. C’est une possibilité nouvelle [liée aux vidéoprojecteurs numériques], qui n’existait pas avant, et c’est formidable. » extraits Louis Guichard, 2022.


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